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21/12/1979 | CANADA | N°[1980]_1_R.C.S._961

Canada | Rosen c. R., [1980] 1 R.C.S. 961 (21 décembre 1979)


Cour suprême du Canada

Rosen c. R., [1980] 1 R.C.S. 961

Date: 1979-12-21

Sydney Rosen (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

1979: 7 février; 1979: 21 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et Mclntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Rosen c. R., [1980] 1 R.C.S. 961

Date: 1979-12-21

Sydney Rosen (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

1979: 7 février; 1979: 21 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et Mclntyre.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Complot pour frustrer le public - Preuve - Ecoute électronique non autorisée - Admissibilité - Consentement ex post facto - Code criminel, art. 178.11(2)a), 178.16(1), 338(1), 423(1)d).

Preuve - Ecoute électronique - Interception non autorisée - Consentement ex post facto - Code criminel, art. 178.11(2)a), 178.16(1), 338(1), 423(1)d).

L’appelant, avec d’autres personnes, a été accusé de complot pour frustrer le public d’argent ou de valeurs par une distribution dolosive des actions de Somed Mines Limited contrairement à l’al. 423(1)d) et au par. 338(1) du Code criminel. Le ministère public a produit en preuve l’interception de conversations privées entre l’appelant et trois autres conspirateurs, B., S. et L., qui avaient d’abord été coaccusés. Le ministère public s’appuie sur les consentements exprès de ces trois personnes pour rendre la preuve admissible conformément à l’al. 178.16(1)b) du Code. On n’a pas tenté de prouver que les interceptions avaient été autorisées judiciairement. Les consentements ont été obtenus quatre jours seulement avant le procès de l’appelant et bien après que les interceptions eurent été faites. Après avoir donné leur consentement, B., S., et L. ont plaidé coupable à l’accusation de complot pour frustrer le public. Chacun s’est vu imposer une amende et placé en probation. Une condition de l’ordonnance de probation était d’être disponible pour le procès de l’appelant. Ils ont tous trois témoigné, mais en contre-interrogatoire, ils ont tous déclaré que la crainte de l’emprisonnement avait été le facteur principal de leur décision de consentir à l’admission en preuve de l’interception. Le juge du procès a décidé que les consentements rendaient la preuve admissible et l’appelant a été déclaré coupable. Son appel à la Cour d’appel de l’Ontario a été rejeté sans motifs écrits ou consignés. Au pourvoi subséquent, l’appelant a soulevé trois points: premièrement, qu’un consentement donné conformément à l’al. 178.16(1)b) doit, pour être valide, être obtenu avant l’interception; deuxièmement,

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que la preuve d’interceptions illégalement faites et qui ne sont rendues admissibles que par un ou des consentements en vertu de l’ai. 178.16(1)b) n’est admissible que contre une personne qui y a consenti et troisièmement, que tout consentement doit être donné librement et ne doit pas être obtenu par une promesse ou une menace de la part du ministère public.

Arrêt (le juge en chef Laskin est dissident): Le pourvoi est rejeté.

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et Mclntyre: Alors qu’un consentement à l’admission en preuve visé à l’al. 178.11(2)a) doit précéder l’interception, celui visé à l’al. 178.16(1)b) sert une fin différente, soit de permettre l’utilisation en preuve d’une interception faite illégalement, c.-à-d. sans consentement. Dans le cas de l’al. 178.16(1)b), le consentement peut donc être obtenu après l’interception jusqu’au moment où la preuve est produite.

Le deuxième point soulevé n’a pas encore été examiné par cette Cour, mais il a été correctement tranché dans R. v. Demeter (1975), 19 C.C.C. (2d) 321 (H.C. Ont.), où la proposition que la preuve ne pouvait être admise que contre celui qui y avait consenti a été rejetée. Comme cela y est dit, les termes de l’art. 178.16 ne sont pas ambigus. Il ne faut pas introduire dans l’article des termes superflus qui ne sont pas nécessaires pour clarifier quelque ambiguïté.

