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24/04/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._212

Canada | Bell c. R., [1979] 2 R.C.S. 212 (24 avril 1979)


Cour suprême du Canada

Bell c. R., [1979] 2 R.C.S. 212

Date: 1979-04-24

Douglas Bell (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reime (Défendeur) Intimée.

1978: 31 octobre, 1er novembre; 1979: 24 avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Bell c. R., [1979] 2 R.C.S. 212

Date: 1979-04-24

Douglas Bell (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reime (Défendeur) Intimée.

1978: 31 octobre, 1er novembre; 1979: 24 avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 212 ?
Date de la décision : 24/04/1979
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Droit municipal - Planification - Règlement de zonage - Validité du zonage visant à limiter l’usage de terrains - Droit de la municipalité de réglementer non seulement l’usage de l’immeuble, mais aussi qui l’habite - Caractère raisonnable - Intention du législateur - The Planning Act, R.S.O. 1970, chap. 349, art. 35 - The Municipal Act, R.S.O. 1970, chap. 284, art. 241(2), 242.

Le règlement 7625, adopté par le conseil municipal de North York en vertu de l’art. 35 de The Planning Act, R.S.O. 1970, chap. 349, vise à établir les usages permis de divers terrains et zones résidentielles et limite en particulier l’usage de certaines zones résidentielles aux «logements, pavillons jumelés et pavillons à appartements jumelés», tels que le règlement les définit. «Logement» est défini comme une unité d’habitation indépendante destinée à l’usage d’une personne ou d’une seule famille. «Famille» est définie comme un groupe composé de deux personnes ou plus, vivant ensemble et liées par le sang, le mariage ou l’adoption légale, habitant un logement. L’appelant était locataire d’un pavillon jumelé, mais selon une entente avec deux autres personnes sans lien de parenté avec lui, il partageait avec elles les frais du ménage. Il a été déclaré coupable d’avoir violé le règlement. Sur appel interjeté par procès de novo, la condamnation a été annulée et un appel de cette décision, interjeté devant la Cour divisionnaire, a été rejeté au motif que des parties du règlement étaient déraisonnables et ultra vires de la municipalité. Sur appel subséquent, la Cour d’appel n’était pas d’accord. Décidant d’accueillir l’appel, elle a considéré que l’arrêt Polaic. City of Toronto, [1973] R.C.S. 38, s’appliquait directement et la liait.

Arrêt (les juges Martland et Ritchie étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Spence et Dickson: Les faits à l’origine de l’affaire Polai étaient différents en ce qu’une maison individuelle indépendante y avait été convertie, par d’importantes transformations de structure, en plusieurs logements indépendants locatifs.

[Page 213]

En l’espèce, l’appelant n’a fait aucune transformation de structure; il a simplement habité ce qui était et est resté un logement indépendant avec deux autres personnes qui participaient de quelque façon aux frais d’entretien du ménage. Le seul obstacle auquel il fait face réside dans la définition de «logement» comme «une unité d’habitation indépendante destinée à l’usage d’une personne ou d’une seule famille…» et la définition de «famille» comme «…un groupe composé de deux personnes ou plus, vivant ensemble et liées par le sang, le mariage ou l’adoption légale, habitant un logement…». Le pouvoir d’édicter le règlement vient du par. 35(1) de la Loi dont le sous-par. 1 autorise l’adoption de règlement «Pour interdire l’usage d’un terrain...», le sous-par. 2 «Pour interdire la construction ou l’usage de tout bâtiment…» et le sous-par. 4 permet de réglementer notamment la destination et l’usage des bâtiments. Bien que la doctrine du caractère déraisonnable, qui permet de déclarer invalide un règlement municipal, ait été considérablement limitée par les dispositions de The Municipal Act et vu les nombreuses injustices pouvant résulter de la définition de «famille», le règlement, qui a adopté le critère de la «famille», selon la définition, comme le seul usage permis d’un logement indépendant, est abusif et déraisonnable. Le législateur n’a pas eu l’intention de donner le pouvoir d’établir ces règles et le prétendu zonage établi en fonction des liens qui unissent les occupants d’un logement plutôt qu’en fonction de l’usage du bâtiment est ultra vires de la municipalité aux termes des dispositions de The Planning Act.

