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03/10/1978 | CANADA | N°[1979]_1_R.C.S._633

Canada | Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633 (3 octobre 1978)


Cour suprême du Canada

Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633

Date: 1978-10-03

63482

Asamera Oil Corporation Ltd. (Demanderesse) Appelante;

et

Sea Oil & General Corporation et Baud Corporation, N.V. (Défenderesses) Intimées.

63472

Baud Corporation, N.V. (Demanderesse) Appelante;

et

Thomas L. Brook (Défendeur) Intimé.

87405

Baud Corporation, N.V. (Demanderesse) Appelante;

et

Thomas L. Brook (Défendeur) Intimé.

1977: 23 et 24

novembre; 1978: 3 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Spence, Pigeon, Dickson, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA D...

Cour suprême du Canada

Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633

Date: 1978-10-03

63482

Asamera Oil Corporation Ltd. (Demanderesse) Appelante;

et

Sea Oil & General Corporation et Baud Corporation, N.V. (Défenderesses) Intimées.

63472

Baud Corporation, N.V. (Demanderesse) Appelante;

et

Thomas L. Brook (Défendeur) Intimé.

87405

Baud Corporation, N.V. (Demanderesse) Appelante;

et

Thomas L. Brook (Défendeur) Intimé.

1977: 23 et 24 novembre; 1978: 3 octobre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Spence, Pigeon, Dickson, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA


Synthèse
Référence neutre : [1979] 1 R.C.S. 633 ?
Date de la décision : 03/10/1978
Sens de l'arrêt : 1. Le pourvoi de Baud à l’encontre du jugement de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta confirmant le rejet de l’action intentée contre Brook le 26 juillet 1960 est, parce qu’elle était prématurée, rejeté. 2. Le pourvoi d’Asamera à l’encontre du jugement de la Division d’appel confirmant le rejet de l’action intentée contre SOG et Baud le 27 juillet 1960 est rejeté. 3. Le pourvoi de Baud à l’encontre du jugement de la Division d’appel confirmant le jugement de première instance condamnant Brook à payer $250,000 de dommages-intérêts est accueilli et le montant des dommages-intérêts payables à l’appelante est porté à $812,500

Analyses

Dommages-intérêts - Accords concernant les actions et les opérations d’une corporation d’exploration pétrolière - Rupture d’un contrat en raison du défaut du directeur général de restituer les actions que lui avait prêtées une autre compagnie - Évaluation des dommages‑intérêts - Principes applicables.

Ces pourvois résultent d’une longue série d’accords concernant les actions et les opérations de l’appelante, Asamera Oil Corporation Ltd., une compagnie engagée de diverses façons dans l’exploitation pétrolière en Indonésie. Les parties ont intenté trois actions distinctes.

1. Baud Corporation, N.V. c. Thomas L. Brook, intentée le 26 juillet 1960, dans laquelle Baud, une filiale en propriété exclusive de Sea Oil & General Corporation (SOG), demande que l’intimé Brook (qui, à toutes les époques en cause, était le président directeur général d’Asamera) lui rende 125,000 actions d’Asa-

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mera. Baud prétend avoir prêté à l’intimé, Brook, en octobre et novembre 1957, 125,000 actions d’Asamera en conformité d’un accord daté du 10 novembre 1958, qui prévoyait leur restitution avant la fin de 1959. En outre, Baud réclame des dommages-intérêts au montant de $150,750, au titre de la variation de la valeur marchande des 125,000 actions entre la date où elles devaient être rendues et la date du bref.

2. Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et Baud Corporation, N.V., intentée le 27 juillet 1960. Asamera y réclame la rescision de l’accord principal conclu entre les deux groupes d’entrepreneurs, représentés respectivement par Baud et par Brook. En vertu de cet accord (conclu le 18 juin 1957), Baud et SOG devaient respectivement recevoir 3,500,000 et 500,000 actions d’Asamera. En contrepartie, Asamera devait recevoir $250,000 et 196 actions de Nusantara, une compagnie indonésienne, soit une participation de 49 pour cent.

3. Baud Corporation, N.V. c. Thomas L. Brook, intentée le 6 décembre 1966. Dans cette action, Baud reprend les allégations formulées dans l’action n° 1 et réclame la restitution des 125,000 actions d’Asamera que Brook devait rendre en vertu des accords mentionnés dans l’action n° 1. Cette troisième action résulte de ce que Brook affirme que l’action initiale était prématurée puisque les parties avaient convenu de proroger la date de restitution des actions jusqu’au 31 décembre 1960. En plus du recouvrement des actions, Baud réclame des dommages-intérêts au montant de $400,000. Sur autorisation du tribunal de première instance, la déclaration a été modifiée pour porter le montant des dommages-intérêts réclamés à $6,000,000. Dans cette action, Brook a fait une demande reconventionnelle pour obtenir à peu près le même redressement que dans l’action n° 2.

Arrêt: 1. Le pourvoi de Baud à l’encontre du jugement de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta confirmant le rejet de l’action intentée contre Brook le 26 juillet 1960 est, parce qu’elle était prématurée, rejeté. 2. Le pourvoi d’Asamera à l’encontre du jugement de la Division d’appel confirmant le rejet de l’action intentée contre SOG et Baud le 27 juillet 1960 est rejeté. 3. Le pourvoi de Baud à l’encontre du jugement de la Division d’appel confirmant le jugement de première instance condamnant Brook à payer $250,000 de dommages-intérêts est accueilli et le montant des dommages-intérêts payables à l’appelante est porté à $812,500.

Le savant juge de première instance a rejeté la première action au motif qu’une entente prorogeait effectivement le contrat de prêt des 125,000 actions d’Asamera

[Page 635]

au-delà de la date initiale d’expiration, soit le 31 décembre 1959, jusqu’au 31 décembre 1960. Le dossier contient une preuve volumineuse à l’appui de cette conclusion, confirmée en appel. La preuve ne révélant aucune erreur de droit dans la façon dont les tribunaux d’instance inférieure sont arrivés à cette conclusion quant à l’action n° 1, le pourvoi relatif à cette action est rejeté.

Le savant juge de première instance a rejeté la deuxième action, concluant que les parties avaient réglé leurs différends relatifs à l’action n° 2 dans un règlement daté du 28 octobre 1958. La preuve étayait amplement cette conclusion du juge de première instance quant à la portée et à l’effet du règlement, conclusion qui a été confirmée en appel. En conséquence, le pourvoi interjeté devant cette Cour relativement à la deuxième action ainsi que la demande reconventionnelle de l’intimé dans l’action n° 3 sont rejetés.

En ce qui concerne l’action n° 3, le savant juge de première instance a rejeté les réclamations de Baud en restitution et pour appropriation illégale, et a évalué les dommages‑intérêts en tenant pour acquis que l’omission de Brook de rendre les actions constituait une rupture de contrat. En fait, l’action est un cas de simple rupture de contrat, savoir de l’engagement de rendre 125,000 actions d’Asamera, et les réclamations et les questions soulevées dans cette affaire doivent être tranchées sur cette base. Dans ces circonstances, l’adjudication de dommages-intérêts est un redressement approprié.

La Cour a abordé comme suit la question de l’évaluation des dommages exigibles dans les circonstances particulières de cette affaire: les principes relatifs au caractère prévisible s’appliquent également que la réclamation soit fondée sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle, sous réserve cependant de connaissances, ententes ou relations particulières entre les parties contractantes ou de toute disposition expresse ou implicite dans le contrat au sujet des dommages recouvrables en cas d’inexécution; Baud avait l’obligation générale de limiter le préjudice et ne peut s’en dégager en invoquant indéfiniment l’injonction de 1960 interdisant à Brook de vendre 125,000 actions d’Asamera; l’obligation spécifique de Baud de limiter le préjudice et d’établir sa demande de dommages-intérêts en intentant l’action appropriée dans un délai raisonnable après la rupture et en procédant avec diligence a été repoussée dans le temps parce que Brook lui avait demandé, avant 1966, de ne pas poursuivre l’affaire; Baud aurait dû corriger son manque de diligence à poursuivre son action et à acheter des actions de remplacement dès qu’elle a appris que la partie contrevenante refusait non seulement de lui rendre les actions, mais en avait vendu un nombre identique; le retard apporté par Baud à l’achat d’actions

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de remplacement justifié par la baisse importante de la valeur des actions à l’époque du prêt ne tient plus après la fin de 1966, les actions ayant dès lors repris de la valeur; un demandeur dans la situation de Baud ne peut pendant toutes ces années à la fois prétendre avoir droit à l’exécution intégrale du contrat de restitution des biens et tenter d’éviter de limiter le préjudice en invoquant le fait que l’achat d’actions de remplacement l’obligerait à investir dans une compagnie gérée ou contrôlée par son adversaire, Brook; compte tenu de la nature d’une action ordinaire, ni des dispositions de l’injonction ni celles du contrat de prêt, ni le fait que Brook ait vendu le même nombre d’actions que celles prêtées, n’ont d’effet sur le caractère des droits de Baud ou sur les obligations de Brook aux termes d’une opération aussi complexe; l’adjudication de dommages-intérêts est une solution adéquate et, dans des circonstances aussi particulières que complexes, la Cour ne doit pas recourir aux redressements extraordinaires prévus en equity.

L’application de ces principes et solutions aux circonstances particulières de l’espèce exige une évaluation des dommages-intérêts payables par Brook fondée sur la supposition que Baud aurait dû établir les dommages en achetant des actions de remplacement de façon à limiter les pertes évitables résultant de l’impossibilité pour Baud, du fait de Brook, de mettre les 125,000 actions sur le marché. Cet achat d’actions aurait dû être effectué dans un délai raisonnable après la rupture du contrat. Compte tenu de toutes les circonstances particulières susmentionnées, cet achat aurait dû être effectué à l’automne de 1966 alors que Baud, de son propre aveu, n’était plus assujettie à l’entente conclue avec Brook de ne pas poursuivre l’affaire. Il ne serait pas raisonnable en effet de s’attendre à ce que Baud ait acheté des actions de remplacement alors que les procédures judiciaires étaient en veilleuse, à la demande même de Brook. En outre, Baud a reconnu qu’à l’automne de 1966, la situation d’Asamera s’était améliorée, résultant en une augmentation de la valeur marchande de ses actions. Bref l’appelante n’a aucun droit à une indemnisation pour la perte de la possibilité de vendre les actions après cette date. Elle est alors devenue l’auteur du préjudice qu’elle a subi. Le principe sous-jacent à l’adjudication des dommages-intérêts est d’accorder une indemnisation correspondant au prix de remplacement des actions à leurs cours au moment où la demanderesse était tenue en droit de les remplacer afin d’éviter l’accroissement de sa réclamation. On doit laisser à la demanderesse un délai raisonnable pour procéder de façon ordonnée au financement et à l’acquisition des

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125,000 actions d’Asamera, soit par de petits achats soit en bloc. Ceci nous mène à l’automne de 1967. A ce moment-là, la valeur des actions était de $5 à $6. Compte tenu de la tendance à la hausse qu’aurait entraîné l’achat d’un aussi grand nombre d’actions dans un marché restreint, le prix des actions aurait certainement dépassé les $6 l’unité atteints vers la mi-1967, sans que Baud intervienne sur le marché. En conséquence, la somme d’un dollar est ajoutée à la valeur des actions à cette date. Prenant en considération l’effet d’une intervention de Baud sur le marché, la valeur moyenne des actions entre la fin de l’année 1966 et le milieu de l’année 1967 serait d’environ $6.50 et c’est ce chiffre qui doit fonder les dommages-intérêts dus à Baud; en conséquence, le montant total des dommages-intérêts dus pour la nonrestitution des actions d’Asamera est de $812,500. Devant ce chiffre important, il ne faut pas oublier que jusqu’au procès, Brook aurait pu, s’il avait respecté l’injonction prononcée en juillet 1960, éviter le risque et les effets d’une telle décision en procédant à la remise de 125,000 actions d’Asamera, sans égard à leur provenance.

Comme l’ont décidé les tribunaux d’instance inférieure, la réclamation de Brook en dommages-intérêts relativement à l’engagement pris par Baud lors de la délivrance de l’injonction interlocutoire de juillet 1960 doit être rejetée.

POURVOIS interjetés à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta[1] rejetant des appels d’un jugement du juge Kirby relativement à trois actions entendues ensemble. Pourvois rejetés relativement à deux actions; pourvoi accueilli relativement à la troisième action et pourvoi incident rejeté.