Enfin, bien que le consentement doive être donné volontairement, en ce sens qu’il n’est pas le résultat de la contrainte et qu’il doive s’agir de l’acte conscient de la personne qui consent, il ne sera pas invalidé parce que les motifs peuvent en être égoïstes ou même répréhensibles. Les exigences qui régissent l’admission de confessions ne s’appliquent pas aux consentements en l’espèce, visés à l’al. 178.16(1)b) où la personne qui consent, consent à l’utilisation de bandes magnétiques ou d’autres enregistrements qui existent déjà et qu’elle ne peut modifier. C’est très différent d’accepter de faire une déclaration qui pourrait être inventée ou de rendre un témoignage dans l’avenir qui pourrait être faussé dans l’espoir d’un avantage ou d’une récompense.

Le juge en chef Laskin, dissident: Une règle de common law qui prévaut depuis longtemps au Canada est qu’une preuve pertinente aux questions en litige dans un procès au criminel est admissible quoique obtenue illégalement. La question en l’espèce, cependant, est l’admissibilité en preuve de conversations privées interceptées illégalement, compte tenu d’un code législatif sur la protection de la vie privée. Cette Cour à la majorité a décidé ici que l’al. 178.16(1)b) du Code doit être interprété comme englobant un consentement ex post facto à une interception illégale à l’origine puisque l’al. 178.16(1)a) écarte l’exclusion lorsque l’interception

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est légale à l’origine. On applique donc la règle d’interprétation voulant que dans l’examen de parties d’une loi ou d’un article seulement, la redondance ne doit généralement pas être encouragée et que les différents termes doivent avoir un objet. En supposant que les termes «faite légalement» à l’al. 178.16(1)a) renvoient à la fois à une interception autorisée judiciairement à une interception de consentement préalable (postulat mis en doute dans la dissidence dans l’arrêt Goldman c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 976), il est difficile de ne pas conclure que, pour donner un objet à l’al. 178.16(1)b), il faut l’interpréter comme envisageant des consentements ex post facto. Il est plus discutable que pareils consentements rendent la preuve, interceptée illégalement, admissible contre une autre personne que celle qui consent. Le pourvoi doit néanmoins être tranché en ordonnant un nouveau procès pour un autre motif, savoir, l’incitation à donner un consentement ex post facto au moyen d’une promesse d’indulgence qui excluait l’emprisonnement et qui a été remplie. Pareille situation ne peut être distinguée de la règle applicable dans les cas de confession même si en l’espèce la conversation est déjà disponible et n’est pas elle-même extorquée. Il n’y a pas de différence de principe entre une promesse d’avantage pour obtenir une déclaration incriminante et une promesse d’avantage pour rendre les fruits d’une interception illégale admissibles en obtenant un consentement sur la foi de la promesse. En fait, la situation en l’espèce requiert d’autant plus l’application de la règle parce qu’il s’agit d’un cas où on sauve sa propre peau aux dépens d’un autre qui est impuissant, si l’on adopte une règle différente, à maintenir le caractère privé de ce qu’il croyait être une conversation privée.

[Jurisprudence: R. v. Demeter (1975), 19 C.C.C. (2d) 321 (H.C. Ont.), arrêt suivi; Goldman c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 976; Boudreau c. Le Roi, [1949] R.C.S. 262; Procureur général du Québec c. Begin, [1955] R.C.S. 593; Renvoi relatif à la validité du par. 92(4) de The Vehicles Act 1957 (Sask.), [1958] R.C.S. 608; R. v. Dass, [1978] 3 W.W.R. 762, conf. sur un autre point [1979] 4 W.W.R. 97, autorisation de se pourvoir refusée; Walker c. Le Roi, [1939] R.C.S. 214.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a rejeté sans motifs écrits ou consignés un appel interjeté d’une déclaration de culpabilité de complot pour frustrer le public par une distribution dolosive d’actions, condamnation fondée sur la preuve de conversations illégalement interceptées. Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin étant dissident.

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C.R. Thomson, c.r., et R.G. MacKenzie, pour l’appelant.

Douglas C. Hunt, pour l’intimée.

