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20/03/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._311

Canada | McLoughlin c. Kutasy, [1979] 2 R.C.S. 311 (20 mars 1979)


Cour suprême du Canada

McLoughlin c. Kutasy, [1979] 2 R.C.S. 311

Date: 1979-03-20

Tom McLoughlin (Demandeur) Appelant;

et

Dr William Kutasy (Défendeur) Intimé.

1978: 8, 9 novembre; 1979: 20 mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

McLoughlin c. Kutasy, [1979] 2 R.C.S. 311

Date: 1979-03-20

Tom McLoughlin (Demandeur) Appelant;

et

Dr William Kutasy (Défendeur) Intimé.

1978: 8, 9 novembre; 1979: 20 mars.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 311 ?
Date de la décision : 20/03/1979
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Diffamation - Action en diffamation - Verdict favorable a l’appelant en première instance infirmé en Cour d’appel - Immunité-relative - Commentaire loyal - Terminologie employée par le médecin d’entreprise dans son rapport au ministère du gouvernement-Réponses du jury - Motifs de rejet des conclusions du jury- Caractère déraisonnable des réponses du jury.

L’intimé est un médecin dont les services ont été retenus à titre de «médecin d’entreprise» par une compagnie de construction générale qui recrutait des employés pour travailler dans l’air comprimé. Au mois d’avril 1972, l’appelant a sollicité ce genre d’emploi auprès de la compagnie. Avant d’être acceptés pour ce genre de travail, les candidats devaient être examinés par le «médecin d’entreprise» qui devait soumettre un rapport au ministère du Travail, Division de la sécurité dans la construction. Trois autres candidats ont postulé et ont été acceptés après examen médical par l’intimé, mais l’appelant a été refusé après une brève entrevue avec le médecin. en raison d’une personnalité psychopathique (épisode de simulation d’aéroembolisme) — avec force détails vers le 19 novembre 1971. Cette homme serait dangereux et ce genre de comportement compromettrait la sécurité de travaux effectués.» Les circonstances de l’affaire de simulation sont qu’en 1967, l’appelant avait souffert d’aéroembolisme, communément appelé «maladie des caissons». En novembre 1971, alors qu’il était en prison et qu’il ne pouvait bénéficier de la libération sous cautionnement, il s’est plaint qu’il souffrait de la «maladie des caissons» et il fut transféré à l’hôpital. On appela le Dr Kutasy en raison de son expérience dans ce domaine. Cependant, le médecin n’a pas vu l’appelant qui, ayant complètement forgé sa plainte, quitta l’hôpital avant son arrivée. L’appelant s’appuie aussi sur cet incident pour prétendre que le médecin avait des préjugés à son égard et que c’est par malice qu’il a préparé ce rapport.

Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Spence et Dickson étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

[Page 312]

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz, Estey et Pratte: L’allégation que les documents incriminés contiennent un commentaire loyal et des déclarations véridiques n’est pas une défense de commentaire loyal au sens reconnu de cette expression. Un élément essentiel de cette défense est que le commentaire ait été fait sur une question d’intérêt public et, dans cette optique, on fait normalement cette défense en déclarant que les mots étaient un commentaire loyal fait de bonne foi et sans malice sur une question d’intérêt public. Ici le commentaire a été fait par l’intimé dans l’exécution de fonctions en sa qualité de «médecin d’entreprise». Bien que la défense de commentaire loyal ne s’applique pas, l’allégation que les documents ont été écrits alors qu’il jouissait d’une immunité relative repose sur une base tout à fait différente. L’intimé a rédigé le rapport pour un ministère du gouvernement, il l’a donc écrit dans des circonstances d’immunité relative. Le juge du procès est parvenu à cette conclusion qui n’a pas été constestée. Ainsi, les déclarations ne donnent matière à procès que s’il est établi qu’il y a eu malice. L’essentiel de la prétendue diffamation était que l’appelant a été éliminé «en raison de sa personnalité psychopathique»; le jury a conclu que cette déclaration en était une de fait et que c’était «vrai selon la preuve». Tout en admettant le caractère d’inviolabilité qui s’attache aux conclusions du jury, il est déraisonnable de supposer que, suite à l’épisode de simulation, le médecin aurait agi par malice en donnant une opinion professionnelle quelques mois plus tard. En outre, l’emploi du mot serait dans l’expression «serait dangereux» plutôt que du mot pourrait ne suffit pas pour fonder la responsabilité. Lorsqu’il y a immunité relative, la personne qui utilise les mots incriminés sera protégée même si elle s’exprime dans des termes excessifs si, dans les circonstances, elle peut avoir cru honnêtement et pour des motifs raisonnables que les mots qu’elle a écrits ou prononcés étaient vrais.

