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01/05/1978 | CANADA | N°[1978]_2_R.C.S._940

Canada | La Reine c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940 (1 mai 1978)


COUR SUPRÊME DU CANADA

La Reine c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940

Date : 1978-05-01

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Anne Zelensky Intimée;

et

La Compagnie T. Eaton Limitée, le procureur général du Canada, le procureur général du Québec et le procureur général de l’Alberta

Intervenants.

1977: 29 novembre; 1978: 1er mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

POURVOI à l’encontre

d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], accueillant l’appel d’un jugement du juge Collerman de la Cour provin­ciale. Pourvoi accueil...

COUR SUPRÊME DU CANADA

La Reine c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940

Date : 1978-05-01

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Anne Zelensky Intimée;

et

La Compagnie T. Eaton Limitée, le procureur général du Canada, le procureur général du Québec et le procureur général de l’Alberta

Intervenants.

1977: 29 novembre; 1978: 1er mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], accueillant l’appel d’un jugement du juge Collerman de la Cour provin­ciale. Pourvoi accueilli en partie, les juges Pigeon, Beetz et Pratte étant dissidents en partie.

J. D. Dangerfield et A. Jacksteit, pour l’appelante.

D. A. Yanofsky, c.r., pour l’intimée.

S. Froomkin, c.r., et S. R. Fainstein, pour le procureur général du Canada.

M. Pot hier et Y. Berthiaume, pour le procureur général du Québec.

W. M. Henkel, c.r., pour le procureur général de l’Alberta.

M. L. Ostfield et B. A. Crane, pour la compa­gnie T. Eaton Limitée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Martland, Ritchie, Spence, Dickson et Estey a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Ce pourvoi, interjeté sur autorisation de cette Cour, attaque un arrêt rendu à la majorité par la Cour d’appel du Manitoba (les juges Matas, Hall et O’Sullivan pour la majorité et les juges Monnin et Guy en dissidence) qui a déclaré nul l’art. 653 du Code criminel et a également statué qu’en tout état de cause, le juge Collerman de la Cour provinciale a commis une erreur de droit en rendant une ordonnance de dédommagement en vertu de cet article et en ordonnant aux termes de l’art. 655 la restitution des biens volés. L’ordonnance de dédommagement et de restitution est une ordonnance mixte pronon­cée lors de la condamnation à l’emprisonnement et à une période de probation d’Anne Zelensky qui

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avait plaidé coupable sur l’accusation de vol. Cette ordonnance fait suite à une demande présentée par la Compagnie T. Eaton Limitée, la victime du vol.

La validité de l’art. 655 n’a pas été contestée devant la Cour d’appel du Manitoba ni devant cette Cour et il n’y a rien dans les motifs du juge Matas qui se rapporte particulièrement à l’ordon­nance de restitution des biens volés et attaque cette partie de l’ordonnance mixte du juge de première instance. Il semble qu’on l’ait écartée en raison de son association à l’ordonnance de dédommagement. L’avocat de l’intimée Anne Zelensky ne s’est pas plaint ici de l’ordonnance de restitution qui, à mon avis, doit être maintenue comme ordonnance autonome validement prononcée en vertu de l’art. 655, quelle que soit la décision rendue quant à l’ordonnance de dédommagement en vertu de l’art. 653 et à la validité de cet article.

Voici les art. 653 et 655:

653. (1) Une cour qui condamne un individu accusé d’un acte criminel peut, sur la demande d’une personne lésée, lors de l’imposition de la sentence, ordonner que l’accusé paie à ladite personne un montant comme répa­ration ou dédommagement pour la perte de biens ou le dommage à des biens qu’a subi le requérant par suite de la perpétration de l’infraction dont l’accusé est déclaré coupable.

(2) Lorsqu’un montant dont le paiement est ordonné en vertu du paragraphe (1) n’est pas versé immédiatement, le requérant peut, en produisant l’ordonnance, faire enregistrer comme jugement, à la cour supérieure de la province où le procès a eu lieu, le montant dont le paiement est ordonné, et ce jugement peut être exécuté contre l’accusé de la même manière que s’il était un jugement rendu contre lui devant cette cour dans des procédures civiles.

(3) La totalité ou une partie d’un montant dont le paiement est ordonné sous le régime du paragraphe (1) peut, si la cour qui rend l’ordonnance est convaincue qu’il n’y a pas de contestation quant à la propriété de cet argent ou au droit de possession y relatif, par des réclamants autres que l’accusé, et si la cour l’ordonne, être prise sur l’argent trouvé en la possession de l’accusé au moment de son arrestation.

655. (1) Lorsqu’un accusé est déclaré coupable d’un acte criminel, la cour doit ordonner que tous biens obtenus par suite de la perpétration de l’infraction soient rendus à la personne qui y a droit, si, lors du procès, les biens se trouvent devant la cour ou ont été détenus de

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façon à pouvoir être immédiatement rendus à cette personne aux termes de l’ordonnance.

(2) Lorsqu’un accusé est jugé pour un acte criminel mais n’est pas déclaré coupable, et que la cour constate qu’un acte criminel a été commis, la cour peut ordonner que tous biens obtenus par suite de la perpétration de l’infraction soient rendus à la personne qui y a droit, si, lors du procès, les biens se trouvent devant la cour ou ont été détenus, de façon à pouvoir être immédiatement rendus à cette personne aux termes de l’ordonnance.

(3) Une ordonnance ne doit pas être établie sous le régime du présent article à l’égard

(a) de biens auxquels un acheteur de bonne foi, contre valeur, a acquis un titre légal,

(b) d’une valeur (valuable security) qui a été payée ou acquittée de bonne foi par une personne tenue de l’acquitter ou de la libérer,

(c) d’un effet de commerce pris ou reçu, de bonne foi, au moyen d’un transport ou d’une livraison à titre onéreux, par une personne qui n’avait reçu aucun avis et n’avait aucun motif raisonnable pour soupçonner qu’un acte criminel avait été commis, ou

(d) de biens au sujet desquels il existe une contestation quant au droit de propriété ou de possession par des réclamants autres que l’accusé.

(4) Une ordonnance établie en vertu du présent arti­cle doit être exécutée par les agents de la paix qui exécutent ordinairement les actes de procédure de la cour.

(5) Le présent article ne s’applique pas aux procédu­res intentées contre un dépositaire, un syndic, un ban­quier, un marchand, un procureur, un facteur, un courtier ou un autre agent à qui a été confiée la possession de marchandises ou de titres de marchandises, pour une infraction visée à l’article 290, 291, 292 ou 296.

Il convient de citer également l’art. 654 qui ren­force et complète les principes énoncés à l’art. 653:

654. (1) Lorsqu’un accusé est déclaré coupable d’un acte criminel et que des biens obtenus par suite de la perpétration de l’infraction ont été vendus à un acheteur de bonne foi, la cour peut, à la demande de l’acheteur après restitution des biens à leur propriétaire, ordonner à l’accusé de payer à l’acheteur un montant n’excédant pas celui que l’acheteur a versé pour les biens.

(2) Lorsqu’un montant dont le paiement est ordonné en vertu du paragraphe (1) n’est pas versé immédiatement, le requérant peut, en produisant l’ordonnance, faire enregistrer comme jugement, à la cour supérieure

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de la province où le procès a eu lieu, le montant dont le paiement est ordonné, et ce jugement peut être exécuté contre l’accusé de la même manière que s’il était un jugement rendu contre lui devant cette cour dans des procédures civiles.

(3) La totalité ou une partie d’un montant dont le paiement est ordonné sous le régime du paragraphe (1) peut, si la cour qui rend l’ordonnance est convaincue qu’il n’y a pas de contestation quant à la propriété de cet argent ou au droit de possession y relatif, par des réclamants autre que l’accusé, et si la cour l’ordonne, être prise sur l’argent trouvé en la possession de l’accusé au moment de son arrestation.

Les articles 653, 654 et 655 sont au Code crimi­nel depuis sa promulgation en 1892, mais sous une forme un peu différente: voir les art. 836, 837, 838. Le texte initial du présent art. 653, soit l’art. 836, prévoyait un dédommagement maximum de mille dollars sur demande de la personne lésée. Cette somme devait être considérée comme une dette sur jugement due par l’accusé et pouvait être exécutée de la même manière qu’une ordonnance de frais aux termes de l’art. 832 qui prévoyait, entre autres choses, que les frais et dépens devaient être préle­vés en tout ou partie sur les deniers enlevés à l’accusé lors de son arrestation s’ils lui apparte­naient.

La disposition relative au dédommagement n’était pas alors expressément liée au processus de sentence comme c’est maintenant le cas en vertu de l’art. 653. Aux termes du texte initial du présent art. 654, l’art. 837, lorsque les biens obtenus par l’infraction avaient été vendus à un acheteur de bonne foi et remis au propriétaire véritable, l’acheteur pouvait demander un dédommagement à même l’argent enlevé à l’accusé lors de son arrestation. L’actuel art. 654 va manifestement plus loin car il prévoit une ordonnance de paiement si la Cour peut ordonner que tout ou partie du dédommagement de l’acheteur soit pris sur l’ar­gent trouvé en la possession de l’accusé lors de son arrestation et qui lui appartient incontestablement. Ni l’art. 836 ni l’art. 837 ne prévoyait expressé­ment comme le font les art. 653 et 654 l’enregistrement de l’ordonnance de dédommagement qui permet de la faire exécuter comme un jugement rendu dans des procédures civiles.

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Le principe de la restitution en vertu du présent art. 655 vient du texte initial de l’art. 838, mais la disposition actuelle prévoit plus explicitement (si tant est, en fait, que le texte initial traite de la question) qu’aucune ordonnance ne sera rendue si des réclamants autres que l’accusé contestent la propriété des biens. Cette question n’est pas soule­vée en l’espèce et, comme je l’ai déjà dit, l’ordon­nance de restitution doit être maintenue.