Version française des motifs rendus par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Une règle de common law qui prévaut depuis longtemps au Canada est qu’une preuve pertinente aux questions en litige dans un procès au criminel est admissible quoique obtenue illégalement, par exemple par la perpétration d’une infraction. Cette Cour à la majorité a fait prévaloir la règle dans l’arrêt R. c. Wray[1], contre la tentative par un juge de première instance d’exclure une preuve obtenue par des moyens fort peu recommandables. Cette Cour à la majorité l’a fait prévaloir dans l’arrêt Hogan c. La Reine[2], à l’encontre des prescriptions de la Déclaration canadienne des droits. Ce qui est contesté ici c’est l’admissibilité en preuve de conversations privées interceptées illégalement, compte tenu d’un code législatif sur la protection de la vie privée. On a fait valoir que la règle de common law a été cristallisée dans une disposition en vertu de laquelle une preuve obtenue illégalement devient admissible contre un accusé du consentement ex post facto d’autres personnes qui ont de plus été induites à y consentir par la promesse d’un avantage faite par le ministère public, soit de ne pas être emprisonnées si elles plaidaient coupables à une accusation de complot pour frustrer le public dont l’accusé et elles étaient inculpés. En l’espèce, la promesse a été tenue et les coaccusés, lors d’un procès séparé, ont été condamnés à une amende et mis en probation, dont l’une des conditions était de témoigner au procès de l’accusé. Ce qu’ils ont fait.

Il est malheureux que la Cour d’appel de l’Ontario ait confirmé sans motifs écrits ou consignés la déclaration de culpabilité de l’accusé prononcée au terme d’un procès devant jury et fondée sur la preuve des conversations interceptées illégalement. La présente affaire est la première portant sur des faits de cette nature qui soit soumise à cette Cour. Elle soulève quant à moi des questions fondamentales relativement à l’interprétation et à l’application des termes employés dans les dispositions du Code criminel sur la protection de la vie privée et relativement au besoin d’une rédaction plus claire

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ou plus précise de dispositions qui maintenant, vu les motifs du juge Mclntyre endossés par les autres membres de la Cour, semblent donner carte blanche à la poursuite non seulement pour faire fi de l’illégalité de l’interception de conversations privées (la probabilité de poursuite étant faible), mais également pour remédier à l’inadmissibilité au moyen de promesses d’avantages aux parties aux conversations si elles consentent à ce que celles-ci soient utilisées contre un accusé qui y était aussi partie.

Les dispositions du Code criminel sur la protection de la vie privée commencent à l’art. 178.1 et sont intitulées «Atteintes à la vie privée: Interception de communications». Aux fins des présents motifs, il me suffit de citer les dispositions pertinentes des art. 178.11 et 178.16 en vigueur à l’époque en cause. Elles se lisaient comme suit:

178.11 (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans, quiconque, au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, intercepte volontairement une communication privée.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas

a) à une personne qui a obtenu, de l’auteur de la communication privée ou de la personne à laquelle son auteur la destine, son consentement exprès ou tacite à l’interception;

b) à une personne qui intercepte une communication privée en conformité d’une autorisation ni à une personne qui, de bonne foi, aide de quelque façon une autre personne qu’elle croit, en se fondant sur des motifs raisonnables et probables, agir en conformité d’une telle autorisation;

178.16 (1) Une communication privée qui a été interceptée et une preuve obtenue directement ou indirectement grâce à des renseignements recueillis par l’interception d’une communication privée sont toutes deux inadmissibles en preuve contre son auteur ou la personne à laquelle son auteur la destinait à moins

a) que l’interception n’ait été faite légalement; ou

b) que l’auteur de la communication privée ou la personne à laquelle son auteur la destinait n’ait expressément consenti à ce qu’elle soit admise en preuve.

Il est établi qu’aucun consentement préalable, comme l’exige l’al. 178.11(2)a), n’a été obtenu pour les présentes interceptions et aucune preuve n’a été produite non plus démontrant qu’une auto-

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risation judiciaire a été préalablement demandée comme le prévoit l’al. 178.11(2)b). La prétention du ministère public, acceptée par les cours d’instance inférieure et par le juge Mclntyre, est que l’exclusion prévue par la première partie du par. 178.16(1) est écartée en l’espèce par l’al. 178.16(1)b), qui doit être interprété comme englobant un consentement ex post facto à une interception illégale à l’origine puisque l’al. 178.16(1)a) écarte l’exclusion lorsque l’interception est légale à l’origine. On applique la règle d’interprétation voulant que dans l’examen de parties d’une loi ou d’un article seulement, la redondance ne doit généralement pas être encouragée et que les différents termes doivent avoir un objet.

