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28/06/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._618

Canada | Radio-Canada c. Comm. de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618 (28 juin 1979)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Radio-Canada c. Comm. de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618

Date : 1979-06-28

La Société Radio-Canada et Dave Knapp (Requérants en Cour supérieure) Appelants;

et

Messieurs les juges Marc Cordeau et Rhéal Brunet et monsieur Roméo Courtemanche, commissaires de la Commission de police du Québec, et la Commission de police du Québec (Intimés en Cour supérieure) Intimés.

1978: 20 décembre; 1979: 28 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey and

Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec inf...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Radio-Canada c. Comm. de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618

Date : 1979-06-28

La Société Radio-Canada et Dave Knapp (Requérants en Cour supérieure) Appelants;

et

Messieurs les juges Marc Cordeau et Rhéal Brunet et monsieur Roméo Courtemanche, commissaires de la Commission de police du Québec, et la Commission de police du Québec (Intimés en Cour supérieure) Intimés.

1978: 20 décembre; 1979: 28 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey and Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec infirmant un jugement de la Cour supérieure[1] qui avait autorisé la délivrance d’un bref d’évocation. Pourvoi accueilli.

[Page 621]

Gaspard Côté, c.r., pour les appelants.

Jacques Richard et Gérald Tremblay, pour les intimés.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Ritchie, Spence, Pigeon, Beetz, Estey et Pratte a été rendu par

LE JUGE BEETZ — Le pourvoi attaque un arrêt majoritaire de la Cour d’appel du Québec infir­mant un jugement de la Cour supérieure qui autorise la délivrance d’un bref d’évocation visant à faire déclarer nulle une ordonnance de la Commis­sion de police du Québec. Cette ordonnance enjoint aux appelants de comparaître devant la Commission pour répondre à une accusation d’outrage.

I — Les faits

Les faits invoqués dans la requête des appelants demandant à la Cour supérieure l’autorisation d’exercer le recours en évocation doivent à ce stade être tenus pour avérés: art. 847 C.p.c. Rien n’indi­que d’ailleurs que ces faits soient contestés.

Au cours de son enquête sur le crime organisé, la Commission de police prononce l’ordonnance suivante, le 10 avril 1973:

Nous entendrons au cours des prochains jours, un seul témoin.

Les Commissaires n’entendent pas toutefois recevoir la déposition de ce témoin en audience privée. Ce témoin ayant par ailleurs, exprimé certaines craintes et en vue de faciliter son témoignage, les Commissaires décident d’entendre le témoin à l’exclusion du public, mais en permettant, toutefois, aux journalistes, lesquels repré­sentent effectivement le public, de demeurer présents dans la salle.

Défense formelle est par ailleurs faite de produire ou de reproduire, toutes photographies ou caricatures. Et défense formelle est faite, évidemment aux média d’information, aux journaux; aux journaux parlés et aux photographes de reproduire toutes photographies, cari­catures du témoin, au cours de l’enquête.

Le 14 ou le 16 avril suivant, — la requête en évocation parle du 14 et l’ordonnance attaquée, du 16 — la Société Radio-Canada publie sur son réseau anglais deux bulletins de nouvelles au cours desquels elle diffuse la photographie du témoin Théodore Aboud.

[Page 622]

Le 28 mai 1973, la Commission de police rend l’ordonnance attaquée par le recours en évocation:

ORDONNANCE SPECIALE ART. 53 C.P.C.

Nous, soussignés, membres de la Commission de Police du Québec, laquelle siégeant en vertu de l’arrêté en conseil 2821-72;

VU l’ordonnance émise par nous en date du 10 avril 1973 interdisant, au cours de l’enquête, aux journaux et autres médias d’information la production ou la repro­duction de toutes photographies ou caricatures du témoin Théodore Aboud;

VU que le 14 avril 1973, au cours de l’émission des nouvelles au Canal 6, Canadian Broadcasting Corpora­tion, section de langue anglaise a produit ou reproduit par télédiffusion une photographie dudit témoin Théodore Aboud;

VU les dispositions des articles 49 et suivants du Code de Procédure civile;

VU la Loi de Police (Chapitre 17, S.Q. 1968 et amendements);

VU la Loi des Commissions d’enquêtes (Chapitre 11, S.R.Q. 1964);

PAR CES MOTIFS:

EMETTONS une ordonnance spéciale enjoignant à Canadian Broadcasting Corporation, section de langue anglaise, par son représentant dûment autorisé et à Monsieur Dave Knapp, directeur des nouvelles de réseau de langue anglaise Canadian Broadcasting Corporation de comparaître devant nous, le 31 mai 1973 à 10.15 heures de l’avant-midi ou aussitôt que conseil pourra être entendu au Palais de Justice de Montréal, 1 est rue Notre-Dame, Chambre 5.15 pour entendre la preuve des faits qui vous sont reprochés et pour y faire valoir les moyens de défense que vous pourrez avoir à l’encontre de l’outrage au Tribunal envers ladite Commission de Police.

(signé) RHEAL BRUNET (signé) MARC E. CORDEAU

(signé) ROMEO COURTEMANCHE

Commissaires de la Commission de Police du Québec.

II — Le jugement de la Cour supérieure et l’arrêt de la Cour d’appel

Le 23 août 1973, le juge Bard de la Cour supérieure autorise la délivrance du bref au motif

[Page 623]

unique que les commissaires (m’ont pas le pouvoir de conduire une enquête ou de condamner pour un outrage commis hors leur présence»: [1973] C.S. 888, à la p. 892.

Le 22 août 1974, la Cour d’appel infirme le jugement de la Cour supérieure et rejette la requête en évocation. Le juge Bélanger, avec qui le juge Brossard est d’accord, reconnaît que la Com­mission de police n’a, contrairement à une cour supérieure, aucun pouvoir inhérent de sévir pour outrage. Mais il trouve ce pouvoir dans les disposi­tions législatives qui régissent la Commission, dispositions qu’il interprète comme s’étendant au pouvoir de sévir pour outrage commis hors la présence de la Commission. Il interprète également ces dispositions comme habilitant la Commission à rendre l’ordonnance du 10 avril 1973, ordonnance qu’il assimile à une ordonnance de «huis clos par­tiel», puisque la Commission pourrait ordonner un huis clos complet. Enfin, le juge Bélanger, s’ap­puyant sur un arrêt de cette Cour, Le Conseil des Ports nationaux c. Langelier[2], rejette l’immunité invoquée par la Société Radio-Canada pour elle-même et pour l’appelant Dave Knapp, parce qu’elle est une société mandataire de Sa Majesté la Reine du chef du Canada. Le regretté juge Gagnon, dissident, aurait rejeté l’appel au motif principal que l’ordonnance du 10 avril 1973 est essentiellement différente d’une ordonnance de huis clos et que les textes législatifs qui régissent la Commission de police ne l’habilitent pas à rendre une telle ordonnance. Cette ordonnance de «huis clos partiel» serait donc nulle, entraînant la nullité de l’ordonnance du 28 mai 1973. Sans nécessairement exclure la possibilité que la Commission de police ait le pouvoir de punir dans certains cas un outrage commis hors sa présence, le juge Gagnon est aussi d’avis que la Commission n’avait pas ce pouvoir en l’espèce. Le juge Gagnon ne se prononce pas sur l’immunité invoquée par la Société Radio-Canada.

III — Moyens invoqués par les appelants

Devant cette Cour, les appelants ont continué de plaider, à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel,

[Page 624]

les trois moyens invoqués en Cour supérieure et en Cour d’appel:

1. La Commission de police est inhabile à rendre l’ordonnance de «huis clos partiel» en date du 10 avril 1973.

2. La Commission de police n’a pas le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis hors sa présence ni de punir un tel outrage.

3. L’immunité de la Société Radio-Canada et de ses préposés empêche la Commission de les rechercher pour outrage.

A mon avis, le deuxième moyen est bien fondé et suffit à faire accueillir le pourvoi. Il n’y a donc pas lieu de statuer sur les autres.

IV — Les textes législatifs

La Commission de police du Québec est un organisme permanent créé par la Loi de police, S.Q. 1968, chap. 17, art. 8. Elle est chargée de favoriser la prévention du crime et l’efficacité des services de police au Québec (art. 16). Elle se voit attribuer certaines fonctions réglementaires par l’art. 17 et, par l’art. 20, la fonction quasi-judi­ciaire d’enquêter sur la conduite des policiers: Saulnier c. Commission de police du Québec[3]. La Commission peut en outre se voir confier des mandats particuliers de faire enquête, en confor­mité des art. 19 et 21:

19. La Commission doit faire enquête, chaque fois que demande lui en est faite par le lieutenant-gouver­neur en conseil, sur tout aspect de la criminalité qu’il indique.

La Commission doit aussi faire enquête sur les activi­tés d’une organisation ou d’un réseau, ses ramifications et les personnes qui y concourent, dans la mesure qu’in­dique le lieutenant-gouverneur en conseil lorsque ce dernier a des raisons de croire que dans la lutte contre le crime organisé ou le terrorisme et la subversion, il est de l’intérêt public d’ordonner la tenue d’une telle enquête.