Les juges Martland et Ritchie, dissidents: Même si les motifs de jugement de cette Cour dans Polai ne font pas allusion à l’argument de l’avocat de l’appelante selon lequel la définition de «maison d’habitation individuelle» au règlement de zonage en question était ultra vires, cet argument, rejeté par la Cour d’appel, avait néanmoins été plaidé devant cette Cour. S’il avait été accepté, l’appelante aurait eu gain de cause. L’arrêt de cette Cour rejette donc implicitement cette thèse. Puisqu’on a décidé, dans Polai, que cette définition était intra vires, il faut conclure que les définitions en question ici le sont aussi. De plus, le par. 35(1) de The Planning Act habilite spécifiquement l’intimée à édicter les dispositions du règlement applicables ici. Comme l’intimée a expressément le pouvoir d’édicter le règlement et comme elle a agi de bonne foi, ce qui n’est pas mis en doute, un tribunal ne doit pas déclarer le règlement invalide simplement parce qu’il considère que certains effets de son application seraient déraisonnables.

[Jurisprudence: distinction faite avec l’arrêt Polai c. Corporation of the City of Toronto, [1973] R.C.S. 38,

[Page 214]

confirmant [1970] 1 O.R. 483; arrêts suivis: Re Howard v. City of Toronto (1927), 61 O.L.R. 563; Kruse v. Johnson, [1898] 2 Q.B. 91; Scott v. Pilliner, [1904] 2 K.B. 855; Mixnams Properties Ltd. v. Chertsey Urban District Council, [1964] 1 Q.B. 214.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a accueilli un appel d’un jugement de la Cour divisionnaire[2] selon lequel elle rejetait un appel d’un jugement sur procès de novo annulant une condamnation pour la violation alléguée d’un règlement de zonage municipal, le Règlement n° 7625 de la ville de North York. Pourvoi accueilli, les juges Martland et Ritchie étant dissidents; acquittement prononcé par le juge de la Cour de comté confirmé.

Barry B. Swadron, c.r., Gordon Fulton et Susan Himel, pour l’appelant.

John J. Robinette, c.r., et H. Ibsen, pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence et Dickson a été rendu par

LE JUGE SPENCE — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario, prononcé le 20 avril 1977, par lequel elle a accueilli un appel de la décision de la Cour divisionnaire de l’Ontario rendue le 3 décembre 1975 et rétabli la déclaration de culpabilité prononcée par un juge de paix le 15 février 1974.

L’appelant a été inculpé par une dénonciation rédigée comme suit:

[TRADUCTION] d’avoir, au cours des six mois se terminant le 13 juin 1973, dans une zone RM2, utilisé une partie d’un immeuble sis au 18, Rambler Place, dans la ville de North York, pour une destination autre que le logement d’une seule famille, EN L’OCCURRENCE pour des personnes sans lien de parenté.

EN CONTRAVENTION DE: l’article 17.1, modifié,

du Règlement n° 7625

de la ville de North

York.

[Page 215]

L’appelant a été déclaré coupable par un juge de paix le 15 février 1974 et il a interjeté appel de cette condamnation devant la Cour de comté. Dans un jugement daté du 25 avril 1975, M. le juge Hogg de la Cour de comté du district judiciaire de York a accueilli cet appel et annulé la condamnation. Le ministère public a interjeté appel devant la Cour divisionnaire de la Cour suprême de l’Ontario et, dans un jugement daté du 3 décembre 1975, le juge Estey, alors juge en chef de la Haute Cour, a rejeté cet appel. Le ministère public a porté l’affaire devant la Cour d’appel de l’Ontario et cette dernière a accueilli l’appel comme je l’ai déjà dit.

