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14/06/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._916

Canada | R. c. Mansour, [1979] 2 R.C.S. 916 (14 juin 1979)


Cour suprême du Canada

R. c. Mansour, [1979] 2 R.C.S. 916

Date:1979-06-14

Sa Majesté La Reine (Plaignant) Appelante;

et

Maroun Mansour (Deféndeur) Intimé.

1978: 1er novembre; 1979: 14 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

R. c. Mansour, [1979] 2 R.C.S. 916

Date:1979-06-14

Sa Majesté La Reine (Plaignant) Appelante;

et

Maroun Mansour (Deféndeur) Intimé.

1978: 1er novembre; 1979: 14 juin.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Véhicules automobiles - Conduite sans permis - Permis de conduire suspendu par la province - Véhicule conduit dans un terrain privé - Permis requis seulement pour conduire dans une «voie publique» - Parc de stationnement privé est-il compris dans l’expression «voie publique»? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, par. 238(3) - The Highway Traffic Act, R.S.O. 1970, chap. 202, arts. 1(1)11, 13(1).

L’intimé a été déclaré coupable en vertu du par. 238(3) du Code d’avoir conduit une automobile dans un parc de stationnement en Ontario alors que son permis de conduire avait été suspendu par la province. Le parc de stationnement était entièrement situé sur un terrain privé adjacent à un immeuble de rapport auquel le public avait accès. La déclaration de culpabilité a été examinée par voie d’exposé de cause en cour des sessions hebdomadaires; le juge O’Driscoll a maintenu la condamnation. La Cour d’appel a infirmé les jugements pour le motif que «si une personne conduit un genre de véhicule pour lequel, ou en un lieu dans lequel, aucun permis n’est exigé, on ne peut dire qu’elle conduit son véhicule alors qu’elle est inhabile à le conduire, ni que la conduite d’un tel véhicule lui est interdite, en raison de la suspension ou de l’annulation légale de son permis ou de sa licence».

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

La question préliminaire est celle de savoir si, en Ontario, il faut un permis pour conduire un véhicule à moteur dans le parc de stationnement en question. Il semble ressortir du par. 13(1) de The Highway Traffic Act, R.S.O. 1970, chap. 202, et de la définition donnée à l’al. 1(1)11, que la «voie publique» à l’égard de laquelle il faut détenir un permis de conduire ne s’entend pas d’un parc de stationnement comme celui en l’espèce auquel le public a accès. L’expression «voie publique» dans son sens ordinaire et courant, ne couvre pas la notion de parc de stationnement ni, plus précisément, un parc de stationnement adjacent à un immeuble de rapport, et, il y a lieu de le présumer, destiné principalement au stationnement des automobiles des locataires.

[Page 917]

Malgré cette interprétation, il faut établir si le par. 238(3) du Code criminel commande qu’on rende une déclaration de culpabilité sans tenir compte des exigences de la province en question en matière de permis de conduire. Le par. 238(3) ayant pour but de donner effet aux suspensions de permis de conduire provinciaux, ce but ne sera pas compromis si l’interdiction du par. 238(3) s’applique seulement aux infractions qui surviennent dans les endroits où un permis de conduire provincial est nécessaire. Un accusé ne doit pas être considéré comme conduisant un véhicule à moteur au Canada alors qu’il est inhabile à conduire en raison de la suspension de son permis s’il conduit en un endroit du pays où le permis n’est pas obligatoire, car une telle interprétation littérale de l’article du Code ne l’exige pas.

[Jurisprudence: Gill et al. v. Elwood, [1970] 2 O.R. 59; Consumers’ Gas Co. v. Toronto, [1940] 4 D.L.R. 670 (C.A. Ont.); R. v. McKenzie, [1961] O.W.N. 344 (CD.); R. ex rel. Fisher v. Hindbull (1961), 131 C.C.C. 81 (CD. Alb.); R. v. Maclean (1974), 17 C.C.C. (2d) 84 (C.C.N.‑É.); R. v. Spear Chief (1963), 42 C.R. 78 (CD. Alb.); R. v. Irwin, [1957] O.W.N. 506 (CD.); R. v. Mann, [1968] 3 C.C.C. 122 (C.S.I.-P.-É.); R. v. Seminuk (1960), 128 C.C.C. 220 (C.S.C.‑B.); R. v. Jones (1961), 130 C.C.C. 190 (C.A. Alb.); R. v. MacKay, [1949] O.W.N. 471 (H.C.)]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a accueilli un appel d’un jugement du juge O’Driscoll[2] qui rejetait un appel par voie d’exposé de cause formé contre une déclaration de culpabilité pour avoir conduit sans permis contrairement aux par. 238(3) du Code criminel. Pourvoi rejeté.