A mon avis, les art. 653, 654 et 655 sous leur forme antérieure et actuelle reflètent une méthode d’application du droit criminel suivant laquelle une fois tranchée la question de la culpabilité, la cour prend en considération les biens pris, détruits ou endommagés pendant la perpétration de l’infrac­tion, et peut ordonner leur restitution au proprié­taire lésé, si les biens sont sous la garde de la cour et si la propriété n’en est pas contestée, ou ordon­ner le remboursement total ou partiel par le coupa­ble à même les deniers trouvés en sa possession lors de son arrestation si la propriété n’en est pas contestée ou encore rendre une ordonnance de dédommagement, lorsque les biens ont été détruits ou endommagés.

Je crois que le par. 655(2) donne une impor­tance particulière à cette méthode en prévoyant une ordonnance de restitution même si l’accusé a été acquitté, lorsque les biens obtenus par suite de la perpétration de l’infraction se trouvent devant la cour. La mise en oeuvre de cette méthode est complétée par l’art. 654 susmentionné qui permet à une cour criminelle de remédier à la situation lorsque les biens volés ont été vendus à un acheteur de bonne foi et peuvent être remis au propriétaire lésé, car la cour peut, après cette restitution, ordonner au coupable de payer à l’acheteur innon­cent [sic] ce que ce dernier a versé pour les biens.

Je considère que l’art. 654 fait corps avec les par. 388(2) et (3) qui traitent de dommages volon­taires aux biens lorsque le dommage est inférieur à cinquante dollars. La cour des poursuites sommaires peut rendre, en faveur de la personne lésée, une ordonnance de dédommagement n’excédant pas ce montant, en sus de toute autre condamnation, sous peine d’un emprisonnement d’au plus deux mois en cas de non paiement. On peut considérer les sanc­tions pécuniaires prévues aux art. 388 et 654

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comme des amendes restitutoires, assorties de directives sur le destinataire de l’argent. Le Parlement peut donner une directive de ce genre: voir l’arrêt Ville de Toronto c. Le Roi[2]. Il est vrai que dans cette affaire, la loi fédérale attaquée, une disposition du Code criminel, prévoyait le paiement d’amendes aux autorités municipales ou loca­les mais, à mon avis, on ne déroge ni à ce principe ni à ce pouvoir constitutionnel légal si l’on ordonne que le paiement soit fait à la victime de l’infraction ou à un autre personne, par exemple, l’acquéreur de bonne foi en vertu de l’art. 654 qui est également lésé par l’acte. Bien sûr, la définition du dédommagement aux art. 388 et 654 déborde sur les dispositions de l’art. 653 et a également un lien avec l’art. 655.

Je cite un extrait de l’arrêt Ville de Toronto c. le Roi, précité, (à la p. 104) pertinent en l’espèce. Lord Macmillan, au nom du Conseil privé, dit ceci:

[TRADUCTION] En ce qui concerne maintenant l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, leurs Seigneuries concluent que «nonobstant toute disposition du présent acte», et donc nonobstant les dispositions de l’art. 109, «l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans ... le droit criminel». Il est clair et en fait reconnu qu’il confère au Parlement fédéral le droit exclusif de légifé­rer pour créer et définir des infractions et imposer des peines correspondantes. Leurs Seigneuries sont d’avis qu’il permet aussi au Parlement fédéral de prescrire la façon d’appliquer les peines en matière de droit criminel. On a toujours considéré qu’il était du domaine du droit criminel de légiférer sur le mode d’application des peines infligées, comme de multiples cas l’indiquent, et le pouvoir de ce faire, s’il n’est pas essentiel, est au moins accessoire au pouvoir de légiférer en matière criminelle car il peut avoir un effet sur l’efficacité de cette législa­tion. Si l’on devait dissocier du pouvoir de créer les peines celui de prescrire leur mode d’application et le confier à une autre autorité, il est facile de voir à quel point la législation pénale serait atteinte, sinon rendue inefficace.

L’article 653 est au coeur des dispositions du Code criminel sur le dédommagement et la ques­tion de sa validité est soumise pour la première fois à cette Cour. Nous avons depuis longtemps renoncé au concept exprimé par le Conseil privé

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dans le Renvoi relatif à la Loi de la Commission de commerce (1919) et à la Loi des coalitions et des prix raisonnables (1919[3], à la p. 198, selon lequel il y a un [TRADUCTION] «domaine de droit criminel» fixe. Le Conseil privé a lui-même adopté une opinion différente dans l’arrêt Le procureur général de l’Ontario c. Hamilton Street Railway[4], à la p. 529, où il a fait remarquer que c’est [TRADUCTION] «le droit criminel dans son sens le plus large» qui est du ressort exclusif du pouvoir fédéral. Si cela est vrai du droit criminel positif, ce l’est également de «la procédure en matière crimi­nelle», qui est aussi du ressort exclusif du Parlement. En fait, le juge en chef Duff a déclaré dans l’arrêt Le Secrétaire de la Province de l’Île-du-Prince-Édouard c. Egan[5], à la p. 401, que [TRA­DUCTION] «le droit criminel confié au Parlement du Canada est nécessairement un domaine qui s’agrandit en raison du pouvoir qu’a le Parlement de créer des crimes, d’en assurer la répression et de pourvoir à la procédure criminelle.» On ne peut donc aborder la validité de l’art. 653 comme si les domaines du droit criminel, de la procédure crimi­nelle et des modes de prononcé de sentence avaient été gelés à une époque déterminée. L’évolution due à de nouvelles situations sociales, ou la réévalua­tion des solutions antérieures due à celles-ci, auto­risent cette Cour à réexaminer l’orientation des décisions relatives à l’étendue du pouvoir législatif lorsque de nouvelles questions lui sont présentées, sans oublier, bien sûr, qu’on lui a confié le rôle très délicat de maintenir l’intégrité des limites constitu­tionnelles imposées par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

Il n’est pas question en l’espèce d’une nouvelle forme de redressement en faveur des personnes lésées par la perte ou la destruction de biens dues à la conduite criminelle d’une autre personne, mais d’un redressement qui tient sa singularité de ce qu’il n’a jamais été contesté devant cette Cour auparavant. Certes, comme on l’a souvent dit, le temps ne donne aucune légitimité à une loi incons­titutionnelle, mais je ferai remarquer qu’en une occasion dans notre droit, le passage du temps a rendu invalide une loi considérée généralement

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comme constitutionnelle. C’est l’aboutissement du renvoi sur la margarine, Renvoi relatif à la vali­dité de l’article 5a) de la Loi de l’industrie laitière[6], qui a décidé qu’une loi fédérale interdisant la fabrication, la possession et la vente de margarine (édictée en 1886 et inspirée par la méfiance à l’égard de la valeur nutritive du produit et de ses effets sur la santé) ne pouvait être maintenue comme l’exercice du pouvoir fédéral, notamment en matière de droit criminel parce que les modifi­cations des méthodes de fabrication et des ingré­dients au cours des années avaient dissipé tout danger pour la santé. De même, il me semble que les années ont engendré une nouvelle attitude face à l’application du droit criminel qui permet de confirmer les dispositions du Code criminel relati­ves au dédommagement et à la restitution qui existent depuis si longtemps.

Je mentionnerai à cet égard le Document de travail n° 5 de la Commission de réforme du droit du Canada, octobre 1974; au sujet de la restitution (qu’elle conçoit en termes larges, couvrant ce qui est prévu aux art. 653, 654 et 655 et allant au-delà), la Commission dit (à la p. 6) qu’«en plus de constituer une solution simple et équitable, le dédommagement [restitution] s’avère une sanction avant tout rationnelle». En proposant que «l’on donne un rôle-clef au dédommagement..en matière de détermination de la peine et du prononcé de la sentence» et qu’on lui accorde une plus grande importance, la Commission a fait plusieurs remar­ques pertinentes (aux pp. 7 et 8):

La reconnaissance des besoins de la victime souligne du même coup les intérêts de la communauté dans le préjudice subi par la victime. Ainsi, les valeurs sociales sont réaffirmées par le dédommagement de la victime. La société y retire aussi d’autres avantages. Dans la mesure où le dédommagement encourage le délinquant à se corriger lui-même et le décourage de mener une vie criminelle, la société jouit alors d’un certain degré de protection, vit en sécurité et réalise d’importantes écono­mies. Le fait de priver le délinquant du fruit de ses crimes ou de le forcer à participer personnellement au dédommagement de la victime devrait le décourager d’entreprendre d’autres activités criminelles. Enfin, dans la mesure où le dédommagement de la victime entraî­nera une perception plus réaliste de la criminalité par la

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société en général, ce dédommagement incitera certes le Parlement, les tribunaux, la police et les organismes de correction, mais surtout l’homme de la rue ainsi que les victimes potentielles à adopter une attitude plus cons­tructive face à la criminalité.

Jusqu’à la décision de la majorité de la Cour d’appel du Manitoba en l’espèce, aucun tribunal canadien n’avait eu à se prononcer sur la validité des art. 653, 654 et 655. Certains arrêts présuppo­sent la validité de l’art. 653 ou restent muets sur la question, comme par exemple, Regina v. Schersta­bitoff[7], mais lorsque la validité a été mise en cause, elle a été confirmée. Je parlerai plus loin de ces arrêts. En même temps, des sanctions autres que les sanctions traditionnelles d’emprisonnement et d’amendes payables à la Couronne ont été pres­crites et leur constitutionnalité confirmée. Voici trois exemples: dans l’arrêt Industrial Acceptance Corporation Ltd. c. La Reine[8], cette Cour a maintenu la validité d’une disposition prévoyant la con­fiscation des biens qui avaient servi à la perpétra­tion d’un acte criminel, que les biens appartiennent ou non au condamné; dans l’arrêt Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada Ltd. c. La Reine[9], cette Cour a déclaré valide une disposition prévoyant une ordonnance prohibitive contre la continuation ou la répétition de certaines infractions y définies; cette ordonnance venait s’ajouter à toute autre peine imposée au condamné et pouvait viser ce dernier ou une autre personne. De même, comme l’indique l’arrêt Sunbeam Corporation (Canada) Ltd. c. La Reine[10], on peut interdire la répétition ou la continuation de l’infraction à l’égard d’autres personnes que les victimes nommées dans l’accusa­tion et par d’autres moyens que ceux décrits dans la condamnation; dans Regina v. Groves[11], le juge O’Driscoll de la Cour suprême de l’Ontario a maintenu la validité de l’al. 663(2)e) du Code criminel aux termes de la compétence fédérale sur le droit criminel. Cet article prévoit que la Cour peut prescrire dans une ordonnance de probation la condition que l’accusé devra «faire restitution ou réparation, à toute personne lésée ou blessée du

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fait de l’infraction, de la perte ou du dommage véritables soufferts de ce fait par cette personne».