Voici le texte des dispositions pertinentes du règlement 7625:

[TRADUCTION]

art. 17.1 USAGES PERMIS

Logement, pavillon jumelé

Logement, pavillon à appartements jumelés

art. 2.32.6 «Logement, pavillon jumelé» signifie un

bâtiment divisé verticalement en deux

logements.

art. 2.32.7 «Logement» signifie une unité d’habitation

indépendante destinée à l’usage d’une personne ou

d’une seule famille et comprenant au moins une

pièce et une cuisine séparée de même que des

installations sanitaires séparées, avec une entrée

privée donnant sur l’extérieur ou sur un vestibule ou

un escalier communs à l’intérieur.

art. 2.36 «Famille» désigne un groupe composé de

deux personnes ou plus, vivant ensemble et liées par

le sang, le mariage ou l’adoption légale, habitant un

logement et comprend en outre

a) des invités et des employés de maison;

b) un propriétaire vivant seul, mais logeant deux

autres personnes sans lien de parenté;

c) au maximum trois enfants placés en foye

nourricier par une société d’aide à l’enfance

approuvée par le lieutenant gouverneur en conseil en

vertu de la Child Welfare Act, 1965.

[Page 216]

art. 2.9 «pension ou meublé» désigne un logement

où l’on fournit à titre onéreux l’hébergement, avec ou

sans repas, et ne comprend pas un hôtel, un hôpital,

un foyer pour enfants, une maison de repos, un foyer

pour vieillards ou tout autre établissement semblable.

Le conseil municipal de North York a apparemment adopté le règlement précité en vertu du par. 35(1) de The Planning Act, R.S.O. 1970, chap. 349, dont voici les dispositions pertinentes:

[TRADUCTION] 35. (1) Le conseil municipal peut faire des règlements:

1. Pour interdire l’usage d’un terrain sis dans la municipalité, dans une ou plusieurs zones déterminées ou attenant à une voie publique déterminée ou à une partie de celle‑ci, aux fins ou sauf aux fins précisées dans le règlement.

2. Pour interdire la construction ou l’usage de tout bâtiment dans la municipalité, dans une ou plusieurs zones déterminées ou sur un terrain attenant à une voie publique déterminée ou à une partie de celle-ci, aux fins ou sauf aux fins précisées dans le règlement.

4. Pour prescrire le coût ou le genre de construction et la hauteur, le volume, l’emplacement, les dimensions, la superficie, l’espacement, l’architecture, la destination et l’usage de tout bâtiment qui peut être érigé dans la municipalité, dans une ou plusieurs zones déterminées ou sur un terrain attenant à une voie publique déterminée ou à une partie de celle-ci, de même que la façade et la profondeur minimales de la parcelle de terrain et la proportion du terrain qui peut être occupée par un bâtiment.

Le juge Estey, alors juge en chef de la Haute Cour, qui a exposé les motifs de la Cour divisionnaire, et le juge MacKinnon, qui a exposé ceux de la Cour d’appel, ont tous deux estimé que le seul fondement du règlement était le par. 35(1) et qu’il n’était donc pas nécessaire d’analyser le pouvoir général de réglementation conféré par l’art. 242 de The Municipal Act, R.S.O. 1970, chap. 284, ni le par. 241(2) de cette loi qui interdit d’invalider un règlement adopté en vertu des pouvoirs conférés par The Municipal Act, au motif qu’il est déraisonnable.

[Page 217]

L’appelant Douglas Bell et deux personnes auxquelles il n’était pas lié par le sang, le mariage ou l’adoption cohabitaient dans un pavillon jumelé sis au 18, Rambler Place, dans la ville de North York. Du point de vue du propriétaire, l’appelant Douglas Bell était l’unique locataire; mais selon une entente avec ses amis, il partageait avec eux les frais du ménage. Il est évident que ces trois personnes ne se conformaient pas aux usages permis d’un «logement» prévus à l’art. 2.32.7 du règlement 7625 et que si l’interdiction en question doit s’appliquer à la lettre, la cohabitation de l’appelant Douglas Bell et de ses amis contrevient au règlement.