Le juge en chef Laskin et les juges Spence et Dickson, dissidents: Il s’agit ici d’un pourvoi dans une action pour diffamation entendue par un jury qui a rendu un verdict favorable à l’appelant. En Ontario, toutes les actions de ce genre doivent se dérouler devant jury sauf si les parties consentent à agir autrement. De plus, les art. 66 et 67 de The Judicature Act, R.S.O. 1970, chap. 228, qui prévoient que le juge peut exiger que le jury réponde à des questions spéciales, sont expressément inapplicables aux actions pour diffamation écrite. Le jury a très clairement conclu que la malice avait été prouvée et a dit en quoi elle consistait. Les cours d’appel doivent, d’une façon générale, donner effet aux conclusions d’un jury lorsqu’elles s’appuient sur la preuve. La Cour d’appel a erré dans son interprétation des réponses du jury qui doivent être interprétées dans leur ensemble, en

[Page 313]

tenant compte de toutes leurs parties. Lorsque l’on interprète ainsi les réponses du jury, elles démontrent qu’il y a eu diffamation dans des circonstances d’immunité relative et, ensuite, qu’il y a eu malice de façon à annihiler cette immunité. Puisque la preuve permettait aux jurés de tirer cette conclusion, on ne peut modifier leur verdict.

[Jurisprudence: arrêts suivis: Adam v. Ward, [1917] A.C. 309; Netupsky c. Craig, [1973] R.C.S. 55.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a accueilli un appel d’un jugement du juge Osler, siégeant avec jury, et rejeté une action pour diffamation à l’égard de laquelle le jury avait accordé $2,600. Pourvoi rejeté, le juge en chef Laskin et les juges Spence et Dickson étant dissidents.

Boris G. Freesman, c.r., et M. Ben-Dat, pour l’appelant.

Burton Tait, pour l’intimé.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence et Dickson a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement prononcés par mon collègue le juge Ritchie. Il n’est donc pas nécessaire que je reprenne le résumé des faits qu’on y trouve et je ne mentionnerai que les faits pertinents aux présents motifs. Ma conclusion sera toutefois différente de celle de mon collègue le juge Ritchie.

Il faut se souvenir qu’il s’agit d’un pourvoi dans une action pour diffamation, entendue par un jury qui a rendu un verdict favorable à l’appelant. En Ontario, d’où origine le pourvoi, les actions en dommages-intérêts pour diffamation doivent se dérouler devant jury sauf consentement des parties: The Judicature Act, R.S.O. 1970, chap. 228, art. 59. De plus, The Libel and Slander Act de l’Ontario, R.S.O. 1970, chap. 2-3, prévoit à l’art. 15:

[TRADUCTION] Dans une action pour diffamation écrite, le jury peut rendre un verdict général sur l’ensemble du litige…

et les art. 66 et 67 de The Judicature Act, qui prévoient que le juge peut exiger que le jury réponde à des questions spéciales, sont expressément inapplicables aux actions pour diffamation écrite.

[Page 314]

C’est un principe bien reconnu en droit que le verdict du jury doit être considéré avec respect et qu’il faut lui donner toute son importance et son effet sauf dans les circonstances les plus inhabituelles. Il suffit, à cette fin, de citer l’arrêt McCannell c. McLean[1], où le juge en chef Duff dit, à la p. 343:

[TRADUCTION] Dans plusieurs jugements, cette Cour a établi le principe selon lequel il n’y a pas lieu d’écarter le verdict d’un jury qui va à l’encontre du poids de la preuve à moins qu’il ne soit nettement déraisonnable et injuste au point de convaincre la Cour qu’aucun jury examinant la preuve dans son ensemble et exerçant des pouvoirs judiciaires n’aurait pu rendre ce verdict. A ma connaissance, c’est le principe que cette Cour applique depuis au moins trente ans et il a été énoncé de diverses façons dans les arrêts publiés et non publiés.