Je m’arrête un instant à l’al. 663(2)e) dont la validité n’a pas été vraiment contestée dans ce pourvoi lorqu’on [sic] s’y est référé, parce que la dispo­sition sur la restitution ou réparation est tellement liée à la sentence qu’elle se distingue de l’art. 653; on a souligné également qu’une violation volon­taire d’une ordonnance de probation est une infraction au par. 666(1) et punissable sur déclara­tion sommaire de culpabilité.

Outre la question de l’exécution en vertu du par. 666(1) (que l’on peut opposer à l’exécution possi­ble aux termes de l’art. 653 par la production de l’ordonnance de dédommagement en cour supé­rieure pour lui donner l’effet d’un jugement de cette cour), je ne vois aucune différence de prin­cipe entre la restitution prévue dans une ordon­nance de probation, qui s’ajoute à ce qui est en fait une sentence, et une ordonnance de dédommagement ou de restitution en vertu de l’art. 653 qui, si elle est prononcée, doit l’être au moment de l’im­position de la sentence. Je ne vois rien de particu­lier, sauf du point de vue de la procédure, dans l’exigence de l’art. 653 selon lequel l’ordonnance de dédommagement doit être fondée sur la demande de la partie lésée au lieu de dépendre de l’initiative de la Cour comme c’est apparemment le cas, mais apparemment seulement, aux termes de l’al. 663(2)e).

Le juge Matas a exposé les motifs de la majorité de la Cour d’appel du Manitoba contre la validité de l’art. 653, le juge Hall y a souscrit et le juge O’Sullivan les a appuyés par des motifs au même effet. Je remarque que le juge O’Sullivan convient que la Cour peut constitutionnellement infliger des peines pécuniaires au bénéfice des victimes d’actes criminels parce que, ce faisant, elle impose tout de même une sanction pénale, c’est-à-dire une puni­tion; le dédommagement découle alors de l’imposi­tion d’une peine. Pourquoi alors, le savant juge a-t-il déclaré invalide l’art. 653? Voici ses motifs:

[Page 955]

[TRADUCTION] A mon avis, le défaut de l’art. 653 est de ne pas considérer le paiement d’un montant équiva­lant aux dommages causés par un criminel comme partie d’une sanction qui varie selon les circonstances de l’infraction et selon le coupable. Il semble conférer directement à la victime du crime le droit de réclamer une indemnité au coupable. S’il était valide, cet article conférerait à la victime un droit civil additionnel et subsidiaire de poursuivre au criminel alors qu’elle pos­sède déjà le droit de poursuivre au civil. Cela représente à mon avis un empiétement sur le domaine de la pro­priété et des droits civils et excède les pouvoirs du Parlement.

Le juge Matas a reconnu dans ses motifs qu’une ordonnance de dédommagement en vertu de l’art. 653 fait partie du processus de sentence sous les deux réserves suivantes: premièrement, il a signalé que bien que cette ordonnance soit une «sentence» selon la définition à l’art. 601, comme c’est le cas pour les ordonnances prévues aux art. 654 et 655 et les conditions prévues au par. 663(1), cette définition se trouve dans une partie du Code cri­minel qui traite des appels; et, deuxièmement, cette définition n’en détermine pas la validité, pas plus que la validité n’est établie parce qu’une ordonnance rendue en vertu de l’art. 653, même indépendamment de la définition donnée à l’art. 601, fait partie du processus de sentence, puisqu’il faut dans un cas comme dans l’autre décider si elle peut validement être incorporée au processus de sentence en vertu de la compétence fédérale en droit criminel.

A mon avis, ces réserves sont elles-mêmes atté­nuées du fait que le juge Matas souscrit à l’opinion du juge Haines dans Re Torek and The Queen[12] à l’effet que l’indemnisation des victimes d’actes cri­minels est un but valide de la sentence. Ainsi, je ne vois vraiment pas en quoi on peut mettre en doute la validité d’une ordonnance de dédommagement liée au processus de sentence, comme à l’art. 653, à moins de ranimer la doctrine selon laquelle il existe un domaine propre au droit criminel qui interdit d’élargir le système de sanctions, bien que, indubitablement, il y ait un lien logique entre la partie contestée de l’art. 653 et sa partie valide: voir Papp v. Papp[13], à la p. 336.

[Page 956]

La décision Re Torek and The Queen (précitée) semble contenir l’examen le plus approfondi de la question litigieuse antérieurement à la décision de la Cour d’appel du Manitoba en l’espèce. Le juge Monnin et le juge Guy qui souscrit à son avis, fondent largement leur dissidence sur cette affaire. Par requête en certiorari soumise au juge Haines, un condamné demandait l’annulation d’une ordon­nance de dédommagement rendue contre lui en faveur de la victime. (Je note dans les motifs que c’est le ministère public agissant au nom de la victime qui a sollicité l’ordonnance.) Je reproduis ici certains extraits du jugement Torek qui résu­ment les principaux arguments, pour et contre, soumis à cette Cour. Le juge Haines dit aux pp. 298-299:

[TRADUCTION] L’avocat du requérant a vigoureusement plaidé que l’art. 653 est en réalité une disposition relative à la propriété et aux droits civils et relève du par. 92(13) de l’Acte de l’Amérique du Nord britanni­que, 1867, plutôt que du droit criminel. L’avocat a fait remarquer que l’art. 653 prive l’accusé de plusieurs protections auxquelles il a droit dans une action civile ordinaire. Par exemple, le défendeur n’est pas vraiment informé de la réclamation à l’avance et ne peut préparer convenablement sa défense. Il n’a pas droit aux procédu­res préalables qui lui permettraient de tenter d’obtenir la preuve exacte de la valeur des biens prétendument volés. En l’espèce, un des biens volés par le requérant est une bague appartenant à M” Kaminsky. On lui a donné une valeur de $I,500, sans fournir à la Cour de preuve de l’achat ou de la valeur. Pour fixer le montant de $4,377.50, le juge Reville a manifestement accepté le témoignage de M. Kaminsky quant au vol de l’argent, de la bague et des boissons alcooliques. Le requérant allègue que si M. Kaminsky avait été obligé d’intenter une action civile pour recouvrer le montant, il aurait été obligé d’établir sa perte de façon plus rigoureuse. Cependant, aux termes de l’art. 653, il suffit au plai­gnant de témoigner quant à la valeur et l’accusé n’est pas vraiment en mesure de la contester. En d’autres mots, la protection offerte au défendeur par la Judica­ture Act, S.R.O. 1970, c. 228, et les Règles de pratique, disparaît, mais le résultat est le même car le plaignant obtient en fait un jugement qui, aux termes du par. 653(2), peut être exécuté dans une cour supérieure provinciale de la façon habituelle.

Je ne crois pas que l’on puisse douter que le droit d’intenter une action civile ordinaire et de la contester est un droit civil, ressortissant à la compétence législa­tive provinciale. On ne peut non plus douter que dans les

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circonstances M. Kaminsky aurait pu intenter une action civile contre le requérant. Cela ne veut cependant pas dire que le gouvernement fédéral est dépourvu de toute compétence pour ordonner la restitution ou le dédommagement dans certaines circonstances.

A mon avis, on peut considérer que les procédures en vertu de l’art. 653 font partie du processus de sentence. Il convient de souligner qu’à l’art. 601, qui traite des appels relatifs aux actes criminels, la définition du mot «sentence» comprend une ordonnance rendue aux termes de l’art. 653. C’est, à mon sens, un objet valide de la sentence que d’empêcher un criminel condamné de conserver les gains de son crime après avoir purgé une peine d’emprisonnement. L’avocat du requérant admet que l’on aurait pu inclure l’ordonnance contestée dans les conditions de la probation, conformément aux al. 663(2)e) et h) .. .

Je ne vois pas de distinction significative entre une ordonnance exigeant qu’un accusé fasse restitution ou réparation conformément à l’al. 663(2)e) et une ordon­nance exigeant que l’accusé paie un certain montant à titre de réparation ou de dédommagement conformément au par. 653(1).

Il y a plus de cinquante ans, le juge en chef Perdue du Manitoba dans l’arrêt Rex v. Cohen and Miller[14], parvenait à la même conclusion en Cour d’appel du Manitoba, à l’égard des disposi­tions visant la restitution et le dédommagement. Selon lui, les matières énumérées dans les articles pertinents [TRADUCTION] «semblent accessoires au pouvoir législatif exclusif du Parlement sur le droit criminel et la procédure dans les affaires criminelles et sont donc de sa compétence» (à la p. 1127). Le juge Matas a mentionné brièvement cet arrêt, mais a refusé de le considérer comme une autorité pour conclure à la validité de l’art. 653, probablement parce que le juge en chef Perdue du Manitoba est le seul membre de la Cour à avoir examiné la question constitutionnelle et qu’en tout état de cause, sa déclaration est obiter.