L’appelant a soutenu devant cette Cour et devant les tribunaux d’instance inférieure que l’interdiction contenue à l’art. 17.1 du règlement est, à la lumière des définitions de «logement, pavillon jumelé» à l’art. 2.32.6 et de «logement» à l’art. 2.32.7, déraisonnable et constitue de ce fait un exercice invalide du pouvoir conféré par le par. 35(1) de The Planning Act.

M. le juge Hogg a accepté cet argument et, après avoir étudié plusieurs arrêts, auxquels je m’arrêterai plus loin, qui adoptent le principe énoncé dans Kruse v. Johnson[3], Scott v. Pilliner[4], et repris dans Mixnam’s Properties Ltd. v. Chertsey Urban District Council[5], il a conclu:

[TRADUCTION] Je pense que la municipalité peut réglementer l’usage d’un logement mais non qui peut l’habiter. La collectivité n’a, à mon avis, aucun droit de regard sur la relation qu’entretiennent deux citoyens, sauf si elle porte atteinte aux droits d’autres citoyens. Je suis donc d’avis que le règlement en question est déraisonnable, qu’il est contraire aux principes généraux de notre droit et qu’il vise à rendre illégal ce qui autrement serait irrépréhensible.

En rejetant l’appel de l’acquittement de l’appelant prononcé par le juge de la Cour de comté, le juge Estey, alors juge en chef de la Haute Cour, a déclaré:

[TRADUCTION] L’application des principes énoncés dans la jurisprudence précitée m’amène à la conclusion que les parties du règlement invoquées à l’appui de la

[Page 218]

présente poursuite excèdent la compétence de la ville de North York et que l’appel doit être rejeté. Etant donné la nature des présentes procédures et conformément à la politique suivie par cette cour, il n’y aura aucune adjudication de dépens.

Toutefois, en Cour d’appel de l’Ontario, le juge MacKinnon (tel était alors son titre) a accueilli l’appel du ministère public pour deux motifs distincts: premièrement, les tribunaux ontariens sont liés par leur propre décision dans City of Toronto v. Polai[6] confirmée par cette Cour sous l’intitulé Polai c. The Corporation of the City of Toronto[7] et, deuxièmement, les articles du règlement contesté ne sont ni injustes ni discriminatoires, au sens juridique de ces termes, au point d’être déraisonnables et exorbitants de la compétence législative de la municipalité, et ne sont donc pas ultra vires.

Je vais d’abord examiner les décisions des tribunaux ontariens, confirmées par cette Cour, dans l’affaire Polai.

L’appelante, Mme Polai, avait acheté une maison située dans le quartier de College Heights à Toronto, quartier régi par un règlement de zonage qui, sans être tout à fait identique au règlement à l’étude en l’espèce, lui est comparable. Or, sans obtenir de permis de construction, l’appelante avait effectué des transformations de structure pour diviser la propriété en plusieurs logements indépendants. Poursuivie pour contravention au règlement de zonage, elle fut déclarée coupable et condamnée à une amende, mais elle continua à utiliser et à louer les locaux comme logements indépendants. La ville de Toronto présenta une requête en injonction en vertu de l’art. 486 de The Municipal Act, dont voici le texte:

[TRADUCTION] 486. Lorsqu’il y a infraction à un règlement d’une municipalité ou d’un office local d’une municipalité, adopté sous le régime de la présente loi ou d’une autre loi générale ou spéciale, en plus de tout autre recours et de toute autre peine imposée par le règlement, l’infraction peut être prohibée au moyen d’une action en justice intentée par un contribuable, par la corporation ou par l’office local.

