Cour suprême du Canada
Sellars c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 527
Date: 1980-02-07
James Edward Sellars Appelant;
et
Sa Majesté La Reine Intimée.
1979: 5 décembre; 1980: 7 février.
Présents: Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Chouinard.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] confirmant une déclaration de culpabilité prononcée par un jury de la Cour supérieure de juridiction criminelle. Pourvoi rejeté.
Jean R. Salois, pour l’appelant.
Ronald Schachter, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE CHOUINARD — Une seule question est soulevée par l’appelant, à savoir si la règle qui exige que le juge prévienne le jury du danger qu’il y a de fonder un verdict de culpabilité sur le témoignage non corroboré d’un complice, s’étend au complice après le fait.
Cette règle a pour raison d’être l’intérêt présumé qu’a un complice d’attribuer la responsabilité d’un crime à un autre pour du même coup se disculper. Pour certains le complice après le fait n’a pas cet intérêt puisque son crime est distinct et postérieur et il échappe à toute responsabilité si celui qu’il a aidé est acquitté. Pour d’autres il peut quand même avoir un intérêt qui entache sa crédibilité, celui par exemple de coopérer avec la poursuite
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dans l’espoir d’un traitement moins rigoureux. C’est en bref suivant ces deux lignes de pensée que pendant longtemps les opinions se sont partagées.
Cependant dans Paradis c. La Reine[2], cette Cour a exprimé l’opinion majoritaire qu’il faut appliquer au témoignage du complice après le fait la même règle de prudence qu’à celui du complice du fait et on doit donc, me semble-t-il, tenir que telle est l’interprétation qui prévaut.
La Cour, comme elle le fait à l’occasion, s’est ainsi prononcée sur la question, même s’il n’était pas indispensable de le faire pour disposer du pourvoi.
Dans Provincial Secretary of Prince Edward Island c. Egan[3], qui fait autorité depuis lors sur la question constitutionnelle qui y fut décidée, le juge Rinfret, comme il était alors, écrivait aux pp. 411 et 412:
[TRADUCTION] Toutefois, la Cour suprême en banc a jugé utile d’étudier la question de la constitutionnalité du par. 84(1) de la Highway Traffic Act, 1936, vu le par. 285(7) du Code criminel, modifié par l’art. 6 du chap. 30 des Statuts du Canada, 3 Geo. VI (1939). Cette Cour a jugé ultra vires la disposition de la Highway Traffic Act portant «sur l’annulation d’un permis par suite d’une condamnation pour avoir conduit une automobile en état d’ébriété».
Vu l’énoncé sur ce point, le procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard a interjeté appel devant cette Cour et la permission d’intervenir a été accordée au procureur général du Canada et au procureur général de l’Ontario. On a fait valoir devant nous la conséquence importante et étendue de cet énoncé et le fait que même s’il ne s’agit que d’un obiter dictum, un tel énoncé peut influencer la jurisprudence non seulement de l’Île‑du-Prince-Édouard mais des autres provinces. Par conséquent, il apparaît judicieux à cette Cour de donner son opinion sur la question.
De même dans Schwartz c. La Reine[4], la Cour, bien que cela ne fût pas nécessaire pour trancher, exprimait une opinion majoritaire sur le sens du mot «mauvais» à l’art. 16(2) du Code criminel. Le juge Martland écrivait aux pp. 694 et 695:
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A mon avis, les directives du juge sur le sens du mot «mauvais» à l’art. 16(2) n’étaient pas erronées. Si je traite de cette question, c’est qu’elle a été pleinement débattue devant nous et qu’il est souhaitable que la Cour exprime son opinion là-dessus.
Voir aussi Switzman c. Elbling[5], et R. c. Zelensky[6].
Dans Procureur général de la province de Québec c. Cohen[7], la Cour affirmait l’autorité d’un énoncé de principe contenu dans une de ses décisions. Au nom de la Cour, le juge Pigeon écrivait à la p. 308:
Au sujet du dernier alinéa cité, je ne puis admettre que, dans l’affaire Patterson, l’avis contraire de deux juges dont l’un a néanmoins endossé la conclusion du juge Judson, amoindrit de quelque façon l’autorité de cet énoncé de principe approuvé par la majorité de la Cour.