Je suis également d’accord avec l’opinion exprimée par le juge Nesbitt dans Jamieson c. Harris[2], à la p. 631:

[TRADUCTION] On doit donner effet autant que faire se peut aux réponses d’un jury aux questions et, s’il est possible d’y donner suite par quelque interprétation raisonnable, on doit le faire.

Et le juge Wells, tel était alors son titre, a clairement exprimé la même opinion dans Usher v. Smith[3], à la p. 527, lorsqu’il a dit:

[TRADUCTION] Les jurés sont des profanes qui n’ont pas l’habitude d’énoncer les choses avec la particularité et la clarté dont font preuve les initiés et, si je ne me trompe, la Cour doit, d’une façon générale, donner effet à leurs conclusions lorsqu’elles s’appuient sur la preuve…

De plus, je suis d’avis qu’il faut suivre à la lettre cette ligne de conduite lorsque l’on considère les réponses données par le jury dans une action en diffamation écrite, puisque la législature a exigé que ces actions soient entendues par un jury et que le jury peut, à sa seule discrétion, refuser de répondre à des questions précises et donner une réponse générale. On doit déployer tous les efforts possibles pour comprendre les réponses du jury et leur donner une interprétation raisonnable en se rappelant que les jurés «sont des profanes qui n’ont pas l’habitude d’énoncer les choses avec la particularité et la clarté dont font preuve les initiés». En

[Page 315]

gardant à l’esprit ce principe, j’examinerai les réponses du jury aux questions 3, 4, 5, 9 et 10. Bien sûr, puisque les circonstances entourant la divulgation de la diffamation alléguée donnent manifestement ouverture à la défense d’immunité relative et puisque le jury a conclu que les mots employés étaient diffamatoires, la question est de savoir si le demandeur a prouvé la malice de manière à annihiler cette immunité. Les questions 9 et 10 traitent de la malice et voici les réponses du jury:

[TRADUCTION] Q. Êtes-vous d’avis que le défendeur a agi par malice en divulguant le rapport du 20 avril 1972?

R. Oui.

Q. En quoi consiste cette malice?

R. Il cherchait une raison pour éliminer M. McLoughlin suite à l’incident survenu à l’hôpital de Toronto. Il devait être soumis à un examen plus complet. Un véritable diagnostic n’aurait pas pu être établi en si peu de temps.

Ainsi, le jury, dans les termes les plus clairs, a conclu que le demandeur avait prouvé la malice et a dit en quoi elle consistait.

En exposant les motifs pour la Cour d’appel de l’Ontario, le juge Zuber a fermement rejeté la prétention actuelle de l’intimé qu’il n’y avait aucune preuve de malice et que le savant juge du procès n’aurait pas dû permettre que l’affaire soit soumise au jury, disant:

[TRADUCTION] Cette prétention n’est pas fondée à mon avis. Il y a des éléments de preuve que le diagnostic portant que le demandeur souffrait de personnalité psychopathique est non seulement faux mais est aussi présenté de façon irresponsable ou négligente. Cette preuve que le jury aurait pu accepter, aurait été suffisante pour appuyer une conclusion de malice.

Le juge Zuber a décidé d’accueillir l’appel du défendeur (l’intimé en l’espèce) parce que la prétention suivant laquelle le diagnostic établissant que le demandeur (l’appelant en l’espèce) souffrait de «personnalité psychopathique» était faux, avait été rejetée par le jury et ce rejet du [TRADUCTION] «point capital de la cause du demandeur annihilait toute preuve de malice». Il m’est très difficile de comprendre comment le savant juge d’appel peut, sur la même page, déclarer qu’il y avait de la preuve permettant au jury de conclure à

[Page 316]

la malice et, ensuite, qu’il n’y en avait pas. Il faut résoudre la question en examinant les réponses du jury aux questions 3, 4 et 5 que voici:

[TRADUCTION] 3. Q. Relativement au rapport du 20 avril 1972, les mots incriminés sont-ils des déclarations de fait ou des expressions d’opinion, ou partiellement l’un et l’autre et, s’ils contiennent des déclarations de fait, précisez lesquelles.

R. Fait — personnalité psychopathique (histoire de simulation d’aéroembolisme) avec force détails en novembre 1972, vrai selon la preuve.