J. Douglas Ewart, pour l’appelante.

Leslie Morris, pour l’intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE ESTEY — L’intimé a été déclaré coupable en vertu du par. 238(3) du Code criminel du Canada d’avoir conduit une automobile dans un parc de stationnement en Ontario alors que son permis de conduire avait été suspendu par la province. La déclaration de culpabilité a été examinée par voie d’exposé de cause en cour des sessions hebdomadaires; le juge O’Driscoll, qui a maintenu la condamnation, a dit:

[Page 918]

[TRADUCTION]... un accusé qui, malgré la suspension ou l’annulation légale de son permis de conduire dans une province, conduit un véhicule à moteur au Canada, tombe sous le coup des dispositions du par. 238(3) du Code criminel du Canada.

La Cour d’appel a infirmé les jugements des tribunaux d’instance inférieure et annulé la déclaration de culpabilité pour les motifs exposés au nom de la Cour par le juge Zuber qui a notamment déclaré:

[TRADUCTION]... ce qui constitue l’infraction c’est la conduite d’un véhicule à moteur par une personne alors qu’elle est inhabile à conduire un tel véhicule ou que la conduite lui en est interdite, en raison de la suspension ou de l’annulation légale, dans une province, de son permis ou de sa licence. Cette description de l’infraction oblige à vérifier la nature et la portée des exigences relatives au permis de conduire dans la province. A mon avis, si une personne conduit un genre de véhicule pour lequel, ou en un lieu dans lequel, aucun permis n’est exigé, on ne peut dire qu’elle conduit ce véhicule alors qu’elle est inhabile à le conduire, ni que la conduite d’un tel véhicule lui est interdite, en raison de la suspension ou de l’annulation légale de son permis ou de sa licence.

Les faits sont énoncés dans l’exposé de cause formulé par le juge de la Cour provinciale:

[TRADUCTION] 1. Le 30 décembre 1975, une dénonciation a été déposée sous serment devant un juge de paix du district judiciaire de York; on y allègue qu’en contravention du par. 238(3) du Code criminel, Maroun Mansour a conduit un véhicule à moteur au Canada alors qu’il était inhabile à conduire un tel véhicule, ou que la conduite lui en était interdite, en raison de la suspension ou de l’annulation légale de son permis ou de sa licence concernant la conduite d’un véhicule à moteur.

2. Le 19 août et le 27 septembre 1976, l’accusation a dûment été entendue devant moi, en la présence de l’accusé; après avoir entendu la preuve et les arguments avancés par les avocats du ministère public et de l’accusé, j’ai, le 27 septembre 1976, conclu que Maroun Mansour était coupable de l’infraction alléguée et l’ai en conséquence déclaré coupable de cette infraction; mais, à la demande de son avocat, je formule et soumets à l’attention de cette honorable Cour l’exposé de cause suivant:

Sur une dénonciation présentée par l’avocat du ministère public et admise par l’avocat de l’accusé, j’ai conclu que Maroun Mansour avait conduit un véhicule à moteur le 30 décembre 1975, alors que son permis ou sa licence concernant la conduite d’un véhicule à moteur en Ontario était suspendu et qu’il

[Page 919]

avait été informé de cette suspension. J’ai conclu qu’en fait cette conduite avait entièrement eu lieu dans un terrain privé, en l’occurrence, un parc de stationnement qui est adjacent à un immeuble de rapport et auquel le public a accès.