Dans la même veine que l’opinion du juge Haines dans Re Torek and The Queen (précité), nous trouvons le jugement du juge en chef adjoint Hugessen dans l’affaire Turcotte c. Gagnon[15], sur une demande d’enregistrement comme jugement

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de la Cour supérieure du Québec d’une ordon­nance de dédommagement rendue en vertu de l’art. 653 contre un condamné, en faveur de sa victime. Le juge Hugessen a confirmé la validité de l’ordonnance de dédommagement et en a permis l’enregistrement et l’exécution comme un jugement de la Cour supérieure. A cet égard, il a fait deux remarques: premièrement, en permettant de faire exécuter l’ordonnance de dédommagement comme un jugement dans une action civile, le Parlement fait davantage appel aux fonctions administratives de la Cour supérieure qu’à ses fonctions judiciaires, mais c’est, de toute façon, un moyen auquel le Parlement peut recourir pour faire exécuter une ordonnance validement rendue; et, deuxièmement, l’ordonnance de dédommagement peut être considérée comme une amende ou une peine. Voici un extrait de ses motifs (aux pp. 317 et 318):

[TRADUCTION] A mon avis, une ordonnance de resti­tution en faveur de la victime d’un acte criminel n’est pas seulement accessoire au droit et à la procédure criminels; elle peut faire partie intégrante du processus de sentence. Bien qu’il puisse être vrai qu’historiquement, en common law, les ordonnances compensatoires ne pouvaient faire partie du processus criminel, je ne vois pas pourquoi une loi adoptée dans l’exercice de la compétence en droit criminel ne pourrait pas les y inclure.

A mon avis, le Parlement a essayé de prescrire ce dédommagement, bien que de façon imparfaite et par­tielle, par les dispositions de l’art. 653. Comme il ressort clairement de l’art. 601, une ordonnance rendue en vertu de l’art. 653 fait partie de la sentence rendue par la cour criminelle. Des procédures comme les présentes, insti­tuées devant un tribunal civil pour faire exécuter pareille ordonnance, n’en restent pas moins des procédures de droit criminel. En fait, la seule chose que le Parlement a faite, c’est d’imposer aux cours supérieures provinciales, qui sont organisées à cette fin, le devoir d’assurer l’exé­cution d’une ordonnance déjà rendu par une cour com­pétente. Comme je l’ai déjà dit, le rôle d’un tribunal civil dans pareil cas est plus administratif que judiciaire et je n’ai aucun droit, sur requête de cette nature, de modifier l’ordonnance rendue par la Cour des sessions de la paix même si je voulais le faire.

Le pouvoir du Parlement de conférer, par une loi appropriée, à une cour supérieure provinciale une compétence

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qu’elle n’a pas en common law a été établi depuis les débuts de la Confédération... .

Je considère que le point soulevé par le juge Hugessen relativement à la procédure d’exécution en vertu de l’art. 653 est crucial, compte tenu de la position de la majorité de la Cour d’appel du Manitoba en l’espèce. Il n’est pas rare que le Parlement ait recours à l’aide des cours provincia­les pour l’administration efficace de sa législation. Un exemple de premier choix est le droit de la faillite où le Parlement a non seulement édicté une loi générale sur le droit positif, mais a également prévu les règles de procédure qui sont appliquées par les cours provinciales. Ceux qui contestent la validité de l’art. 653 ont fait grand cas de la disposition relative à la production d’une ordon­nance de dédommagement et à son enregistrement comme jugement dans une cour supérieure de la province. Comme le juge Hugessen, j’estime que c’est là un mécanisme qui ne peut décider de la validité.

Les articles 656 et 657 du Code criminel illus­trent d’autres cas de recours aux tribunaux provin­ciaux pour exécuter des ordonnances rendues par les tribunaux criminels. Ces articles traitent des frais dans les poursuites pour libelle diffamatoire et permettent à la partie qui a gain de cause de faire inscrire jugement pour le montant des frais, en produisant l’ordonnance devant la cour supé­rieure de la province où le procès a eu lieu, et ce jugement est exécutoire au même titre qu’un jugement dans des procédures civiles.

Dans ses longs motifs de jugement, le juge Matas parle des diverses considérations qui influent sur l’application de l’art. 653 et conclut à son inconstitutionnalité en comparant la situation de l’accusé qui est défendeur dans une action civile en dommages-intérêts à celle de l’accusé déclaré coupable et contre lequel on demande une ordon­nance en vertu de l’art. 653. J’admets que, pour statuer sur la constitutionnalité, cette approche est valable, mais les avantages relatifs des procédures applicables ne peuvent, à mon avis, déterminer leur validité, car la considération principale est plus fonctionnelle puisqu’il faut tenir compte du but de la loi attaquée et de ses liens avec d’autres aspects manifestement valides du processus pénal.

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Il me semble qu’en insistant sur la comparaison susmentionnée, le juge Matas a faussé la question quand il a affirmé que [TRADUCTION] «une ordon­nance de dédommagement, qui est invalide parce qu’elle empiète sur un domaine de compétence provinciale, ne devient pas valide parce qu’elle vise à empêcher un criminel de profiter de son crime». A mon avis, le juge Monnin a, dans ses motifs en dissidence, répondu à la question qui nous est soumise:

[TRADUCTION] ... A mon avis, le caractère véritable de l’art. 653 en fait une partie intégrante du processus de sentence prévu au Code criminel du Canada. Sinon les tribunaux auraient les mains liées et les victimes des actes criminels devraient recourir aux procédures civiles pour tenter de recouvrer les biens ou l’argent dont ils ont illégalement été privés, au motif que l’on ne peut mêler le criminel et le civil et que les juges nommés par une province ne peuvent décider de questions de droit civil. Peut-on concevoir proposition plus ridicule et plus sus­ceptible de jeter le discrédit sur l’ensemble des procédu­res judiciaires — que l’on critique déjà beaucoup? Devant les tribunaux, on ne peut se permettre de faire de vaines distinctions.

Comme lui, je conclus que l’art. 653 est valide parce qu’il fait partie du processus de sentence.

A mon avis, le juge chargé d’appliquer l’art. 653 doit garder constamment à l’esprit le fondement constitutionnel de cet article. Ce serait donc une erreur d’assouplir de quelque façon l’exigence vou­lant que la demande de dédommagement soit directement associée à la sentence imposée à titre de réprobation publique de l’infraction. Le juge Monnin le dit en faisant un rapprochement entre le dédommagement, la restitution et la probation:

[TRADUCTION] Je vois peu de différence, sinon aucune, entre la restitution et le dédommagement que décrivent les art. 653 et 663. C’est la personne lésée qui doit demander le dédommagement au moment du pro­noncé de la sentence et la jurisprudence veut que cette demande de dédommagement soit faite à ce moment-là et pas plus tard. En revanche, c’est le juge qui prononce la sentence qui ordonne la restitution si celle-ci fait partie de l’ordonnance de probation. Le juge peut ordon­ner la restitution à la demande du ministère public, de la personne lésée ou le faire de son propre chef sans

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requête de qui que ce soit.

On a souvent assimilé restitution et dédommagement à l’exception près qu’il existe un article, l’art. 653, qui traite du dédommagement pour la perte de biens ou le dommage à des biens qu’a subi la victime. C’est d’autant plus vrai que cette cour, quoique différemment compo­sée, dans l’arrêt Regina v. Butkans, 18 juin 1970, (non publié) — le juge en chef Smith du Manitoba, le juge Dickson et moi-même — a confirmé ce que l’on avait appelé dans cette affaire une ordonnance de restitution en vertu de l’al. 638(2)e) du Code criminel, 1953-54 (Can.), c. 51, un alinéa presque identique à l’al. 663(2)e) actuel. Dans l’affaire Butkans, la cour exami­nait en fait un cas de dédommagement. S’agissait-il d’une méprise? J’en doute.

Il faut cependant garder à l’esprit un autre aspect de l’art. 653. Le pouvoir de rendre une ordonnance de dédommagement dans le cours du processus de sentence est discrétionnaire. J’estime qu’avant de l’exercer, la Cour doit se demander si la personne lésée invoque l’art. 653 pour aggraver les sanctions contre le coupable aussi bien que pour son propre bénéfice. Il est pertinent de savoir si elle a intenté des procédures civiles et, dans l’affirmative, si elle les continue. D’autres facteurs influent également sur l’exercice de ce pouvoir: les moyens du coupable ou la durée probable des procédures d’évaluation de la perte par la cour criminelle, bien qu’à mon avis, l’art. 653 n’exige pas une mesure exacte. Un plaidoyer de culpabilité facilitera manifestement la tâche de la Cour si on lui demande une ordonnance de dédommagement, mais rien n’interdit d’essayer de parvenir à une entente sur le montant de la perte lorsque la condamnation fait suite à un plaidoyer de non culpabilité. Il est vraisemblable, bien sûr, que la probabilité d’un appel milite contre une entente, mais j’ajouterai qu’il n’entre pas, à mon avis, dans les fonctions de la cour criminelle d’imposer une entente pour lui permettre de rendre une ordon­nance de dédommagement. En somme, sauf sur la question de la constitutionnalité, je partage l’opi­nion du juge Matas selon lequel une ordonnance de dédommagement ne doit être rendue qu’avec circonspection.

En l’espèce, on aurait dû faire preuve de circons­pection et refuser de rendre l’ordonnance de

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dédommagement. La compagnie lésée a intenté des procédures civiles pour recouvrer l’argent et les biens volés, la veille du commencement des poursuites criminelles. Elle a continué les procédures civiles en prenant les mesures appropriées, alors que se poursuivaient les procédures criminelles et même après que les accusés eurent plaidé coupa­bles sur l’accusation de vol. Ensuite, la compagnie lésée a décidé de demander une ordonnance de dédommagement en vertu de l’art. 653, et il s’est avéré que le montant de la perte, particulièrement la somme prétendument volée, était contesté. Il semble qu’elle ait poursuivi les procédures civiles parallèlement à la demande d’ordonnance de dédommagement. Les procédures civiles se justi­fiaient parce que la compagnie voulait obtenir une ordonnance de saisie. Compte tenu de toutes les circonstances, je ne suis pas d’avis de modifier la partie du jugement de la majorité de la Cour d’appel du Manitoba qui déclare qu’il n’y avait pas lieu de rendre une ordonnance de dédommagement.

Je vais insister sur le déroulement des procédu­res en l’espèce afin de donner aux juges de pre­mière instance des indications sur l’application de l’art. 653 et leur rappeler qu’on ne doit pas y recourir in terrorem ni pour remplacer ou renfor­cer des procédures civiles. Sa validité se fonde, comme je l’ai dit plus haut, sur son association au processus de sentence, et il faut limiter à cette considération son application aux cas particuliers.