En supposant que les termes «faite légalement» à l’al. 178.16(1)a) renvoient à la fois à une interception autorisée judiciairement et à une interception de consentement préalable (postulat que je mets en doute dans mes motifs dans l’arrêt Goldman c. La Reine[3], rendus en même temps que ceux-ci), il est difficile de ne pas conclure que, pour donner un objet à l’al. 178.16(1)b), il faut l’interpréter comme envisageant des consentements ex post facto. Il me paraît plus discutable cependant que pareils consentements rendent la preuve d’une conversation interceptée illégalement admissible contre une autre personne que celle qui consent. C’est une chose que d’accorder l’immunité de poursuite prévue à l’al. 178.1 l(2)a) à une personne qui a obtenu le consentement préalable à l’interception soit de l’auteur de la conversation ou communication soit de la personne à laquelle l’auteur la destine. C’est autre chose, un accroc plus sérieux au principe de la protection des communications privées, que de permettre à A., par son consentement ex post facto, de rendre admissible contre B. une conversation entre lui et B. qui a été interceptée illégalement.

Je disposerais néanmoins de ce pourvoi en ordonnant un nouveau procès pour un autre motif, savoir, l’incitation à donner un consentement ex post facto au moyen d’une promesse d’indulgence, qui excluait l’emprisonnement et qui a été remplie. Je ne peux distinguer cette situation de la règle applicable dans les cas de confession, même si en

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l’espèce la conversation interceptée est déjà disponible et n’est pas elle-même obtenue au moyen d’une promesse préalable de bénéfice ou d’avantage ou par une menace. Je ne pense pas qu’il y ait une différence de principe entre une promesse d’avantage pour obtenir une déclaration incriminante et une promesse d’avantage pour rendre les fruits d’une interception illégale admissibles en obtenant un consentement sur la foi de la promesse. La situation en l’espèce requiert d’autant plus la règle que j’appliquerais parce qu’il ne s’agit pas d’un cas où l’on s’inculpe soi-même mais d’un cas où on sauve sa propre peau aux dépens d’un autre qui est impuissant, si l’on adopte une règle différente, à exiger le respect de son droit au maintien du caractère privé de ce qu’il croyait être une conversation privée.

A mon avis, la question du caractère volontaire d’un consentement à une interception ou à l’admissibilité en preuve d’une communication interceptée est semblable à la question du caractère volontaire qui se pose dans les affaires de confession. Il est vrai que les énoncés sur le fondement du caractère volontaire dans les affaires de confession insistent sur la crédibilité de la déclaration incriminante compte tenu de l’incitation à la faire: voir Boudreau c. Le Roi[4], à la p. 269. Le risque de fausseté comme motif d’exclusion ressort également de l’arrêt de cette Cour, Procureur général du Québec c. Bégin[5]. Cependant, le droit a évolué depuis (bien que la crédibilité demeure un facteur), comme il ressort de la révision par Chadbourn en 1970 de 3 Wigmore on Evidence (1970), n° 822, aux pp. 329 à 336. L’édition originale de Wigmore avait insisté sur la crédibilité seulement, critère que les cours canadiennes ont adopté, mais même alors d’autres facteurs entraient en ligne de compte comme (pour utiliser les termes du juge Rand dans le Renvoi relatif à la validité du paragraphe 92(4) de The Vehicles Act 1957 (Sask.)[6], à la p. 619, où il renvoie à Wigmore et à la règle analogue contre l’auto-accusation) [TRADUCTION] «l’abus inévitable et la détérioration morale concomitante des méthodes d’obtention de preuve et de l’administra-

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tion générale de la justice en matière criminelle». Voir aussi le juge en chef Dixon dans McDermott v. The King[7], à la p. 513. Il est manifeste que si la crédibilité était le seul facteur pertinent, il n’y aurait en l’espèce aucun doute que la règle applicable aux confessions ne serait pas pertinente à la question du caractère volontaire si l’interception a été faite (quoique illégalement) avant que ne soit obtenu le consentement à son admission en preuve par la promesse d’un avantage.