21. Pour les fins de ces enquêtes, la Commission ainsi que chacun de ses membres et chaque personne autori­sée par elle à faire enquête sont investis des pouvoirs et

[Page 625]

immunités de commissaires nommés en vertu de la Loi des commissions d’enquête.

L’article 22b) de la Loi de police porte que

La Commission peut en tout temps au cours de ses enquêtes, si elle le juge d’intérêt public, ordonner qu’une séance soit tenue à huis clos.

De plus, dans une enquête visée au deuxième alinéa de l’article 19, elle peut, lorsqu’elle le juge nécessaire, ordonner l’audition privée d’un témoin et exclure toute autre personne du lieu de l’audition. Le témoignage rendu dans un tel cas doit être tenu confidentiel sous réserve de la discrétion de la Commission d’utiliser, aux fins de son rapport, les renseignements ainsi obtenus sans qu’ils ne puissent toutefois être reliés au témoin ainsi entendu.

Les articles 7, 9, 10, 11 et 12 de la Loi des commissions d’enquête, S.R.Q. 1964, chap. 11, auxquels renvoie la Loi de police se lisent comme suit:

7. La majorité des commissaires doit assister et prési­der à l’examen des témoins, et les commissaires ont, ou la majorité d’entre eux, en ce qui concerne les procédu­res de cet examen, tous les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure siégeant en terme.

9. Les commissaires, ou l’un deux, peuvent, par une assignation sous leur signature, requérir la comparution devant eux, aux lieu et place y spécifiés, de toute personne dont le témoignage peut se rapporter au sujet de l’enquête, et contraindre toute personne à déposer devant eux les livres, papiers, documents et écrits qu’ils jugent nécessaires pour découvrir la vérité.

Ces personnes doivent comparaître et répondre à toutes les questions qui leur sont posées par les commis­saires sur les matières qui font le sujet de l’enquête, et produire devant les commissaires les livres, papiers, chèques, billets, documents et écrits qui leur sont demandés et qu’ils ont en leur possession ou sous leur contrôle, suivant la teneur des assignations.

Les commissaires ou l’un d’eux peuvent exiger et recevoir le serment ou affirmation ordinaire de toute personne qui rend ainsi témoignage.

10. Toute personne, à qui une assignation a été signi­fiée en personne ou en en laissant copie à sa résidence ordinaire, qui fait défaut de comparaître devant les commissaires, aux temps et lieu y mentionnés, peut être traitée par les commissaires de la même manière que si elle était en défaut d’obéir à une citation (subpoena) ou à une assignation légalement émise par une cour de justice.

[Page 626]

11. Quiconque refuse de prêter serment lorsqu’il en est dûment requis, ou omet ou refuse, sans raison vala­ble, de répondre suffisamment à toutes les questions qui peuvent légalement lui être faites, ou de témoigner en vertu de la présente loi, est censé commettre un mépris de cour et est puni en conséquence.

Toutefois, nulle réponse donnée par une personne ainsi entendue comme témoin ne peut être invoquée contre elle dans une poursuite en vertu d’une loi de la Législature, si les commissaires lui ont donné un certifi­cat établissant qu’elle a réclamé le droit d’être exemptée de répondre, et qu’elle a donné des réponses complètes et véridiques à la satisfaction desdits commissaires.

12. Si quelqu’un refuse de produire, devant les com­missaires, les papiers, livres, documents ou écrits qui sont en sa possession ou sous son contrôle, et dont les commissaires jugent la production nécessaire, ou si quelqu’un est coupable de mépris à l’égard des commissaires ou de leurs fonctions, les commissaires peuvent procéder sur ce mépris de la même manière que toute cour ou tout juge en semblables circonstances.

Enfin, les dispositions du Code de procédure civile auxquelles il faut référer sont les suivantes:

46. Les tribunaux et les juges ont tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de leur juridiction. Ils peuvent, dans les affaires dont ils sont saisis, prononcer, même d’office, des injonctions ou des réprimandes, supprimer des écrits ou les déclarer calomnieux, et rendre toutes ordonnances qu’il appartiendra pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de remède spécifique.

49. Les tribunaux et les juges peuvent prononcer des condamnations contre toute personne qui se rend coupa­ble d’outrage au tribunal.

50. Est réputé coupable d’outrage au tribunal celui qui contrevient à une ordonnance ou à une injonction du tribunal ou d’un de ses juges, ou qui agit de manière, soit à entraver le cours normal de l’administration de la justice, soit à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité du tribunal.

En particulier, est coupable d’outrage au tribunal l’officier de justice qui manque à son devoir, y compris le shérif ou huissier qui n’exécute pas un bref sans retard ou n’en fait pas rapport ou enfreint, en l’exécutant, une règle dont la violation le rend passible de sanction.

51. Sauf dans les cas ou il est autrement prévu, celui qui se rend coupable d’outrage au tribunal est passible d’une amende n’excédant pas cinq mille dollars ou d’un emprisonnement pour une période d’au plus un an.

[Page 627]

L’emprisonnement pour refus d’obtempérer à une ordonnance ou à une injonction peut être imposé dere­chef jusqu’à ce que la personne condamnée ait obéi.

52. Celui qui se rend coupable d’outrage au tribunal en présence du juge dans l’exercice de ses fonctions peut être condamné sur-le-champ, pourvu qu’il ait été appelé à se justifier.

53. Nul ne peut être condamné pour outrage au tribunal commis hors la présence du juge, s’il n’a été assigné par ordonnance spéciale lui enjoignant de com­paraître devant le tribunal, au jour et à l’heure indiqués, pour entendre la preuve des faits qui lui sont reprochés et faire valoir les moyens de défense qu’il peut avoir.

L’ordonnance, émise par le juge de sa propre initiative ou sur demande, doit être signifiée à personne, à moins que pour raison valable un autre mode ne soit autorisé. La demande aux fins d’obtenir l’émission de l’ordon­nance peut être présentée sans qu’il soit nécessaire de la faire signifier.

54. Le jugement est rendu après instruction som­maire; s’il emporte condamnation, il doit indiquer la peine imposée et énoncer les faits sur lesquels il se fonde, et, en ce cas, il est exécutoire comme un jugement ordinaire rendu en matière pénale.

V — La Commission de policé n’a pas le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis hors sa présence ni de punir un tel outrage

La validité de cette proposition principale dépend de celle d’un certain nombre d’autres propositions.

1. En common law, le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis ex facie curiae et de punir un tel outrage appartient exclusivement aux cours supérieu­res

Cette proposition se démontre par l’opinion apparemment unanime, ancienne et constante d’un grand nombre de juges et d’auteurs. Les opinions des juges sont le plus souvent des obiter, mais la raison en est que, dans la jurisprudence anglaise et canadienne des quelque deux cents dernières années, jurisprudence fort abondante en matière d’outrage au tribunal, on ne trouve, autant que je sache, à peu près aucun précédent où une cour de juridiction inférieure ait revendiqué le pouvoir de sévir pour outrage commis ex facie et on n’en trouve aucun où une telle cour l’ait exercé avec l’approbation d’une cour supérieure. Les cours

[Page 628]

supérieures en revanche ont toujours revendiqué et exercé ce pouvoir comme un pouvoir inhérent leur appartenant en exclusivité. Cette constance dans l’usage est plus que significative. Elle est détermi­nante. Au surplus, quand le législateur a touché à la question, il l’a fait dans des termes indiquant qu’il reconnaissait cet usage et voulait le sanction­ner, ou du moins dans des termes n’indiquant aucunement qu’il voulait le changer. Enfin, la règle de la compétence exclusive des cours supé­rieures se justifie en principe.

Dans R. v. Almon[4], l’intimé était accusé d’ou­trage pour avoir, entre autres, publié une brochure diffamatoire visant une cour supérieure. Le juge Wilmot écrit, à la p. 99:

[TRADUCTION] Le pouvoir qu’ont les cours de West­minster Hall de maintenir leur propre autorité remonte à leur création et à leur constitution. Le pouvoir d’impo­ser une amende et l’emprisonnement pour un outrage commis en sa présence est un attribut indispensable de chaque cour de justice, qu’il s’agisse ou non d’une cour d’archives. 1 Vent. 1. Et, une ordonnance de contrainte par corps émise par une des cours suprêmes de justice de Westminster Hall, pour outrage commis hors la pré­sence du juge, repose sur le même usage immémorial qui est le fondement de tout le système de la common law; il s’agit tout autant de la «lex terrae» et d’une exception prévue à la Magna Charta que pour toute autre voie d’exécution.

J’ai cherché attentivement mais vainement, dans l’es­poir de trouver des vestiges ou des traces de l’introduc­tion de ce pouvoir. Il est aussi ancien que toute autre partie de la common law; puisqu’on ne peut établir son antériorité ou sa postériorité on ne peut dire qu’il empiète sur la common law, mais plutôt qu’il intervient en accord et de concert avec toutes les autres disposi­tions que la sagesse de nos ancêtres a établies pour le bien-être général de la société.