Il ressort des faits de l’espèce que la Compagnie T. Eaton a cherché à utiliser la procédure crimi­nelle pour recouvrer plus rapidement l’argent perdu par suite des activités frauduleuses de l’ac­cusée. On peut comprendre qu’elle collabore avec le ministère public au début des procédures crimi­nelles, mais, en même temps, l’action civile inten­tée contre l’accusée se poursuivait et en était à l’étape des procédures préalables au moment du prononcé de la sentence par la cour criminelle. Eaton s’est alors jointe aux procédures criminelles à titre de «personne lésée» et il est immédiatement apparu que le montant de la perte subie était contesté. Le conflit n’a pas été résolu comme il l’aurait été devant un tribunal civil, et le montant

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accordé dans l’ordonnance de dédommagement par les procédures criminelles est assez arbitraire.

L’article 653 ne prévoit aucune procédure pour résoudre un conflit relatif au montant; sa procé­dure est, ex facie, sommaire, mais je ne crois pas que cela empêche le juge de première instance de faire enquête pour établir le montant du dédom­magement, dans la mesure où cela peut se faire rapidement et sans que les procédures de sentence prennent la tournure d’un procès civil ou d’un renvoi dans une procédure civile. L’essentiel est de limiter l’art. 653 à ce qui fonde sa validité, c’est-à-dire son étroite association au processus de sen­tence, et d’éviter ainsi toute possibilité d’ingérence dans la compétence législative provinciale en matière de propriété et de droits civils dans la province. Bien que, comme je l’ai déjà dit, les tribunaux aient reconnu la vaste étendue du pouvoir fédéral relativement au droit criminel et à la procédure criminelle et bien que les tribunaux qui prononcent les sentences puissent maintenant imposer une grande variété de sanctions aux cou­pables, il n’en reste pas moins vrai que l’on ne peut recourir au droit criminel pour déguiser un empié­tement sur le pouvoir législatif provincial: voir Le procureur général de l’Ontario c. Reciprocal Insurers[16]; Renvoi relatif à la validité de l’art. 5a) de la Loi de l’industrie laitière[17], à la p. 50, confirmé sous l’intitulé, Canadian Federation of Agriculture c. Le procureur général du Québec[18].

Il est donc évident que l’art. 653 ne doit pas servir à démêler des opérations commerciales com­pliquées afin d’assurer une réparation monétaire aux victimes de l’accusé. Il peut également être de l’intérêt de ce dernier d’exiger que des procédures civiles soient intentées contre lui afin de pouvoir bénéficier des procédures d’interrogatoire préala­ble et de production des documents, et d’un procès normal sur le fond des réclamations monétaires. De même, une cour criminelle ne doit pas agir en vertu de l’art. 653, et on ne doit pas s’attendre à ce qu’elle le fasse, si cela exige qu’elle interprète des documents écrits pour déterminer le montant d’argent

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réclamé par le truchement d’une ordonnance de dédommagement. Il serait aussi erroné de recourir à l’art. 653 s’il était nécessaire d’examiner l’effet de la loi provinciale pour décider de la nature de l’ordonnance à rendre. En fait, toute contestation sérieuse des questions de fait ou de droit ou du point de savoir si la personne qui se dit lésée l’est effectivement, doit entraîner le refus de rendre une ordonnance en vertu de l’art. 653.

Cette affaire conduit évidemment à une autre question: l’effet d’une ordonnance discrétionnaire de dédommagement en vertu de l’art. 653 sur des procédures civiles subséquentes intentées par la victime contre l’accusé, si elle n’a pas été entièrement dédommagée par l’ordonnance. Le Parlement n’a pas voulu s’immiscer dans le droit à un redressement civil qui subsiste donc en dépit de l’art. 653. La question est de savoir si l’obtention d’une ordonnance en vertu de l’art. 653 (et non la simple requête à cette fin) constitue une renoncia­tion aux procédures civiles ou si l’ordonnance n’in­flue que sur le montant si des procédures civiles sont intentées par la suite. Il me semble que la renonciation est plus compatible avec le caractère pénal de l’art. 653, mais le point n’a pas été débattu devant la Cour. L’intimée s’est contentée de déclarer dans son factum supplémentaire que si l’art. 653 est valide, le juge du procès n’aurait pas dû exercer son pouvoir discrétionnaire pour rendre une ordonnance de dédommagement. Il ne s’agit pas d’une question constitutionnelle et puisqu’il n’est pas nécessaire de la trancher en l’espèce, je ne me prononcerai pas sur ce point.

J’aborde un autre point, la question de l’appel d’une ordonnance de dédommagement. La produc­tion d’une telle ordonnance dans une cour supé­rieure d’une province ne déclenche, à mon avis, que les procédures civiles d’exécution et pas d’au­tres. Vu qu’elle est incluse dans la définition de «sentence» à l’art. 601 du Code criminel, l’ordon­nance de dédommagement peut faire l’objet d’un appel comme le prévoit le Code, et je suis d’avis d’appliquer le principe de l’arrêt Pringle c. Fraser[19], pour exclure toute possibilité d’appel au civil.

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L’article 616 du Code criminel traite des pou­voirs d’une cour d’appel provinciale relativement à une ordonnance de dédommagement et prévoit la suspension de l’application de l’ordonnance jusqu’à l’expiration du délai d’appel et, le cas échéant, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur l’appel. Le paragraphe 616(2) autorise la cour d’appel provinciale à annuler ou à modifier l’ordonnance de dédom­magement, que la déclaration de culpabilité soit cassée ou non. Il n’accorde pas de droit d’appel, selon l’opinion exprimée sur une loi anglaise alors similaire dans l’arrêt Rex v. Elliott[20]. Il semble donc que seul l’accusé ait un droit d’appel contre une ordonnance de dédommagement, droit que lui confère l’al. 603(1)b) et non la personne en faveur de qui l’ordonnance a été rendue. Cela est à mon avis compatible avec une ordonnance qui fait partie de la sentence.

Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi en partie, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba dans la mesure où il infirme l’ordon­nance de restitution et de rétablir cette partie de l’ordonnance mixte rendue par le juge du procès. Conformément à l’autorisation d’appel, le procu­reur général du Manitoba paiera les dépens de l’intimée en cette Cour. Il n’y aura pas d’autre adjudication de dépens.

Le jugement des juges Pigeon, Beetz et Pratte a été rendu par

LE JUGE PIGEON (dissident en partie) — Ce pourvoi, interjeté sur autorisation de la Cour, atta­que un arrêt qui a annulé des ordonnances de dédommagement et de restitution, prononcées aux termes des par. 653(1) et 655(1) du Code criminel respectivement, contre l’accusée, l’intimée Anne Zelensky, en faveur de la Compagnie T. Eaton Limitée («Eaton») qui a été autorisée à intervenir dans ce pourvoi par ordonnance du Juge en chef. La majorité de la Cour d’appel du Manitoba a déclaré que l’art. 653 du Code criminel est ultra vires et, sur avis de cette question constitution­nelle, le procureur général du Canada est intervenu pour défendre la constitutionnalité de cet article et les procureurs généraux du Québec et de l’Alberta sont intervenus pour la contester.

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Il me paraît nécessaire de relater en détail la chronologie des faits. Pour ce faire, je ne m’appuie pas sur la preuve, puisqu’il n’en a pas été produit en l’espèce, mais sur les déclarations incontestées des avocats devant le juge du procès et, quant au déroulement des procédures criminelles et de l’ac­tion civile intentée par Eaton contre l’accusée, je me base sur les motifs du juge Matas qui a pro­noncé le jugement de la majorité.

L’accusée, une femme mariée d’âge mûr, fut pendant dix ans agent de réclamations au service des ventes par catalogue d’Eaton. Ses fonctions lui permettaient d’autoriser par sa signature des paie­ments par mandat postal, à concurrence de $250 par réclamation, et aussi d’ordonner la livraison de marchandise. Le 17 décembre 1975, l’accusée a été dénoncée à la police dans le bureau des ventes par catalogue d’Eaton. Informée de l’accusation et mise en garde, elle a fait la déclaration suivante:

[TRADUCTION] «J’ai commencé il y a environ un an. Je ne sais pas pourquoi. Je préparais les mandats postaux, je les encaissais à ma banque, j’en envoyais chez moi et, ensuite, je les déposais à la banque. Mon mari m’a dit que j’étais idiote et que je serais pincée et devrais payer. J’ai surtout fait des mandats postaux, j’ai pris très peu de marchandise. Je ne sais pas combien j’ai pris. C’était surtout des mandats postaux. Mon mari a essayé de m’en empêcher. Pour les mandats postaux à Fedak et Marquardson, j’ai seulement mis leur adresse et leur nom. Je leur disais que la commande était annulée ou quelque chose d’autre et qu’ils recevraient un rembour­sement. J’allais alors chez eux reprendre les mandats postaux, je les signais et je les encaissais. J’en ai fait quelques-uns à mon nom payables à la Banque Royale, Portage et Edmonton. A l’heure du déjeuner, j’allais à la banque et je les déposais pour rembourser l’emprunt que j’y avais. J’en ai fait quelques-uns au nom de ma fille et de ma soeur. Je les signais et les déposais au compte conjoint que j’ai avec mon mari à McPhillips et Moun­tain. Ma sœur, Nettie Fedak, recevait les mandats que j’envoyais chez elle. J’allais toujours chez elle pour les prendre. Je lui disais que c’était une commande annulée ou quelque chose d’autre; elle ignorait que j’étais impli­quée dans une fraude. Je ne suis pas certaine, mais elle a peut-être encaissé un des mandats, mais je suis ensuite allée chez elle chercher l’argent. C’est, je crois, la seule fois que j’ai fait cela.»

Le jour de l’arrestation de l’accusée, Eaton a déposé une déclaration contre elle à la Cour du

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Banc de la Reine pour réclamer un montant de $18,564.13 et a obtenu une ordonnance de saisie en vertu de laquelle un montant de $10,563.50 a été saisi dans un de ses comptes bancaires et consigné à la Cour. Le lendemain, l’accusée et son mari étaient inculpés par la police d’avoir escroqué Eaton d’un montant d’environ $18,000 et le surlen­demain des parents de l’accusée ont été accusés de recel de biens volés. Il appert également que la police a saisi chez l’accusée et chez un parent, quarante et un articles, principalement des meu­bles et autres objets ménagers.