P.B.C. Pepper, c.r., et J.L. McDougall, pour les demanderesses, appelantes.

R.A. MacKimmie, c.r., pour les défendeurs, intimés.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE ESTEY — Ces pourvois résultent d’une longue série d’accords concernant les actions et les opérations de l’appelante, Asamera Oil Corporation Ltd. (ci-après appelée Asamera), une compagnie engagée de diverses façons dans l’exploration pétrolière en Indonésie. Les parties ont intenté trois actions distinctes.

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1. Baud Corporation, N.V. (Demanderesse) c. Thomas L. Brook (Défendeur), intentée le 26 juillet 1960, dans laquelle Baud (comme elle sera ci-après désignée) une filiale en propriété exclusive de Sea Oil & General Corporation, demande que l’intimé Brook (qui, à toutes les époques en cause, était le président directeur général d’Asamera) lui rende 125,000 actions d’Asamera. Baud prétend avoir prêté à l’intimé, Brook, en octobre et novembre 1957, 125,000 actions d’Asamera en conformité d’un accord daté du 10 novembre 1958, qui prévoyait leur restitution avant la fin de 1959. En outre, Baud réclame des dommages-intérêts au montant de $150,750, au titre de la variation de la valeur marchande des 125,000 actions entre la date où elles devaient être rendues et la date du bref.

2. Asamera Oil Corporation Ltd. (Demanderesse) c. Sea Oil & General Corporation et Baud Corporation, N.V. (Défenderesses), intentée le 27 juillet 1960. Cette action fut introduite le lendemain de l’action n° 1. Asamera y réclame la rescision de l’accord principal conclu entre les deux groupes d’entrepreneurs, représentés respectivement par Baud et par Brook. Si elle était accordée, la rescision aurait pour effet d’annuler les actions de trésorerie émises par Asamera en faveur de Baud et de Sea Oil & General Corporation Ltd. en vertu de l’accord.

3. Baud Corporation, N.V. (Demanderesse) c. Thomas L. Brook (Défendeur), intentée le 6 décembre 1966. Dans cette action, Baud reprend les allégations formulées dans l’action n° 1 et réclame la restitution des 125,000 actions d’Asamera que l’intimé Brook devait rendre en vertu des accords mentionnés dans l’action n° 1. Cette troisième action résulte de ce que l’intimé dans l’action n° 1 affirme que l’action initiale était prématurée puisque les parties avaient convenu de proroger la date de restitution des actions jusqu’au 31 décembre 1960. En plus du recouvrement des actions, Baud réclame des dommages-intérêts au montant de $400,000. Sur autorisation du tribunal de première instance, la déclaration a été modifiée pour porter le montant des dommages-intérêts réclamés à $6,000,000. Dans cette action, l’intimé

[Page 639]

Brook a fait une demande reconventionnelle pour obtenir à peu près le même redressement que dans l’action n° 2.

Il convient de traiter d’abord des questions soulevées dans l’action n° 2. L’accord initial dont Asamera demande la rescision dans la deuxième action a été conclu le 18 juin 1957. En vertu de cet accord (ci-après appelé l’accord principal), Baud et Sea & Oil General Corporation (ci‑après appelée SOG) devaient respectivement recevoir 3,500,000 et 500,000 actions d’Asamera. En contrepartie, Asamera devait recevoir $250,000 et 196 actions de Nusantara, une compagnie indonésienne, soit une participation de 49 pour cent. L’affaire a été conclue le 9 septembre 1957, alors que Asamera a délivré les 4,000,000 d’actions. Par la suite, Asamera reçut $250,000 et les dispositions nécessaires furent prisent pour placer les 196 actions de Nusantara en dépôt sous le contrôle d’Asamera. 500,000 actions furent émises au profit de SOG. Des 3,500,000 actions émises par Asamera au profit de Baud, 2,000,000 étaient assujetties à un contrat d’entiercement pour une période de 6 mois commençant le 9 septembre 1957. Le 5 février 1958, cette période fut prorogée jusqu’en novembre 1958.

Dans l’action n° 2, Asamera prétend que le contrat principal est nul ab initio pour absence totale de contrepartie. Subsidiairement, elle prétend que puisque le contrat n’a pas été intégralement exécuté, il est susceptible d’annulation à sa demande. Le savant juge de première instance a rejeté cette action, concluant que les parties avaient réglé leurs différends relatifs à l’action n° 2 dans un règlement daté du 28 octobre 1958. La Cour d’appel de l’Alberta est parvenue à la même conclusion.

Devant cette Cour, l’avocat de Brook a de nouveau prétendu qu’il y avait eu absence totale de contrepartie à l’accord principal et que Asamera [TRADUCTION] «n’avait rien reçu de valeur de Baud en contrepartie des…» 1,500,000 actions qui étaient demeurées en circulation et que Baud avait toujours en sa possession après le règlement du 28 octobre 1958, susmentionné. Comme je l’ai

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déjà indiqué, les parties avaient convenu de l’entiercement de 2,000,000 des 3,500,000 actions d’Asamera afin de garantir le transfert des actions de Nusantara par Baud, qui ne semblait pas pouvoir se faire le 9 septembre 1957. Aux termes du règlement, les 2,000,000 d’actions entiercées étaient annulées, ce qui laissait en circulation les 500,000 actions d’Asamera appartenant à SOG et les 1,500,000 actions appartenant à Baud.

L’avocat de Brook fonde sa défense d’absence totale de contrepartie sur deux points:

a) Les actions de Nusantara n’ont jamais été transférées à Asamera comme l’exigeait l’accord de 1957; et

b) Baud n’a pas remis à Asamera les permis d’exploration en Indonésie, ni par l’intermédiaire de Nusantara ni autrement.

Le premier point relatif au défaut de transférer la participation de 49 pour cent dans Nusantara est fondé sur ce qui s’est produit après la conclusion de l’accord du 9 septembre 1957. A cette époque, Baud a donné des instructions irrévocables au détenteur des 196 actions de Nusantara, lui demandant de détenir les actions pour le compte exclusif et à l’entière disposition d’Asamera. Le juge de première instance a conclu que le dépôt des actions de Nusantara à une banque de Djakarta, qui a assuré à Asamera une participation dans quatre licences d’exploration détenues par Nusantara, constituait une contrepartie valable pour la promesse d’Asamera d’émettre des actions de trésorerie en faveur de Baud et SOG. Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de trancher cette question. Le savant juge de première instance a décidé que le 28 octobre 1958, toutes les réclamations en litige entre les parties, y compris les réclamations relatives aux actions de Nusantara et à leur entiercement, avaient été résolues par le règlement susmentionné. Avec égards, je considère que la preuve au dossier étaye amplement cette conclusion du juge de première instance quant à la portée et à l’effet du règlement, conclusion qui a été confirmée en appel. Je suis donc d’avis de rejeter le pourvoi interjeté devant cette Cour relativement à la deuxième action ainsi que la demande reconventionnelle de l’intimé dans l’action n° 3.

[Page 641]

Le savant juge de première instance a rejeté la première action au motif qu’une entente prorogeait effectivement le contrat de prêt des 125,000 actions d’Asamera au-delà de la date initiale d’expiration, soit le 31 décembre 1959, jusqu’au 31 décembre 1960. Le dossier contient une preuve volumineuse à l’appui de cette conclusion, confirmée en appel. La preuve ne révélant aucune erreur de droit dans la façon dont les tribunaux d’instance inférieure sont arrivés à cette conclusion quant à l’action n° 1, je suis d’avis de rejeter le pourvoi relatif à cette action.

Ceci ne laisse devant cette Cour que le pourvoi interjeté à l’encontre du jugement relatif à l’action n° 3. Malgré l’épaisseur du dossier, la question soumise à la Cour dans cette action est très limitée. Brook a invoqué plusieurs moyens de défense contre la demande de restitution des 125,000 actions d’Asamera présentée par Baud. En première instance, il a prétendu que Baud l’avait relevé de l’obligation de lui rendre ces actions. Le savant juge de première instance a rejeté ce moyen et je n’ai trouvé dans ce jugement aucune erreur de principe pouvant justifier la modification par une juridiction d’appel d’une conclusion de fait clairement fondée sur la preuve. Brook a également prétendu que les actions ne lui avaient pas été prêtées par Baud, mais par son directeur général, Diamantidi, et qu’en conséquence, Baud n’avait pas qualité pour intenter l’action en restitution. La réponse à cette prétention est vite trouvée: même s’il est matériellement exact que Diamantidi a fait le prêt, il agissait comme mandataire de Baud. L’option et une lettre d’entente antérieure à celle-ci précisent d’ailleurs qu’à la date de la levée de l’option, soit le 31 décembre 1959, les actions devaient être rendues à Baud. L’option est signée par Diamantidi au nom de Baud. Quoi qu’il en soit, la preuve orale et écrite établit que Baud a d’abord prêté les actions à Diamantidi qui les a à son tour prêtées à Brook. Cette façon de procéder (supposément fondée sur des considérations fiscales) ne permet pas à Brook d’opposer une défense valable à l’action en restitution des actions intentée par Baud et, en conséquence, ce moyen ne peut être retenu.

[Page 642]

Le juge de première instance semble avoir conclu que Brook avait violé l’accord en ne rendant pas les actions à Diamantidi; par contre, la Cour d’appel a jugé que Brook avait violé l’accord parce qu’il n’avait pas remis les actions à Baud. Une preuve considérable, en fait toute la preuve écrite, appuie la conclusion de la Cour d’appel et, avec égards, je partage son opinion sur cette question.

Il ne reste donc qu’à établir de quels recours Baud disposait. L’action a apparemment été instituée en tenant pour acquis qu’en détenant illégalement les actions, Brook s’exposait à une action en restitution ou, subsidiairement, à une action pour appropriation illégale, puisqu’il s’était départi sans droit des actions qui lui avaient été prêtées. Dans sa défense, déposée le 6 juillet 1967, Brook a admis que lesdites actions avaient été vendues et il a en outre admis, lors d’un interrogatoire préalable, en mai 1968, que la vente avait eu lieu en 1958. Le juge de première instance a conclu que les courtiers, cherchant à se protéger, avaient vendu des actions d’Asamera détenues au compte de Brook, en décembre 1957 et en janvier et février 1958.

La question se complique encore du fait que le 27 juillet 1960, le juge en chef McLaurin de la Division d’instruction de la Cour suprême de l’Alberta a délivré une injonction qu’on pourrait interpréter comme une interdiction à Brook de vendre les 125,000 actions prêtées par Baud. Brook prétend qu’il respectait l’injonction tant qu’il restait en possession d’au moins 125,000 actions. Si l’on adopte cette interprétation, rien n’indique qu’il ait violé l’injonction. En revanche, Baud soutient, relativement à l’action en restitution ou à l’action pour appropriation illégale, qu’elle avait le droit d’exiger de Brook qu’il prenne les mesures nécessaires avec son courtier afin de conserver les certificats qu’elle lui avait remis. L’injonction est ambiguë quant à savoir si Brook devait demeurer en possession de certificats déterminés ou si un simple solde créditeur suffisait. L’injonction délivrée par le juge en chef McLaurin en 1960 interdit à Brook de prendre part à un vote concernant [TRADUCTION] «les 125,000 actions… mentionnées aux

[Page 643]

paragraphes 2 et 3 de la déclaration…», de les vendre ou de les aliéner. Dans sa déclaration, Baud parle des 125,000 actions prêtées à Brook en 1957. L’injonction peut donc être interprétée comme interdisant à Brook d’aliéner ces 125,000 actions en particulier. Mais cet historique ne rend pas compte de toute la réalité. En première instance, l’appelante a demandé une ordonnance enjoignant à Brook de consigner les actions à la cour. Le juge de première instance a rejeté cette requête, au motif semble-t-il qu’en demeurant en possession de 125,000 actions, Brook se conformait suffisamment à l’ordonnance. Comme toutes les actions d’Asamera sont de même classe et son assujetties aux mêmes conditions, aucune considération pratique ne justifie la conservation des actions mêmes prêtées à Brook, à supposer que la chose soit matériellement possible. Les circonstances dans lesquelles on a d’abord consenti le prêt des actions et ensuite accordé une option d’achat à leur égard nous amènent à conclure, s’il devenait nécessaire de trancher cette question, que Baud est protégée par l’ordonnance et que Brook est à l’abri de tout reproche de violation en retenant le nombre spécifié d’actions d’Asamera. Je reviendrai aux autres aspects de cette question ultérieurement.