— Il faut noter qu’il s’agit là d’une opinion et non d’un jugement: le jugement ne fut jamais rendu, la poursuite ayant été abandonnée. —

Une autre affaire fort ancienne comporte des ressemblances avec la présente affaire. Il s’agit de R. v. Clement[5], et In the matter of W.I. Clement[6].

[Page 629]

Avant les procès successifs de plusieurs personnes accusées de haute trahison, la cour, sans ordonner le huis clos, interdit toute publication des procédu­res jusqu’à la fin des procès. Clement fut trouvé coupable d’outrage et condamné à payer 500 livres d’amende pour avoir imprimé et publié une rela­tion des procédures. L’affaire fut évoquée successi­vement devant la division du Banc du Roi par voie de certiorari, et devant la division de l’Échiquier à la suite d’un estreat. Ces deux divisions refusèrent d’intervenir étant d’avis que l’interdiction de publier et la condamnation pour outrage étaient valides. Le juge Wood, baron de l’Échiquier écrit à la p. 87:

[TRADUCTION] Je suis nettement d’avis qu’aucun motif ne permet de demander à cette cour d’annuler l’amende qui a été imposée. Le pouvoir d’imposer une amende et l’emprisonnement pour outrage est propre à toute cour supérieure de justice. Le coupable peut également être traduit en justice par voie de mise en accusation mais il n’est pas nécessaire de recourir à une procédure aussi indirecte lorsque le pouvoir sommaire est tellement plus pratique et efficace. Ce pouvoir appar­tient en propre aux cours supérieures d’archives per legem terrae et au même titre que tous les autres pouvoirs qu’elles exercent en vertu de leur compétence pour faire exécuter les jugements qui découlent des causes entendues devant jury. Ce point tranche la ques­tion soulevée à l’égard de leur compétence.

Blackstone traite de la question comme suit dans 4 Commentaries on the Laws of England, 1829, 18’ éd., aux pp. 283 et 284:

[TRADUCTION] III. Au chapitre des procédures som­maires, on peut également mentionner la méthode immémoriale utilisée par les cours supérieures de justice pour sanctionner l’outrage au tribunal par la contrainte par corps et les procédures subséquentes qui s’y rattachent.

Les outrages ainsi sanctionnés sont directs, s’ils cons­tituent ouvertement un affront ou une résistance au pouvoir des tribunaux ou à la personne des juges qui les président; ou indirects si (sans qu’il y ait pareille inso­lence criante ni opposition directe) ils tendent manifestement à susciter une méconnaissance générale de leur autorité. Voici les principaux exemples de ces outrages qui ont généralement été jugés passibles de contrainte par corps:

1. Ceux commis par les juges et magistrats de juridic­tion inférieure, en agissant de façon injuste, oppressive ou irrégulière, dans l’application des pouvoirs qui leur

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sont confiés pour rendre justice; ou en violant les brefs du roi accordés par les cours supérieures, en procédant dans une affaire en dépit d’une ordonnance faisant droit à une demande de prohibition, de certiorari ou de supersedeas, à un recours pour cause d’erreur, ou autre ordre semblable.

Puisque les cours supérieures du roi (et plus spécialement la King’s Bench Court) ont un pouvoir général de surveillance sur toutes les cours de juridiction inférieure, la corruption ou les pratiques iniques des juges assujettis à cette surveillance sont un outrage à cette autorité qui a l’obligation de veiller à ce qu’ils agissent avec justice.

A la p. 285:

[TRADUCTION] Certains de ces outrages peuvent être commis en présence du tribunal; tel que par un compor­tement grossier, et insolent; par obstination, perversité, tergiversations, par un délit contre l’ordre public ou un désordre intentionnel quel qu’il soit: d’autres peuvent être commis hors la présence du tribunal, comme la violation ou le non-respect des brefs du roi ou des règles ou procédures de la cour; ..

Aux pp. 285 et 286:

[TRADUCTION] La procédure de contrainte par corps pour ces outrages et autres de cette nature est nécessai­rement aussi ancienne que les lois elles-mêmes. De fait, en l’absence d’une autorité compétente pour veiller à leur application sans violation ni outrage, les lois seraient vaines ou inefficaces. Par conséquent, le pouvoir dont sont investies les cours suprêmes de justice de sanctionner de tels outrages par la contrainte par corps immédiate du coupable, découle des premiers principes des institutions judiciaires et doit être un attribut insépa­rable de chaque cour supérieure. Nous constatons par conséquent son exercice même dans les premières anna­les de notre droit. Et, bien qu’un savant auteur semble avoir attribué cette procédure au Westm. 2, 13 Edw. 1 c. 39 ... il finit néanmoins par conclure, avec raison, qu’elle fait partie du droit du pays et est, à ce titre, confirmée par la loi de la magna carta.

Il est significatif que Blackstone ne mentionne même pas la juridiction des cours inférieures en la matière et qu’il établisse un lien non pas exclusif mais nécessaire entre le pouvoir de punir pour outrage et la juridiction de surveillance et de con­trôle exercée par les cours supérieures, et plus particulièrement le Banc du Roi, sur les magistrats de juridiction inférieure.

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Pourtant, il semble que les cours d’archives de juridiction inférieure se soient vu reconnaître un pouvoir inhérent mais limité de punir pour outrage, pouvoir qu’elles devaient exercer sous la surveillance de la division du Banc de la Reine: voir Ex parte Pater[7], où il s’agissait d’outrage in facie.

L’arrêt le plus explicite en la matière est R. v. Lefroy[8]. Pendant une instance devant une cour de comté, un avocat participant au procès avait publié dans un journal une lettre critiquant de façon virulente la conduite du juge qui présidait la cour et fut sommé par celle-ci de comparaître devant elle pour répondre de son outrage. Cette cour était une cour d’archives de juridiction inférieure habili­tée par une loi à punir un outrage commis devant elle d’une amende n’excédant pas 5 livres ou d’un emprisonnement n’excédant pas 7 jours. L’avocat obtint de la division du Banc de la Reine un bref de prohibition interdisant à la cour de comté de procéder parce qu’elle n’avait pas juridiction. Le juge en chef Cockburn qui exprime l’opinion una­nime de la Cour, s’exprime comme suit aux pp. 137 et 138:

[TRADUCTION] L’ordonnance de prohibition doit être rendue définitive. Je crois que le juge de la cour de comté n’a aucun pouvoir de sévir contre l’auteur d’un outrage commis hors la présence du tribunal. Il est bien vrai qu’en principe — et la raison montre la justesse de la règle — toutes les cours d’archives peuvent imposer une amende et l’emprisonnement pour un outrage commis en leur présence; il est en effet nécessaire pour la bonne administration de la justice que la cour ait le pouvoir de prévenir les interruptions de ses audiences. Mais c’est une toute autre chose que de dire que chaque cour d’archives de juridiction inférieure a le pouvoir d’impo­ser une amende ou l’emprisonnement pour un outrage au tribunal lorsque cet outrage est commis hors la présence de la cour, comme la rédaction ou la publication d’arti­cles qui discréditent l’attitude du juge. Il existe d’autres recours pour de telles procédures. Le pouvoir d’empri­sonner pour outrage est étudié à fond par Blackstone et Hawkins; mais, bien que ce pouvoir soit reconnu aux cours supérieures, il n’est dit nulle part qu’une cour d’archives de juridiction inférieure a le pouvoir d’agir dans le cas d’un outrage commis hors sa présence; et il y a une distinction évidente entre les cours supérieures et

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les autres cours d’archives. Dans le cas des cours supé­rieures à Westminster, qui représentent la Cour suprême du pays, ce pouvoir remonte à leur constitution originale et a toujours été exercé par elles. Ces cours tirent leur origine de la Cour suprême, et sont toutes des divisions de l’aula regis, où il est dit que le roi lui-même rend justice, et leur pouvoir d’emprisonner pour outrage est une manifestation du pouvoir de l’autorité royale, car tout outrage au tribunal est un outrage au souverain. Mais c’est une toute autre chose lorsqu’il s’agit de cours de comté ou d’autres cours semblables de juridiction inférieure. Il n’existe aucun précédent montrant qu’un tel pouvoir ait jamais été exercé par une cour d’archives de juridiction inférieure, ou, du moins, ait été maintenu par une décision d’une cour supérieure. Donc, il suffirait pour trancher cette affaire, de constater cette distinc­tion, savoir que les cours supérieures ont exercé ce pouvoir de temps immémorial et qu’il n’a jamais été exercé par un tribunal de juridiction inférieure. Mais, en fait, il n’est pas nécessaire d’aller aussi loin. (C’est moi qui souligne.)