Le progrès des fondements autres que la vérité ou la fausseté dans la jurisprudence américaine, par ex. le contrôle de méthodes policières illégales dans l’obtention d’une confession, est dû en bonne partie à la clause d’application régulière de la loi de la constitution des États-Unis: voir Rogers v. Richmond[8], à la p. 540; Jackson v. Denno[9], à la p. 385. Ces arrêts suggèrent une adaptation semblable de la clause d’application régulière de la loi de la Déclaration canadienne des droits, mais je n’estime pas qu’il soit nécessaire de s’appuyer exclusivement là-dessus ici, étant d’avis que, lorsque comme en l’espèce nous examinons des procédures établies par la loi, l’injustice ou l’acte incorrect relatif à une interception ou à l’admissibilité admissible en preuve d’une communication interceptée, constituent un fondement tout aussi pertinent que la crédibilité de la preuve.

Je suis d’avis qu’il n’est pas nécessaire qu’une personne qui agit pour le compte du public ou de la poursuite, sur une promesse d’avantage pour elle, soit une personne ayant autorité quand elle est l’auteur d’une communication privée que la police doit intercepter, ou consent ex post facto à l’admission en preuve d’une communication avec l’accusé illégalement interceptée. A cet égard, je n’appliquerais pas les règles relatives à une confession. Ce qui me préoccupe c’est que l’accusé, devenu un pion innocent, perd la protection contre les atteintes à sa vie privée à laquelle il s’attend. Je suis d’avis que le principe légal de la protection de la vie privée exige, vu la vulnérabilité de la position d’un accusé aux mains d’un complice enrôlé par la police, que l’on interprète strictement le caractère

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volontaire de la conduite du complice dans la destruction de la protection de la vie privée à laquelle l’accusé s’attend.

Des décisions américaines adoptent une optique différente, savoir, qu’une simple promesse d’indulgence ne suffit pas à vicier le consentement à une interception à moins qu’il n’ait été obtenu par une contrainte indue: voir United States v. Silva[10], à la p. 146; United States v. Baker[11], à la p. 503; United States v. Osser[12], à la p. 730. Ces affaires portent sur le consentement préalable à une interception et non comme en l’espèce sur un consentement ex post facto. Cependant, le principe, si on l’adopte, s’applique autant dans un cas que dans l’autre. Il est douteux qu’en l’espèce, vu les faits, l’on puisse dire qu’une contrainte indue a été exercée notamment à la lumière du fait que les personnes qui ont consenti ont témoigné au procès. Néanmoins, j’adhère à l’interprétation plus stricte qui exclurait la preuve de la communication interceptée, à cause de l’initiative policière pour obtenir les consentements, surtout à un moment où des accusations pesaient tout autant contre les personnes qui les ont donnés que contre l’accusé.

Je suis d’accord avec ce qu’a dit le juge Hamilton de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba dans l’arrêt R. v. Dass[13] que le ministère public a l’obligation de prouver le caractère volontaire du consentement et que, comme l’a indiqué le juge en chef Duff dans l’arrêt Walker c. Le Roi[14], cela signifie qu’il ne doit pas y avoir crainte d’un préjudice ou espoir d’un avantage promis par une personne ayant autorité. Cette obligation n’a pas été remplie en l’espèce. L’affaire Dass a été soumise à la Cour d’appel du Manitoba sur un autre point: voir [1979] 4 W.W.R. 97 et l’autorisation de se pourvoir devant cette Cour a été refusée le 13 décembre 1979.

En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer la déclaration de culpabilité et d’ordonner un nouveau procès.

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Version française du jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey, Pratte et Mclntyre rendu par

LE JUGE MCINTYRE — L’appelant, avec huit autres personnes, a été accusé de complot pour frustrer le public d’argent ou de valeurs par une distribution dolosive des actions de Somed Mines Limited contrairement à l’al. 423(1)d) et au par. 338(1) du Code criminel. Au procès devant juge et jury, le ministère public a produit en preuve l’interception de conversations privées entre l’appelant et trois autres conspirateurs qui avaient d’abord été coaccusés, soit, Bader, Smith et Lindzon. Le ministère public s’appuie sur les consentements exprès de ces trois personnes pour rendre cette preuve admissible conformément à l’al. 178.16(1)b) du Code criminel. On n’a pas tenté de prouver que les interceptions avaient été autorisées judiciairement.