Le 3 février 1976, l’accusée a plaidé non coupa­ble et l’enquête préliminaire a été fixée aux 14 et 15 avril 1976.

Le 20 février, l’avocat de l’accusée a demandé les détails de la réclamation civile à l’avocat d’Eaton.

Le 28 février 1976, une accusation de fraude a été portée contre un autre parent de l’accusée.

Le 7 avril, une nouvelle accusation a été portée contre l’accusée, son mari, sa fille, son gendre et sa soeur, pour vol d’argent au montant d’environ $18,000 et de marchandises d’une valeur de $7,000 environ, qui étaient la propriété d’Eaton.

Le 12 avril, l’avocat d’Eaton a fourni à l’avocat de l’accusée les détails de sa réclamation. On a dit qu’il y avait énuméré 111 mandats postaux paya­bles soit à l’accusée, à son mari, à sa soeur, à sa fille et à son gendre, pour un total de $11,064.20, soit à la Banque Royale du Canada, pour un montant de $7,486.26 porté au crédit de l’accusée et de son mari.

Le 14 avril, à la suite d’un marchandage sur leur plaidoyer, l’accusée et son mari ont choisi d’être jugés par le juge H. Collerman de la Cour provin­ciale. Ils ont plaidé coupables sur l’accusation de vol d’argent au montant d’«environ» $18,000 et de marchandises au montant d’«environ» $7,000. Les autres accusations ont été suspendues. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il n’y avait pas eu de préavis, ce qui aurait permis d’inscrire d’autres

[Page 968]

affaires pour les deux jours prévus d’enquête préli­minaire, le substitut a répondu:

[TRADUCTION] Votre Seigneurie, je tiens à souligner que cette affaire est en discussion depuis près d’un mois et je ne voudrais certainement pas laisser croire à l’ab­sence de diligence de l’une des parties. II s’agissait tout simplement de résoudre des questions, d’étudier minu­tieusement la preuve et de discuter sérieusement avec les clients .. .

... Il y a à peine un mois que nous avons reçu de l’est un bon nombre des pièces indispensables pour les négocia­tions et, avant leur réception, personne ne pouvait réellement commencer les pourparlers.

Après avoir informé la Cour que l’avocat d’Ea­ton était là pour demander une ordonnance de dédommagement, elle a ajouté:

[TRADUCTION] Je vous fais également remarquer que Me Ornstein (l’avocat de l’accusée) et moi ne sommes pas d’accord sur le montant du dédommagement. Le chiffre qui figure dans la dénonciation est de $18,000 «environ», mais il y a une différence considérable entre nos positions respectives et je tiens à en informer la Cour.

L’avocat de l’accusée a ajouté:

[TRADUCTION] ... bien que le plaidoyer de culpabilité porte sur la somme d’environ $18,000 et des marchandi­ses pour environ $7,000, cela ne veut pas dire que les défendeurs se reconnaissent débiteurs des sommes de $18,000 et $7,000. Il s’agit d’un montant qui se situe entre $200 et $25,000 et qui est à déterminer ou à fixer par accord ou à soumettre à la décision de cette Cour ou de la Cour du Banc de la Reine... .

Le juge l’a interrompu:

[TRADUCTION] ... Si le désaccord est de cette ampleur, cela m’inquiète un peu qu’il y ait un plaidoyer de culpabilité... .

L’avocat de l’accusée a terminé en disant:

[TRADUCTION] Voici, en plaidant coupable, les défen­deurs ont admis l’accusation de vol d’un montant d’envi­ron $18,000. Nous ignorons quel est ce montant et nous voulons que la poursuite en fasse la preuve. Nous laissons à la demanderesse le soin d’établir cette réclamation.

L’avocat d’Eaton a dit:

[TRADUCTION] Ce conflit peut être résolu.

[Page 969]

Le substitut a ensuite exposé les faits, expli­quant en détail les diverses manoeuvres frauduleu­ses employées pour détourner l’argent et les mar­chandises, et l’affaire a été ajournée au 29 avril 1976 pour le rapport préalable à la sentence.

Le 28 avril 1976, une défense à l’encontre de la poursuite civile a été produite et voici ce qu’en dit le juge Matas:

[TRADUCTION] ... l’avocat de l’appelante dit que sa défense visait à admettre la responsabilité mais à en contester le montant, mais ce n’est pas ce que j’y vois en la lisant.

Le lendemain, le juge Collerman était informé que l’avocat de l’accusé avait refusé de rencontrer l’avocat d’Eaton, car ce dernier ne lui avait pas fourni toute la documentation demandée en plus des mandats postaux. Il y eut un nouvel ajournement pour permettre la production de rapports médicaux sur l’état de l’accusée. Le juge Collerman fit remarquer à l’avocat de l’accusée:

[TRADUCTION] ... Ce n’est pas une directive, mais une simple remarque. L’enquête policière a abouti à l’accu­sation de vol d’un montant d’environ $18,000 et, au nom de votre cliente, vous avez inscrit un plaidoyer de culpa­bilité sur ce chef. Je présume qu’avant d’inscrire ce plaidoyer ou avant de conseiller à votre cliente d’admet­tre sa culpabilité, vous avez vérifié, jusqu’à un certain point du moins, les faits et la preuve dont dispose le ministère public à l’appui de cette accusation. Autrement, je ne crois pas que vous auriez inscrit ce plaidoyer.

Cela étant, et puisque le ministère public a accès aux mandats postaux, comme Eaton certainement, et vous a fourni les renseignements sur ces mandats, je vous conseille très fortement de vous réunir tous les deux, d’ici la prochaine audience, et de collaborer un peu plus que vous ne l’avez fait jusqu’à maintenant.

Il semble y avoir ici suffisamment de preuves pour établir le vol de $18,547.07 en mandats postaux. Je dois reconnaître comme Me Flett l’a dit, que votre cliente est mieux placée qu’Eaton ou l’avocat d’Eaton pour vous fournir les renseignements que vous recherchez.

Ce n’est qu’une remarque et nous pourrons peut-être trancher la question le 27 mai.

[Page 970]

La suite de l’action civile est ainsi relatée dans les motifs du juge Matas:

[TRADUCTION] Le 30 avril 1976 — L’avocat de la com­pagnie a reçu signification d’un avis de communication des pièces et de la date fixée pour l’interrogatoire préa­lable d’un représentant de la compagnie, soit le 12 mai 1976.

Le 6 mai 1976 — L’avocat de la compagnie a écrit à l’avocat d’Anne Zelensky pour l’informer de son inten­tion de modifier la déclaration et demander son consen­tement. Il voulait ajouter une réclamation pour détour­nement de marchandises d’une valeur de $7,000 environ et ajouter Steve Zelensky comme défendeur pour le total de $25,000. Il proposait également une rencontre des avocats et de leurs clients pour revoir la documentation sur les montants réclamés.

Le 11 mai 1976 — Dans sa réponse, l’avocat d’Anne Zelensky a passé en revue l’état des procédures et a indiqué que l’interrogatoire préalable avait été remis au 29 juin 1976.

Le 18 mai 1976 — Dépôt d’un avis de requête à présen­ter le 21 mai 1976, exigeant la production des pièces ou, à défaut, le rejet de la déclaration. La requête a été remise sine die à la demande de l’avocat de la compa­gnie. L’avocat de l’appelante a compris que la déclara­tion serait modifiée, qu’une défense modifiée serait produite et que l’interrogatoire préalable d’un représentant de la compagnie aurait lieu le 29 juin 1976.

En avril et en mai, l’avocat de la compagnie a fourni à l’avocat de l’appelante les pièces à l’appui de la réclama­tion de la compagnie. La production des pièces n’a pas fait l’objet d’un affidavit.

L’audition relative à la sentence a eu lieu le 4 juin 1976. Le juge Collerman avait le rapport préalable à la sentence et plusieurs rapports médi­caux. Dès le début, il s’est informé du résultat de sa suggestion. L’avocat de l’accusée à dit:

[TRADUCTION] ... Les négociations se poursuivent entre les avocats des deux parties. Une date a été fixée pour l’interrogatoire préalable d’un représentant de la compagnie Eaton, dans deux semaines environ, j’ignore la date précise. Cependant, Votre Seigneurie, il est certain qu’une défense a été produite. Elle ne conteste que le montant et non la responsabilité; ainsi la seule question encore en litige est celle du quantum. Cepen­dant, je peux assurer Votre Seigneurie qu’environ $12,000 ont été consignés à la Cour, en vertu d’une ordonnance de saisie. Un certificat de titre clair pour la maison des accusés a été consigné à la Cour et peut toujours servir pour assurer la restitution. Il est certain

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que la restitution sera faite dès que la quantum sera établi, un montant précis fixé. Les fonds nécessaires à la restitution sont disponibles, il ne reste qu’à en fixer le chiffre.

L’avocat d’Eaton a répondu:

[TRADUCTION] ... II n’y a pas de pourparlers en cours.

... La défense admet seulement les paragraphes des­criptifs un et deux et nie que la défenderesse Mme Zelensky soit endettée envers la demanderesse et elle exige la preuve stricte de la réclamation.

Le substitut a fait les commentaires suivants à ce sujet:

[TRADUCTION] Pour ce qui est de collaborer pour remettre Eaton dans sa situation antérieure, en ce qui a trait à la restitution, je n’ai pas l’intention de discuter des montants. Il se peut que vingt-cinq mille dollars environ soit inexact à quelques centaines de dollars près. La consignation de certains fonds n’a pas été faite volontairement par Mme Zelensky.