Il est constant en droit qu’en vertu des lois applicables et de la common law, un certificat d’action ne constitue pas en lui-même une action de la compagnie, mais en est seulement la preuve. (Voir Solloway c. Blumberger[2], le juge Rinfret, à la p. 167.) Les actions sont des droits de propriété incorporels et les certificats en constituent une attestation ou une preuve. Elles ne peuvent être identifiées séparément ni isolées des autres actions de même classe de la compagnie. En conséquence, dès que Brook a mis les actions en gage au nom du courtier, sous une forme entièrement négociable, comme le révèle la preuve présentée en l’espèce, il est devenu impossible de déterminer si une partie ou la totalité des 125,000 actions avaient été vendues, à supposer même qu’on puisse, à un moment donné, isoler une action (et non le certificat qui en constitue la représentation tangible) et la considérer séparément des autres actions de même classe.

[Page 644]

Quoi qu’il en soit, l’argument de Baud à ce sujet semble purement théorique puisque Baud a remis les actions à Brook, par l’intermédiaire de Diamantidi, sous une forme entièrement négociable, quand Brook a indiqué que les actions prêtées seraient mises en garde auprès de son courtier afin de garantir ses opérations sur marge visant ses autres actions d’Asamera et ce, mis à part le fait que pour remplir son obligation, Brook n’avait qu’à remettre 125,000 actions d’Asamera, sans indication de provenance, à condition qu’elles soient libres de toute charge.

Le savant juge de première instance a rejeté l’action de Baud en restitution et l’action pour appropriation illégale, et a évalué les dommages-intérêts en tenant pour acquis que l’omission de Brook de rendre les actions constituait une rupture de contrat. En fait, l’action est une affaire de simple rupture de contrat, savoir de l’engagement de rendre 125,000 actions d’Asamera et, à mon avis, les réclamations et les questions soulevées dans cette affaire doivent être tranchées sur cette base. Nous en venons donc à la véritable question en litige dans ce pourvoi: à quel dédommagement l’appelante Baud a-t-elle droit en l’instance et, si ce redressement est pécuniaire, quel doit être le montant des dommages-intérêts?

Baud demande à cette Cour d’ordonner l’exécution intégrale de l’accord pour la restitution des 125,000 actions d’Asamera et, plus précisément, elle demande dans sa déclaration une ordonnance exigeant la restitution ou le remplacement des actions. Habituellement, le pouvoir d’ordonner l’exécution intégrale d’une obligation contractuelle n’est exercé que dans les cas où des dommages-intérêts ne sauraient indemniser le demandeur du préjudice subi. Comme les 125,000 actions en cause ne peuvent être différenciées des autres actions d’Asamera et comme il n’est pas question que le contrôle de la compagnie soit en cause ou qu’il y ait eu un problème de disponibilité des actions sur le marché des valeurs, une ordonnance de restitution des actions ne serait qu’une façon d’exiger le paiement de tout montant accordé par jugement. Les actions d’Asamera sont cotées en bourse et il est en conséquence facile d’obtenir une estimation quotidienne de leur valeur marchande.

[Page 645]

Les parties ont donc, pendant les 21 années écoulées depuis le début de ces opérations, bénéficié d’une évaluation boursière quotidienne de ces actions. Il est évident que des dommages-intérêts sont un redressement approprié et qu’il n’est pas question, dans un tel cas, que les tribunaux aient recours au redressement en equity que constitue l’exécution intégrale.

L’évaluation des dommages-intérêts pour cette rupture de contrat est assez complexe. Bien sûr, le calcul des dommages-intérêts pour rupture de contrat est régi par des principes de common law bien établis. Les pertes recouvrables dans une action fondée sur l’inexécution d’une obligation contractuelle sont limitées au montant qui placera la partie lésée dans la situation qui aurait existé si le contrevenant avait respecté son engagement.

Dans une action fondée sur une rupture de contrat, les pertes ne donnent pas toutes lieu à une indemnisation. Les restrictions applicables aux dommages-intérêts recouvrables en matière de contrat ont été analysées en profondeur dans l’arrêt Victoria Laundry (Windsor) LD. v. Newman Industries LD.[3], par le lord juge Asquith (à la p. 539):

[TRADUCTION] (1) Il est bien établi que les dommages-intérêts ont pour objet principal de placer, dans la mesure où l’argent peut le faire, la partie dont les droits ont été violés dans la situation qui aurait existé si ses droits avaient été respectés: (Sally Wertheim v. Chicoutimi Pulp Company). Cet objet, s’il est poursuivi jusqu’au bout, lui permettra d’être totalement indemnisée de toute perte résultant de facto d’une violation particulière, même improbable ou imprévisible. En matière de contrat, tout au moins, cette règle est considérée comme trop stricte. D’où,

(2) En cas de rupture de contrat, la partie lésée n’a droit à une indemnité que pour la perte qui en découle effectivement et qui était, à la date du contrat, susceptible d’en découler d’après ce qu’on pouvait raisonnablement prévoir.

(3) On apprécie les faits raisonnablement prévisibles à cette date en fonction des renseignements que possédaient alors les parties, ou du moins la partie qui rompt par la suite le contrat.

[Page 646]

Le lord juge Asquith a ensuite formulé trois autres règles ou corollaires, qui ne sont pas pertinents en l’espèce. Le principe énoncé au paragraphe (2) a été un peu modifié par la suite dans l’arrêt Koufos v. C. Czarnikow (The Heron II)[4], où la Chambre des lords a jugé que le véritable critère du caractère prévisible ne consistait pas à étudier la «prévisibilité raisonnable» comme dans le cas d’une action en responsabilité délictuelle, mais plutôt à se demander si, à l’époque de la conclusion du contrat, les parties contractantes pouvaient raisonnablement prévoir la probabilité que des dommages résultent de la rupture du contrat. (Voir Brown & Root Ltd. c. Chimo Shipping Ltd.[5], le juge Ritchie, à la p. 648.)

L’examen le plus récent de ces principes se trouve dans l’arrêt Parsons (Livestock) Ltd. v. Uttley Ingham & Co. Ltd.[6], où la Cour d’appel, avec les réserves formulées dans le jugement, a jugé à l’unanimité que les principes juridiques régissant l’appréciation du caractère prévisible ne devaient pas dépendre de ce que l’action intentée est en responsabilité contractuelle ou en responsabilité délictuelle. L’arrêt a déjé fait l’objet d’un commentaire (voir Note, (1978) 94 L.Q.R. 171). Dans cette affaire, le lord juge Scarman a écrit (à la p. 529):

[TRADUCTION] En ce qui concerne la première question, je pense, comme le maître des rôles lord Denning, que le droit doit être tel que dans un cas donné, quand tous ont les mêmes connaissances, réelles ou supposées, et que le contrat ne contient aucune disposition limitant les dommages recouvrables en cas de rupture, le montant des dommages-intérêts recouvrables ne dépend pas de la nature juridique de l’action, c.‑à‑d. de ce qu’elle soit fondée sur un contrat plutôt que sur un délit. On pourrait fort bien résoudre cette question, nonobstant les distinctions de lord Reid aux pp. 466 et 389 et 390, entre le critère applicable en matière délictuelle, «ce qui est raisonnablement prévisible», et le critère applicable en matière contractuelle, «ce qui est raisonnablement envisagé», en considérant qu’il s’agit d’une distinction sémantique et non de fond. C’est d’ailleurs ce qu’ont conclu lord Asquith dans Victoria Laundry v. Newman [1949] 2 K.B. 528, à la p. 535 et lord Pearce dans Czarnikow v. Koufos et j’avoue être aussi de cet avis…;

[Page 647]

ou plus succinctement, à la p. 528:

[TRADUCTION] …le droit n’a pas l’absurde prétention de distinguer entre les contrats et les délits, sauf dans les cas où l’entente ou les rapports de fait entre les parties l’exigent dans l’intérêt de la justice.

(La Cour d’appel a accordé l’autorisation d’en appeler à la Chambre des lords.)

Quoi qu’il en soit, une indemnité pour les dommages résultant des agissements de l’intimé en l’espèce, c.-à-d. l’impossibilité de revendre les actions à profit, peut être recouvrée en vertu de n’importe lequel des critères énoncés plus haut.

Dans les affaires relatives à l’évaluation des dommages résultant du défaut de livrer des marchandises en violation d’un contrat de vente, l’application répétée des principes susmentionnés a clarifié le droit et il est maintenant établi que le montant des dommages‑intérêts doit correspondre au montant que l’acheteur aurait dû dépenser pour se procurer les marchandises sur le marché à l’époque de la rupture du contrat, moins le prix fixé au contrat. Cette règle, fermement énoncée dans l’arrêt Barrow v. Arnaud[7] ressort de l’effet conjugué de deux principes. Le premier, déjà exposé, est le droit du demandeur d’être indemnisé des pertes que les parties pouvaient raisonnablement envisager en cas d’inexécution du contrat. Le deuxième est l’obligation pour la partie lésée par l’inexécution d’un contrat de prendre toutes les mesures raisonnables afin de limiter le préjudice en résultant. Voici en quels termes le juge en chef Laskin explique, dans l’arrêt Red Deer College c. Michaels et Finn[8], cette obligation de limiter le préjudice (aux pp. 330 et 331):

Naturellement, il incombe au demandeur lésé de prouver le dommage subi et, par conséquent, de prouver par la prépondérance des probabilités la perte qu’il a essuyée. Des principes juridiques régissent les paramètres d’une perte. Dans une affaire d’inexécution contractuelle, la règle fondamentale qu’un demandeur lésé a le droit d’être mis dans une position aussi favorable que s’il y avait eu exécution régulière de la part du défendeur, est sujette à la réserve que le défendeur ne peut être appelé à défrayer toute perte évitable qui résulterait en une augmentation du quantum des dommages‑intérêts

[Page 648]

payables au demandeur. C’est dans ce sens que doit être interprétée l’expression «obligation» de minimiser dont fait état la jurisprudence.

En deux mots, un demandeur lésé a droit de recouvrer des dommages-intérêts pour les pertes qu’il a subies, mais l’étendue de ces pertes peut dépendre de la question de savoir s’il a ou non pris des mesures raisonnables pour éviter qu’elles s’accroissent immodérément.

Puis, un peu plus loin à la p. 331:

Si le défendeur prétend que le demandeur aurait pu raisonnablement minimiser la perte alléguée, il incombe au défendeur d’en faire la preuve, à moins que ce dernier ne se contente de laisser au juge de première instance le soin de trancher cette question à la lumière de son évaluation de la preuve des conséquences évitables fournie par le demandeur.

Par conséquent, si aux fins du règlement des réclamations en dommages-intérêts de Baud on appliquait intégralement les règles régissant les dommages-intérêts pour défaut de livrer des marchandises en violation d’un contrat de vente, l’évaluation des dommages subis en l’espèce devrait, à première vue, s’aligner sur la valeur des actions le jour de la rupture du contrat, soit le 31 décembre 1960. Le savant juge de première instance a conclu qu’à cette date, les actions avaient une valeur marchande de 29 cents chacune. La valeur des 125,000 actions illégalement détenues par Brook et, en conséquence, la perte subie par Baud parce qu’elle n’était pas en possession de ces actions, était donc, au 31 décembre 1960, de $36,250, en supposant aux fins de la discussion que la valeur marchande demeure constante pendant l’achat et la vente d’un tel nombre d’actions, il faut ajouter à cela d’autres dépenses qu’on pourrait raisonnablement qualifier d’accessoires aux mesures prises pour limiter le préjudice résultant de la rupture du contrat, les plus évidentes étant les frais de courtage et de commission que Baud aurait eu à payer pour acheter d’autres actions. Encore plus importante est la tendance à la hausse des cours qu’aurait entraînée l’achat sur le marché libre d’un aussi grand nombre d’actions d’Asamera. L’effet des ventes ou achats d’actions accélérés sur les cours a déjà été étudié dans la jurisprudence (voir Crown Reserve Consolidated Mines Ltd. v. Mackay[9]) et doit entrer en ligne de compte pour déterminer l’importance à accorder aux facteurs de limitation

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des dommages aux fins de l’évaluation du préjudice dans les circonstances de l’espèce. Malheureusement, Baud n’a présenté aucune preuve sur cet aspect du problème, dont il faut néanmoins tenir compte sans être en mesure de l’évaluer avec précision. Je reviendrai sur ce sujet plus en détail à une étape ultérieure.