Il faut d’abord trancher la question préliminaire, savoir si, en vertu du droit ontarien, il faut un permis pour conduire un véhicule à moteur dans le parc de stationnement en question. La description du parc contenue dans l’exposé de cause précité est quelque peu ambiguë: «un parc de stationnement qui est adjacent à un immeuble de rapport et auquel le public a accès». J’aborde la question de l’exigence du permis de conduire en donnant à ces mots l’interprétation la plus large possible, c.-à-d. en considérant qu’il s’agit d’un parc de stationnement auquel le public, notamment les locataires des appartements et leurs invités, a accès. Le paragraphe 13(1) de The Highway Traffic Act, R.S.O. 1970, chap. 202, dispose:

[TRADUCTION] 13. — (1) Nul ne doit conduire un véhicule à moteur dans une voie publique à moins que le véhicule ne soit d’une catégorie de véhicules à moteur pour laquelle le conducteur est titulaire d’un permis de conduire à lui délivré par le Ministre. [Les italiques sont de moi]

L’expression «voie publique» est définie comme suit à l’al. 1(1)11 de ladite Loi:

[TRADUCTION] 1(1)11. «voie publique» comprend les voies, rues, avenues, autoroutes, promenades, squares, places, ponts, viaducs ou ponts à chevalets communs et publics conçus et destinés à l’usage du public en général, ou utilisés par lui, pour le passage des véhicules;

Dans l’arrêt Gill et al. v. Elwood,[3] la Cour d’appel de l’Ontario s’est demandée si le parc de stationnement d’un centre commercial était couvert par la définition précitée de l’expression «voie publique». Concluant que le terrain en question n’entrait pas dans la définition de l’expression «voie publique», la cour a déclaré:

[TRADUCTION] Au contraire, à notre avis, et si l’on veut être réaliste, il faut considérer les lieux comme un tout et l’on s’aperçoit alors que le terrain est avant tout utilisé comme parc de stationnement dont les entrées, sorties et allées intérieures sont toutes tracées en fonction de l’usage principal du terrain, qui est le stationnement des véhicules.

[Page 920]

Après avoir cité la définition de «voie publique», la cour dit en outre, dans son jugement. Le juge Aylesworth, à la p. 60:

[TRADUCTION] Nous accordons beaucoup d’importance aux derniers mots de la définition «conçus et destinés à l’usage du public en général, ou utilisés par lui, pour le passage des véhicules». Nous estimons également que ces mots, pris dans leur contexte et compte tenu de l’effet cumulatif de l’ensemble des mots contenus dans la définition, ne permettent pas d’inclure le terrain dont il est question ici dans la définition de voie publique.

Il ne m’a pas échappé que la définition emploie l’expression extensive «comprend» plutôt que le mot «signifie». En appliquant cette définition aux faits de l’espèce, j’adopte l’exposé suivant contenu dans l’ouvrage Maxwell on Interpretation of Statutes, 12e éd., à la p. 270:

[TRADUCTION] Dans certains cas, on dit qu’un mot «signifie» ce que la définition dit qu’il signifie: dans ces cas, le mot a le sens restreint que lui donne la définition. Cependant, dans d’autres cas, on emploie l’expression «comprend» «afin d’étendre le sens des mots ou expressions contenus dans le corps du texte législatif; ces mots et expressions doivent alors être interprétés comme signifiant non seulement ce qu’ils signifient normalement, mais aussi ce que la disposition d’interprétation dit qu’ils comprennent». Autrement dit le mot dont on dit qu’il «comprend» quelque chose conserve, outre le sens élargi que lui donne ainsi sa définition dans la loi, «son sens ordinaire, courant et naturel, chaque fois qu’il se déduit normalement du contexte».

Dans Consumers’ Gas Co. v. Toronto[4], le juge en chef Robertson de la Cour d’appel de l’Ontario a déclaré au sujet de l’interprétation d’une disposition législative contenant l’expression «voie publique» à la p. 672:

[TRADUCTION] A mon avis, sauf si le contexte, l’interprétation ou une définition s’y opposent, l’expression «voie publique» signifie ordinairement une route ou un autre chemin public dans lequel tous peuvent circuler et comprend les rues publiques d’un quartier de même que les voies qui relient les quartiers urbains. Aucune autre expression plus couramment employée ne me vient à l’esprit pour comprendre toutes ces voies. Voir l’art. 453 de The Municipal Act.