Les consentements en question ont été obtenus de Smith, Bader et Lindzon les 4 et 5 mars 1976, quatre jours seulement avant le début du procès de l’appelant le 8 mars et bien après que les interceptions eurent été faites. Les trois coaccusés se sont rendus au quartier général de la G.R.C. à Toronto pour écouter les enregistrements des interceptions de conversations téléphoniques faites entre juillet et septembre 1974. Avant d’écouter les enregistrements, ils ont chacun, sur les conseils de leur avocat, signé un consentement à ce que soit utilisée en preuve toute conversation interceptée à laquelle ils avaient participé. Avant cette date, on leur avait fourni les transcriptions des conversations. Le 5 mars, ils ont comparu tous les trois en Cour provinciale et chacun a plaidé coupable à l’accusation de complot pour frustrer le public. Chacun s’est vu imposer une amende et placé en probation. Une condition de l’ordonnance de probation était d’être disponible pour témoigner au procès de l’appelant. Ils ont effectivement témoigné au procès où ils ont tous confirmé leur consentement sous serment donné lors de leur témoignage au voir dire tenu sur l’admissibilité des interceptions. Ils ont tous témoigné en contre-interrogatoire que la crainte de l’emprisonnement avait été le facteur principal de leur décision de consentir à l’admission en preuve de l’interception, et reconnu qu’ils

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n’y auraient pas consenti en l’absence d’une entente avec le substitut du procureur général que ce dernier ne réclamerait pas l’emprisonnement suite à leur déclaration de culpabilité.

Le juge du procès a décidé que les consentements rendaient les interceptions admissibles en preuve et l’appelant a été déclaré coupable. Un appel à la Cour d’appel de l’Ontario a été rejeté sans motifs écrits ou consignés. Les deux parties ont reconnu que si les interceptions n’avaient pas été admises en preuve, il est impossible de prédire avec un certain degré de certitude si un jury aurait déclaré l’appelant coupable ou l’aurait acquitté. On est venu à cette entente pour proposer que le redressement approprié, si le pourvoi réussissait, serait un nouveau procès.

A l’audition devant nous l’appelant a soulevé trois points. Il a soutenu qu’un consentement donné conformément à l’al. 178.16(1)b) doit, pour être valide, être obtenu avant l’interception; que la preuve d’interceptions illégalement faites et qui ne sont rendues admissibles que par un ou des consentements en vertu de l’al. 178.16(1)b) n’est admissible que contre une personne qui y a consenti et non contre d’autres parties; que tout consentement doit être donné librement et ne doit pas être obtenu par une promesse ou une menace de la part du ministère public.

J’examine maintenant le premier argument de l’appelant que le consentement dont parle l’al. 178.16(1)b) doit être obtenu par le ministère public avant que l’interception ne soit faite. L’article 178.11 du Code traite de l’interception électronique de communications privées et en voici les parties qui portent sur ce point:

178.11 (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans, quiconque, au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, intercepte volontairement une communication privée.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas

a) à une personne qui a obtenu, de l’auteur de la communication privée ou de la personne à laquelle son auteur la destine, son consentement exprès ou tacite à l’interception;

b) à une personne qui intercepte une communication privée en conformité d’une utorisation ni à une per-

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sonne qui, de bonne foi, aide de quelque façon une autre personne qu’elle croit, en se fondant sur des motifs raisonnables et probables, agir en conformité d’une telle autorisation;

L’article 178.16, en vigueur à l’époque, traite de l’admissibilité d’une preuve obtenue au moyen de l’interception électronique de communications privées et en voici les parties pertinentes:

178.16 (1) Une communication privée qui a été interceptée et une preuve obtenue directement ou indirectement grâce à des renseignements recueillis par l’interception d’une communication privée sont toutes deux inadmissibles en preuve contre son auteur ou la personne à laquelle son auteur la destinait à moins

a) que l’interception n’ait été faite légalement; ou

b) que l’auteur de la communication privée ou la personne à laquelle son auteur la destinait n’ait expressément consenti à ce qu’elle soit admise en preuve.