Opinion — Cet homme serait dangereux et ce genre de comportement compromettrait la sécurité de travaux effectués dans l’air comprimé, non seulement à son égard, mais pour tous ceux qui y participent. Il ne comprend pas les responsabilités que comporte un emploi spécialisé comme doit le comprendre un ouvrier qui travaille dans l’air comprimé.

4. Q. Dans la mesure où vous concluez qu’il s’agit de déclarations de fait, ces déclarations de fait sont-elles vraies?

R. Oui. M. McLoughlin a confirmé l’incident survenu à l’hôpital.

5. Q. Dans la mesure où vous concluez qu’il s’agit d’expressions d’opinion, ces expressions d’opinion dépassent-elles les limites du commentaire loyal?

R. Oui. Diagnostic établi à la hâte. Aucun antécédent. Supposition qu’il serait dangereux. Commentaire exagéré dans le rapport.

Il est tout à fait évident que le juge Zuber a interprété la réponse du jury à la question 4 comme une conclusion que le jury estimait exacts tous les faits qu’il avait décrits à la question 3, savoir,

[TRADUCTION] Fait — personnalité psychopathique (histoire de simulation d’aéroembolisme) avec force détails en novembre 1972, vrai selon la preuve.

On pouvait parvenir à une telle conclusion. Mais, il est de droit constant que tout document, ce qui comprend certainement les réponses du jury, doit être interprété dans son ensemble en tenant compte de toutes ses parties, pour les raisons que j’ai exposées. Si l’on applique une telle méthode, la seule conclusion que je peux tirer est que ce dont le jury a constaté l’exactitude était la déclaration «(épisode de simulation d’aéroembolisme) avec

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force détails en novembre 1971». Notons que dans sa réponse, le jury a remplacé le mot «épisode» par «histoire» et l’année «1971» par «1972». Il me semble impossible que le jury ait voulu conclure que le diagnostic de «personnalité psychopathique» était exact compte tenu de la réponse qu’il a donnée à la question 4: «Oui. M. McLoughlin a confirmé l’incident survenu à l’hôpital». M. McLoughlin, l’appelant, a confirmé l’incident, il n’a certainement pas confirmé le diagnostic — c’était là la base de sa plainte. La réponse du jury à la question 5 est également éloquente. Lorsqu’on a demandé au jury si les «expressions d’opinion» avaient dépassé la limite du commentaire loyal, les premiers mots de sa réponse ont été «diagnostic établi à la hâte». Le seul diagnostic soumis au jury était celui de «personnalité psychopathique» et il ressort nettement de cette réponse que le jury considérait ces mots comme une «expression d’opinion». Ainsi, m’acquittant de ce que je considère être mon devoir de comprendre la réponse du jury et d’y donner une interprétation raisonnable, je crois que la réponse du jury peut être résumée comme suit: les mots sont diffamatoires et, bien que le demandeur ait reconnu la simulation d’aéroembolisme, le diagnostic de personnalité psychopathique à son endroit a été établi trop rapidement sans obtenir ses antécédents et, de même, le danger qu’aurait pu représenter son embauchage a été exagéré. Lorsque l’on interprète ainsi les réponses du jury, elles ne constituent pas un rejet du «point capital» de l’action de l’appelant. Les réponses du jury, démontrent qu’il y a eu diffamation dans des circonstances d’immunité relative et, ensuite, par ses réponses aux questions 9 et 10, le jury a conclu que le demandeur (l’appelant en l’espèce) avait établi l’existence de malice de façon à annihiler cette immunité relative.

Avec égards, je partage l’opinion du juge Zuber que la preuve permettait au jury de tirer cette conclusion. Je ne dis pas que je serais parvenu à la même conclusion si j’avais été le juge du fond. En répondant à la question 10, le jury a conclu à la malice au sens de «rancune» que lui prête le dictionnaire. La rancune et même les mobiles indirects, sont de la malice en droit. A la lecture du dossier, on pourrait conclure que cette malice n’a pas été prouvée. Cependant, les jurés ont entendu

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les témoins, y compris le contre-interrogatoire plutôt révélateur de l’intimé, et ils ont conclu que la malice sous forme de rancune, avait été prouvée. Comme je l’ai dit, je partage l’opinion du juge Zuber que la preuve permettait aux jurés de tirer cette conclusion. Je suis d’avis qu’on ne peut modifier leur verdict.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer le jugement de la Cour d’appel de l’Ontario, et de rétablir le jugement du savant juge du procès, y compris l’adjudication qu’il a faite au demandeur (ici l’appelant) des deux-tiers seulement des dépens du procès. L’appelant devrait avoir droit à ses dépens, occasionnés par l’appel de l’intimé à la Cour d’appel et à ceux de son pourvoi devant cette Cour.