Le juge en chef Cockburn dispose ensuite de la question en s’appuyant sur le texte de loi. Il s’agit peut-être là d’un obiter, mais il est d’un grand poids vu l’unanimité de la Cour et son importance. Au surplus, ce que l’on plaidait, c’est que la cour de comté avait le pouvoir inhérent de punir pour outrage commis ex facie, pouvoir qui ne lui avait pas été enlevé par le texte de loi. Le juge Mellor remarque à ce sujet, à la p. 139:

[TRADUCTION] Il n’aurait évidemment pas été néces­saire d’attribuer à la cour ce pouvoir sommaire d’impo­ser une amende pour entrave aux procédures de la cour si l’on avait présumé ou voulu que la cour de comté, à titre de tribunal d’archives de juridiction inférieure, ait le pouvoir général qu’ont les cours supérieures.

Dans Ex parte Fernandez[9], on décide qu’une cour d’assises qui condamne quelqu’un à l’empri­sonnement pour outrage peut se dispenser de parti­culariser le mandat d’emprisonnement et qu’une autre cour ne peut aller au-delà de ce mandat dans une demande d’habeas corpus. La raison en est qu’une cour d’assises est une cour supérieure et n’est soumise à la surveillance d’aucune autre cour. Le juge Willes laisse clairement entendre, à la p. 333, qu’il en irait autrement s’il s’agissait d’une condamnation à l’emprisonnement par une

[Page 633]

cour inférieure. Comment par exemple, dans un tel cas, une cour supérieure à qui on demanderait un habeas corpus pourrait-elle savoir si l’outrage a été commis ex facie, à moins que le mandat d’empri­sonnement ne l’indique?

Dans R. v. Davies[10], la division du Banc du Roi juge qu’elle a la faculté de punir un outrage commis ex facie lorsque la cour outragée est une cour de juridiction inférieure, parce que celle-ci est impuissante à se défendre elle-même contre un tel outrage. Au surplus le juge Wills, qui exprime l’opinion unanime de la Cour, rattache directement cette faculté au pouvoir de surveillance et de contrôle que la division du Banc du Roi exerce sur les juridictions inférieures. Référant aux cours supérieures autres que la division du Banc du Roi, il écrit (aux pp. 42 et 43):

[TRADUCTION] ll ne s’agissait pas des custodes morum (pour reprendre l’expression de Hawkins) au sens qu’a cette expression lorsqu’elle désigne la division du Banc du Roi dont la fonction particulière était d’exercer une surveillance sur les cours de juridiction inférieure et de les restreindre à leurs propres attributions. Cependant, nous croyons qu’il ne s’agissait là que d’un accomplissement particulier de son devoir de veiller à ce qu’elles rendent justice de façon impartiale. Si, pour atteindre ce but, il faut corriger les fautes des autres tout autant que les abus des cours de juridiction inférieure, ce n’est pas dévier du principe mais l’appliquer légitimement à une situation nouvelle que de corriger, aussi bien que ces cours elles-mêmes, ceux qui les empêchent d’accomplir leur devoir.

(aux pp. 47 et 48):

[TRADUCTION] ... dire, parce qu’il fut jadis un temps où la principale préoccupation était d’empêcher l’exer­cice illégal d’un pouvoir arbitraire par les cours de juridiction inférieure, que le pouvoir de cette cour s’ar­rête là et que la division du Banc du Roi ne peut assurer la protection de ces cours comme elle peut leur imposer des sanctions, serait, à notre avis, confondre l’applica­tion du principe et le principe lui-même. Dans le cas des tribunaux de juridiction inférieure, le mal qu’il faut réprimer est identique à celui qui existe lorsqu’il y a atteinte à la bonne administration de la justice dans les cours supérieures. La Cour du Banc du Roi ne s’occu­pait pas des outrages visant les autres cours supérieures parce que ces dernières disposaient amplement des moyens de se protéger. Les cours de juridiction inférieure

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n’ont pas ce pouvoir, bien que certaines d’entre elles, les cours des quarter sessions par exemple, enten­dent beaucoup plus de causes que les assises et aient une juridiction très étendue et importante. Elles sont peut-être plus exposées que les cours supérieures à voir leur fonctionnement compromis par des publications telles que celles qui ont donné lieu aux présentes procédures.

Enfin, l’auteur peut être le plus souvent cité en matière d’outrage, James Francis Oswald, Contempt of Court, dans sa troisième édition de 1911 aux pp. 1 à 21, tient pour établi: (1) que seules les cours supérieures ont le pouvoir inhérent de punir pour outrage commis ex facie; (2) que les cours inférieures d’archives ont un pouvoir inhérent de punir pour outrage commis in facie; et (3) que les cours inférieures qui ne sont pas des cours d’archi­ves n’ont aucun pouvoir de punir pour outrage à moins qu’un tel pouvoir ne leur soit donné par un texte de loi: elles n’ont que le pouvoir de maintenir l’ordre en faisant expulser un fauteur de désordre.

La jurisprudence canadienne suit la jurispru­dence anglaise.

Dans In re Gerson, In re Nightingale[11], le juge en chef Rinfret a refusé l’émission d’un bref d’ha­beas corpus destiné à faire libérer une personne emprisonnée pour avoir refusé d’être assermentée et de témoigner dans une affaire criminelle. Il écrit à la p. 544:

[TRADUCTION] Le pouvoir de punir pour outrage appartient en propre aux cours qui ont une juridiction supérieure de première instance, indépendamment des dispositions prévues dans les codes ou lois concernant leurs pouvoirs disciplinaires.

Sa décision a été confirmée par cette Cour, In re Gerson[12]. L’appelant plaidait qu’il aurait dû être poursuivi par voie de mise en accusation en vertu des art. 165 ou 180d) du Code criminel de l’épo­que. Le juge Kerwin, qui n’était pas encore juge en chef, répond comme suit à cet argument, à la p. 549:

[TRADUCTION] On a prétendu sur ce point que le requérant pouvait faire l’objet de poursuites en vertu de l’un ou l’autre de ces articles et que, vu la possibilité de recourir à ces procédures, le droit de la cour de punir

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pour outrage au tribunal avait été abrogé. Sans décider de l’applicabilité de l’un ou l’autre de ces articles dans les circonstances, nous sommes d’avis que s’il en était ainsi, le pouvoir d’emprisonner pour outrage commis en présence du tribunal est un attribut indispensable de chaque cour supérieure de justice: Ex Parte Jose Luis Fernandez, décision de la Court of Common Fleas où des jugements ont été prononcés par le juge en chef Erle, et les juges Willes et Byles. Ce droit subsiste et aucun des articles cités du Code criminel ne l’a abrogé, et le seul fait que le procès de l’autre personne ait été terminé n’empêchait pas la cour d’exercer son pouvoir.

Dans Ex parte Lunan[13], il s’agissait d’une affaire semblable à la précédente quoique l’outrage y avait été commis en présence d’une cour de comté de juridiction criminelle. Le juge Gale de la Cour suprême de l’Ontario, — il n’était pas encore juge en chef exprime l’opinion suivante à la p. 590:

[TRADUCTION] On peut correctement envisager l’ou­trage au tribunal de deux façons. Tout d’abord, toutes les cours d’archives possèdent une compétence propre et vénérable de punir sur le champ et sans autre formalité tout outrage commis en leur présence et les cours supé­rieures ont le droit de punir les outrages commis hors la présence d’une cour. Ces principes ont été exprimés maintes fois mais mentionnons, en particulier, l’arrêt Carus Wilson (1845), 7 Q.B. 984, 115 E.R. 759. Le juge en chef Rinfret indique clairement que cette compétence ne repose pas sur un pouvoir prévu par un texte de loi dans Re Gerson, Re Nightingale 87 C.C.C. 143 aux pp. 147 et 148, [1946] R.C.S. 538 à la p. 544.

Dans Procureur général de la Province de Québec c. Denis[14], on décide qu’une requête desti­née à faire condamner quelqu’un pour outrage ex facie doit être adressée à la cour outragée, — la Cour supérieure — et non pas à une autre cour, — la Cour du Banc de la Reine, juridiction criminelle — même si cette dernière est présidée par un juge de la Cour supérieure. Le juge en chef Dorion écrit, à la p. 469:

L’outrage au tribunal commis devant la cour peut faire l’objet d’une décision du tribunal devant lequel il est commis, que ce soit un tribunal de juridiction infé­rieure ou de juridiction supérieure. Ce droit, inhérent à toute cour de justice, ne semble pas avoir été jamais

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contesté, et la jurisprudence anglaise, canadienne et québécoise l’a toujours reconnu.

Il n’en est pas de même cependant pour l’outrage au tribunal commis hors de la présence du tribunal. Dans ces cas, il faut examiner si le tribunal outragé en est un de juridiction inférieure ou un de juridiction supérieure. Dans le premier cas, la demande de répression doit être faite devant un tribunal de juridiction supérieure.

Et aux pp. 473 et 474:

Il ne fait pas de doute que la juridiction donnée à un tribunal pour prononcer sur un outrage au tribunal est une juridiction inhérente et subsidiaire à sa juridiction principale, dans le but de maintenir le décorum et la dignité de la cour et de réprimer les outrages dont il peut être l’objet. Il s’ensuit que c’est ce tribunal, et seulement lui, qui peut prendre connaissance de l’offense commise et rendre une décision à son sujet.