A mon avis, cet argument omet de distinguer le consentement à l’interception que mentionne l’al. 178.11(2)a) de celui à l’admission en preuve dont traite l’al. 178.16(1)b). Le consentement à l’interception visé à l’al. 178.11(2)a), s’il doit avoir pour effet de rendre une interception légale, doit de toute évidence la précéder. Lorsqu’il a été donné et que l’interception a été complétée, il a joué son rôle. Aucun autre consentement n’est nécessaire à l’admission en preuve puisque l’interception a été faite légalement: voir l’arrêt Goldman c. La Reine[15] rendu en même temps que celui-ci. Le consentement à l’admission en preuve visé à l’al. 178.16(1)b) sert une fin fondamentalement différente, soit de permettre l’utilisation en preuve d’une interception faite sans autorisation ou consentement, donc faite illégalement et par ailleurs inadmissible. Il peut être obtenu à tout moment après l’interception jusqu’au moment où la preuve est produite au procès.

Le deuxième argument de l’appelant porte sur les questions suivantes. Si l’on tient pour acquis que l’auteur de la communication ou la personne à qui il la destine a donné un consentement valide à la production en preuve, contre qui la preuve peut-elle être produite? En l’espèce, nous avons trois personnes qui étaient soit les auteurs des commu-

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nications privées qui sont pertinentes aux questions en litige ici entre l’appelant et eux‑mêmes, soit les personnes auxquelles ces communications étaient destinées. En échange de leur coopération avec le ministère public, ce qui incluait leur consentement à l’admission de la preuve, elles ont été traitées avec indulgence après avoir plaidé coupables et avoir été ainsi exclues des poursuites. L’appelant soutient que la simple justice et des principes juridiques sains exigent que la preuve rendue ainsi admissible par consentement ne devrait être admise que contre celui ou ceux qui ont consenti et non contre d’autres parties aux communications privées. Dans les circonstances de l’espèce, accepter cette proposition exclurait toute la preuve. Permettre que la preuve soit produite contre une partie non consentante, a-t-on dit, ferait dépendre l’admissibilité d’une preuve contre un accusé non de l’application de règles de droit, mais du caprice d’un coaccusé ou, comme ici, d’une personne qui n’est plus partie aux procédures. Admettre de cette façon une preuve contre une partie sur le consentement d’une autre priverait un accusé de la protection que la loi lui accorde contre l’utilisation, à son procès, d’une preuve obtenue au moyen d’une interception illégale.

Cette question n’a pas encore été examinée par cette Cour et il n’y a que peu de jurisprudence publiée sur ce point. On a renvoyé la Cour à l’arrêt R. v. Demeter[16] à la p. 330, dans lequel le juge Grant a examiné et rejeté un argument semblable, savoir, que la preuve ne pouvait être admise que contre celui qui y avait consenti. A mon avis, il a disposé de la question correctement. Il a souligné que les termes de l’art. 178.16 ne sont pas ambigus et qu’il n’est pas nécessaire, pour leur donner effet, de lire l’article comme s’il comprenait le terme «respectivement» après «son auteur» ou «la personne à laquelle son auteur la destinait» de sorte que l’article se lirait comme suit:

178.16 (1) Une communication privée qui a été interceptée et une preuve obtenue directement ou indirectement grâce à des renseignements recueillis par l’interception d’une communication privée sont toutes deux inadmissibles en preuve contre son auteur ou la personne à laquelle son auteur la destinait, respectivement, à moins

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a)…

b) que Fauteur de la communication privée ou la personne à laquelle son auteur la destinait, respectivement, n’ait expressément consenti à ce qu’elle soit admise en preuve.

(C’est moi qui souligne.)