[Page 921]

Je conclus que l’expression «voie publique», dans son sens ordinaire et courant, et comme l’indiquent les termes employés à l’al. 1(1)11 de la Loi, ne couvre pas la notion de parc de stationnement ni, plus précisément, un parc de stationnement adjacent à un immeuble de rapport, et il y a lieu de le présumer, destiné principalement au stationnement des automobiles des locataires.

Contrairement à celui de l’Ontario, les textes législatifs d’autres provinces, comme par exemple The Highway Traffic Act de 1’Alberta, 1975 S.A. chap. 56, ont défini l’expression «voie publique» comme suit:

[TRADUCTION] 1(12) «voie publique» signifie toute artère, rue, route,... ou autre place, publique ou privée, que le public a normalement le droit ou la permission d’utiliser pour le passage ou le stationnement des véhicules, et...

En revanche, la législature du Manitoba a retenu la définition suivante de l’expression «voie publique»:

[TRADUCTION]... toute place ou voie... que le public a normalement le droit ou la permission d’utiliser en totalité ou en partie pour le passage des véhicules... mais ne comprend pas un endroit conçu ou destiné, et principalement utilisé, à des fins de stationnement...

The Highway Traffic Act, S.M. 1966, chap. 29, par. 2(23).

Il semble donc manifeste que la «voie publique» à l’égard de laquelle il faut détenir un permis de conduire en Ontario ne s’entend pas d’un parc de stationnement «qui est adjacent à un immeuble de rapport, et auquel le public a accès». Avec égards, je conclus, comme la Cour d’appel, au rejet de l’argument du ministère public selon lequel, si cette interprétation était retenue, le dossier devrait être renvoyé à la Cour provinciale pour qu’elle juge si la conduite reprochée du véhicule à moteur a eu lieu dans une voie publique. En présumant que la description plutôt sommaire des lieux contenue dans l’exposé de cause est exacte et complète, une cour d’appel peut, après avoir décidé de l’interprétation qu’il convient de donner à la loi applicable, appliquer cette interprétation aux faits retenus en l’espèce.

J’en viens donc à la deuxième question, qui est la question fondamentale: le par. 238(3) du Code

[Page 922]

criminel du Canada s’applique-t-il aux faits retenus par le juge du procès et dans les conditions qui découlent de l’interprétation précédente de The Highway Traffic Act? Le paragraphe 238(3) du Code prévoit:

Quiconque conduit un véhicule à moteur au Canada alors qu’il est inhabile à conduire un tel véhicule, ou que la conduite d’un tel véhicule lui est interdite, en raison de la suspension ou annulation légale, dans une province, de son permis ou de sa licence ou de son droit d’obtenir un permis ou une licence concernant la conduite d’un véhicule à moteur dans ladite province, est coupable...

Il ne fait aucun doute que l’intimé

a) conduisait un véhicule à moteur

b) au Canada

c) alors que son permis de conduire avait été annulé par la province de l’Ontario.

L’expression «véhicule à moteur» au par. 238(3) est définie comme suit à l’art. 2 du Code criminel:

«véhicule à moteur» signifie un véhicule tiré, mû ou poussé par quelque moyen que ce soit, autre que la force musculaire, mais ne comprend pas un véhicule de chemin de fer fonctionnant sur des rails;

D’autre part, voici en quels termes la Loi ontarienne définit cette expression à l’al. 1(1)17.:

[TRADUCTION] «véhicule à moteur» comprend une automobile, un vélomoteur, un cyclomoteur sauf indication contraire dans la présente loi, et tout autre véhicule mû ou poussé autrement que par la force musculaire, mais ne comprend pas les wagons de trains électriques ou à vapeur, ni les autres véhicules à moteur fonctionnant sur des rails, ni les motoneiges, camions remorqueurs, tracteurs agricoles, ni le matériel automobile agricole ou de construction routière au sens de la présente loi.

On peut tout de suite se demander si un accusé ne détenant pas de permis de conduire provincial et conduisant un véhicule couvert par la définition du Code criminel mais exclu de la définition de la Loi ontarienne est coupable d’une infraction au Code. Selon cette hypothèse, l’accusé ne détient pas de permis parce que la loi provinciale ne l’y oblige pas pour le véhicule utilisé, comme, par exemple, un tracteur agricole. La question s’est posée clans R.