Supposons pour le moment que la rupture du contrat et le droit de l’appelante à des dommages-intérêts remontent au 31 décembre 1960 et supposons également qu’elle aurait dû prendre à ce moment-là les mesures nécessaires pour limiter les pertes évitables, quelles étaient alors, en droit, les choses que l’appelante était tenue de faire pour limiter le préjudice? Un demandeur n’étant pas tenu de prendre toutes les mesures possibles pour réduire ses pertes, il est nécessaire d’examiner certains facteurs particuliers en l’espèce. L’appelante soutient que lesdits facteurs rendaient déraisonnable l’obligation d’acheter 125,000 actions d’Asamera. Un premier facteur découle du principe bien établi qu’un demandeur n’est pas tenu, pour limiter le préjudice, de courir un risque financier déraisonnable, y compris un risque inexistant dans l’opération initiale. C’est d’ailleurs le sens des arrêts Lesters Leather and Skin Co. v. Home and Overseas Brokers[10]; Jewelowski v. Propp[11]; et Pilkington v. Wood[12]. L’appelante se trouvait donc dans une situation inhabituelle en ce que, pour limiter le préjudice, il lui aurait fallu acheter en remplacement des actions d’une compagnie engagée dans une entreprise de nature spéculative, gérée et contrôlée par l’intimé, Brook, qui avait violé son contrat et qui se trouvait de ce fait un adversaire de l’appelante.

La preuve présentée en première instance révèle que, peu de temps avant le prêt par Baud des deux blocs d’actions à Brook, la valeur marchande des actions d’Asamera est passée de $3 l’action à un montant situé entre $1.62 et $1.87 en novembre 1958, pour tomber à 29 cents au 31 décembre

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1960. La preuve relative à la valeur des actions après cette date indique une faible remontée de leur valeur à $1.21 chacune en mars 1965, avec le rétablissement de la situation économique de la compagnie. L’appelante soutient qu’on ne peut lui reprocher de ne pas avoir acheté des actions en décembre 1960, dans le but de limiter le préjudice, eu égard à la diminution rapide de leur valeur démontrée par la preuve.

Un autre facteur plus important pouvait également rendre déraisonnable toute obligation pour Baud d’acheter des actions sur le marché: il s’agit de l’injonction susmentionnée du 27 juillet 1960, qui interdisait à l’intimé de vendre 125,000 actions d’Asamera. L’appelante prétend qu’il est inconcevable qu’une partie dont les biens sont illégalement détenus par une autre personne, et qui a réclamé et obtenu la protection considérable qu’offre une injonction délivrée par une cour d’equity, soit tenue en droit d’ignorer la force obligatoire et l’effet de cette injonction et donc d’acheter le même nombre d’actions que celles que Brook devait conserver en sa possession, quelle que soit l’interprétation donnée aux termes de l’injonction.

Même si l’on accepte cet argument, il faut noter que le droit de Baud d’invoquer l’injonction pour se dégager de son obligation de limiter ses pertes n’est pas absolu. Tout d’abord, la défense produite par Brook le 6 juillet 1967 a fait savoir à Baud que les actions visées par l’injonction avaient été vendues. A cette époque, les actions se vendaient entre $4.30 et $4.35 chacune et étaient à la hausse depuis avril 1965; à un prix moyen de $4.33, le tout aurait coûté $541,250 à Baud. En conséquence, au moins à partir du mois de juillet 1967, on ne peut s’appuyer sur le prix peu élevé des actions d’une compagnie inactive pour dire que le remplacement des 125,000 actions sur le marché libre pouvait raisonnablement décourager Baud; on ne peut pas dire non plus que Baud aurait raisonnablement été empêchée de poursuivre son action en dommages-intérêts en se fondant sur l’injonction interdisant à Brook de vendre les actions. Il n’en demeure pas moins, cependant, que dans le cas de valeurs aussi spéculatives que celles d’une compagnie d’exploration pétrolière, le cours

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du marché fait l’objet de fluctuations considérables, quelquefois suscitées par la direction de l’entreprise lorsque celle-ci détient, comme Brook, un nombre considérable d’actions.

Le savant juge de première instance a cité plusieurs arrêts anglais étayant la thèse selon laquelle dans le cas d’un prêt d’actions, la personne lésée n’est pas tenue de limiter le préjudice en achetant des actions sur le marché ni d’intenter une action en dommages‑intérêts dans un délai raisonnable. Selon cette jurisprudence, lorsque la valeur marchande des actions a fluctué entre la date de la rupture du contrat et celle du procès, le montant des dommages-intérêts correspond à la valeur marchande des actions soit au moment de la rupture soit à celui du procès, au choix du demandeur. Voir Harrison v. Harrison[13]; Shepherd v. Johnson[14]; McArthur v. Seaforth[15]; Sanders v. Kentish[16].) Ces arrêts ont été suivis au Canada et dans d’autres pays (voir Vicary v. Foley[17]; Galigher v. Jones[18] et la jurisprudence y citée). Ces arrêts n’imposent aucune obligation au demandeur de limiter le préjudice. Shepherd v. Johnson, précité, le juge Grose à la p. 211. L’application du principe élaboré dans ces anciennes affaires donnerait lieu à des dommages-intérêts calculés selon la valeur marchande des actions à la fin du procès ou, dans certains cas, selon leur cote maximale avant cette date. En l’espèce, le procès s’est déroulé de façon intermittente de juin 1969 à décembre 1971 et le jugement a été finalement rendu en mai 1972. En gros, la valeur des actions à cette dernière date était de $21 et leur cote maximale de $46.50, ce qui donnerait des dommages-intérêts approximatifs de $2,625,000 et de $5,812,500 respectivement.

L’ancienneté de ces arrêts en rend toute analyse pertinente presque impossible et, après mûre réflexion, je conclus que cette Cour ne devrait pas les suivre. Premièrement, ils ont été prononcés longtemps avant l’élaboration des principes modernes relatifs aux recours en matière contractuelle.

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Deuxièmement, ils sont en contradiction avec des arrêts récents de cette Cour. Troisièmement, ils ne tiennent pas compte des considérations extrêmement importantes et capitales qui sont à l’origine de la reconnaissance judiciaire de l’opportunité et même de la nécessité pour le demandeur de limiter le préjudice dû à la rupture du contrat. Quatrièmement, cet ancien principe mène à un résultat arbitraire, quoique facilement calculable, parce qu’il n’est pas suffisamment flexible pour permettre de prendre en considération l’énorme éventail de circonstances dans lesquelles les parties peuvent se trouver au moment de la rupture du contrat et avant que le procès puisse être mis en train. Le rythme du marché des valeurs et la complexité des opérations financières ont radicalement changé depuis l’élaboration de cette règle, ou principe, qui remonte au début du dix‑neuvième siècle.

Avant de passer à l’analyse de la nature et de l’étendue des dommages-intérêts en droit des contrats, il convient d’examiner rapidement les principes qui ont cours dans des situations analogues en matière délictuelle. En cas d’appropriation illégale, les dommages-intérêts correspondent à la valeur des actions au moment de l’appropriation illégale, plus le montant accordé pour la perte de la possibilité de vendre les actions à leur cote maximale avant la fin du procès. (Voir McNeil c. Fultz et autres[19], le juge Duff à la p. 205, et La Reine du chef de l’Alberta c. Arnold[20], le juge Spence à la p. 230.) Je sais bien que ces arrêts traitent en grande partie du refus illégal d’une personne ayant des responsabilités de fiduciaire de rendre certains biens à un bénéficiaire, mais le résultat serait en principe le même dans les cas de simple appropriation illégale. (Voir McGregor on Damages (13e éd. 1972) à la p. 671.)

Dans l’action en restitution, les dommages-intérêts correspondraient à la valeur des actions à la fin du procès plus le montant accordé à titre de dommages-intérêts pour la détention des biens. Si le dédommagement est égal à la valeur des actions à la fin du procès, c’est que l’action en restitution est, en fait, pratiquement une action en revendication dans laquelle le demandeur réclame que ses

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biens lui soient rendus. Si c’est impossible, l’estimation la plus exacte du préjudice subi par le demandeur correspond alors à la valeur qu’auraient eue les biens à leur restitution, soit à la fin du procès. Un montant supplémentaire est ajouté pour indemniser le demandeur du préjudice résultant de la détention illégale de ses biens; ce montant est fonction de la valeur maximale des biens entre la date à laquelle le demandeur aurait dû en reprendre possession et la fin du procès. Voici en quels termes McGregor on Damages, précité, en explique le principe à la p. 699:

[TRADUCTION] Comme dans les cas d’appropriation illégale, il n’existe aucune preuve précise de hausse puis de fléchissement des valeurs entre les dates de la détention initiale et du jugement. Même s’il paraît y avoir eu des fluctuations semblables dans l’affaire Williams v. Peel River Co., il semble que le demandeur ne réclamait, à titre de dommages-intérêts pour la détention, que la valeur des biens au moment du refus de les remettre moins leur valeur lors du jugement. Dans l’affaire Archer v. Williams, une action en restitution de titres provisoires, le juge Cresswell a indiqué au jury que «les dommages-intérêts correspondaient au montant maximal pour lesquels les titres auraient pu être vendus entre la date de la détention et celle à laquelle ils ont été rendus»; mais en appel, la seule question en litige concernait le droit du demandeur de recevoir la différence entre la valeur des titres au moment du refus de les rendre et leur valeur moindre au moment où ils ont été rendus. Nous croyons qu’il faut également en ce cas retenir la cote maximale atteinte par les titres avant l’époque où le demandeur aurait dû intenter son recours.

Je m’arrête un instant pour souligner que c’est à dessein que j’ai pris la fin du procès comme date limite. On a déjà parlé, en doctrine et en jurisprudence, de la date du «jugement». Je ne connais aucun cas précis de différence importante survenue entre la date de la fin du procès et celle du jugement. De nouvelles difficultés pourraient surgir s’il fallait attendre, pour fermer les livres, d’être en mesure d’établir la valeur des biens juste avant le prononcé du jugement. En conséquence, je retiendrais donc la date de la fin du procès comme date finale aux fins de l’évaluation. Dans l’affaire Metropolitan Trust Co. of Canada et al. v. Pres-

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sure Concrete Services Ltd. et al.[21], le juge Holland a ordonné au fonctionnaire responsable d’évaluer les dommages survenus entre la date de la fin du procès et celle du prononcé du jugement pris en délibéré. Étant donné mes conclusions en l’espèce, je n’ai pas à trancher cette question.

L’application des principes de base concernant le caractère prévisible et les rapports de cause à effet énoncés dans la jurisprudence précitée mène à la conclusion qu’en l’absence de toute obligation de limiter le préjudice, Baud aurait droit à des dommages-intérêts pour violation du contrat correspondant à la cote maximale des actions entre la date de la violation et la fin du procès, c.-à-d. $46.50 l’action ou $5,812,500. C’est l’indemnité maximale que permettent les thèses fondées sur l’ancienne jurisprudence mais, comme nous le verrons, elle ne convient pas. Il semble, selon la jurisprudence que j’ai pu relever, que cette cote intermédiaire maximale doive servir de point de départ aux fins de l’évaluation des dommages-intérêts résultant de la détention illégale d’actions appartenant à autrui; on ne peut cependant en retrouver le fondement dans les concepts susmentionnés qui prévalent en matière délictuelle et contractuelle. (Voir Archer v. Williams[22].) Avant la tentative consciente des tribunaux pour éliminer les distinctions entre les dommages-intérêts en matière délictuelle et ceux en matière contractuelle, on avait jugé, dans le cas d’une violation de contrat, que la perte de la possibilité de vendre les actions à leur cote maximale était trop peu prévisible pour pouvoir servir de fondement aux dommages-intérêts (Simmons v. London Joint Stock Bank[23], à la p. 284, infirmé pour d’autres motifs sous le nom London Joint Stock Bank v. Simmons[24]). Voici en quels termes les rédacteurs de Halsbury’s Laws of England (4e éd. 1975) t. 12, à la p. 467, ont commenté cet arrêt:

[TRADUCTION] Il ne faut pas présumer que le demandeur aurait nécessairement vendu à ce prix et que l’impossibilité de profiter d’une augmentation de valeur de nature spéculative résulte naturellement ou probablement de la rupture du contrat.