Le jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz, Estey and Pratte a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a infirmé le jugement du juge Osler, siégeant avec jury, et rejeté l’action en dommages‑intérêts intentée par le présent appelant, pour diffamation, à l’égard de laquelle le jury avait accordé la somme de $2,600.

L’intimé est un médecin dont les services ont été retenus à titre de «médecin d’entreprise» par la compagnie S. McNally & Sons, Limited, qui exploitait à Toronto une entreprise de construction générale pour laquelle elle devait, entre autres, recruter des employés pour travailler dans l’air comprimé.

Au mois d’avril 1972, l’appelant a sollicité ce genre d’emploi auprès de la compagnie McNally. Avant d’être acceptés pour ce genre de travail, les candidats devaient être examinés par le «médecin d’entreprise» qui devait, ensuite, soumettre un rapport au ministère du Travail, Division de la sécurité dans la construction.

Trois autres candidats ont postulé et ont été acceptés après examen médical par l’intimé, mais l’appelant a été refusé après ce qui semble avoir été une brève entrevue avec le médecin. Dans son rapport au ministère du Travail, en date du 20 avril 1972, l’intimé justifie, dans les termes sui-

[Page 319]

vants, l’élimination de l’appelant:

[TRADUCTION]… inadmissible en raison d’une personnalité psychopathique (épisode de simulation d’aéroembolisme) — avec force détails vers le 19 novembre 1971. Cet homme serait dangereux et ce genre de comportement compromettrait la sécurité de travaux effectués dans l’air comprimé, non seulement à son égard, mais pour tous ceux qui y participent. Il ne comprend pas les responsabilités que comporte un emploi spécialisé comme doit le comprendre un ouvrier qui travaille dans l’air comprimé.

L’affaire de simulation d’aéroembolisme se rapporte aux circonstances plutôt regrettables dans lesquelles le médecin a entendu parler de l’appelant avant son examen. Voici brièvement ces circonstances. En 1967 l’appelant avait souffert d’aéroembolisme, communément appelé «maladie des caissons», alors qu’il travaillait dans l’air comprimé et, pendant son hospitalisation pour cette maladie, il s’était familiarisé avec les symptômes et le traitement de ce type de maladie. En novembre 1971, alors qu’il était en prison et qu’il ne pouvait bénéficier de la libération sous cautionnement, l’appelant s’est plaint qu’il souffrait de la «maladie des caissons» et, à 4h, les autorités de la prison l’ont transféré à l’hopital général de Toronto. Vu la grande expérience du Dr Kutasy dans ce domaine, on lui a demandé de soigner le patient; cependant, il appert qu’il n’a jamais eu de contact direct avec ce dernier puisque McLoughlin, ayant complètement forgé sa plainte, avait choisi de quitter l’hôpital pas ses propres moyens avant l’arrivée du médecin. Ce dernier a toutefois participé à l’investigation qui lui a révélé, de même qu’aux autorités de l’hôpital, que ce dont ce patient s’était plaint n’était que supercherie.

L’appelant s’appuie sur cet incident, survenu cinq mois avant son examen pour emploi auprès de la compagnie McNally et son élimination, pour prétendre que le médecin avait des préjugés à son égard et que c’est par malice qu’il a préparé ce rapport.

Les procédures écrites sont révélatrices en l’espèce mais il suffit, pour l’instant, de dire que le par. 7a) de la déclaration cite textuellement le

[Page 320]

rapport du médecin, mais expose d’abord que:

[TRADUCTION] Le 20 avril 1972 ou vers cette date, sans soumettre l’appelant à un examen médical et absolument sans aucune justification, le docteur Kutasy a, faussement et malicieusement, écrit et divulgué ou fait écrire et divulguer la lettre dactylographiée suivante, concernant l’appelant, dans les termes suivants:. (Les italiques sont de moi.)