[Page 923]

v. McKenzie[5], et R. ex rel. Fisher v. Hindbull[6]. Dans les deux cas, l’accusé conduisait un tracteur dans une voie publique pendant que son permis de conduire provincial était suspendu. La loi provinciale excluait les tracteurs de la définition de véhicule à moteur. Dans chaque cas, les cours ont jugé qu’aucune infraction n’avait été commise.

L’arrêt R. v. Maclean[7] porte sur une question semblable; dans cette affaire, l’accusé avait conduit une automobile dans un aéroport fédéral alors que son permis de conduire provincial était suspendu. Même si le jugement est fondé sur d’autres motifs, le juge O’Hearn de la Cour de comté a néanmoins déclaré ceci au sujet de l’endroit où avait été commise l’infraction alléguée de conduite illégale d’un véhicule à moteur:

[TRADUCTION] En conséquence, une personne qui conduit un véhicule à moteur au Canada ne le fait pas, à mon avis, «alors qu’[elle] est inhabile à conduire un tel véhicule, ou que la conduite d’un tel véhicule lui est interdite, en raison de la suspension ou annulation légale, dans une province, de son permis ou de sa licence ou de son droit d’obtenir un permis ou une licence concernant la conduite d’un véhicule à moteur dans ladite province» à moins qu’elle ne conduise le véhicule à moteur en un endroit où le permis est obligatoire et qu’elle n’ait pas son permis en raison de sa suspension ou de son annulation. (pp. 90 et 91)

Cette conclusion est conforme à une jurisprudence antérieure: R. v. Spear Chief[8] et R. v. Irwin[9].

C’est l’expression «au Canada» employée dans la disposition pertinente du Code qui soulève la difficulté fondamentale en l’espèce. Si elle signifie en tout lieu du Canada sans égard aux exigences relatives aux permis de conduire dans la province dont il s’agit, l’intimé est alors coupable de l’infraction dont on l’accuse. Par contre, si la disposition du Code criminel est interprétée à la lumière des dispositions provinciales applicables régissant les voies publiques, l’accusé a alors droit à l’acquittement prononcé par la Cour d’appel. L’avocat du

[Page 924]

ministère public prétend que cette disposition du Code criminel devrait être interprétée dans le même sens que le par. 234(1) du Code criminel dont voici le texte:

234. (1) Quiconque, à un moment où sa capacité de conduire un véhicule à moteur est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, conduit un véhicule à moteur ou en a la garde ou le contrôle, que ce véhicule soit en mouvement ou non, est coupable d’un acte criminel ou d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, et passible...

Dans plusieurs cas, les cours ont jugé qu’il peut y avoir infraction quel que soit l’endroit où se trouve le véhicule à moteur si l’accusé «en a la garde ou le contrôle» à un moment où sa faculté de le conduire est affaiblie. Voir R. v. Mann[10]; R. v. Seminuk[11]; R. v. Jones[12]; R. v. MacKay[13]. A mon avis, cette jurisprudence n’éclaire pas beaucoup le problème que nous avons à résoudre pour plusieurs raisons. Le paragraphe 234(1) décrit l’infraction sans faire allusion aux lois provinciales ni aux exigences provinciales en matière de permis de conduire. Il suffit qu’une personne ait la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur selon la définition du Code, à un moment où sa capacité de conduire est affaiblie, également selon la définition du Code. Il suffit de tenir compte des dispositions du Code criminel pour établir la portée de l’infraction. Par contre, le par. 238(3) ne s’applique pas à moins qu’une province n’ait suspendu ou annulé le permis de conduire ou la licence de l’accusé.