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Lorsqu’une conséquence prévisible ou prévue se produit, en l’espèce la perte d’une possibilité de vendre les actions, tout préjudice subi est inclus dans le montant global des dommages-intérêts calculé selon les principes appropriés. (Voir Cheshire & Fifoot’s Law of Contract (9e éd. 1976) à la p. 593 et Wroth v. Tyler[25], aux pp. 60-62.)

Étant lui-même un courtier en valeurs et ayant lui-même négocié des actions d’Asamera, Brook pouvait très vraisemblablement prévoir le préjudice causé à Baud en ne lui rendant pas ses actions. En l’absence de preuve contraire, on peut présumer que Brook a assumé ce risque. Ce genre de préjudice n’est pas de nature spéculative, ni suffisamment improbable ou imprévisible qu’il doive être négligé dans le calcul des dommages-intérêts pour rupture de contrat. Quant au montant de ces derniers, il n’est pas déraisonnable de l’établir en tenant compte du préjudice qu’a subi Baud en perdant la possibilité de vendre les actions à un prix voisin de la valeur médiane atteinte entre la date de la rupture du contrat et celle du procès, sous réserve des répercussions des nombreux facteurs pertinents étudiés ci-après.

Un autre principe fondamental dans le calcul des dommages-intérêts en matière contractuelle, savoir que le demandeur devrait, financièrement du moins, être placé dans la même situation que si le contrat avait été exécuté, donne un résultat semblable. Si Brook avait rendu les actions conformément au contrat, Baud aurait pu les vendre pendant que le marché était à la hausse. Suivant ce principe, les dommages s’échelonnent de 29 cents ou, pour être plus réaliste, de $2 à $46.50 l’action. La valeur de $2 l’action est plus appropriée parce que c’est le prix de l’option d’achat dont les parties avaient convenu pour la période venant à échéance lorsqu’est survenue la violation du contrat. Puisqu’il est irréaliste de penser qu’un bloc de 125,000 actions d’Asamera atteindrait cette cote maximale en une seule vente et que Baud, pas plus que les autres, n’est douée d’une telle perspicacité, la valeur médiane de $20 à $25 l’action pour la période commençant vers la moitié de l’année 1967 et se terminant à la fin du procès me semble plus appropriée. (Voir Fales et autres c.

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Canada Permanent Trust Company[26], le juge Dickson, à la p. 322.) Ce calcul donne un montant de dommages-intérêts de $3,000,000, mais il reste encore à étudier l’obligation de limiter le préjudice.

Il faut noter d’emblée que la jurisprudence qui ne reconnaît pas l’obligation de limiter le préjudice dans un cas de non-restitution d’actions a été passablement critiquée. (Voir Dawson v. Helicopter Exploration Co. Ltd.[27], le juge Sydney Smith de la Cour d’appel, aux pp. 103 et 104. Le pourvoi interjeté devant cette Cour a été accueilli pour des motifs non pertinents en l’espèce et sans qu’il y ait le moindre commentaire sur cette question, (1958), 12 D.L.R. (2d) 1.)

Les arrêts qui établissent les règles très rigoureuses relatives au recouvrement de dommages-intérêts en cas de non-restitution d’actions sont fondés sur le principe suivant: l’obligation légale de limiter le préjudice n’existe que lorsque la violation du contrat met un bien entre les mains du demandeur, ce dernier devant alors l’utiliser d’une manière raisonnable. Ainsi, lorsqu’un employeur congédie illégalement un employé, la rupture du contrat donne à ce dernier la possibilité de travailler pour un autre employeur ou tout au moins de lui offrir ses services, une possibilité qu’il n’avait pas avant son congédiement. Cette théorie n’est qu’une explication philosophique du simple critère d’équité et de raison qui détermine l’existence et l’étendue, selon les circonstances, de l’obligation de limiter le préjudice.

Le juge Rand a adopté ce raisonnement dans l’arrêt Karas et autres c. Rowlett[28], une affaire de fraude qui avait causé une perte de bénéfices, en déclarant, à la p. 8:

[TRADUCTION] …la violation ou le tort causé entraîne une possibilité de travail ou de gain. Cette possibilité est un avantage pour la partie lésée et elle est tenue d’en user de manière raisonnable dans le contexte de la rupture du contrat.

L’inexécution par un fournisseur d’un contrat de vente de marchandises entraîne une situation ana-

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logue car, étant libéré de l’obligation de payer, l’acheteur détient un bien (en l’occurrence l’argent réservé au paiement des marchandises) dont il ne disposait pas avant. Ce n’est pas le cas de Baud qui, pour limiter le préjudice résultant de la détention de ses actions d’Asamera, aurait pu être appelée à débourser une somme considérable pour remplacer les actions que Brook refusait de lui rendre. Puisque le preuve ne révèle aucun manque de fonds pour ce faire, l’arrêt Liesbosch Dredger v. S.S. «Edison»[29] n’est pas pertinent. Il est évident que la non-restitution des actions ne procurait aucun bien. Si cette théorie reflète l’état du droit et la survenance d’un bien est une condition essentielle à l’existence de l’obligation de limiter le préjudice, cette obligation n’existe pas en l’espèce.

Le résultat contraire surviendrait donc dans le cas de dommages-intérêts découlant de l’inexécution par le vendeur d’un contrat de vente d’actions. Dans ce cas, l’inexécution permettrait à l’acheteur d’utiliser l’argent réservé à l’achat et, en conséquence, le montant des dommages-intérêts devrait être évalué en tenant compte de l’obligation de l’acheteur de prendre des mesures pour limiter le préjudice, savoir l’achat d’actions sur le marché au moment de la violation du contrat. C’est actuellement l’état du droit. (Voir Dawson v. Helicopter Exploration Co. Ltd., précité; Pitfield & Co. Ltd. v. Jomac Gold Syndicate Ltd. et al.[30], à la p. 165 (C.A. de l’Ont.); Williams and Cameron v. Keyes and Pyramid Mining Co. Ltd.[31], à la p. 568 (C.S. de la C.-B.); Shaw v. Holland[32].)

La situation est différente lorsque le demandeur-acheteur a payé d’avance le prix et n’a pas reçu la contrepartie. Comme dans le cas de la non-restitution des actions, la violation du contrat ne met aucun bien dans les mains du demandeur puisqu’il a déjà payé. Pour cette raison, certains tribunaux ont jugé que la partie lésée n’est pas tenue d’acheter des marchandises équivalentes sur le marché. Les arrêts Gainsford v. Carroll et al.[33]

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et Shaw v. Holland, précité, appuient indirectement cette opinion alors que l’arrêt Startup et ai v. Cortazzi[34] la rejette. Lorsque la question a été soulevée devant la Cour d’appel d’Angleterre dans l’affaire Aronson v. Mologa Holzindustrie A/G Leningrad[35], après avoir étudié la jurisprudence américaine, le lord juge Atkin n’a pas tranché ce point. Dans l’arrêt Peebles v. Pfeifer[36], le juge Bigelow a statué qu’un acheteur de blé qui avait payé d’avance avait le droit d’être indemnisé en fonction de la valeur marchande du blé au moment du procès, soit $1.68 le boisseau même s’il ne valait que 76 cents au moment de la rupture du contrat. Le Conseil privé a suivi le même raisonnement dans l’arrêt Robertson v. Dumaresq[37], en évaluant les dommages-intérêts pour refus de céder le titre d’un terrain pour lequel l’acheteur avait déjà fourni la contrepartie. (Lord Chelmsford à la p. 95; mentionné dans l’arrêt Horsnail v. Shute[38], à la p. 200.)

Dans l’arrêt Hoefle c. Bongard & Company[39], cette Cour avait à considérer des faits d’une ressemblance frappante avec ceux de la présente affaire. Le juge Rand a adopté le critère anglais et jugé que l’obligation de limiter le préjudice n’existe pas dans le cas de non‑restitution d’actions. Les faits sont simples. Hoefle avait autorisé le transfert de 500 actions détenues par ses courtiers en son nom pour garantir le déficit au compte d’une amie intime, une nommée Hazel Weeks. Les courtiers ont vendu les actions pour combler le déficit et Hoefle les a poursuivis en dommages-intérêts en alléguant que la vente n’était pas autorisée. Quatre juges sur cinq ont jugé que la vente était effectivement autorisée par le transfert et ont rejeté l’action sans étudier la question des dommages-intérêts.

Le juge Rand ayant conclu que la vente des actions constituait une violation de contrat, a écrit ce qui suit au sujet de l’évaluation des dommages-intérêts (p. 373):

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[TRADUCTION] Une question peut être tranchée immédiatement. L’obligation de limiter le préjudice n’existe pas en l’espèce. Le courtier était autant en mesure que le propriétaire de corriger la situation ou d’en limiter les conséquences: le juge Grose, dans Shepherd v. Johnson.

L’adjudication de dommages-intérêts vise à remettre le propriétaire dans la même situation, autant que faire se peut, que si le contrat de dépôt avait été respecté. Pour fonder notre raisonnnement, il faut se demander ce qu’il aurait fait des valeurs pendant la période en cause. On ne peut pas dire qu’il les aurait vendues à leur cote maximale ou minimale, ni même s’il les aurait vendues. Mais ce sont ces considérations qu’il faut peser, compte tenu des circonstances, pour déterminer les probabilités: Williams v. Peel River Land and Mineral Company Ltd. Il s’agit d’un cas analogue au défaut de rendre des actions et, dans un tel cas, les défendeurs sont à première vue présumés avoir empêché le demandeur de conserver la propriété de ses actions jusqu’au procès: le juge en chef Best dans Harrison v. Harrison:

A mon avis, pour être juste, il faut établir les dommages-intérêts en fonction des cours d’hier ou d’aujourd’hui. L’engagement de rendre les actions a été pris alors que le défendeur avait l’argent. Justice n’est faite que lorsque le demandeur est remis dans la même situation que si les actions lui avaient été rendues à la date convenue. On ne peut présumer que le demandeur s’en serait départi. Tout ce qu’on peut dire, c’est que vous l’en avez empêché.

L’arrêt Owen v. Routh considère cette règle comme absolue.

En conséquence, même si les actions valaient $1.80 chacune au moment de la violation du contrat, le juge Rand a pris la valeur au moment du procès, soit $4 l’action, pour calculer les dommages-intérêts dus à Hoefle.

Ne parvenant pas à la même conclusion, la majorité en cette Cour n’a pas jugé nécessaire de trancher cette question. La survenance d’un «bien» lors de la rupture du contrat ne peut pas constituer dans tous les cas une condition préalable à l’existence de l’obligation pour la partie lésée de limiter le préjudice en empêchant une accumulation indue de pertes pouvant résulter de la violation. Et on ne peut dire non plus qu’à défaut d’un tel «bien», le demandeur soit automatiquement libéré de l’obligation de limiter le préjudice. La présence ou l’absence d’un «bien» n’est qu’un des nombreux

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facteurs à prendre en considération pour déterminer si, dans une affaire donnée, l’attitude de la partie lésée est raisonnable compte tenu des circonstances. D’après les savants rédacteurs de Halsbury’s Laws of England, (3e éd. 1960) t. 34, à la p. 155, les jugements qui accordent des dommages-intérêts calculés d’après l’augmentation de la valeur du bien faisant l’objet du litige entre la date de la rupture du contrat et celle de la fin du procès ne font pas jurisprudence. Après avoir pris note des anciennes causes, dont certaines sont étudiées plus haut, ils concluent que [TRADUCTION] «l’évaluation [des dommages-intérêts] doit dépendre des circonstances».

Il ressort donc que les principes concernant l’obligation de limiter le préjudice dans le cas des contrats de vente de marchandises en général ne s’appliquent pas intégralement aux fins de l’évaluation de cette obligation dans le cas des contrats de vente d’actions et diffèrent fondamentalement des cas d’inexécution de contrat par défaut de rendre des actions. A mon avis, les anciens principes régissant l’action en restitution et l’action pour appropriation illégale ne s’appliquent pas en cas de défaut de rendre des actions en conformité d’un contrat, car ils permettraient à la partie lésée d’attendre le moment opportun pour intenter son recours, tout en faisant subir au défendeur le risque de fluctuations considérables du marché entre la date de la rupture du contrat et celle du procès, qui pourraient le pousser à la faillite. Les pertes qui auraient pu être évitées si l’on avait pris des mesures raisonnables dans les circonstances pour limiter le préjudice ne doivent pas, dans l’intérêt même du monde des affaires, être uniquement supportées par le défendeur en vertu d’une règle d’application universelle, mais arbitraire, pour le calcul des dommages-intérêts en cas de défaut de rendre des biens conformément à un contrat.