Il faut toujours tenir compte, cependant, que lorsqu’un outrage au tribunal est commis en dehors de la cour, dans un litige soumis à l’attention d’un tribunal inférieur, la demande de répression doit être adressée à une cour supérieure.

Enfin, dans Re Hawkins and Halifax County Residential Tenancies Board[15], Hawkins avait été condamné par un tribunal administratif, à deux jours d’emprisonnement pour outrage. Ce tribunal se voyait conférer par une loi le même pouvoir que la Cour suprême de Nouvelle-Écosse ou l’un des ses juges en matière civile aux fins de contraindre un témoin à comparaître, à rendre témoignage et à déposer des documents. Hawkins n’avait pas obéi à un premier subpoena. Le shérif tenta sans succès de lui en signifier un second. Le tribunal étant d’avis que Hawkins tentait de se soustraire indû­ment à la signification rendit une ordonnance enjoignant au shérif de faire en sorte que Hawkins comparaisse devant le tribunal afin de démontrer pourquoi il ne serait pas trouvé coupable d’ou­trage. Le shérif fut de nouveau incapable de signi­fier cette ordonnance à Hawkins. Le tribunal rendit une seconde ordonnance ressemblant à la première mais ordonnant expressément au shérif d’arrêter Hawkins et de le détenir. Hawkins fut finalement appréhendé avec l’aide de la police locale, incarcéré durant 24 heures puis admis à

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caution. Il se présenta enfin devant le tribunal qui le trouva coupable d’outrage parce qu’il s’était délibérément soustrait à la signification d’un subpoena. L’affaire fut évoquée en Cour suprême. Le juge Morrison décida que le tribunal avait excédé sa juridiction. Il s’appuie sur un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dont il sera question plus bas, Re Diamond and The Ontario Municipal Board[16]. Il écrit, aux pp. 128 et 129:

[TRADUCTION] ... Bien que la Commission ait agi légalement et conformément à ses pouvoirs jusqu’au moment de l’arrestation de Terrance Hawkins, ... j’estime néanmoins qu’une fois prise la décision d’arrêter Terrance Hawkins, la Commission avait l’obligation stricte de ne pas outrepasser sa compétence.

Lorsque la liberté d’une personne est en jeu, tout tribunal ou commission doit agir avec précaution. Un citoyen ne doit pas être privé de sa liberté sauf si la loi le permet explicitement et pour un motif valable après mûr examen.

A mon avis, la Commission avait des motifs raison­nables de chercher à signifier un subpoena à M. Haw­kins. En fait, je suis d’avis que la Commission était fondée, en droit, à l’arrêter. Toutefois, il m’est difficile, de comprendre et de justifier l’incarcération de M. Hawkins après son arrestation.

L’outrage que Hawkins aurait commis en ne se présentant pas devant la Commission n’est pas une infrac­tion commise en présence du tribunal. Par conséquent, je conclus que la Halifax Residential Tenancies Board a excédé sa compétence en condamnant Hawkins pour outrage à deux jours d’emprisonnement au Halifax County Correctional Centre.

Il est possible que cette affaire se distingue de McKeown c. La Reine[17], où cette Cour, dans un arrêt majoritaire, décide que le fait pour un avocat de ne pas se présenter en cour à la suite d’un ajournement constitue un outrage in facie et non un outrage ex facie. Dans l’affaire Hawkins en effet, l’infraction reprochée à Hawkins n’était pas de ne pas être présent devant le tribunal alors qu’il aurait dû l’être, mais de s’être soustrait délibérément à la signification d’un subpoena. Quoi qu’il en soit cependant de la qualification de l’outrage,

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la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse dans Haw­kins sanctionne la règle qui empêche un tribunal de juridiction inférieure de punir un outrage commis ex facie, et ce, même lorsque ce tribunal possède, de par la loi, les pouvoirs de la Cour suprême aux fins de contraindre un témoin à com­paraître, à rendre témoignage et à déposer des documents.

Il me paraît donc juste de conclure que la jurisprudence anglo-canadienne relative au pouvoir de punir un outrage commis ex facie curiae est une jurisprudence fixée qui date de plus de deux cents ans. Cette jurisprudence veut que ce pouvoir relève de la juridiction exclusive des cours supérieures.

Une telle règle d’ailleurs se justifie en principe par les considérations suivantes. Le pouvoir de punir un outrage commis ex facie est susceptible de donner lieu à des enquêtes qui risquent d’entraî­ner un tribunal inférieur dans des domaines prati­quement impossibles à définir en termes de juridic­tion et complètement étrangers à celui de sa juridiction propre laquelle, par hypothèse, est limi­tée. Cet obstacle ne se retrouve pas dans le cas d’une cour comme la Cour supérieure qui est un tribunal de droit commun, (art. 31 C.p.c.) dont la juridiction est une juridiction de principe, ou de cours qui siègent en appel des décisions de la Cour supérieure et peuvent généralement rendre des décisions que celle-ci aurait dû rendre. Au surplus, le pouvoir de punir un outrage commis ex facie se rattache nécessairement au pouvoir de contrôle et de surveillance que seule une cour supérieure peut exercer sur les tribunaux inférieurs. Ce pouvoir de contrôle pourrait devenir illusoire si, à l’occasion d’un outrage commis ex facie, un tribunal infé­rieur avait la faculté de s’aventurer hors de son domaine particulier. Il y aurait également risque de conflit entre les cours supérieures et les cours inférieures, du genre de ceux qui opposèrent autrefois en Angleterre les cours de common law et les cours d’equity. Enfin, les tribunaux inférieurs ne sont pas dépourvus de tout moyen de faire observer leurs ordonnances légitimes: comme l’indique le juge en chef Dorion dans Denis, les cours supérieu­res peuvent leur venir en aide; voir également R. v. Davies (supra) et Re Regina and Monette[18].

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2. Contrairement à certaines cours de justice, la Commission de police ne possède aucun pouvoir inhérent. Elle ne dispose que des pouvoirs qui lui sont conférés par des textes de loi.

Il me semble inutile de m’attarder à la démons­tration de cette proposition qui ne me paraît ni contestable ni contestée. Si l’on éprouvait quelque doute à ce sujet, il suffirait pour le dissiper de référer à ce que dit le juge Pigeon, parlant pour la majorité de cette Cour dans P.G. du Qué. et Keable c. P.G. du Can.[19], particulièrement aux pp. 249 et 250:

Puisqu’un commissaire n’a que des pouvoirs limités, il ne possède aucune compétence inhérente, à la différence des cours supérieures qui ont une compétence dans toutes matières de droit fédéral ou provincial à moins d’exclusion expresse. C’est en vertu de cette compétence inhérente que les cours supérieures ont un pouvoir géné­ral de surveillance sur les organismes fédéraux et provin­ciaux, comme le déclare l’arrêt Three Rivers Boatman, [1969] R.C.S. 607.

Il est vrai que la Commission Keable était une commission spéciale d’enquête constituée en vertu de la Loi des commissions d’enquête, tandis que la Commission de police est une commission perma­nente. Mais, comme la Commission Keable, la Commission de police agit principalement en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi des commissions d’enquête et le Code de procédure civile. Il n’y a donc pas lieu de distinguer entre l’une et l’autre sur ce point.

3. La législature du Québec ne peut constitutionnellement conférer à la Commission de police le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis ex fade et de punir un tel outrage.

Une législature provinciale ne peut en effet, sans enfreindre l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, conférer à un tribunal ou à une cour dont les membres ne sont pas nommés par le gouverneur général, une juridiction qui, en 1867, était réservée aux cours supérieures.

Le principe a été si souvent sanctionné qu’il n’a plus besoin de démonstration. Il suffira pour le

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rappeler de référer à deux arrêts récents de cette Cour: Proc. gén. du Québec c. Farrah[20], et Sémi­naire de Chicoutimi c. Cité de Chicoutimi[21].

Je ne crois pas que l’on puisse invoquer l’arrêt Tomko c. Labour Relations Board[22], à l’encontre de l’application de ce principe en l’espèce. Dans Tomko, cette Cour a décidé que la Constitution permet à une législature provinciale de conférer au “Labour Relations Board” de la Nouvelle-Écosse le pouvoir de décerner des ordres de ne pas faire et d’autres ordres impératifs. Mais le Juge en chef qui exprime l’opinion majoritaire de la Cour prend soin de souligner aux pp. 121, 122 et 123 qu’un tel pouvoir se distingue du pouvoir traditionnel des cours supérieures de délivrer des injonctions: le “Labour Relations Board” n’a pas le pouvoir de punir lui-même pour outrage ceux qui contrevien­nent à ses ordres et n’aborde pas la question de la délivrance d’un ordre de ne pas faire de la même façon qu’une cour de justice examine une demande d’injonction. En l’espèce, ce n’est pas le pouvoir de la Commission de police de décerner des ordres de non-publication qui est premièrement en litige mais bien celui de punir un outrage commis ex facie. Il nous faudrait peut-être mesurer l’effet de l’arrêt Tomko sur la présente cause s’il fallait décider de la validité de l’ordonnance rendue par la Commission de police le 10 avril 1973, mais, je l’ai déjà dit, il ne me paraît pas nécessaire de prononcer sur cette question. Au surplus, et comme le fait remarquer le Juge en chef dans Tomko, le pouvoir de redressement dont jouit le “Labour Relations Board” de la Nouvelle-Écosse fait partie d’un ensemble de fonctions qui, consi­déré globalement, est bien différent des fonctions exercées par la Cour supérieure en 1867. Le pouvoir de condamner pour un outrage commis ex facie, lui, ne fait pas partie intégrante des fonc­tions d’enquête de la Commission et n’en constitue pas un accessoire nécessaire: c’est un pouvoir dis­tinct, plus étendu que l’ensemble des pouvoirs prin­cipaux de la Commission et qui lui permettrait de faire à quelqu’un un procès complet, différent de

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l’enquête, pouvant n’avoir aucun rapport avec elle et se soldant à la fin, non pas par une recomman­dation, mais par un jugement exécutoire.