En outre, l’acte que l’art. 234 érige en infraction constitue en lui-même un danger ou une menace. Cet aspect de l’article du Code a été analysé dans l’arrêt R. v. Jones, précité, où le juge en chef Ford de l’Alberta, a dit (aux pp. 192 et 193):

[TRADUCTION] On a prétendu que le Parlement ne pouvait avoir eu l’intention ni le but d’interdire au propriétaire, même s’il est gris ou en état d’ivresse, d’utiliser son véhicule à moteur sur son propre terrain; que toute autre interprétation de l’article mènerait à une absurdité; et qu’en conséquence l’article sous-entend les expressions «dans une voie publique» ou «dans un endroit public». On invoque à l’appui de cet argument un extrait

[Page 925]

de Maxwell on Interpretation of Statutes, 10e éd. (p. 229). Je ne le citerai pas ici étant donné qu’il est assez long et qu’il est reproduit dans le jugement du savant juge d’appel. Il pose en principe qu’on doit lire et interpréter une loi selon le sens ordinaire et grammatical de ses termes pris dans leur contexte et il expose ensuite les cas où l’on peut faire exception à cette règle. Mais il ne s’agit pas ici d’un cas d’exception. A mon avis, ni les difficultés, ni les absurdités suggérées, qui pourraient amener à s’écarter de ladite règle d’interprétation, ne sont réelles. Je reviendrai sur cette question, mais des absurdités comme celles que l’on suggère sont un moindre mal par rapport aux maux que le législateur voulait corriger et qui subsiteraient ou dont les auteurs demeureraient impunis si l’on restreignait la portée de cet article en l’interprétant comme s’il sous‑entendait ces expressions.

L’application de l’article s’étend à tout le Canada et il est bien connu qu’il existe dans tout le pays, surtout dans l’Ouest, plusieurs chemins, qui ne sont pas des voies publiques ni des endroits publics, que les automobilistes empruntent non seulement par affaires mais également dans un but récréatif ou pour faire des pique-niques, du tourismes, de la pêche ou de la chasse. Tous savent qu’on transporte et consomme souvent des boissons alcooliques lors de ces excursions. Un automobiliste enivré, ou dont les facultés son affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, qui circule sur ces chemins risque de se blesser ou de blesser quelqu’un d’autre ou de causer des dommages à des biens, y compris des animaux. Cela vaut également pour l’Est. Les cultivateurs et d’autres sont bien au courant des dommages ainsi causés. On peut difficilement imaginer que le Parlement, en édictant cet article, ne se rendait pas compte de ce qu’il ne limitait pas l’interdiction aux voies publiques et lieux publics mais visait à la rendre applicable partout à tous les conducteurs enivrés.

L’article 234 n’emploie pas l’expression «au Canada» mais, en définitive, la cour l’a appliqué à tout le territoire canadien.

L’un des buts évidents, sinon le principal, du par. 238(3) est de donner une portée nationale aux suspensions de permis de conduire provinciaux, c.-à-d. de donner une portée extra‑territoriale à la suspension provinciale. Ce but ne sera pas nécessairement compromis si, lorsqu’elle s’étend au-delà de la frontière provinciale, l’interdiction de conduire ne vise que les endroits où un permis de

[Page 926]

conduire est obligatoire dans la province où l’infraction a été commise.

Il se peut que l’article vise aussi à ajouter des sanctions criminelles à la pénalité provinciale pour violation de la suspension de permis de conduire. En optant pour l’application géographique limitée (c.-à-d. restreinte aux voies publiques), la province a décidé que l’intérêt de la collectivité n’exige pas le permis de conduire dans le reste de son territoire. Il n’est donc pas contraire à l’intérêt public de limiter la portée pénale de l’art. 238 à celle de l’infraction provinciale, c.-à-d. à la conduite d’un véhicule à moteur où le permis de conduire est obligatoire, la voie publique. En conséquence, cette interprétation de la portée extra‑territoriale de l’art. 238 ne compromet pas le second but possible de l’article.

Je conclus donc que le membre de phrase «alors qu’il est inhabile à conduire un tel véhicule, ou que la conduite d’un tel véhicule lui est interdite» a une importance capitale aux fins de l’analyse de la signification de cette disposition du Code. Au sens littéral, un accusé ne conduit pas un véhicule à moteur au Canada alors qu’il est inhabile à conduire en raison de la suspension de son permis s’il conduit en un endroit du pays où le permis n’est pas obligatoire. Cette interprétation littérale est particulièrement appropriée lorsque, comme en l’espèce, la conduite interdite selon l’allégation a lieu dans la province qui a délivré le permis car il est encore plus clair dans ce cas que l’accusé n’a pas «conduit un véhicule à moteur... alors que la conduite d’un tel véhicule lui était interdite...» Le résultat contraire n’est atteint que si l’on interprète l’article de manière qu’il vise la conduite d’un véhicule à moteur «n’importe où au Canada alors que [le conducteur] est inhabile à conduire un tel véhicule, ou que la conduite d’un tel véhicule lui est interdite partout au Canada, en raison de la suspension... légale... de son permis...»