Ce même arrêt Patterson[8] fut suivi par la Cour d’appel de l’Alberta dans Re Depagie and The Queen[9] où le juge McDermid, citant le même passage que le juge Pigeon dans l’affaire Cohen, écrivait au nom de la majorité, à la p. 92:
[TRADUCTION] …Toutefois, même si le dernier alinéa du jugement que j’ai cité est un obiter, comme l’a déclaré le juge Bouck dans R. v. Hubbard et al., [1976] 3 W.W.R. 152, je ne vois pas de raison de ne pas le suivre même à supposer qu’il soit incompatible avec la jurisprudence antérieure.
Dans Ottawa v. Nepean Township et al.[10], le juge en chef Robertson écrivait pour la Cour d’appel de l’Ontario, à la p. 804:
[TRADUCTION] …Ce qui a été énoncé constitue peut-être un obiter, mais il s’agit d’une opinion motivée de la Cour suprême du Canada et nous devons la respecter et la suivre, même si strictement nous ne sommes pas liés.
Dans l’espèce le juge de première instance n’a pas appliqué la règle ci-dessus, étant d’avis qu’elle ne s’appliquait pas au témoignage du complice après le fait. Voici comment il s’en est exprimé à l’intention du jury:
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[TRADUCTION] …Le témoin Welch n’est pas un complice car il n’a pas sciemment et volontairement collaboré avec quelqu’un en vue de commettre un acte criminel, ni assisté, conseillé ou encouragé quelqu’un à commettre un tel acte.
S’il est un complice après le fait, et cette conclusion semble plausible, ce n’est pas un complice dans le sens où il doit faire l’objet d’une directive de ma part vous mettant en garde contre le danger de condamner l’accusé sur la foi de son témoignage non corroboré.
Il convient de signaler que les directives du juge remontent au 5 juillet 1976, avant le jugement de cette Cour dans l’affaire Paradis qui fut prononcé le 8 février 1977. Le juge de première instance se fondait à bon droit sur le jugement de la Cour d’appel dans la même affaire, prononcé le 7 janvier 1975.
Cependant, dans la présente instance, à la majorité la Cour d’appel du Québec a rejeté le grief d’appel fondé sur le défaut d’appliquer cette règle.
Vu la conclusion ci-dessus qu’il faut, tel que déterminé par cette Cour dans l’affaire Paradis, appliquer la même règle au témoignage du complice après le fait, l’on doit donner raison à l’appelant sur ce point.
L’intimée a toutefois plaidé que le pourvoi devrait quand même être rejeté en application de l’art. 613(1)b)(iii) du Code criminel qui se lit:
613. (1) Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict portant que l’appelant est incapable de subir son procès, pour cause d’aliénation mentale, ou d’un verdict spécial de non-culpabilité pour cause d’aliénation mentale, la cour d’appel
a) …
b) peut rejeter l’appel si
…
(iii) bien que la cour estime que, pour tout motif mentionné au sous-alinéa a(ii), l’appel pourrait être décidé en faveur de l’appelant, elle est d’avis qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit;
A la lumière de la preuve et compte tenu de toutes les circonstances de cette cause je suis d’avis de rejeter le pourvoi pour ce motif.
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Les faits sont résumés comme suit par le juge Dubé de la Cour d’appel:
Pierre Côté, célibataire, résidant au numéro 34, rue Claudel, Lévis, fut vu vivant pour la dernière fois le 23 août 1975 à Lévis par sa belle-sœur Madame Hélène Carrier Côté; il était alors en possession de son automobile, une Mustang de Tannée 1972 couleur jaune-or, enregistrée à son nom sous le numéro d’immatriculation 254A671.
Le 4 octobre 1975, à St-Philippe de Néri, à quatre-vingt-quinze (95) milles à Test de Québec, un jeune garçon du nom de Philippe Bélanger trouva dans la forêt un cadavre en état avancé de décomposition: les recherches subséquentes démontrèrent que le cadavre était celui de Pierre Coté.
La cause de la mort de Pierre Côté fut attribuée à deux projectiles d’arme à feu de calibre 22 retrouvés dans le crâne de la victime.