La Cour d’appel note que les appelants n’ayant pas contesté la validité constitutionnelle des dispo­sitions législatives citées plus haut qui sont la source des pouvoirs de la Commission de police, invoquent quand même l’argument constitutionnel en soutenant que la législature provinciale ne peut conférer à la Commission les pouvoirs inhérents de la Cour supérieure «puisque ces pouvoirs sont con­férés à une personne par la nomination à ce poste et cette nomination ne peut être faite que par l’autorité fédérale». Et la Cour d’appel décide: «Cet argument est mal fondé.» A mon avis, l’argu­ment est bien fondé et il est parfaitement légitime pour les appelants d’y avoir recours. Bien des lois sont rédigées en termes si généraux qu’il est possi­ble de leur donner un sens qui les rende ultra vires. Il importe alors de les interpréter à la lumière de la Constitution parce que l’on doit présumer que le législateur n’a pas voulu excéder sa compétence:

[TRADUCTION] Il existe une présomption de juris quant à l’existence de l’intention véritable d’un organisme législatif d’agir dans les limites de sa compétence et une présomption semblable que les termes généraux employés dans une loi n’ont pas pour effet d’étendre son application au-delà de la compétence territoriale de la législature.

(Le juge Fauteux, — il n’était pas encore juge en chef — dans Renvoi re The Farm Products Marketing Act[23], à la p. 255.

Pour mettre ce principe en œuvre, une cour peut, au nom de la Constitution, restreindre la portée apparemment générale d’une disposition et ce, même lorsque la constitutionnalité de la dispo­sition n’a pas été attaquée et que le procureur général n’a pas été mis en cause. C’est ce que cette Cour a fait dans McKay c. La Reine[24]. Le juge Cartwright, — il n’était pas encore juge en chef — écrit dans l’opinion majoritaire, aux pp. 803 et 804:

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[TRADUCTION] La deuxième règle d’interprétation applicable est que, lorsqu’un texte législatif émanant du Parlement, d’une législature ou d’un organisme subal­terne auquel le pouvoir de légiférer est délégué, peut être interprété de sorte que son application se limite aux domaines de compétence du corps législatif, cette inter­prétation doit prévaloir. Une autre façon de formuler la règle est de dire que si les termes d’une loi peuvent raisonnablement être interprétés de deux façons, l’une permettant de conclure au caractère intra vires de la loi alors que l’autre aurait l’effet contraire, ils doivent être interprétés de la première façon.

Il faut donc voir si les dispositions législatives citées plus haut ont un sens compatible avec la Constitution.

4. La Loi de police, la Loi des commissions d’enquête et le Code de procédure civile ne confèrent pas à la Commission de police le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis ex facie curiae et de punir un tel outrage.

Pour conclure au contraire, la Cour d’appel invoque principalement les arguments suivants:

Par les textes reproduits plus haut, la Commission de Police et ses membres sont investis des pouvoirs de commissaires nommés en vertu de la Loi des commis­sions d’enquête. Aux termes de cette dernière loi, les commissaires ont tous les pouvoirs d’un juge de la Cour Supérieure siégeant en terme; ils peuvent punir le mépris de cour d’un témoin (en leur présence, art. 11) et, si quelqu’un est coupable de mépris à leur égard ou à l’égard de leurs fonctions, ils «peuvent procéder sur ce mépris de la même manière que toute cour ou tout juge en semblables circonstances» (art. 12). Tel que déjà mentionné, aucune distinction n’est faite entre l’outrage en la présence ou hors de la présence des commissaires. Ces textes justifient la conclusion que la procédure d’outrage au Tribunal déterminée par les articles 49 à 54 du Code de Procédure Civile se trouve mise à la portée des commissaires. Sans doute que le droit et la procédure qu’on y trouve ne diffèrent pas sensiblement des pouvoirs inhérents déjà discutés, il n’en reste pas moins qu’en les codifiant le Législateur les a consacrés statutairement.

Un juge de la Cour supérieure siégeant en terme a le pouvoir de punir un outrage commis ex facie. Mais ce ne sont pas tous les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure que le législateur a voulu confé­rer à la Commission de police mais seulement ceux

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qui concernent les procédures de l’examen des témoins. Ces procédures ont lieu devant la Com­mission et il n’est pas indispensable pour leur efficacité que la Commission de police ait le pouvoir de punir un outrage commis ex facie. D’autre part, le législateur a sans doute voulu conférer à la Commission d’autres pouvoirs que possède un juge de la Cour supérieure relativement à l’examen des témoins et qui ne sont pas spécifiquement mentionnés dans la Loi de police et la Loi des commissions d’enquête, tels le pouvoir d’exclure les témoins, — art. 294 C.p.c. — , celui de recevoir le témoignage d’un enfant qui ne comprend pas la nature du serment, — art. 301 C.p.c. — , le pouvoir de con­traindre à rendre témoignage une personne présente à l’audience, — art. 302 C.p.c. — , le pouvoir de requérir les services d’un interprète, — art. 304 C.p.c. — . Ainsi donc, il est possible de donner à l’art. 7 de la Loi des commissions d’enquête une signification compatible avec la restriction que comportent les mots «en ce qui concerne les procé­dures de cet examen», et compatible avec la Constitution.

Il en va de même des autres dispositions pertinentes.

Comme le souligne la Cour d’appel, l’art. 11 de la Loi des commissions d’enquête prévoit spécifi­quement un cas d’outrage in facie.

L’article 12 de la même loi prévoit alternativement deux situations du même genre. La première est celle où «quelqu’un refuse de produire, devant les commissaires, les papiers, livres, documents ou écrits qui sont en sa possession ou sous son con­trôle, et dont les commissaires jugent la production nécessaire». Il s’agit d’un cas d’outrage in facie. — Il est à remarquer d’ailleurs que l’expression «devant les commissaires» comporte une restriction que l’on ne retrouve pas par exemple au second alinéa de l’art. 402 du Code de procédure civile. — La seconde situation est celle où «quelqu’un est coupable de mépris à l’égard des commissaires ou de leurs fonctions». A mon avis, il s’agit d’un cas d’outrage moins spécifique que le premier mais ejusdem generis, c’est-à-dire d’un cas d’outrage in facie: par exemple, une personne présente à l’au­dience injurie les commissaires; ceux-ci ont alors,

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comme dans le premier cas, le pouvoir de réprimer sommairement l’outrage conformément à l’art. 52 du Code de procédure civile.

Aucune des situations prévues aux art. 11 et 12 de la Loi des commissions d’enquête n’en est donc une qui tombe sous le coup de l’art. 53 du Code de procédure civile.

L’article 46 du Code de procédure civile est une disposition supplétive. Je suis d’accord avec ce qu’en dit le juge Rinfret, — il n’était pas encore juge en chef — dans C.T.C.U.M. c. Syndicat du transport de Montréal[25], à la p. 484:

A remarquer d’abord que les pouvoirs y prévus sont ceux qui sont nécessaires à l’exercice de la juridiction judiciaire.

Il confère aux Tribunaux et aux juges le pouvoir de rendre des ordonnances pour pourvoir aux cas où la loi n’a pas prévu de remède spécifique.

En l’espèce, le législateur a déjà prévu le remède spécifique de la procédure pour outrage commis in facie. D’autre part, le pouvoir de punir un outrage commis ex facie n’est pas un pouvoir nécessaire à l’exercice des fonctions de la Commission de police.