La défense amendée réfute les allégations susmentionnées et se lit comme suit:

[TRADUCTION] Le défendeur Kutasy nie les allégations des par. 7A à 13A de la déclaration et allègue que le rapport d’examen médical et les lettres en date du 20 avril 1972 et du 9 mai 1972 ont été écrits dans les circonstances suivantes: il a rédigé le rapport d’examen médical et lesdites lettres, à la demande du demandeur et de son représentant, M. Gallagher, pour se conformer à l’obligation imposée par The Department of Labour Act et ses règlement d’application, mentionnés ci-après, et ces documents contiennent l’opinion du défendeur, Kutasy, fondée sur une évaluation honnête, compétente et habile de l’état du demandeur. Ce qui s’y trouve n’a pas été écrit avec malice.

Le paragraphe 6 de la défense amendée se lit ainsi:

[TRADUCTION] 6. Le défendeur, Kutasy, allègue en outre que lesdits documents contiennent un commentaire loyal et des déclarations véridiques, qu’il a préparés de son mieux, à la demande du demandeur ou de son représentant, en respectant les pratiques médicales reconnues. Le défendeur Kutasy allègue en outre que lesdits documents ont été écrits alors qu’il jouissait d’une immunité ou d’une immunité relative et qu’ils sont justifiés.

L’allégation que les documents incriminés «contiennent un commentaire loyal et des déclarations véridiques» n’est pas, à mon avis, une défense de «commentaire loyal» au sens reconnu de cette expression. Un élément essentiel de cette défense est que le commentaire ait été fait sur une question d’intérêt public et, dans cette optique, on fait normalement cette défense en déclarant que les mots incriminés [TRADUCTION] «étaient un commentaire loyal fait de bonne foi et sans malice sur une question d’intérêt public» (voir Bullen and Leak, Precedence of Pleadings 12e éd., à la p. 1176). Toute personne peut invoquer cette défense

[Page 321]

qui se rapporte uniquement aux commentaires ou opinions émis sur des faits dont la vérité est établie (voir Gatley on Libel and Slander, 7e éd., pp. 292 et 293).

Ici le commentaire n’a pas été fait sur une question d’intérêt public mais bien dans l’exécution par l’intimé d’une obligation qu’il devait accomplir en sa qualité de «médecin d’entreprise», pour la compagnie auprès de laquelle l’appelant sollicitait un emploi. Je suis d’avis, dans ces circonstances, que la défense de commentaire loyal ne s’applique pas, mais je ne crois pas qu’en déclarant que «les documents contiennent un commentaire loyal» le défendeur (intimé) ait, de quelque façon, nui à la défense formelle d’«immunité relative» que contiennent les derniers mots du par. 6 de la défense.

L’allégation «que lesdits documents ont été écrits alors qu’il jouissait d’une… immunité relative» repose sur une base tout à fait différente de celle du commentaire loyal; lord Atkinson définit comme suit les circonstances nécessaires à cette fin dans Adam v. Ward[4], à la p. 334:

[TRADUCTION]… des circonstances où la personne qui donne des renseignements a un intérêt ou une obligation légale, sociale ou morale, de les donner à la personne à qui elle les fournit et, la personne qui les reçoit a un intérêt ou une obligation correspondant de les recevoir.

Je crois qu’il faut dire, au départ, que le Dr Kutasy a rédigé le rapport du 20 avril 1972 pour un ministère du gouvernement dans l’exécution de ses fonctions et qu’il l’a donc écrit dans des circonstances d’immunité relative. Le juge du procès est parvenu à cette conclusion qui n’a pas été contestée; ainsi, les déclarations faites en l’espèce ne donnent matière à procès que s’il est établi que le Dr Kutasy a agi par malice.

L’affaire soumise au jury comprenait une plainte relative au caractère diffamatoire d’une lettre, en date du 9 mai 1972, écrite par le docteur à l’Union internationale des journaliers et à M. Gallagher, président de ce syndicat, mais je crois que cette prétention peut être écartée dans l’examen du pourvoi vu la réponse suivante du jury à la

[Page 322]

deuxième question qui lui a été posée:

[TRADUCTION] 2. Q Les mots utilisés par le défendeur Kutasy dans la lettre du 9 mai 1972 portaient-ils atteinte à la réputation du demandeur?