Refusée par le juge Haines, l’injonction a été accordée en Cour d’appel et cet arrêt a été con-

[Page 219]

firme par cette Cour. En défense à la demande d’injonction, Mme Polai a notamment plaidé:

[TRADUCTION] 5. Subsidiairement, la défenderesse soutient que la définition de «maison d’habitation individuelle» à l’al. 46b) de l’article 2 du règlement 20623 est exorbitante des pouvoirs de la demanderesse.

Le juge Haines n’a pas accepté ce moyen de défense à la demande d’injonction et, en Cour d’appel, le juge Schroeder a déclaré:

[TRADUCTION] Je suis entièrement d’accord avec la façon dont le juge de première instance a disposé de ces moyens de défense et j’estime qu’il n’est pas nécessaire de rediscuter ou d’approfondir les points soulevés.

Lorsque l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario est venu devant cette Cour, l’appelante précisait au paragraphe 32 de son factum:

[TRADUCTION] La définition de «maison d’habitation individuelle» au règlement de zonage n° 20623 est exorbitante des pouvoirs de la demanderesse. La municipalité outrepasse les pouvoirs que lui confère The Planning Act lorsqu’elle s’écarte du critère de l’usage et impose une restriction quant aux personnes qui peuvent habiter la propriété. La définition de «maison d’habitation individuelle» contenue au règlement exclut littéralement les personnes qui, par exemple, vivent en concubinage.

Je siégeais à l’audition du pourvoi devant cette Cour et la plaidoirie a principalement porté sur l’application discriminatoire des dispositions du règlement de la ville de Toronto. On prétendait en effet que cette dernière conservait une liste secrète de contrevenants possibles au règlement que le conseil avait décidé de ne pas poursuivre, et que la demande d’injonction présentée dans l’affaire Polai en application du règlement devait en conséquence être refusée. C’est le juge Judson qui a exposé les motifs de jugement de cette Cour et il ressort de ses motifs qu’il a uniquement considéré ce moyen. Je suis donc d’avis que même si la Cour d’appel de l’Ontario était liée par l’arrêt Polai sur la question du caractère ultra vires des dispositions du règlement, par opposition au caractère discriminatoire de leur application, cette Cour ne l’est

[Page 220]

aucunement.

J’estime cependant que les faits à l’origine de l’affaire Polai rendent cet arrêt inapplicable en l’espèce. Comme je l’ai souligné, ce qui s’est produit dans cette affaire-là est très différent. Il s’agissait d’une maison individuelle indépendante qui avait été très longtemps habitée par une seule famille et que Mme Polai avait convertie, par suite de transformations de structure au coût de $20,000, en plusieurs logements indépendants qu’elle louait à différents locataires, à des fins lucratives.

En l’espèce, l’appelant n’a absolument fait aucune transformation de structure. Quand il a emménagé dans l’immeuble en question, celui-ci y contenait un logement indépendant qu’il contient toujours avec les mêmes commodités qu’avant. Tout ce qu’a fait l’appelant c’est l’habiter avec deux autres personnes qui participaient de quelque façon aux frais d’entretien du ménage. Le seul obstacle auquel il fait face réside dans l’art. 2.32.7 du règlement 7625 qui définit l’expression «logement» comme «une unité d’habitation indépendante destinée à l’usage d’une personne ou d’une seule famille…» et dans l’art. 2.36 qui définit le mot «famille» comme «…un groupe composé de deux personnes ou plus, vivant ensemble et liées par le sang, le mariage ou l’adoption légale, habitant un logement…».

Comme je l’ai déjà indiqué, le pouvoir d’édicter ce règlement vient du par. 35(1) de The Planning Act dont le sous-par. 1 autorise l’adoption de règlements interdisant l’usage d’un terrain, le sous-par. 2, la construction ou l’usage de bâtiments et le sous-par. 4 permet notamment de réglementer la destination et l’usage des bâtiments.