Le 3 février 1976, un véhicule-automobile, subsé-quemment identifié comme étant celui de Pierre Côté, fut vu sur un terrain de stationnement à Frédéricton au Nouveau‑Brunswick; alors Joseph-Pierre Chauvin, membre de la Gendarmerie Royale du Canada déguisé en citoyen ordinaire, rencontrera l’appelant Sellars qui résidait à Frédéricton et ce dernier lui dit qu’il avait la voiture en question à vendre pour la somme de $1,500.00 du véritable propriétaire lequel avait l’intention de déclarer que son véhicule avait été volé et en conséquence d’en réclamer le montant à son assurance.
Les faits ci-dessus ne sont pas contestés et aucune preuve n’a été faite à l’encontre.
A l’enquête, un certain Ralph Welch témoigna à l’effet qu’il était un ami de Sellars et qu’il lui avait vendu un vieux revolver de calibre 22 au cours du mois de juillet 1975. Il déclare avoir vu Sellars en possession de l’automobile de Pierre Côté à Frédéricton au cours de la fin de semaine avant la fête du travail, soit à la fin du mois d’août; Sellars lui aurait dit qu’il avait obtenu ce véhicule en paiement d’une dette, mais qu’il n’avait pas d’enregistrement; Welch continue son témoignage à l’effet que Sellars lui a avoué avoir tué un homme avec le revolver 22 qu’il avait acheté de lui et s’être ensuite débarrassé du revolver en le jetant.
Welch déclare avoir aidé Sellars à nettoyer le véhicule de Pierre Côté et y avoir trouvé une montre qu’il a donnée à un de ses amis lequel l’aurait perdue depuis; il a aussi découvert un étui servant à garder des documents d’identification qu’il a remis à la Gendarmerie Royale.
Ralph Welch avoue avoir déjà été trouvé coupable de possession illégale de boissons alcooliques et il avoue
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qu’il avait obtenu par vol le revolver qu’il a vendu à Sellars.
Le témoin expert de la Couronne en matière d’arme à feu, un physicien du nom de Antoons, déclare que les deux projectiles trouvés dans la tête de la victime Pierre Côté provenaient de deux armes différentes; cependant dans un rapport subséquent Antoons ajoute qu’il est possible que les deux projectiles aient été tirés par la même arme à feu si cette arme à feu était un revolver usé et défectueux. D’après Welch l’arme qu’il a vendue à Sellars était [TRADUCTION] …«en bon état mais très vieille et très sale».
L’appelant n’a pas témoigné et n’a fait entendre aucun témoin.
Si le juge n’a pas appliqué au témoignage du complice après le fait la règle mentionnée plus haut, il a néanmoins instruit le jury au sujet de la crédibilité des témoins et des facteurs qui peuvent l’entacher, notamment l’intérêt que peut avoir un témoin, et dans le cas de Welch en particulier, sa réputation.
En un premier temps il dit ceci:
[TRADUCTION] — Le prochain sujet dont je vais vous parler concerne la crédibilité ou la bonne foi des témoins. Vous avez eu l’occasion au cours de la présente affaire d’entendre différents témoins donner leur compte rendu des événements en cause. Vous devez sur cette question de la crédibilité ou de la bonne foi d’un témoin, faire appel à votre expérience en tant qu’hommes et femmes dans les choses courantes de la vie. Vous pouvez croire toute la déposition d’un témoin, une partie de sa déposition, ou vous pouvez la rejeter au complet.
Pour décider de la crédibilité d’un témoin ou du poids à accorder à la déposition d’un témoin, vous devez tenir compte des possibilités que le témoin a eues d’observer les faits dont il témoigne et de sa capacité de donner un compte rendu exact de ce qu’il a vu ou entendu. Vous devez également déterminer si le témoin est partial ou a des préjugés ou s’il a un intérêt dans l’affaire. Ce sont les facteurs principaux dont il faut tenir compte lorsqu’il s’agit d’établir la crédibilité ou la bonne foi d’un témoin ou le poids à accorder à la déposition d’un témoin.
Et plus loin, au sujet de Welch:
[TRADUCTION] — Je désire dire quelques mots au sujet de Welch et de la manière dont vous devez envisager son témoignage. Le témoin Welch n’est pas un complice car il n’a pas sciemment et volontairement
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collaboré avec quelqu’un en vue de commettre un acte criminel, ni assisté, conseillé ou encouragé quelqu’un à commettre un tel acte.