Agir ainsi serait introduire dans l’article des termes superflus qui ne sont pas nécessaires pour clarifier quelque ambiguïté. On peut noter que la façon dont le juge Grant a abordé la question dans l’affaire Demeter est celle généralement adoptée par les tribunaux américains, quoique sur un fondement législatif et constitutionnel différent: voir United States of America v. James Ryan, United States of America v. Adrian Wilson, United States of America v. Bernard Zeldin[17], United States Court of Appeals, Ninth Circuit; United States of America v. John Elbert Ransom et al.[18], United States Court of Appeals, Fifth Circuit; United States Court of America v. Frank John Bonanno[19], United States Court of Appeals, Second Circuit, et généralement The Law of Electronic Surveillance, James G. Carr, notamment à la p. 90, par. 3.05.

Enfin, l’appelant a soutenu qu’un consentement de la nature de celui en cause ici doit être donné librement et de bonne foi et ne pas être obtenu par la promesse d’avantages ni extorqué par des menaces. On a dit que le consentement devait satisfaire le même critère d’admissibilité que celui qui s’applique à une déclaration faite par un prévenu à des agents de police après son arrestation. Je ne peux accepter cette conclusion. Le consentement doit, à mon avis, être donné volontairement en ce sens qu’il ne peut être le résultat de la contrainte. Il doit s’agir de l’acte conscient de la personne qui consent, un acte accompli librement, pour des motifs qui lui sont propres et lui semblent suffisants. Cependant, le consentement ne sera pas invalidé parce que les motifs peuvent en être égoïstes ou même répréhensibles. Je ne suis pas convaincu par l’argument que les exigences qui régissent l’admission de confessions faites par des prévenus doivent s’appliquer lorsqu’on examine la

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validité d’un consentement visé à l’al. 178.16(1)b) du Code criminel. En pareil cas, des considérations très différentes s’appliquent. La personne qui consent, consent à l’utilisation en preuve de bandes magnétiques ou d’autres enregistrements qui existent déjà et qu’elle ne peut modifier. Elle ne convient pas de faire une déclaration qu’elle pourrait inventer ni de rendre un témoignage dans l’avenir qu’elle pourrait fausser dans l’espoir d’un avantage ou d’une récompense. La nature de la preuve qui sera admise par suite de son consentement est déjà fixée et déterminée et ne peut être touchée par les circonstances du consentement: voir Goldman c. La Reine, précité. Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Je note, en conclusion, que je m’estime obligé par les termes clairs de la loi d’en arriver à ce résultat. Je suis sensible à la prétention qu’on ne devrait pas prêter au Parlement, qui a adopté des dispositions pour la protection du droit à la vie privée, l’intention d’avoir voulu ce résultat qui permet effectivement la destruction unilatérale de ce droit par une partie à une conversation privée. Cependant, on doit dégager l’intention du législateur des termes qu’il a employés. A mon avis, ceux-ci sont inébranlables.

Pourvoi rejeté, le juge en chef LASKIN étant dissident.

Procureurs de l’appelant: Campbell Godfrey and Lewtas, Toronto.

Procureur de l’intimée: Le procureur général de l’Ontario, Toronto.

[1] [1971] R.C.S. 272.

[2] [1975] 2 R.C.S. 574.

[3] [1980] 1 R.C.S. 976, infra.

[4] [1949] R.C.S. 262.

[5] [1955] R.C.S. 593.

[6] [1958] R.C.S. 608.

[7] (1948), 76 C.L.R. 501.

[8] 365 U.S. 534 (1961).

[9] 378 U.S. 368 (1964).

[10] 449 F. 2d 145 (1971), cert. refusé 405 U.S. 918 (1975).

[11] 430 F. 2d 499 (1970), cert. refusé 400 U.S. 957 (1970).

[12] 483 F. 2d 727 (1973), cert. refusé 414 U.S. 1028 (1973).

[13] [1978] 3 W.W.R. 762.

[14] [1939] R.C.S. 214.

[15] [1980] 1 R.C.S. 976, infra.

[16] (1975), 19 C.C.C. (2d) 321 (H.C. Ont.).

[17] 548 F. 2d 782 (1976).

[18] 515 F. 2d 885 (1975).

[19] 487 F. 2d 654 (1973).


Parties
Demandeurs : Rosen
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :
Proposition de citation de la décision: Rosen c. R., [1980] 1 R.C.S. 961 (21 décembre 1979)


Origine de la décision
Date de la décision : 21/12/1979
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1980] 1 R.C.S. 961 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-12-21;.1980..1.r.c.s..961 ?
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