R. Non.

L’appelant n’a pas contesté cette conclusion et ce pourvoi porte donc uniquement sur la teneur du rapport du 20 avril 1972 que j’ai cité et, à cet égard, les réponses suivantes du jury sont pertinentes et importantes:

[TRADUCTION] 1. Q. Les mots utilisés par le défendeur Kutasy dans le rapport du 20 avril 1972 portaient-ils atteinte à la réputation du demandeur?

R. Oui.

3. Q. Relativement au rapport du 20 avril 1972, les mots incriminés sont-ils des déclarations de fait ou des expressions d’opinion, ou partiellement l’un et l’autre et, s’ils contiennent des déclarations de fait, précisez lesquelles

R. Fait — personnalité psychopathique (histoire de simulation d’aéroembolisme) avec force détails en novembre 1972, vrai selon la preuve.

Opinion — Cet homme serait dangereux et ce genre de comportement compromettrait la sécurité de travaux effectués dans l’air comprimé, non seulement à son égard, mais pour tous ceux qui y participent. Il ne comprend pas les responsabilités que comporte un emploi spécialisé comme doit le comprendre un ouvrier qui travaille dans l’air comprimé.

4. Q. Dans la mesure où vous concluez qu’il s’agit de déclarations de fait, ces déclarations de fait sont-elles vraies?

R. Oui. M. McLoughlin a confirmé l’incident survenu à l’hôpital.

5. Q. Dans la mesure où vous concluez qu’il s’agit d’expressions d’opinion, ces expressions d’opinion dépassent-elles les limites du commentaire loyal?

R. Oui. Diagnostic établi à la hâte. Aucun antécédent. Supposition qu’il serait dangereux. Commentaire exagéré dans le rapport.

9. Q. Êtes-vous d’avis que le défendeur a agi par malice en divulguant le rapport du 20 avril 1972?

R. Oui.

10. Q. En quoi consiste cette malice?

[Page 323]

R. Il cherchait une raison pour éliminer M. McLoughlin suite à l’incident survenu à l’hôpital de Toronto. Il devait être soumis à un examen plus complet. Un véritable diagnostic n’aurait pas pu être établi en si peu de temps.

Comme je l’ai dit, je suis d’avis que la défense de commentaire loyal ne s’applique pas compte tenu des procédures écrites et des faits en l’espèce, et la réponse donnée à la question n° 5 n’a aucune pertinence dans l’examen de la défense d’immunité relative soulevée par l’intimé. De plus, la réponse du jury à la question n° 5 est essentiellement une conclusion que les déclarations faites dans le rapport révèlent un diagnostic négligent (c.-à-d. établi à la hâte) et elle ne touche pas la question fondamentale, savoir, si les déclarations représentent l’opinion honnête et non malicieuse de l’intimé.

L’arrêt Netupsky c. Craig[5], examine les éléments essentiels de la défense d’immunité relative, aux pp. 61 et 62, où l’on trouve dans le jugement de la Cour, l’alinéa suivant:

Le règlement du présent appel, à mon avis, a pour pivot la question de savoir s’il y avait une preuve intrinsèque ou extrinsèque que les intimés ont écrit par malice la lettre incriminée. Il y a peu de doute que, s’il est prouvé que la personne qui a fait les déclarations savait que celles-ci étaient contraires à la vérité, il faut conclure qu’elles ont été faites avec malice, mais il faut lire cet énoncé à la lumière des propos de Lord Atkinson dans Adam v. Ward, [1917] A.C. 309, à la p. 339, lorsqu’il dit:

[TRADUCTION]… une personne qui donne des renseignements dans des circonstances justifiant l’immunité relative, n’est pas tenue de n’employer que les termes raisonnablement nécessaires pour protéger l’intérêt ou pour s’acquitter de l’obligation qui servent de fondement à son immunité; mais [que], au contraire, elle sera protégée, même si elle s’exprime dans des termes violents ou excessivement forts, si, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, elle peut avoir cru honnêtement et pour des motifs raisonnables que les mots qu’elle a écrits ou prononcés étaient vrais et nécessaires à sa justification, même si en réalité tel n’est pas le cas.

[Page 324]

J’accepte la prétention présentée au nom de l’intimé que l’essentiel de la diffamation que contiendrait le rapport du 20 avril est la déclaration que le demandeur a été éliminé «en raison de sa personnalité psychopathique», et il est plus que révélateur qu’en répondant à la question n° 3, le jury a conclu que c’était là une déclaration de fait et que c’était «vrai selon la preuve».