Restent les art. 49 à 54 du Code de procédure civile où le législateur a réuni dans une seule section la plupart des dispositions relatives à l’ou­trage au tribunal sans distinguer entre la juridic­tion des principales cours dont il est question dans ce Code, la Cour d’appel, la Cour supérieure et la Cour provinciale. — On trouve quelques autres dispositions relatives à des cas particuliers d’outrage aux art. 15, 84, 313, 365, 424, 608, 651, 761, 836 et 854. — La source de ce droit est la common law dont les principes ne sont pas écartés par des lois qui n’en parlent pas: Cotroni c. La Commission de police du Québec[26], à la p. 1057. Lorsque le légis­lateur veut modifier la common law, il le fait par des dispositions explicites: ainsi, à l’art. 51 du Code de procédure civile, il a expressément réduit la discrétion dont jouissaient auparavant les cours de justice en ce qui concerne la sanction de l’outrage

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au tribunal, limitant l’amende à cinq mille dollars et l’emprisonnement à une période d’au plus un an. Le législateur n’ignorait évidemment pas la distinction entre l’outrage in facie et l’ou­trage ex facie, distinction qu’il fait aux art. 52 et 53. Mais il la fait seulement pour codifier la procédure. Comme il ne dit rien sur la juridiction en matière d’outrage in facie et d’outrage ex facie, on doit présumer qu’il a voulu conserver les princi­pes de la common law en la matière, d’autant plus qu’il n’aurait pu les changer validement.

C’est par un raisonnement analogue que la Cour d’appel de l’Ontario en est arrivée à ses conclu­sions dans Re Diamond and Ontario Municipal Board. Il s’agissait de répondre à plusieurs ques­tions qui peuvent se ramener à deux: le «Ontario Municipal Board» avait-il le pouvoir de contrain­dre des témoins à répondre à ses questions sous peine d’emprisonnement? Avait-il également le pouvoir d’enjoindre à des personnes ou à des grou­pes de cesser d’interdire à d’autres de répondre aux questions du «Board», et d’emprisonner ceux qui enfreindraient une telle injonction? Le «Board», n’ayant aucun pouvoir inhérent, tenait ceux qu’il avait d’une loi dont les principales dispositions se lisaient comme suit:

[TRADUCTION] 33. Aux fins de la présente loi, la Commission a les pouvoirs d’une cour d’archives et un sceau officiel que les tribunaux doivent reconnaître.

37. Aux fins de l’exercice de sa compétence, de ses pouvoirs, et de la mise à exécution des dispositions de la présente loi ou de toute autre loi générale ou spéciale, la Commission a tous les pouvoirs, droits et privilèges dont est investie la Cour suprême concernant l’amendement des procédures, l’addition ou la substitution de parties, la présence des témoins et leur interrogatoire, la produc­tion et l’examen de documents, le droit d’entrer dans un lieu et de l’inspecter, l’exécution de ses ordonnances et toute autre chose nécessaire ou appropriée à cette fin.

Le juge Schroeder qui rend le jugement una­nime de la Cour s’exprime comme suit aux pp. 334 et 335:

[TRADUCTION] On ne prétend pas que, lu en regard de l’art. 33, qui dispose qu’aux fins de cette loi la Commis­sion a tous les pouvoirs d’une cour d’archives, l’art. 37 de The Ontario Municipal Board Act n’a pas une portée et un effet suffisamment larges pour permettre à la

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Commission d’émettre des subpoenas pour assurer la présence des témoins. Aux termes de l’art. 37, la Com­mission a tous les pouvoirs dont est investie la Cour suprême concernant

la présence et l’interrogatoire des témoins, la produc­tion et l’examen de documents, le droit d’entrer dans un lieu et de l’inspecter, l’exécution de ses ordonnan­ces et toute autre chose nécessaire ou appropriée à cette fin.

Ce langage, on le reconnaît, est très large et, lorsqu’on l’interprète de façon raisonnable, il faut conclure qu’il comprend en toute logique les pouvoirs dont est investie la Cour suprême pour punir la violation de ses ordon­nances sous réserve des restrictions mentionnées plus loin. Je suis d’avis que cela comprend le pouvoir d’impo­ser une amende ou l’emprisonnement, ou les deux, en cas d’outrage commis en présence du tribunal.

Le pouvoir d’imposer une amende ou l’emprisonnement pour outrage doit demeurer dans la mesure de l’objectif que vise la loi car, bien que les pouvoirs, droits et privilèges dont est investie la Cour suprême soient, pour certaines questions de procédure et d’exécution, également conférés à la Commission et qu’elle ait reçu les pouvoirs d’une cour d’archives, il s’agit néanmoins d’un tribunal de juridiction inférieure et ses procédures admi­nistratives sont assujetties au pouvoir de surveillance et d’appel de la Cour suprême de l’Ontario. En common law une cour d’archives de juridiction inférieure peut imposer l’emprisonnement ou une amende pour un outrage commis en sa présence mais non pour un outrage commis hors sa présence. Seules les cours supé­rieures d’archives ont ce pouvoir. Si le pouvoir de la Commission de punir pour outrage doit être de même nature que celui d’une cour d’archives de juridiction inférieure, le but véritable de la loi sera satisfait sans nuire à son efficacité. Le texte doit donc, à mon avis, être interprété en conséquence.

La Cour répond donc affirmativement à la pre­mière question. Elle répond de façon indirecte et partielle à la seconde question par l’opinion suivante, à la p. 336:

[TRADUCTION] Comme je l’ai dit, je suis d’avis que la Commission n’a pas les pouvoirs d’une cour supérieure d’archives pour sévir contre l’auteur d’un outrage et n’a pas le pouvoir de punir pour un outrage à son autorité qui n’est pas commis devant elle.

Sans doute les textes de loi qu’il s’agissait d’in­terpréter dans Re Diamond ne sont-ils pas identi­ques à ceux qui doivent s’appliquer dans l’espèce

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mais ils leur ressemblent assez pour que l’on ne puisse distinguer les deux causes l’une de l’autre quant à l’essentiel. Selon moi, dans Re Diamond, la Cour d’appel de l’Ontario a bien jugé et correc­tement interprété les textes, dans le respect de la common law et de la Constitution.

CONCLUSIONS

Je suis d’avis que le pourvoi doit être accueilli; l’arrêt de la Cour d’appel infirmé, et le jugement de la Cour supérieure rétabli, avec dépens dans toutes les cours contre la Commission de police du Québec.

Le jugement des juges Martland et Dickson a été rendu par

LE JUGE DICKSON — J’ai eu l’avantage de lire les motifs rédigés en l’espèce par le juge Beetz et, comme lui, je suis d’avis que le pourvoi doit être accueilli. J’en viens à cette conclusion à grand regret parce qu’en télédiffusant une photographie du témoin Théodore Aboud, la Société Radio-Canada, section de langue anglaise, a non seulement mis le témoin et sa famille en danger de représailles, mais a aussi violé un engagement pris par un délégué des journalistes.

Je me borne à convenir que le pourvoi doit être accueilli pour les motifs donnés par le juge Beetz. Je n’estime pas nécessaire, pour rendre la décision en l’espèce, d’examiner les implications constitu­tionnelles du pouvoir d’un tribunal de juridiction inférieure de punir un outrage commis hors sa présence. Il suffit de dire en l’espèce que l’on doit interpréter restrictivement les pouvoirs conférés à la Commission de police, vu la limitation générale en common law des pouvoirs de sévir pour outrage qu’a un tribunal de juridiction inférieure et une interprétation restrictive en l’espèce conduit inévi­tablement à conclure que la Commission n’est pas investie de pareil pouvoir. Il existe indubitablement en common law une démarcation nette entre le pouvoir de punir un outrage commis hors la présence de la cour et celui de le faire lorsque l’outrage est commis en sa présence. Dans la dis­cussion qui suit sa quatrième proposition, le juge Beetz démontre qu’il est possible d’interpréter les dispositions législatives pertinentes aux pouvoirs de

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sévir pour outrage qu’a la Commission de police d’une manière qui maintient la distinction de common law. En l’absence d’un langage législatif clair qui exprime l’intention de conférer à la Com­mission des pouvoirs plus larges de sévir pour outrage, on doit présumer que le législateur lui a seulement accordé à cet égard les pouvoirs ordinai­rement exercés par un tribunal de juridiction inférieure.

Si cette Cour était en présence d’une disposition claire et sans ambiguïté qui investit un tribunal de juridiction inférieure des pouvoirs de sévir pour outrage commis hors sa présence, alors la question analysée par le juge Beetz dans sa troisième propo­sition pourrait se poser. L’application de l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique soulèverait en ce cas des questions difficiles dans la même veine que celles sur lesquelles cette Cour s’est penchée dans plusieurs affaires récentes: voir Tomko c. Labour Relations Board (Nouvelle-Écosse)[27]; Jones c. Board of Trustees of Edmon­ton Catholic School District N° 7[28]; Procureur général du Québec c. Farrah[29], et Ville de Missis­sauga c. Municipalité régionale de Peel[30].

Certes, il est vrai que rien n’empêche la Cour d’examiner les aspects constitutionnels qui se posent au cours d’un problème d’interprétation législative. J’estime pourtant, avec beaucoup d’égards, qu’il est plus sage de ne pas en décider lorsque, comme en l’espèce, la Cour n’a pas bénéfi­cié de plaidoiries complètes sur la question ni des interventions des procureurs généraux respectifs. Vu ma façon d’envisager le pourvoi, je préfère réserver la question constitutionnelle pour une affaire qui la soulève carrément. Par conséquent, je ne veux pas opiner sur la troisième proposition et sa discussion, que l’on trouve dans le jugement du juge Beetz.