Il importe d’abord de voir en quels termes le lord chancelier vicomte Haldane a énoncé de façon non équivoque le principe de base en matière d’obligation de limiter le préjudice dans l’arrêt British Westinghouse Electric and Manufacturing Company, Limited v. Underground Electric Rail-

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ways Company of London, Limited[40], à la p. 689:

[TRADUCTION] Le principe fondamental est donc la compensation des pertes pécuniaires découlant naturellement de l’inexécution; mais ce principe est mitigé par un autre qui veut que le demandeur ait l’obligation de prendre toutes mesures raisonnables pour limiter le préjudice résultant de la rupture du contrat et ne puisse être indemnisé pour la partie du préjudice qu’il aurait ainsi pu éviter. Comme l’a écrit le lord juge James dans Dunkirk Colliery Co. v. Lever, «Celui qui ne respecte pas un contrat n’est pas responsable des dommages supplémentaires attribuables à l’inaction des demandeurs, ces derniers étant tenus d’agir en hommes raisonnables sans toutefois être obligés de prendre d’autres mesures que celles se situant dans le cours normal des affaires».

Comme le précise le lord juge James, ce second principe n’impose pas au demandeur l’obligation de prendre des mesures différentes de celles que prendrait un homme raisonnable et prudent dans le cours normal de ses affaires. Cependant, lorsque dans le cours de ses affaires il prend une mesure liée à la transaction qui a pour effet de réduire les pertes, la diminution du préjudice peut être prise en considération même s’il n’était pas tenu d’agir ainsi.

Ce principe a été appliqué dans les cas d’appropriation illégale d’actions et de rupture de contrats de vente d’actions et, pour les motifs susmentionnés, il devrait également s’appliquer, selon les circonstances, aux cas de violation d’un engagement de rendre des actions.

Il est intéressant de noter qu’aux États-Unis, des règles semblables aux règles élaborées en Angleterre vers la fin du dix-neuvième siècle ont été mises au rancart en 1899 en faveur de ce que l’on appelle communément la «règle de New York». Cette règle a été appliquée autant en matière contractuelle que délictuelle et ses assises sont difficilement contestables.

L’arrêt clé en ce qui concerne la «règle de New York» est Galigher v. Jones[41], où la Cour suprême des États-Unis a rejeté définitivement la thèse selon laquelle un demandeur lésé par la vente non autorisée de ses actions ou par l’omission d’acheter

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des actions selon ses directives pourrait recouvrer des dommages-intérêts qu’il aurait pu éviter. La Cour a critiqué l’ancienne règle qui accordait arbitrairement la cote intermédiaire maximale atteinte par les actions entre la date de la violation et celle du procès. Les commentaires suivants du juge Bradley sont pertinents (pp. 200 à 202):

[TRADUCTION] La règle de la cote intermédiaire maximale relative aux opérations de bourse a été adoptée en Angleterre et dans plusieurs États américains, alors qu’elle était rejetée dans d’autres. Sa nature et sa portée ont fait l’objet de nombreuses discussions et divergences d’opinion. Les arrêts pertinents sont étudiés dans Sedgwick on the Measure of Damages [479], t. 2, 7e éd. p. 379, note (b); Mayne, Damages, 83 (92 Law Lib.); 1 Sm. Lead. Cas. 7e éd. mod. 367. Les arrêts anglais auxquels on se réfère le plus souvent sont: Cud v. Rutter, 1 P. Wms. 572, 4e éd. note (3); Owen v. Routh, 14 C.B. 327; Loder v. Kekulé, 3 C.B.N.S. 128; France v. Gaudet, L.R. 6 Q.B. 199. Ces arrêts établissent que dans le cas d’un prêt d’actions et de la violation de l’engagement prévoyant leur remplacement, les dommages-intérêts sont fondés sur le cote maximale atteinte par les actions à la date du procès ou avant.

Il y a probablement plus d’opérations de ce genre dans l’État de New York que dans tout le reste du pays. La règle de la cote intermédiaire maximale des actions y a déjà prévalu, comme le démontrent certains arrêts, notamment Romaine v. Van Allen, 26 N.Y. 309 et Markham v. Jaudon, 41 N.Y. 235, — mais son application rigoureuse a été désapprouvée par la Cour supérieure de New York: voir le jugement du juge Duer dans Suydam v. Jenkins, 3 Sandf. 614. Les difficultés qu’entraînait l’évaluation des dommages-intérêts à partir de la cote maximale atteinte avant le procès, qui pouvait avoir lieu plusieurs années après l’opération, étaient telles que la Cour d’appel de New York s’est vue obligée de modifier considérablement la règle et de statuer que la seule façon équitable d’évaluer les dommages était de considérer la cote intermédiaire maximale atteinte par les actions entre le moment de leur appropriation illégale et un temps raisonnable après que leur propriétaire en eut été informé afin de lui permettre de les remplacer. Cette règle modifiée a été très habilement appliquée dans une décision de la Cour d’appel rendue par le juge Rapallo dans l’affaire Baker v. Drake, 53 N.Y. 211… Ce serait un travail énorme de revoir toutes les opinions, souvent divergentes, rédigées sur le sujet. Tout bien considéré, nous concluons que la règle de New York, qu’a entérinée la Cour d’appel, doit l’emporter parce

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qu’à notre avis, elle énonce correctement l’état du droit. (C’est moi qui souligne.)

(Voir la note 31 ALR 3d 1286; Mitchell v. Texas Gulf Sulphur Company[42].)

Même si les circonstances de cette affaire ont fait que la Cour s’est en pratique limitée à la question de l’appropriation illégale d’actions et à ses conséquences, le principe général qui se dégage est le droit de recouvrer les dommages-intérêts résultant de la rupture d’un contrat prévoyant la restitution d’un bien, peu importe la cause de la rupture et qu’il y ait eu ou non appropriation illégale. L’application de ce principe en l’espèce, savoir la rupture du contrat prévoyant la restitution et ce qui s’ensuit, soulève d’autres questions.

Dans l’affaire La Reine c. Arnold, précitée, cette Cour a analysé les restrictions à appliquer à l’évaluation des dommages-intérêts pour défaut de restitution des actions par suite d’une appropriation illégale. A la majorité, la Cour a rejeté l’action pour des motifs non pertinents en l’espèce. Le juge Spence aurait accueilli la demande en partie, et a déclaré ce faisant (à la p. 230):

Il va sans dire qu’un demandeur dont les valeurs ont été réalisées illégalement ne peut attendre que le délai de prescription soit presque écoulé pour intenter des procédures en recouvrement ou en dommages pour l’appropriation, et ensuite avoir le droit de réclamer des dommages correspondant à la cote maximale atteinte par ces valeurs pendant le délai de prescription de six ans.

Le juge Spence a conclu que le demandeur n’avait pas le droit d’être indemnisé pour un préjudice qu’il aurait pu éviter en achetant des actions de remplacement. Comme je l’ai indiqué, le jugement de la majorité, rédigé par le juge Martland, n’avait pas à trancher la question des dommages-intérêts, mais précise quand même (à la p. 221):

…cependant, si j’avais eu à décider de cette question, je me serais rangé à l’avis de mon collègue le juge Spence.

Le résultat est conforme à la règle dite de New York, dans la mesure où il rejette la doctrine de la «cote intermédiaire maximale». Le même principe a été retenu aux fins de l’évaluation des dommages résultant de l’appropriation illégale de biens per-

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sonnels autres que des valeurs mobilières dans l’arrêt Sachs v. Miklos[43]. Comme je l’ai déjà noté, il peut y avoir des cas où le devoir de limiter le préjudice n’oblige pas le demandeur à s’exposer aux risques et aux dépenses considérables d’un achat de biens de remplacement, mais il n’en demeure pas moins que le demandeur doit dans tous les cas établir sa réclamation soit en achetant des biens de remplacement soit en intentant rapidement une action et en procédant avec diligence afin de permettre à la cour d’évaluer le montant des dommages compte tenu des mesures qu’il est tenu de prendre, en droit, pour limiter le préjudice. L’appelante n’ayant fait ni l’un ni l’autre, il est difficile d’appliquer ces principes en l’espèce.

Compte tenu des difficultés considérables que peut entraîner l’application de l’ancienne jurisprudence en matière d’évaluation des dommages-intérêts et des différences importantes qui résultent de ce que cette jurisprudence n’impose aucune obligation de limiter le préjudice dans les cas de non-restitution d’actions, je conclus que la jurisprudence constituée depuis le début du dix-neuvième siècle, en grande partie devant les tribunaux anglais, et selon laquelle des «pertes évitables» sont sujettes à indemnisation, ne doit pas être suivie. C’est plutôt le principe énoncé dans La Reine c. Arnold, précité, qu’il faut retenir. Sous réserve des circonstances propres à chaque cas, la partie lésée sera donc dans l’obligation d’acheter des actions semblables sur le marché, au moment de la rupture du contrat (ou au moment où elle en prend connaissance), ou bien, ce qui sera plus souvent le cas, dans un délai raisonnable dans les circonstances. L’application de ce principe doit tenir compte des aléas du marché des valeurs, savoir la nature des actions en cause, la résistance du marché lors de transactions importantes, le nombre d’actions en vente libre, les fluctuations récentes de prix, le volume des transactions récentes, le climat général du marché à ce moment-là, l’influence des opérations courantes de la compagnie sur le prix des actions et d’autres considérations de ce genre.

Pour certains biens, comme les actions, dont la valeur est constamment exposée à des fluctuations soudaines et d’une ampleur imprévisible, et dont

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l’achat exige une certaine expérience, il faut modifier la règle générale selon laquelle la valeur du bien à la «date de la rupture» constitue la base de calcul des dommages-intérêts. La jurisprudence anglaise semble aussi appuyer cette thèse. On trouve à la p. 294 de Atiyah, Sale of Goods (4e éd. 1974):

[TRADUCTION] Même si la règle de la valeur marchande est actuellement bien ancrée en droit anglais, il existe des cas où son application ne rend pas pleinement justice à l’acheteur. En effet, il n’est pas réaliste de présumer qu’un acheteur achètera des biens sur le marché le jour même du défaut du vendeur de les livrer. En pratique, et c’est la règle plutôt que l’exception, il prendra un certain temps pour étudier sa situation et négocier avec le vendeur défaillant avant d’acheter des biens de remplacement.

Cette thèse a été analysée et adoptée, du moins en partie, dans les arrêts suivants: Hooper v. Herts[44], le lord juge Romer, à la p. 564; Sharpe & Co., Ltd.[45]; Stewart v. Cauty[46], le baron Alderson, à la p. 162; Pitfield & Co. Ltd. v. Jomac Gold Syndicate Ltd. et al., précité.

L’appelante Baud soutient cependant que les circonstances particulières de l’espèce rendaient tout à fait déraisonnable l’achat d’actions hautement spéculatives d’une compagnie contrôlée par son adversaire, notamment parce qu’elle avait obtenu une injonction interdisant à Brook de vendre 125,000 actions d’Asamera qu’il détenait. Il n’en demeure pas moins que l’appelante aurait pu éviter certaines pertes à l’égard desquelles elle réclame un dédommagement en prenant d’autres mesures raisonnables. Il est évident qu’elle aurait dû faire preuve d’une diligence raisonnable pour intenter des poursuites en vue de récupérer les actions et, subsidiairement, obtenir des dommages-intérêts. Il est bien sûr extrêmement difficile en cette Cour d’établir le moment précis auquel le procès aurait eu lieu si l’appelante avait fait preuve de diligence raisonnable. L’affaire a lentement suivi son cours au gré des procédures interlocutoires, pour finalement atteindre l’étape du procès qui a duré un an et demi. Le premier recours ayant été

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introduit en juillet 1960, les tribunaux sont saisis de ce litige depuis maintenant 18 ans.