Il s’agit, évidemment, de droit pénal et on ne doit pas l’interpréter ni l’appliquer dans un sens large de façon à l’étendre à des actes qui ne tombent pas sous le coup de l’article lorsqu’on lui donne l’interprétation littérale correcte. Ce principe est exposé de manière plus générale par les

[Page 927]

savants auteurs de l’ouvrage Maxwell on Interpretation of Statutes (12e éd) à la p. 246:

[TRADUCTION]... lorsque le sens d’un mot équivoque ou d’une phrase ambiguë soulève un doute raisonnable que les règles d’interprétation ne permettent pas de dissiper, il faut accorder le bénéfice du doute au citoyen et non à la législature qui n’a pas su s’exprimer clairement.

D’autres considérations influencent la solution de ce pourvoi. Une interprétation large du par. 238(3) aurait pour effet de retirer à la province le droit de restreindre l’application de la suspension d’un permis de conduire un véhicule à moteur aux parties de la province à l’égard desquelles la législature a déclaré, dans la loi provinciale, que le permis de conduire est obligatoire. En effet, une telle interprétation du Code criminel ajouterait des conséquences pénales à la conduite de véhicules non visés par la définition de véhicule à moteur dans la réglementation provinciale de la circulation routière et à la conduite dans des lieux où le permis de conduire n’est pas exigé par la législature.

Le pourvoi soulève plusieurs questions connexes que nous n’avons pas à trancher ici. Je pense, par exemple, aux questions supplémentaires qu’il faudrait examiner si la conduite reprochée avait lieu dans une autre province que celle qui a délivré et suspendu le permis de conduire de l’accusé. La reconnaissance réciproque des permis par les provinces (voir l’art. 15 de la Loi ontarienne) est courante et peut également soulever des questions qu’il n’est pas nécessaire de trancher ici. En l’espèce, le parties n’ont soulevé aucune question d’ordre constitutionnel. Les faits sur lesquels se fonde l’accusation ne soulèvent qu’un point, savoir l’effet de la conduite par l’accusé d’un véhicule à moteur en Ontario, alors que son permis de conduire avait été suspendu par la province, dans un lieu de la province où le permis de conduire n’est pas obligatoire en vertu du droit provincial.

Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens payables à l’intimé par l’appelante comme entre avocat et client conformément aux conditions de l’autorisation d’appel.

[Page 928]

Pourvoi rejeté avec dépens comme entre avocat et client conformément aux conditions de l’autorisation d’appel.

Procureurs de l’appelante: Ministère du procureur général de l’Ontario, Toronto.

Procureur de l’intimé: Robert J. Armstrong, Toronto.

[1] (1977), 36 C.C.C. (2d) 492.

[2] (1977), 35 C.C.C. (2d) 422.

[3] [1970] 2 O.R. 59.

[4] [1940] 4 D.L.R. 670 (C.A. Ont.).

[5] [1961] O.W.N. 344 (C.D.).

[6] (1961), 131 C.C.C. 81 (C.D. Alb.).

[7] (1974), 17 C.C.C. (2d) 84 (C.C.N.-É.).

[8] (1963), 42 C.R. 78 (C.D. Alb.).

[9] [1957] O.W.N. 506 (C.D.).

[10] [1968] 3 C.C.C. 122 (C.S.I.P.-E.).

[11] (1960), 128 C.C.C. 220 (C.S.C.-B.)

[12] (1961), 130 C.C.C. 190 (C.A. Alb.).

[13] [1949] O.W.N. 471 (H.C.).


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Mansour

Références :
Proposition de citation de la décision: R. c. Mansour, [1979] 2 R.C.S. 916 (14 juin 1979)


Origine de la décision
Date de la décision : 14/06/1979
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 916 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-06-14;.1979..2.r.c.s..916 ?
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