Je partage entièrement l’opinion de M. le juge Hogg qu’en restreignant l’usage d’un logement à la «famille» et en définissant ensuite la «famille» par référence à des liens créés par le sang, le mariage et l’adoption, le règlement en question ne réglemente pas l’usage d’un bâtiment mais détermine plutôt qui peut l’habiter. Le juge Estey, alors juge en chef de la haute Cour, dans ses motifs exposés

[Page 221]

au nom de la Cour divisionnaire, et le juge Brooke, en Cour d’appel de l’Ontario, en sont venus à la même conclusion, bien que ce dernier ait estimé cette cour-là liée par l’arrêt Polai, opinion qu’avec égards, je ne partage pas. Il a néanmoins déclaré:

[TRADUCTION] Je ne pense pas que des limitations fondées sur des caractéristiques ou qualités individuelles de ce genre soient considérées ici comme un fondement approprié pour réglementer soit la densité de la population, soit les éléments pertinents à l’usage d’un terrain ou à son zonage. Cette thèse ne peut se fonder que sur l’arrêt City of Toronto v. Polai selon lequel les municipalités sont autorisées à assurer le maintien de quartiers résidentiels en exigeant qu’ils soient habités par des personnes ayant des liens de parenté (par opposition à des étrangers). Cette méthode de zonage par habitants autorisés n’est pas permise par The Planning Act.

Devant les quatre instances judiciaires, on a plaidé l’effet néfaste de pareille disposition restrictive quant à l’occupation d’un logement. Le juge Estey, alors juge en chef de la Haute Cour, l’a exposé clairement dans ses motifs:

[TRADUCTION] Les deux avocats ont reconnu devant la cour que cette disposition du règlement a pour effet d’empêcher deux personnes adultes non liées par le sang ou le mariage de partager un logement loué, qu’il s’agisse ou non d’un appartement. Par exemple, des étudiants fréquentant l’université à North York ne pourraient partager un appartement ni à l’intérieur ni à l’extérieur de l’université, Il existe d’innombrables exemples qui nous mènent tous à la conclusion inexorable qu’il y a des conséquences que le législateur municipal ne pouvait raisonnablement pas avoir à l’esprit et que le législateur provincial n’avait certainement pas envisagées lorsqu’il a édicté l’art. 35 de The Planning Act. Pour qu’une loi entraîne de telles conséquences, son texte doit être le plus clair possible.

La Cour d’appel de l’Ontario a considéré que cette circonstance était sans grande importance; elle a déclaré:

[TRADUCTION] Le règlement ne «vise» pas les couples non mariés ni les veuves âgées ni aucune autre personne en particulier ni, en fait, la moralité de qui que ce soit. Comme on l’a déjà dit à propos d’autre chose, les effets de la législation ne sont pas la même chose que son objet.

[Page 222]

Je partage l’opinion suivante, si habilement exprimée par le juge Masten dans l’arrêt de la Cour d’appel, Re Howard v. City of Toronto[8], à la p. 575:

[TRADUCTION] C’est au conseil municipal qu’il revient de déterminer si une question relève de l’intérêt public; sa décision, si elle est prise de bonne foi et dans le cadre de ses pouvoirs, n’est pas susceptible de révision par la cour…

La détermination des avantages et des inconvénients relatifs d’un règlement pour différentes personnes est une question que le législateur a confiée au conseil municipal. Son jugement sur ce point, s’il l’exerce de bonne foi dans ce qu’il estime être l’intérêt public, ne sera pas modifié par la cour: In re Inglis and City of Toronto, 9 O.L.R. 562, le juge Anglin à la p. 568; Re Mills and City of Hamilton (1907), 9 O.W.R. 731.