L’appelante a donné plusieurs raisons, que l’intimé n’a pas vraiment contestées devant cette Cour, pour expliquer cette prolongation des procédures. Par exemple, à un moment donné (avant 1966), Brook aurait demandé à Baud de [TRADUCTION] «laisser tomber les procédures judiciaires». Par contre, Baud, pour des raisons bien pratiques, n’a rien fait pour accélérer les procédures avant la fin de 1966, époque à laquelle Asamera s’est finalement mise à extraire du pétrole à Sumatra; [TRADUCTION] «les actions ont alors lentement pris de la valeur» et il a fallu, pour citer l’appelante, [TRADUCTION] «intenter une nouvelle action contre lui…». A mon avis, en droit, Baud devait aller plus loin. Elle avait l’obligation, au sens de l’arrêt Red Deer College c. Michaels et Finn, précité, de limiter le préjudice en achetant des actions dans une compagnie qu’elle savait loin d’être dans une situation financière solide. On peut donc dire que Baud n’aurait rien fait (ni en achetant des actions, ni en accélérant les procédures judiciaires) avant qu’Asamera n’ait commencé à extraire du pétrole, que Brook lui ait demandé ou non de s’abstenir.

L’analyse rigoureuse de la théorie des dommages-intérêts en matière contractuelle ne doit pas nous faire perdre de vue l’aspect pratique de la valeur de l’argent et des risques financiers auxquels on expose un demandeur en l’obligeant à prendre toutes les mesures possibles pour limiter le préjudice. En l’espèce, l’importance de l’opération, qui porte sur une somme de $800,000 à $1,000,000 de dollars — si les actions atteignent une valeur de $7 à $8 l’unité — nous amène à conclure qu’il faut accorder, après avoir identifié en droit la période clé, un délai «raisonnable» pour prendre lesdites mesures.

L’appelante soutient qu’elle n’était pas obligée d’acheter des actions sur le marché parce qu’elle avait le droit d’exiger l’exécution intégrale de l’engagement de rendre les actions et que, puisqu’une injonction en interdisait la vente, elle n’avait pas à se préoccuper des dommages qui pouvaient résulter de son inaction. Son avocat n’a cité devant nous aucune jurisprudence où les principes de limitation

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du préjudice entrent en conflit avec ceux de l’exécution intégrale du contrat. D’après la jurisprudence que j’ai consultée, c’est le bon sens qui l’emporte, savoir que le principe de la limitation du préjudice prévaut sauf si des intérêts primordiaux et légitimes justifient l’exécution intégrale du contrat.

En equity, ce conflit peut survenir lors de l’interaction du principe de limitation du préjudice et de celui de l’adjudication de dommages-intérêts au lieu ou en sus de l’exécution intégrale du contrat. Les décisions en matière de dommages-intérêts rendues par des tribunaux d’equity sont fondées sur la Lord Cairns’ Act (dont la référence exacte est la Chancery Amendment Act, 1858, 21 & 22 Vict. chap. 27, art. 2), qui habilite les tribunaux d’equity à accorder des dommages-intérêts [TRADUCTION] «en sus ou au lieu de… l’exécution intégrale». En conséquence, dans plusieurs affaires de contrats de vente de terrains, les dommages-intérêts ont été accordés sur la base de la valeur du terrain au moment du jugement plutôt qu’au moment de la rupture du contrat. (Voir Wroth v. Tyler, précité; Metropolitan Trust Co. of Canada et al. v. Pressure Concrete Services Ltd. et al., précité; Calgary Hardwood & Veneer Ltd. and Foreign and Domestic Wood Ltd. c. La Compagnie de chemins de fer nationaux du Canada[47].) Dans l’arrêt Hickey v. Bruhns[48], la Cour suprême de la Nouvelle-Zélande a eu l’occasion d’examiner l’arrêt Wroth v. Tyler, précité, de même que la jurisprudence antérieure et, après en être venue à la conclusion qu’une ordonnance d’exécution intégrale n’était pas appropriée, elle a statué que l’adjudication de dommages-intérêts au lieu d’une ordonnance d’exécution intégrale devait tenir compte de la conduite des parties, particulièrement dans un cas de retard excessif où la détermination de la date aux fins du calcul des dommages‑intérêts est cruciale. Voir Kaunas v. Smyth et al.[49]

Il est en principe évident que la seule introduction de procédures judiciaires visant l’exécution intégrale du contrat en sus ou au lieu des dommages-intérêts ne peut couvrir le demandeur et empê-

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cher la Cour de tenir compte de l’accumulation des pertes qu’il aurait pu éviter en procédant avec une diligence raisonnable. De même, la simple introduction de procédures judiciaires, quand le demandeur aurait dû aussi acheter des biens de remplacement en vue de limiter le préjudice, ne donne pas à ce dernier droit au même redressement que celui qu’il aurait obtenu en achetant des biens de remplacement et en faisant preuve de diligence à instituer son action. Pour qu’un demandeur puisse invoquer une action en exécution intégrale pour justifier son omission d’acheter des biens de remplacement pour limiter le préjudice, son action en exécution intégrale doit être fondée sur des motifs équitables, réels et importants. Sinon, le défendeur se trouve à supporter seul les risques d’une augmentation des pertes dues au retard dans l’institution du procès. En l’espèce, l’appelante soutient qu’on devrait lui reconnaître le droit d’invoquer son action en exécution intégrale et l’injonction décernée à cet égard de façon à lui permettre de recouvrer des pertes inévitables. Après mûre réflexion, je suis d’avis que cet argument n’est pas fondé.

Cet argument serait très raisonnable si, pour reprendre l’exemple de lord Reid dans White and Carter (Councils) Ltd. v. McGregor[50], une affaire d’intention arrêtée de ne pas exécuter un engagement, un intérêt important et légitime justifiait l’exécution intégrale de l’obligation. Prenons l’hypothèse d’un demandeur qui aurait convenu d’acheter un immeuble, ou une tranche d’actions lui donnant le contrôle d’une compagnie, ou qui aurait entrepris l’exécution de ses propres obligations et risquerait d’aggraver le préjudice s’il arrêtait ladite exécution. Un tel demandeur pourrait faire valoir qu’une ordonnance d’exécution intégrale de l’engagement suspend l’obligation d’éviter et de limiter le préjudice par l’achat d’un bien de remplacement. Mais même dans de tels cas, l’action en exécution intégrale doit être intentée et poursuivie avec une diligence raisonnable. Il s’agit ici de l’application de la règle en matière de limitation du préjudice, selon laquelle la partie lésée doit agir raisonnablement dans les circonstances. Le

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seul cas où un demandeur peut justifier son inaction est celui où l’action en exécution intégrale, par opposition à une action en dommages-intérêts, est fondée sur un intérêt important et légitime; dans ce cas, s’il n’obtient pas l’exécution intégrale, il peut obtenir des dommages-intérêts pour des pertes qui, en d’autres circonstances, auraient pu être évitées et pour lesquelles il n’aurait donc pas pu se faire indemniser. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

Ces principes sont fondés sur l’arrêt British Westinghouse Electric and Manufacturing Company, Limited v. Underground Electric Railways Company of London, Limited, précité, et ne sont en fait que des exemples d’application des principes contenus dans cet arrêt à des circonstances, ou à des combinaisons de circonstances, plutôt inhabituelles dans lesquelles les parties peuvent se trouver après la rupture du contrat.

En réponse à l’argument selon lequel le fait que Baud n’ait pas tenté de limiter le préjudice en achetant des actions sur le marché libre exposait Brook à des réclamations de dommages‑intérêts excessifs pour son refus de rendre les actions d’Asamera, l’avocat de Baud soutient que l’application des principes de limitation du préjudice est déraisonnable en l’espèce car l’investissement de Baud en achetant 125,000 actions d’Asamera aurait été à l’avantage de son adversaire en l’espèce, alors qu’Asamera était, aux dires de Baud, dirigée et contrôlée par Brook. Ma réponse à cet argument est que l’appelante ne peut pas tout avoir à la fois. D’une part, elle demande qu’on lui rende des actions qui, selon elle, ont eu et ont encore beaucoup de valeur à ses yeux. D’autre part, elle prétend qu’il n’est pas raisonnable de dire qu’elle aurait dû acheter des actions de remplacement, identiques en tous points. Si elle croyait réellement à la valeur des actions, elle aurait dû demander à ses courtiers d’acheter des actions de remplacement dans un délai raisonnable après la rupture du contrat. Rien n’indique que l’appelante n’aurait pas pu le faire.

Il semble qu’à un stade de cette opération, la Commission américaine des valeurs mobilières ait restreint ou interdit la vente de ces actions et

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peut-être d’autres valeurs d’Asamera détenues par les parties. Mais lorsqu’en 1959 et 1960 Brook a vendu les actions en question (ou le même nombre), aucune ordonnance ni aucun règlement de ladite Commission ne l’interdisait; nous n’avons donc pas à tenir compte de cet élément aux fins du calcul des dommages-intérêts.

L’avocat de Brook soutient que le manque de diligence de Baud dans la poursuite de son action en dommages-intérêts après le refus de Brook de lui rendre les actions d’Asamera exposait injustement ce dernier à des réclamations excessives. Baud prétend en revanche que la distance séparant les parties, leurs témoins et leurs conseillers, de l’Indonésie à New York en passant par la Hollande et Calgary, explique la lenteur des procédures et de l’interrogatoire préalable. C’est sans doute vrai. Par exemple, en mai 1968, Brook a révélé, à l’interrogatoire préalable, qu’il avait vendu 125,000 actions avant la date initiale d’expiration de son option d’achat. Il ne connaissait cependant pas, à cette époque, les dates et les prix de vente précis et, malgré les engagements pris, ces renseignements n’ont été communiqués à Baud qu’en avril 1970, au cours du témoignage de Brook qui a alors déclaré que les ventes avaient eu lieu en décembre 1957 et en janvier et février 1958. En outre, comme on l’a déjà noté, Brook avait demandé à Baud, entre l’institution de l’action en 1961 et 1966, de ne pas poursuivre l’affaire. Comme nous l’avons vu, même le procès (de juin 1969 à décembre 1970) a connu des interruptions et le jugement final date de mai 1972. Le savant juge de première instance avait rendu jugement en avril 1971, mais il restait des questions en litige. Les avocats ont donc présenté de nouveaux mémoires et des motifs supplémentaires ont été exposés en mai 1972. Dans ces circonstances, quelle période peut-on considérer «raisonnable» pour la poursuite de l’action? Fort heureusement, la solution du présent litige ne dépend pas directement de savoir quelle aurait pu être cette période raisonnable pour obtenir un jugement. Comme je l’ai déjà dit, les dommages-intérêts ne doivent pas être évalués en fonction de la cote maximale des actions entre la date de la rupture du contrat et la date du procès. L’obligation en droit de l’appelante de limiter le préjudice ne dépend pas de la date du

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jugement. L’introduction d’une procédure judiciaire est une façon d’établir les pertes lorsqu’il n’est pas raisonnable d’exiger l’achat d’un bien de remplacement. En l’espèce, l’appelante est responsable des pertes résultant de son manque de diligence et elle s’est donc elle-même privée de l’utilisation de son argent. Quoi qu’il en soit, la méthode d’évaluation du préjudice est une question de fond et non de procédure et le résultat doit être constant, indépendamment des aléas d’une poursuite en justice.

Compte tenu de la complexité des questions soulevées dans les trois actions (il ne faut pas considérer seulement la durée de l’action en restitution des actions prêtées à Brook) et des circonstances de l’affaire, il serait déraisonnable d’astreindre l’appelante à un calendrier pour la poursuite de ces actions qui situerait l’instruction avant la fin de 1966 ou le début de 1967. Si l’institution d’une action peut permettre au demandeur d’éviter d’investir une somme considérable en vue de limiter le préjudice, les tribunaux ne peuvent calculer les dommages en fonction de l’impact des fluctuations de la valeur du bien faisant l’objet du contrat entre la date de la rupture et celle du procès sans exiger du demandeur qu’il ait fait-preuve de diligence dans la poursuite de son action.