... Ce que je veux dire, c’est que l’argent consigné à la Cour en faveur d’Eaton y est parce que cette compagnie a obtenu une ordonnance de saisie du compte en banque de Mme Zelensky le jour même de son arrestation, et non parce que cette dernière voulait manifester sa bonne foi ou sa bonne volonté. En fait, pour ce qui est de faciliter les choses, de collaborer et de remettre les gens dans la situation où ils auraient été sans ses actes illégaux, elle était présente à l’inscription de son plaidoyer de culpabi­lité et elle a fait dire par son avocat qu’il faudra faire la preuve de la réclamation au sou près, admettant seulement que le montant est supérieur à deux cent dollars. Et voilà à quoi se résout la collaboration.

... Si Mme Zelensky estimait qu’il ne s’agissait que d’environ quinze mille dollars et non de dix-huit mille dollars, elle pouvait consigner quinze mille dollars à la Cour, et contester plus tard les trois autres mille dollars. Mais pas un sou n’a été consigné volontairement. Pas un article de marchandise n’a été remplacé volontairement.

Le juge Collerman a alors fait remarquer:

[TRADUCTION] En fait vous voulez dire que le com­portement de l’accusée depuis la découverte de l’infrac­tion dénote sa malhonnêteté.

Le substitut a répondu:

[TRADUCTION] Oui, Votre Seigneurie, très exactement. Et cette attitude persiste toujours.

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Pendant que l’avocat de l’accusée avait la parole, le juge Collerman lui a dit:

[TRADUCTION] . . On m’informe qu’il y a 111 mandats postaux pour un total, si mes renseignements sont exacts, de $18,547.07, alors que la dénonciation indique $18,000 environ, mais que tous les mandats postaux ou l’ensemble de ces mandats qu’elle a endossés donnent ce montant total. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?

Voici la réponse:

[TRADUCTION] Tout ce que je peux dire, Votre Sei­gneurie, c’est que, selon elle, certains de ces mandats postaux étaient authentiques et n’avaient pas été obtenus par des moyens frauduleux ou illégaux. Il s’agit seulement de calculer ce montant et je préfère ne pas m’occu­per de ce fouillis maintenant.

... S’il est tellement certain du quantum, je me demande pourquoi le substitut n’a pas précisé le montant dans l’accusation, pourquoi il s’est contenté de parler d’environ $18,000. C’est tout ce que j’ai à dire là-dessus.

Il a terminé en disant:

[TRADUCTION] . Je représente respectueusement qu’il conviendrait dans ce cas d’ordonner un sursis ou une libération sous l’assistance d’un conseiller pour l’accusée et pour son mari. Si Votre Seigneurie juge bon de rendre une ordonnance de restitution, ils s’y conformeront cer­tainement; sinon, une autre cour pourra rendre une telle ordonnance et ce sera certainement fait.

Le juge lui demanda alors:

[TRADUCTION] Vous parlez de restitution par opposition à dédommagement.

II répondit:

[TRADUCTION] Non, j’utilise ces mots-là indifférem­ment.

L’avocat d’Eaton a terminé sa plaidoirie en disant:

[TRADUCTION] ... Il est, je crois, dans l’intérêt de toutes les parties qu’il n’y ait pas d’autres procédures devant une autre cour dans cette affaire pour ordonner le dédommagement et la restitution. Je peux dire, Votre Seigneurie, que puisque le montant est d’environ $18,000 et $7,000, cela vous laisse une certaine latitude et, si le montant est un peu inférieur à $18,000, nous ne ferons pas objection... .

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Sur ce, un deuxième avocat de l’accusée, après avoir fait référence à l’action civile, a dit:

[TRADUCTION] Si je comprends bien, il doit y avoir une déclaration modifiée, une défense modifiée en réponse et un interrogatoire préalable qui a été reporté, à la demande de Me Labman (avocat d’Eaton), au 29 juin et cet interrogatoire se tiendra sous peu. J’ai remar­qué, Votre Seigneurie, dans la première transcription, que vous faisiez mention d’une pluralité d’actions. Vous vous inquiétiez du fait qu’un autre tribunal a été saisi de cette affaire et, avec égards, je dirai que la Cour du banc de la Reine peut étudier à fond la question et déterminer alors les montants.

Voici la réponse du juge de la Cour provinciale (citée par le juge Matas):

[TRADUCTION] Alors, puisque vous êtes debout, par­lez-moi donc d’un point particulier qui m’inquiète, j’ai l’impression que les avocats ne collaborent pas autant qu’ils le devraient. On m’informe de l’existence de 111 mandats postaux endossés par l’accusée Zelensky. Ils se chiffrent au total à dix-huit mille sept cents et quelques dollars. Je sais aussi — et Me Labman l’a confirmé — que les achats authentiques de Zelensky s’élevaient à cent soixante-dix et quelques dollars et qu’on pourrait le prouver. J’ai demandé à plusieurs reprises aux avocats de se réunir afin de mieux me permettre de régler la question du dédommagement, même si une autre demande a été présentée ailleurs, mais il semble y avoir eu très peu de collaboration, en particulier de la part du cabinet de M’ Ornstein. J’ai actuellement devant moi la preuve de tous ces mandats postaux endossés par l’accu­sée qui s’élèvent à plus de dix-huit mille dollars avec de surcroît un plaidoyer de culpabilité pour une infraction de vol d’environ dix-huit mille dollars et d’une certaine quantité de marchandises. Ce plaidoyer ne peut être négligé. Donc, compte tenu de tout cela, de la demande présentée devant un autre tribunal et de la présente demande de dédommagement, j’ai devant moi une preuve pour appuyer cette demande. J’ai demandé plusieurs fois aux avocats, sans toutefois les supplier, de se réunir et de s’entendre sur le montant, mais ils ne sont pas plus près d’un accord qu’au début. Reste le fait que j’ai devant moi un plaidoyer et une preuve et que j’ai longuement réfléchi à cette question ces dernières semai­nes pour en venir à la conclusion que s’il n’y avait aucune amélioration, c’est-à-dire si rien n’était réglé par la collaboration des avocats, je m’en remettrais alors au plaidoyer de culpabilité sur l’infraction de vol et aux renseignements fournis dans la dénonciation que j’ai devant moi. Je suis donc prêt aujourd’hui à rendre une

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ordonnance de dédommagement. Quant au montant, j’en discuterai sous peu. Je crois que les avocats n’ont pas collaboré comme ils auraient dû le faire en l’espèce. Je tenais à ce que cela soit noté au dossier.

Le juge de première instance a alors refusé d’entendre de nouveau le premier avocat de l’accu­sée et il a prononcé la sentence. Il a accordé le sursis au mari de l’accusée, mais il a condamné celle-ci à deux ans moins un jour d’emprisonne­ment. Après une brève interruption pour permettre à l’accusée de reprendre conscience, il a ajouté à la sentence une année de probation sous surveillance. Le juge a alors déclaré:

[TRADUCTION] Au sujet de l’ordonnance de dédom­magement demandée en vertu de l’article 653, je suis convaincu que cette demande est justifiée et je prononce une ordonnance de dédommagement pour un montant de $18,000. De plus, il y aura une ordonnance de restitution des biens recouvrés. Telle est la décision de la Cour.

Il a également précisé que les deux ordonnances visaient les deux accusés.

En appel, il fut d’abord décidé à l’unanimité, le 27 octobre 1976, de confirmer la sentence d’empri­sonnement et de probation. Plus tard, le 29 novem­bre, le juge Matas a prononcé le jugement de la majorité auquel les juges Hall et O’Sullivan ont souscrit, les juges Monnin et Guy étant dissidents. Outre l’exposé des faits, les motifs de part et d’autre s’attachent principalement à l’examen de la constitutionnalité de l’art. 653 du Code criminel que conteste l’avocat de l’accusée et que défend le procureur général du Canada, intervenant en l’es­pèce. La majorité a jugé l’art. 653 ultra vires et la minorité s’est prononcée pour sa validité. Cepen­dant, contrairement aux dissidents, la majorité a en outre jugé que les ordonnances de dédommagement

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et de restitution ne sont pas justifiées. Après avoir cité un commentaire fait en Angleterre sur des dispositions législatives quelque peu différen­tes, le juge Matas a dit:

[TRADUCTION] ... voir Dashner, précité (R. v. Dashner, [1974] 2 W.W.R. 11) à la p. 13 où la Cour a approuvé la citation suivante tirée de l’arrêt Regina v. Stewart (1968), 63 W.W.R. 442 à la p. 445, [1968] 4 C.C.C. 54:

… Il faut se rappeler cependant qu’il est très impor­tant de ne pas recourir aux sanctions du droit criminel ni à son application, ni laisser croire qu’on y recourt, pour faire exécuter des obligations civiles. ...»

L’avocat du ministère public a déclaré devant cette cour que le savant juge de la Cour provinciale aurait voulu que les avocats s’entendent sur les questions en litige. Mais sa déception ne justifiait pas une ordon­nance de dédommagement ou de restitution. Les tribu­naux ont été institués pour régler les conflits que les parties ne peuvent résoudre. A mon avis, le processus pénal ne doit pas servir à faire exécuter un règlement financier.

Avec égards, je crois que, dans ces circonstances, le savant juge de première instance a fait erreur en exer­çant son pouvoir discrétionnaire pour rendre une ordon­nance en vertu du par. 653(1) et en ordonnant la restitution en vertu du par. 655(1).

S’il s’avère que les prétentions de l’appelante sont futiles, la Cour du banc de la Reine pourra y voir car elle a le pouvoir de mettre les dépens à la charge de la partie perdante et d’accorder des intérêts à la partie qui a gain de cause si l’on a indûment retardé le paiement d’une juste dette.

En dissidence, le juge Monnin a dit:

[TRADUCTION] La transcription des procédures des 14 et 29 avril et du 4 juin 1976, qui couvre plus de 125 pages, n’est pas un chef-d’oeuvre de clarté. Les avocats semblent avoir embrouillé les choses, plutôt qu’aidé la Cour à obtenir les renseignements qui lui auraient permis de déterminer le montant exact du vol. Tout au long des procédures, les différents avocats, qui ont com­paru pour l’accusée aux trois audiences, et ceux qui ont comparu pour Eaton ont manifesté leur réticence à révéler clairement les faits précis. Ils n’ont fourni aucune déclaration formelle quant au montant précis en cause, en dépit de tous les efforts du juge Collerman de la Cour provinciale. C’est un élément important en l’espèce et les avocats sont responsables de cette situa­tion. Néanmoins, il est clair pour moi que l’enquête

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policière a mené à l’inculpation de vol d’argent au montant d’environ $18,000 et de marchandises d’une valeur de $7,000 et que durant toutes les procédures, sur le conseil de son avocat, l’accusée a plaidé coupable à l’égard de ces montants approximatifs.