Je suis également conscient de ce que la doctrine du caractère déraisonnable qui permet de déclarer invalide un règlement municipal en vertu des dispositions de The Municipal Act, a récemment été considérablement limitée; je ferai cependant remarquer que même limitée, la doctrine subsiste et que dans l’arrêt Kruse v. Johnson, précité, lord Russell, parlant au nom d’une forte majorité de la Cour divisionnaire, a dit, après avoir déclaré valide le règlement à l’étude dans cette affaire, (aux pp. 99 et 100):

[TRADUCTION] Je ne veux pas dire qu’il ne peut y avoir de cas où la cour aurait le devoir d’invalider des règlements, faits en vertu du même pouvoir que ceux-ci l’ont été, en se fondant sur leur caractère déraisonnable. Mais déraisonnable en quel sens? On peut penser, par exemple, à des règlements partiaux et d’application différente pour des catégories distinctes, à des règlements manifestement injustes, à des règlements empreints de mauvaise foi, à des règlements entraînant une immixtion abusive ou gratuite dans les droits des personnes qui y sont assujetties, au point d’être injustifiables aux yeux d’un homme raisonnable; la cour pourrait alors dire «le Parlement n’a jamais eu l’intention de donner le pouvoir d’établir ces règles; elles sont déraisonnables et ultra vires». C’est en ce sens et uniquement en ce sens qu’il faut, à mon avis, considérer la question du caractère déraisonnable.

[Page 223]

Vu les nombreuses injustices pouvant résulter de la définition de «famille», je pense qu’en retenant le critère de la «famille» pour définir les seuls occupants autorisés d’un logement indépendant, le règlement constitue précisément un cas, pour reprendre les mots de lord Russell, «d’immixtion abusive ou gratuite dans les droits des personnes qui y sont assujetties, au point d’être injustifiable aux yeux d’un homme raisonnable». Donc, comme le dit lord Russell, le législateur n’a jamais eu l’intention de donner le pouvoir d’établir ces règles et le zonage établi en fonction des liens qui unissent les occupants d’un logement plutôt qu’en fonction de l’usage du bâtiment est ultra vires de la municipalité aux termes des dispositions de The Planning Act.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario et de confirmer l’acquittement prononcé par le juge de la Cour de comté.

La question de l’adjudication des dépens me préoccupe un peu. Il s’agit en l’espèce d’un pourvoi relatif à une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, entendu en vertu de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême, et je suis d’avis que cette Cour a compétence pour adjuger les dépens. Le juge de la Cour de comté qui a prononcé l’acquittement n’en a même pas parlé. Quant à la Cour divisionnaire, elle a déclaré [TRADUCTION] «étant donné la nature des présentes procédures, et conformément à la politique suivie par cette cour, il n’y aura aucune adjudication de dépens». Pour sa part, la Cour d’appel a simplement indiqué que [TRADUCTION] «il n’y aura aucune adjudication de dépens» et c’est non sans certaines réticences que je fais de même.

Le jugement des juges Martland et Ritchie a été rendu par

LE JUGE MARTLAND (dissident) — Je souscris aux motifs de jugement du juge MacKinnon de la Cour d’appel.

En ce qui concerne l’arrêt de cette Cour, Polai c. The Corporation of the City of Toronto[9], même

[Page 224]

si les motifs de jugement de cette Cour ne font effectivement pas allusion à l’argument de l’avocat de l’appelante selon lequel la définition de [TRADUCTION] «maison d’habitation individuelle» au règlement de zonage n° 20623 était exorbitante des pouvoirs de la municipalité, cet argument, rejeté par la Cour d’appel, avait néanmoins été plaidé devant cette Cour. S’il avait été accepté, l’appelante aurait eu gain de cause. L’arrêt de cette Cour rejette donc implicitement cette thèse. La définition de «maison d’habitation individuelle» dans le règlement de zonage alors en cause ressemble beaucoup à l’effet combiné de la définition de [TRADUCTION] «logement» et de [TRADUCTION] «famille» dans le règlement de zonage en litige ici.

La définition de «maison d’habitation individuelle» dans le règlement étudié dans Polai se lit comme suit:

[TRADUCTION] une maison d’habitation occupée, ou susceptible de l’être, par une personne ou par deux ou plusieurs personnes liées par le sang, le mariage ou l’adoption légale, avec ou sans employés de maison à plein temps.