Le prix de ces actions à la Bourse de Toronto a fait l’objet de nombreux témoignages. Devant cette Cour, Baud, sans aucune objection de l’avocat de Brook, a résumé cette preuve par une série de graphiques indiquant le prix et le volume annuel des transactions entre 1955 et 1977. Lorsque Brook a plaidé (le 6 juillet 1967) a) le droit de refuser de rendre les actions, et b) la vente des actions, elles valaient entre $4.30 et $4.35 chacune. Le volume des transactions était très faible. Vers la fin de 1967, le prix des actions a atteint $7.25, mais le volume des transactions était encore faible. Il n’existe malheureusement aucune preuve sur la solidité du marché, mais il est raisonnable de conclure, d’après le faible volume des transactions sur une période aussi longue, que le marché était

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médiocre et n’aurait probablement pas été capable d’absorber des achats massifs ou de maintenir le prix coté en cas de ventes massives. A l’époque de l’interrogatoire préalable, en mai 1968, les actions avaient atteint une valeur de $7.60 à $8.20 chacune. Les transactions avaient considérablement augmenté l’année précédente, mais restaient sporadiques. A la fin de l’année, le prix coté à la Bourse était de $27 et, en comparaison, le marché était animé. Les actions d’Asamera ont atteint un prix maximum de $46.50 l’unité en 1969, époque du début du procès. En avril 1971, date du dépôt des motifs de jugement, le prix des actions était descendu à $22 l’unité et, en mai 1972, époque à laquelle les questions supplémentaires furent tranchées et le jugement formel enregistré, les actions d’Asamera étaient cotées approximativement $21 en Bourse.

Les tribunaux d’instance inférieure ont conclu, en suivant des méthodes différentes, que la date pertinente aux fins de l’évaluation des dommages était celle de la rupture du contrat prévoyant la restitution des actions, en l’occurrence le 31 décembre 1960. Les actions valaient alors 29 cents sur le marché libre. Les mêmes tribunaux ont également fait remarquer que les parties avaient convenu que le prix d’achat à cette date serait de $2 (si l’option d’achat était exercée) et que les dommages ne pouvaient donc être évalués à moins. La preuve révélait en outre qu’en vendant le même nombre d’actions en 1957 et 1958, Brook avait obtenu de $1.50 à $1.80 l’action. Des dommages fondés sur le prix du marché à la date de la rupture du contrat permettraient à Brook de tirer profit de son acte illégal. Les jugements des tribunaux d’instance inférieure donnent à penser que cet enrichissement de Brook moyennant la rupture du contrat a joué un rôle important dans l’évaluation des dommages. En conséquence, les dommages ont été fixés à $2 l’action, soit une somme globale de $250,000.

Il me semble que les motifs du défendeur ou son enrichissement injuste par la rupture ne doivent normalement pas entrer en ligne de compte dans l’évaluation des dommages. Voir Treitel, The Law of Contract, (4e éd., 1975), à la p. 618:

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[TRADUCTION] En règle générale, les dommages sont fondés sur le préjudice causé au demandeur et non sur le gain réalisé par le défendeur. Autrement dit, ils ne sont pas calculés en fonction de l’avantage que le défendeur a pu tirer de la rupture du contrat.

Placée devant une telle situation, une cour d’appel n’a pas la tâche facile. Le dossier du procès est déficient. Cette Cour n’a devant elle aucune preuve précise des conditions du marché, des facilités de crédit, des taux d’intérêt, de la capacité d’emprunt de l’appelante, de l’effet de mesures qu’elle aurait prises pour limiter le préjudice sur les cours du marché, de la période de temps raisonnable pour acheter un tel volume d’actions sur le marché libre, et d’autres questions pertinentes aux fins de l’évaluation des dommages. En revanche, l’opération remonte à vingt ans et ce procès, long et sans nul doute onéreux, est terminé depuis sept ans. Ordonner une nouvelle évaluation des dommages entraînerait d’autres retards, comporterait de nombreuses difficultés après aussi longtemps et serait onéreux pour les parties. Devant un choix aussi peu satisfaisant, une cour d’appel doit, si la chose est possible, trouver dans le dossier soumis les éléments nécessaires à l’évaluation définitive des dommages-intérêts.

Il convient donc d’aborder comme suit la question de l’évaluation des dommages exigibles dans les circonstances particulières de cette affaire: les principes relatifs au caractère prévisible s’appliquent également que la réclamation soit fondée sur la responsabilité délictuelle ou contractuelle, sous réserve cependant des connaissances, ententes ou relations particulières entre les parties contractantes ou de toute disposition expresse ou implicite dans le contrat au sujet des dommages recouvrables en cas d’inexécution; Baud avait l’obligation générale de limiter le préjudice et ne peut s’en dégager en invoquant indéfiniment l’injonction de 1960; l’obligation spécifique de Baud de limiter le préjudice et d’établir sa demande de dommages-intérêts en intentant l’action appropriée dans un délai raisonnable après la rupture et en procédant avec diligence a été repoussée dans le temps parce que Brook lui avait demandé, avant 1966, de ne pas poursuivre l’affaire; Baud aurait dû corriger son manque de diligence à poursuivre son action et à acheter des actions de remplacement dès qu’elle

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a appris que la partie contrevenante refusait non seulement de lui rendre les actions mais en avait vendu un nombre identique; le retard apporté par Baud à l’achat d’actions de remplacement justifé par la baisse importante de la valeur des actions à l’époque du prêt ne tient plus après la fin de 1966, les actions ayant dès lors repris de la valeur; un demandeur dans la situation de Baud ne peut pendant toutes ces années à la fois prétendre avoir droit à l’exécution intégrale du contrat de restitution des biens et tenter d’éviter de limiter le préjudice en invoquant le fait que l’achat d’actions de remplacement l’obligerait à investir dans une compagnie gérée ou contrôlée par son adversaire, Brook; compte tenu de la nature d’une action ordinaire, ni les dispositions de l’injonction ni celles du contrat de prêt, ni le fait que Brook ait vendu le même nombre d’actions que celles prêtées, n’ont d’effet sur le caractère des droits de Baud ou sur les obligations de Brook aux termes d’une opération aussi complexe; l’adjudication de dommages-intérêts est une solution adéquate et, dans des circonstances aussi particulières que complexes, la Cour ne doit pas recourir aux redressements extraordinaires prévus en equity.

L’application de ces principes et solutions aux circonstances particulières de l’espèce exige, à mon avis, une évaluation des dommages-intérêts payables par Brook fondée sur la supposition que Baud aurait dû établir les dommages en achetant des actions de remplacement de façon à limiter les pertes évitables résultant de l’impossibilité pour Baud, du fait de Brook, de mettre les 125,000 actions sur le marché. Cet achat d’actions aurait dû être effectué dans un délai raisonnable après la rupture du contrat. Compte tenu de toutes les circonstances particulières susmentionnées, cet achat aurait dû, à mon avis, être effectué à l’automne de 1966 alors que Baud, de son propre aveu, n’était plus assujettie à l’entente conclue avec Brook de ne pas poursuivre l’affaire. Il ne serait pas raisonnable en effet de s’attendre à ce que Baud ait acheté des actions de remplacement alors que les procédures judiciaires étaient en veilleuse, à la demande même de Brook. En outre, Baud a reconnu qu’à l’automne de 1966, la situation

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d’Asamera s’était améliorée, résultant en une augmentation de la valeur marchande de ses actions. Bref, à mon avis, l’appelante n’a aucun droit à une indemnisation pour la perte de la possibilité de vendre les actions après cette date. Elle est alors devenue l’auteur du préjudice qu’elle a subi. Le principe sous-jacent à l’adjudication des dommages-intérêts est d’accorder une indemnisation correspondant au prix de remplacement des actions à leur cours au moment où la demanderesse était tenue en droit de les remplacer afin d’éviter l’accroissement de sa réclamation. On doit laisser à la demanderesse un délai raisonnable pour procéder de façon ordonnée au financement et à l’acquisition des 125,000 actions d’Asamera, soit par de petits achats soit en bloc. Ceci nous mène à l’automne de 1967. A ce moment-là, la valeur des actions était de $5 à $6. Compte tenu de la tendance à la hausse qu’aurait entraînée l’achat d’un aussi grand nombre d’actions dans un marché restreint, le prix des actions aurait certainement dépassé les $6 l’unité atteints vers la mi-1967, sans que Baud intervienne sur le marché. Tout bien pesé, j’ajouterais un dollar à la valeur des actions à cette date. Prenant en considération l’effet d’une intervention de Baud sur le marché, la valeur moyenne des actions entre la fin de l’année 1966 et le milieu de l’année 1967 serait d’environ $6.50 et, à mon avis, c’est ce chiffre qui doit fonder les dommages-intérêts dus à Baud; en conséquence, le montant total des dommages-intérêts dus pour la non-restitution des actions d’Asamera est de $812,500. Devant ce chiffre important, il ne faut pas oublier que jusqu’au procès, Brook aurait pu, s’il avait respecté l’injonction prononcée en juillet 1960, éviter le risque et les effets d’une telle décision en procédant à la remise de 125,000 actions d’Asamera, sans égard à leur provenance.

Tant devant les tribunaux d’instance inférieure que devant cette Cour, Brook a fait valoir une réclamation en dommages-intérêts relativement à l’engagement pris par Baud lors de la délivrance de l’injonction interlocutoire de juillet 1960. Le savant juge de première instance a rejeté cette demande et la Cour d’appel de l’Alberta a confirmé son jugement. Rien d’allégué devant cette Cour ne démontre que les tribunaux d’instance inférieure ont commis une erreur. Je conclus donc au rejet de l’appel incident de Brook.

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Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi et de modifier le jugement porté en appel en condamnant Brook à payer $812,500 à Baud à titre de dommages-intérêts, avec dépens en faveur de Baud dans toutes les cours.

Jugement en conséquence.

Procureurs de Baud Corporation, N.V. et Sea Oil & General Corporation: Fenerty, McGillivray, Robertson, Prowse, Brennan, Fraser, Bell & Hatch, Calgary.

Procureurs de Asamera Oil Corporation Ltd. et Thomas L. Brook: MacKimmie, Matthews, Calgary.

[1] (1973), 40 D.L.R. (3d) 418.

[2] [1933] R.C.S. 163.

[3] [1949] 2 K.B. 528.

[4] [1969] 1 A.C. 350.

[5] [1967] R.C.S. 642.

[6] [1977] 2 Lloyd’s Rep. 522, [1978] 1 All E.R. 525.

[7] (1846), 8 Q.B. 595.

[8] [1976] 2 R.C.S. 324.

[9] [1941] O.W.N. 269.

[10] (1948), 64 T.L.R. 569 (C.A.).

[11] [1944] K.B. 510.

[12] [1953] Ch. 770.

[13] (1824), 1 C. & P. 412.

[14] (1802), 2 East 211.

[15] (1810), 2 Taunt. 257.

[16] (1799), 8 T.R. 162.

[17] (1891), 17 V.L.R. 407 (Australie).

[18] 129 U.S. 193 (1899).

[19] (1906), 38 R.C.S. 198.

[20] [1971] R.C.S. 209.

[21] [1973] 3 O.R. 629, conf. (1976), 60 D.L.R. (3d) 431 (C.A. de l Ont.).

[22] (1846), 2 Car. & K. 26, 175 E.R. 11.

[23] [1891] 1 ch. 270, conf. [1891] Ch. 287.

[24] [1892] A.C. 201.

[25] [1974] Ch. 30.

[26] [1977] 2 R.C.S. 302.

[27] (1957), 8 D.L.R. (2d) 97.

[28] [1944] R.C.S. 1.

[29] [1933] A.C. 449.

[30] [1938] 3 D.L.R. 158.

[31] [1975] 5 W.W.R. 561.

[32] (1846), 15 M. & W. 136.

[33] (1824), 2 B. & C. 624.

[34] (1835), 2 Cr. M. & R. 165.

[35] (1927), 32 Com. Cas. 276.

[36] [1918] 2 W.W.R. 877 (B.R. de la Sask.).

[37] (1846), 11 Moore (N.S.) 66.

[38] (1922), 62 D.L.R. 199 (C.A. de la C.-B.).

[39] [1945] R.C.S. 360.

[40] [1912] A.C. 673.

[41] 129 U.S. 193 (1899).

[42] 446 F. 2d 90 (1971).

[43] [1948] 2 K.B. 23 (C.A.).

[44] [1906] 1 Ch. 549.

[45] [1917] 2 K.B. 814.

[46] (1841), 8 M. & W. 160.

[47] [1977] 4 W.W.R. 18.

[48] [1977] 2 N.Z.L.R. 71.

[49] (1976) 75 D.L.R. (3d) 368.

[50] [1962] A.C. 413.


Parties
Demandeurs : Asamera Oil Corporation Ltd.
Défendeurs : Sea Oil & General Corporation et autre
Proposition de citation de la décision: Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633 (3 octobre 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-10-03;.1979..1.r.c.s..633 ?
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