S’il est un complice après le fait, et cette conclusion semble plausible, ce n’est pas un complice dans le sens où il doit faire l’objet d’une directive de ma part vous mettant en garde contre le danger de condamner l’accusé sur la foi de son témoignage non corroboré. Mais nos tribunaux d’instance supérieure ont déclaré que le témoignage d’une personne de mauvaise réputation, même si elle n’est pas un complice, doit être étudié et pesé avec le plus grand soin. Aux yeux de la loi, Welch est-il une personne de mauvaise réputation? L’est-il parce qu’il a été déclaré coupable, à un très jeune âge, de possession illégale de boissons alcooliques? Il est vrai qu’il a admis avoir volé le revolver en question et avoir également tenté de vendre l’automobile qu’il savait certes ne pas provenir de son propriétaire légitime.
Ces remarques portent sur le témoignage de Welch. Je vous laisse le soin de décider de la crédibilité de son témoignage après l’avoir entendu à la barre des témoins.
Les remarques du juge constituent à mon sens une mise en garde. Le juge fait allusion en particulier à l’intérêt que peut avoir un témoin, ce qui est la raison d’être de la règle de prudence relative au témoignage non corroboré d’un complice. Il invite en outre le jury à s’interroger sur le caractère, la réputation de Welch en regard de sa conduite passée et de son comportement dans cette affaire, après leur avoir dit [TRADUCTION] «le témoignage d’une personne de mauvaise réputation, même si elle n’est pas un complice, doit être étudié et pesé avec le plus grand soin». Puis le juge laisse au jury, dit-il, le soin de déterminer la crédibilité du témoin. Je ne crois pas que d’inviter les jurés à la prudence parce que Welch était un complice après le fait aurait produit sur eux un effet différent de celui qu’ont pu produire les remarques ci-dessus et je n’hésite pas à conclure qu’à mon avis aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit.
D’autant plus que, mis à part le témoignage de Welch, la preuve me paraît accablante en l’absence d’une explication, en particulier la possession de la voiture de la victime, la tentative de la vendre à un membre de la Gendarmerie Royale et les raisons données à celui-ci pour la vendre.
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Dans Avon c. La Reine[11], le juge en chef Fau-teux au nom de la majorité écrivait aux pp. 656 et 657 ce passage qu’il me paraît pertinent de citer:
En ce qui concerne le second grief soulevé par l’appelant, soit l’omission du juge de première instance d’instruire le jury sur le témoignage d’un complice, M. le juge Owen, parlant pour tous ses collègues de la Cour d’appel, déclara:
[TRADUCTION] Toutefois, après examen du dossier, je suis d’avis qu’un jury raisonnable auquel de bonnes directives ont été données aurait nécessairement conclu que l’appelant était coupable de meurtre non qualifié. Par conséquent, à mon avis, il y a lieu en l’espèce d’appliquer l’article 592(1)(b)(iii) C.Cr. A mon avis, aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produite par suite de directives insuffisantes en ce qui concerne les complices.
Avec ces vues, je suis respectueusement d’accord et me contenterai d’ajouter ce passage extrait des motifs de jugement de M. le juge en chef Sloan dans Regina v. Pavlukoff (1953), 106 C.C.C. 249, 17 C.R. 215, 10 W.W.R. (N.S.) 26:
[TRADUCTION] …que l’accusé n’ait pas témoigné quand des faits l’inculpaient, c’est une question que la Cour d’appel pouvait faire entrer en ligne de compte lorsqu’il s’est agi d’appliquer l’art. 1014(2).
Pour ces motifs je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi rejeté.
Procureur de l’appelant: Jean R. Salois, Montréal.
Procureur de l’intimée: Ronald Schachter, Montréal.
[1] [1978] C.A. 469.
[2] [1978] 1 R.C.S. 264.
[3] [1941] R.C.S. 396.
[4] [1977] 1 R.C.S. 673.
[5] [1957] R.C.S. 285.
[6] [1978] 2 R.C.S. 940.
[7] [1979] 2 R.C.S. 305.
[8] sub nom. Patterson c. La Reine, [1970] R.C.S. 409.
[9] (1976), 32 C.C.C. (2d) 89.
[10] [1943] 3 D.L.R. 802.
[11] [1971] R.C.S. 650.