La définition de «logement» et de «famille» dans le règlement examiné ici est la suivante:

[TRADUCTION] «Logement» signifie

une unité d’habitation indépendante destinée à l’usage d’une personne ou d’une seule famille et comprenant au moins une pièce et une cuisine séparée de même que des installations sanitaires séparées avec une entrée privée donnant sur l’extérieur ou sur un vestibule ou un escalier communs à l’intérieur.

«Famille» désigne un groupe composé de deux personnes ou plus, vivant ensemble et liées par le sang, le mariage ou l’adoption légale, habitant un logement et comprend en outre

a) des invités et des employés de maison;

b) un propriétaire vivant seul, mais logeant deux autres personnes sans lien de parenté;

c) au maximum trois enfants placés en foyer nourricier par une société d’aide à l’enfance approuvée par le lieutenant gouverneur en conseil en vertu de la Child Welfare Act, 1965.

Puisqu’on a décidé, dans Polai, que la municipalité avait le pouvoir d’adopter la définition de «maison d’habitation individuelle», il faut conclure

[Page 225]

ici que l’intimée en l’espèce avait le pouvoir de promulguer les définitions litigieuses.

Je suis également d’accord avec le juge MacKinnon de la Cour d’appel que le par. 35(1) de The Planning Act habilite spécifiquement l’intimée à édicter les dispositions du règlement 7625 applicable en l’espèce.

Comme, à mon avis, l’intimée avait expressément le pouvoir d’édicter le règlement et comme elle a agi de bonne foi, ce qui n’est pas mis en doute, j’estime qu’un tribunal ne doit pas déclarer le règlement invalide simplement parce qu’il considère que certains effets de son application seraient déraisonnables. Le juge MacKinnon cite un extrait du jugement du juge Masten de la Cour d’appel dans Re Howard and City of Toronto[10], à la p. 575, qui résume les principes applicables en l’espèce:

[TRADUCTION] C’est au conseil municipal qu’il revient de déterminer si une question relève de l’intérêt public; sa décision, si elle est prise de bonne foi et dans le cadre de ses pouvoirs, n’est pas susceptible de révision par la cour:…

La détermination des avantages et des inconvénients relatifs d’un règlement pour différentes personnes est une question que le législateur a confiée au conseil municipal. Son jugement sur ce point, s’il l’exerce de bonne foi dans ce qu’il estime être l’intérêt public, ne sera pas modifié par la cour:…

L’opinion du juge en chef Meredith dans Leitch v. Strathroy[11] à la p. 669 va dans le même sens. Voici ce qu’il a écrit:

[TRADUCTION] J’ai examiné si les moyens pris par le conseil étaient raisonnables, et j’ai conclu qu’ils l’étaient. Mais je tiens à souligner énergiquement que la cour n’est pas compétente pour réviser la décision d’un conseil municipal lorsqu’elle est prise de bonne foi et qu’elle entre dans le cadre de ses pouvoirs. Ceci étant acquis, c’est au conseil, et non à la cour, qu’il revient de déterminer si la mesure qu’il adopte est raisonnable.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, sans dépens.

Pourvoi accueilli sans adjudication de dépens, les juges MARTLAND et RITCHIE étant dissidents.

Procureur de l’appelant: Barry B. Swadron, Toronto.

Procureur de l’intimée: C.E. Onley, Toronto.

[1] (1977), 15 O.R. (2d) 425.

[2] (1976), 12 O.R. (2d) 487.

[3] [1898] 2 Q.B. 91.

[4] [1904] 2 K.B. 855.

[5] [1964] 1 Q.B. 214.

[6] [1970] 1 O.R. 483.

[7] [1973] R.C.S. 38.

[8] (1927), 61 O.L.R. 563.

[9] [1973] R.C.S. 38.

[10] (1927), 61 O.L.R. 563.

[11] (1923), 53 O.L.R. 665.


Parties
Demandeurs : Bell
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Bell c. R., [1979] 2 R.C.S. 212 (24 avril 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-04-24;.1979..2.r.c.s..212 ?
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