On a prétendu au nom de l’appelant que [TRADUCTION] «l’exactitude… de la conclusion présumée du jury, suivant laquelle le demandeur souffrait de «personnalité psychopathique» ne fait pas partie du litige…» mais, puisque la défense d’immunité relative va jusqu’à protéger l’auteur d’une déclaration de fait qui, honnêtement et pour des motifs raisonnables, la croyait vraie, il devient évident que la conclusion que la déclaration était effectivement vraie soutient cette défense et nie la malice. Quoi qu’il en soit, le défendeur a allégué, en l’espèce, que les déclarations sont vraies et justifiées, et il ne peut y avoir aucun doute à mon avis, que la question de la vérité ou de la fausseté de la déclaration que le demandeur souffrait d’une «personnalité psychopathique» faisait bien partie du litige et qu’elle a été décidée en faveur de l’intimé par les réponses du jury aux questions 3 et 4.

Je crois que si l’affaire reposait toute sur les réponses du jury aux questions 3 et 4, cela suffirait en soi à appuyer la défense d’immunité relative; mais il faut encore remarquer qu’en répondant aux questions 9 et 10, le jury a conclu que l’intimé a «agit par malice» et que cette malice consistait en ce que «il cherchait une raison pour éliminer M. McLoughlin suite à l’incident survenu à l’hôpital de Toronto».

Sans vouloir d’aucune façon nier le caractère d’inviolabilité qui s’attache aux conclusions du jury, je partage néanmoins l’opinion de la Cour d’appel qu’en répondant à la question n° 10, le jury a accordé à «l’incident survenu à l’hôpital de Toronto», cinq mois avant l’examen de l’intimé, une signification qui n’est pas justifiée par la preuve, et il serait déraisonnable, à mon avis, de supposer que parce qu’il s’était rendu inutilement à l’hôpital à 8h, suite au comportement de McLoughlin en novembre 1971, le médecin aurait

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donc «agi par malice» en donnant une opinion professionnelle en avril 1972.

L’autre question qui a soulevé quelques difficultés en l’espèce est la réponse du jury à la deuxième partie de la question n° 3, réponse qui renferme la déclaration que «Cet homme serait dangereux et compromettrait la sécurité de travaux effectués dans l’air comprimé».

On a vigoureusement prétendu, à cet égard, que la description de l’appelant comme un homme qui serait dangereux et compromettrait la sécurité de travaux effectués dans l’air comprimé était, en soi, diffamatoire et que le médecin avait lui-même admis que l’emploi du mot «serait» dans ce contexte était regrettable et que «pourrait» aurait été plus approprié. Sur ce point, je renvoie à nouveau au passage, déjà cité, du jugement de lord Atkinson dans Adam v. Ward, où, parlant de la défense d’immunité relative il a dit, entre autres, que la personne qui, dans un tel cas, utilise les mots incriminés

[TRADUCTION]… sera protégée, même si elle s’exprime dans des termes violents ou excessivement forts, si, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, elle peut avoir cru honnêtement et pour des motifs raisonnables que les mots qu’elle a écrits ou prononcés étaient vrais…

Je ne crois pas que l’on puisse asseoir la responsabilité de l’intimé sur l’emploi du mot «serait» plutôt que du mot «pourrait» dans le contexte précédent et je suis d’avis que la règle concernant «l’immunité relative» protège l’intimé contre tout ce qu’il a dit dans le rapport du 20 avril.

Pour tous ces motifs de même que pour ceux exposés par le juge Zuber de la Cour d’appel de l’Ontario, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens, le juge en chef LASKIN et les juges SPENCE et DICKSON dissidents.

Procureurs de l’appelant: Robins and Partners, Toronto.

Procureurs de l’intimé: McCarthy & McCarthy, Toronto

[1] [1937] R.C.S. 341.

[2] (1905), 35 R.C.S. 625.

[3] [1948] O.W.N. 526.

[4] [1917] A.C. 309.

[5] [1973] R.C.S. 55.


Parties
Demandeurs : McLoughlin
Défendeurs : Kutasy
Proposition de citation de la décision: McLoughlin c. Kutasy, [1979] 2 R.C.S. 311 (20 mars 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-03-20;.1979..2.r.c.s..311 ?
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