Je suis d’avis que le pourvoi doit être accueilli, l’arrêt de la Cour d’appel infirmé, et le jugement de la Cour supérieure rétabli, avec dépens dans toutes les cours contre la Commission de police du Québec.

[Page 649]

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur des appelants: Gaspard Côté, Montréal.

Procureurs des intimés: Jacques Richard, Gérald Tremblay, Roger Thibaudeau et Olivier Prat, Montréal.

[1] [1973] C.S. 888.

[2] [1969] R.C.S. 60.

[3] [1976] 1 R.C.S. 572.

[4] (1765), 97 E.R. 94.

[5] (1821), IV B. & Ald. 218.

[6] (1822), 11 Price’s 68.

[7] (1864), 5 B. & S. Q.B. 299.

[8] (1873), 8 L.R.Q.B. 134.

[9] (1861), 30 L.J. C.P. 321, 142 E.R. 349.

[10] [1906] 1 K.B. 32.

[11] [1946] R.C.S. 538.

[12] [1946] R.C.S. 547.

[13] [1951] 2 D.L.R. 589.

[14] [1966] C.S. 467.

[15] (1974), 47 D.L.R. (3d) 117.

[16] [1962] O.R. 328.

[17] [1971] R.C.S. 446.

[18] (1975), 64 D.L.R. (3d) 470.

[19] [1979] 1 R.C.S. 218.

[20] [1978] 2 R.C.S. 638.

[21] [1973] R.C.S. 681.

[22] [1977] 1 R.C.S. 112.

[23] [1957] R.C.S. 198.

[24] [1965] R.C.S. 798.

[25] [1977] C.A. 476.

[26] [1978] 1 R.C.S. 1048.

[27] [1977] 1 R.C.S. 112.

[28] [1977] 2 R.C.S. 872.

[29] [1978] 2 R.C.S. 638.

[30] [1979] 2 R.C.S. 224, 26 N.R. 200.


Synthèse
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 618 ?
Date de la décision : 28/06/1979
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Droit administratif - Mépris de cour commis hors la présence de la Commission de police - Pouvoir d’enquêter ou de punir exclusif aux cours supérieures - Requête en évocation - Acte de l’Amérique du Nord britannique, art. 96 - Loi de police, S.Q. 1968, chap. 17, art. 8, 17, 20, 21 - Loi des commissions d’enquête, S.R.Q. 1964, chap. 11, art. 7, 9, 10, 11, 12 - Code de procédure civile, art. 46 à 54.

La Commission de police du Québec a émis une ordonnance enjoignant aux appelants de comparaître devant elle pour répondre à une accusation d’outrage au tribunal parce que la Société Radio-Canada avait dif­fusé la photographie d’un témoin malgré l’interdiction formelle de cette Commission. La Cour supérieure a autorisé la délivrance d’un bref d’évocation visant à faire annuler l’ordonnance pour le seul motif que les commis­saires n’avaient pas le pouvoir de conduire une enquête ou de condamner pour un outrage commis hors leur présence. La majorité de la Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure. Les appelants plaident devant cette Cour les trois moyens invoqués devant les tribunaux d’instance inférieure:

1) La Commission de police est inhabile à rendre une ordonnance de «huis clos partiel».

2) La Commission de police n’a pas le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis hors sa pré­sence ni de punir un tel outrage.

3) L’immunité de la Société Radio-Canada et de ses préposés empêche la Commission de les rechercher pour outrage.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

[Page 619]

Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Spence, Pigeon, Beetz, Estey et Pratte: Le deuxième moyen invoqué par les appelants est bien fondé et suffit à disposer du litige; il n’y a donc pas lieu d’examiner les deux autres. La validité de cette proposition, soit que la Commission n’a pas le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis hors sa présence ni de punir un tel outrage, dépend de la validité d’un certain nombre d’autres propositions.

1) En common law, le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis ex facie curiae et de punir un tel outrage appartient exclusivement aux cours supérieu­res. L’étude de la jurisprudence anglo-canadienne des quelque deux cents dernières années nous permet de conclure qu’en matière d’outrage commis ex facie curiae l’usage constant veut que le pouvoir soit inhérent et exclusif aux cours supérieures. Cette règle se justifie également en principe. D’abord le pouvoir de punir un outrage commis ex facie est susceptible de donner lieu à des enquêtes qui risquent d’entraîner un tribunal infé­rieur en des domaines étrangers à sa juridiction. Ensuite ce pouvoir se rattache au pouvoir de contrôle et de surveillance que seule une cour supérieure peut exercer sur les tribunaux inférieurs. Enfin les tribunaux infé­rieurs ne sont pas dépourvus de tout moyen de faire observer leurs ordonnances légitimes puisque les cours supérieures peuvent leur venir en aide.

2) Contrairement à certaines cours de justice, la Commission de police ne possède aucun pouvoir inhé­rent. Elle ne dispose que de pouvoirs qui lui sont confé­rés par des textes de loi.

3) La législature du Québec ne peut constitutionnellement conférer à la Commission de police le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis ex facie et de punir un tel outrage. Une législature provinciale ne peut en effet, sans enfreindre l’art. 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, conférer à un tribunal ou à une cour dont les membres ne sont pas nommés par le gouverneur général, une juridiction qui, en 1867, était réservée aux cours supérieures.

4) La Loi de police, la Loi des commissions d’enquête et le Code de procédure civile ne confèrent pas à la Commission de police le pouvoir de faire enquête au sujet d’un outrage commis ex facie curiae et de punir un tel outrage. Les articles 11 et 12 de la Loi des commis­sions d’enquête confèrent aux commissaires les pouvoirs d’un juge de la Cour supérieure mais seulement ces pouvoirs qui concernent les procédures de l’examen des témoins. Comme aucune disposition législative n’écarte les principes de la common law qui sont la source du droit en matière d’outrage au tribunal, il faut présumer que le législateur a voulu conserver ces principes selon

[Page 620]

lesquels en matière d’outrage commis ex facie les cours supérieures possèdent une compétence exclusive.

Les juges Martland et Dickson: II n’est pas nécessaire, pour rendre la décision en l’espèce, d’examiner les impli­cations constitutionnelles du pouvoir d’un tribunal de juridiction inférieure de punir un outrage commis hors sa présence. II suffit de dire que l’on doit interpréter restrictivement les pouvoirs conférés à la Commission de police, vu la limitation générale en common law des pouvoirs de sévir qu’a un tribunal de juridiction infé­rieure et une interprétation restrictive en l’espèce conduit inévitablement à conclure que la Commission n’est pas investie de pareil pouvoir.


Parties
Demandeurs : Radio-Canada
Défendeurs : Comm. de police du Québec

Références :

Jurisprudence: Le Conseil des Ports nationaux c. Langelier, [1969] R.C.S. 60

Saulnier c. Commission de police du Québec, [1976] 1 R.C.S. 572

R. v. Almon (1765), 97 E.R. 94

R. v. Clement (1821), IV B. & Ald. 218

In the matter of W. I. Clement (1822), 11 Price’s 68

Ex parte Pater (1864), 5 B. & S. Q.B. 299

R. v. Lefroy (1873), 8 L.R. Q.B. 134

Ex parte Fernandez (1861), 30 L.J. C.P. 321, 142 E.R. 349

R. v. Davies, [1906] 1 K.B. 32

In re Gerson, In re Nightingale, [1946] R.C.S. 538

In re Gerson, [1946] R.C.S. 547

Ex parte Lunan, [1951] 2 D.L.R. 589

Procureur général du Québec c. Denis, [1966] C.S. 467

Re Hawkins and Halifax County Residential Tenancies Board (1974), 47 D.L.R. (3d) 117

Re Diamond and The Ontario Municipal Board, [1962] O.R. 328 (arrêt appliqué)

McKeown c. La Reine, [1971] R.C.S. 446

Re Regina and Monette (1975), 64 D.L.R. (3d) 470

Proc. On. du Québec et Keable c. Proc. On. du Canada, [1979] 1 R.C.S. 218

Procureur général du Québec c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638

Séminaire de Chicoutimi c. Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681

Tomko c. Labour Relations Board (N.E.), [1977] 1 R.C.S. 112

Renvoi re The Farm Products Marketing Act de l’Ontario, [1957] R.C.S. 198

McKay c. La Reine, [1965] R.C.S. 798

C.T.C.U.M. c. Syndicat du transport de Montréal, [1977] C.A. 476

Cotroni c. La Commission de police du Québec, [1978] 1 R.C.S. 1048

Jones c. Board of Trustees of Edmonton Catholic School District N° 7, [1977] 2 R.C.S. 872

Ville de Mississauga c. Municipa­lité régionale de Peel, [1979] 2 R.C.S. 224, 26 N.R. 200.

Proposition de citation de la décision: Radio-Canada c. Comm. de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618 (28 juin 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-06-28;.1979..2.r.c.s..618 ?
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