Les mots ont un sens. On ne s’avoue pas à la légère coupable d’un vol d’argent et de marchandises. Lorsque quelqu’un reconnaît avoir volé des sommes aussi impor­tantes, même si le montant n’est qu’approximatif, il faut tenir que c’est un aveu sérieux sinon tout le système d’inscription du plaidoyer dans les affaires criminelles est compromis et ridiculisé. Le plaidoyer en question porte sur un vol d’argent au montant d’environ $18,000 et un vol de marchandises d’une valeur d’environ $7,000. Les avocats de l’accusée et de la personne lésée n’ont pas fourni à la Cour les chiffres précis et ne devraient pas être surpris que la Cour ait rendu, au terme de trois audiences, une ordonnance de dédommagement pour un montant de $18,000 et une ordonnance de restitution des marchandises recouvrées pour un montant de $7,000, et ce, même si l’avocat de l’accusée a fait observer que certains des biens recouvrés avaient été légitimement achetés par sa cliente. On aurait certainement pu établir ce fait avant le plaidoyer et avant les audiences.

A mon avis, la dernière phrase citée indique bien ce qu’on aurait dû faire. Le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire lors de l’inscription d’un plaidoyer de culpabilité: il n’est pas tenu de l’ac­cepter: Adgey c. La Reine[21]. Quand l’avocat de l’accusée a soutenu qu’à cause du terme «environ», le plaidoyer de culpabilité visait un montant se situant entre $200 et $18,000 et ne constituait pas un aveu du montant volé, et quand l’avocate de la Couronne a, pour sa part, déclaré qu’il existait un écart considérable entre la position de l’avocat de l’accusée et la sienne, il aurait fallu dire clairement qu’un plaidoyer de culpabilité signifie s’avouer coupable d’une infraction précise. Lorsque l’infrac­tion est un vol d’argent, la somme volée en est un élément essentiel (Lake c. La Reine[22]). Cela ne signifie pas que le terme «environ» vicie l’accusa­tion. Le juge de première instance avait raison de dire que ce mot connote une faible marge d’incerti­tude. Cependant, ce que l’on a dit dans cette

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affaire montre clairement que l’accusée n’a pas admis avoir volé de l’argent et des biens au montant d’environ $25,000, mais a seulement admis avoir volé des biens et une somme d’argent impor­tante dont elle ne voulait pas admettre le montant. Le juge de première instance a eu raison d’accep­ter l’argument du substitut selon lequel l’attitude de l’accusée démontrait qu’elle persistait dans la malhonnêteté, en d’autres mots, qu’elle ne montrait aucun repentir.

Si peu sympathique que tout cela ait rendu la cause de l’accusée, si déplorable que soit l’attitude de l’avocat qui a participé à ces manoeuvres, rien de tout cela ne pouvait cependant justifier une ordonnance de dédommagement. Il est vrai que vu la nature discrétionnaire de la sentence, on se permet traditionnellement, pour la prononcer, de se fonder largement sur des renseignements plutôt que sur de la preuve. Mais, la nature particulière des ordonnances de dédommagement et de restitu­tion exige qu’elles soient fondées sur l’aveu ou autre preuve. Ce qu’a dit l’avocat de l’accusée en suggérant le sursis aurait pu, en soi, être pris pour un consentement au prononcé des ordonnances. Mais la déclaration subséquente du second avocat indiquait clairement l’intention définitive de l’ac­cusée de ne pas reconnaître sa dette et de contester l’action civile. C’était une attitude fort mal conçue: il ne s’agit pas d’une réclamation en dommages-intérêts où l’on peut admettre la responsabilité et contester le montant; il s’agit du vol de sommes et de marchandises déterminées, et l’adjudication d’intérêts ou de dépens ne pourra jamais réparer qu’une partie infime du préjudice additionnel causé par une défense obstinée au civil. Si l’accu­sée a été induite à croire qu’elle pouvait obtenir un sursis de sentence tout en retardant la restitution par une défense au civil, elle a été bien mal conseillée et le choc qu’elle a ressenti en entendant sa condamnation à deux ans de prison est bien compréhensible. Cependant, rien de cela ne justifie le prononcé d’une ordonnance de dédommagement en l’absence d’une preuve claire de la somme due, par aveu ou autrement.

En ce qui concerne l’ordonnance de restitution, la situation n’est pas la même. Aucune procédure civile n’était pendante, toutes les marchandises

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mentionnées dans l’acte d’accusation avaient été saisies par la police et rien ne laissait croire que le plaidoyer de culpabilité sur l’accusation de vol de marchandises, d’une valeur de $7,000 environ, ne couvrait pas tous les articles saisis. Il faut dire également que l’ordonnance de restitution des biens a été rendue en vertu d’un article du Code dont la constitutionnalité n’est pas attaquée. Rien ne justifie, à mon avis, l’annulation de l’ordon­nance de restitution et je ferai remarquer que le prononcé de pareille ordonnance n’est pas discré­tionnaire comme celui de l’ordonnance de dédom­magement, il est obligatoire dans le cas spécifié au par. 655(1). Je suis donc d’avis de rétablir l’ordon­nance de restitution.

J’ai constaté qu’en conclusion des motifs de la majorité, le juge Matas a dit:

[TRADUCTION] Les marchandises recouvrées doivent demeurer sous la garde de la police et le certificat de titre devra demeurer au greffe jusqu’au prononcé du jugement final dans les procédures civiles engagées par la compagnie.

Cette disposition semble avoir été oubliée dans la rédaction de l’arrêt de la Cour d’appel et, pour remédier à cette omission, j’en ordonnerais la modification aux fins de rétablir l’ordonnance de restitution et ordonner également que le certificat de titre déposé en première instance demeure au greffe jusqu’au prononcé du jugement final dans les procédures civiles engagées par Eaton.

Ordinairement cette Cour ne se prononce pas sur les questions constitutionnelles lorsqu’il n’est pas nécessaire de le faire pour trancher le litige qui lui est soumis. Cependant, elle a parfois dérogé à cette pratique lorsqu’il lui a semblé souhaitable de le faire dans l’intérêt public, comme dans les arrêts Le Secrétaire de la province de l’Île-du-Prince-Edouard c. Egan[23], et Switzman c. Elbling[24]. En l’espèce, la question constitutionnelle a été pleinement débattue avec l’aide des avocats représentant les procureurs généraux du Canada et de plusieurs provinces et nous savons que des tribunaux atten­dent notre décision sur la question constitution­nelle pour statuer sur d’importantes demandes

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faites en vertu de l’art. 653 du Code criminel. Il convient donc de trancher promptement la ques­tion de sa constitutionnalité. L’article 653 actuel prévoit:

653. (1) Une cour qui condamne un individu accusé d’un acte criminel peut, sur la demande d’une personne lésée, lors de l’imposition de la sentence, ordonner que l’accusé paie à ladite personne un montant comme répa­ration ou dédommagement pour la perte de biens ou le dommage à des biens qu’a subi le requérant par suite de la perpétration de l’infraction dont l’accusé est déclaré coupable.

(2) Lorsqu’un montant dont le paiement est ordonné en vertu du paragraphe (1) n’est pas versé immédiatement, le requérant peut, en produisant l’ordonnance, faire enregistrer comme jugement, à la cour supérieure de la province où le procès a eu lieu, le montant dont le paiement est ordonné, et ce jugement peut être exécuté contre l’accusé de la même manière que s’il était un jugement rendu contre lui devant cette cour dans des procédures civiles.

(3) La totalité ou une partie d’un montant dont le paiement est ordonné sous le régime du paragraphe (1) peut, si la cour qui rend l’ordonnance est convaincue qu’il n’y a pas de contestation quant à la propriété de cet argent ou au droit de possession y relatif, par des réclamants autres que l’accusé, et si la cour l’ordonne, être prise sur l’argent trouvé en la possession de l’accusé au moment de son arrestation.

Les paragraphes 1 et 2 trouvent leur origine dans l’art. 836 du Code criminel de 1892, qui est devenu l’art. 1048 après la révision de 1906. La source en est l’art. 4 de The Forfeiture and Felony Act, 1870 (33-34 Vict. U.K. c. 23). Cette loi du Royaume-Uni n’était pas en vigueur au Canada. Le montant maximum qui pouvait être accordé était de cent livres sterling. Ce montant maximum a été fixé à mille dollars dans le Code criminel de 1892. Cette limite a été supprimée lors de l’adop­tion du Code criminel actuel (voir Martin’s Criminal Code, 1955, sous l’art. 628).

Par sa nature même, cette disposition traite manifestement d’une question qui relève à pre­mière vue de la compétence provinciale, car il s’agit de «perte de biens ou dommage à des biens». «La propriété et les droits civils dans la province» est l’une des catégories les plus importantes des matières de compétence provinciale énumérées à l’art. 92 de l’A.A.N.B. L’avocat du procureur général

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du Québec nous a cité également Halsbury’s Laws of England. Dans la troisième édition, sous le titre [TRADUCTION] «Distinction entre les pro­cédures criminelles et civiles» (t. 10, p. 271), on peut lire:

[TRADUCTION] Une procédure civile a pour objet le recouvrement d’argent ou de biens, ou l’exécution d’un droit revendiqué par le demandeur, alors qu’une procé­dure criminelle a pour objet la sanction d’une infraction publique. En l’absence de dispositions expresses à cet effet, on ne peut pas recourir à des procédures criminelles pour recouvrer une dette civile.

Dans l’arrêt Ross c. Le Registraire des véhicu­les automobiles[25], la majorité de cette Cour convient que (à la p. 13): «Il faut maintenant tenir pour réglé que les conséquences civiles d’un acte criminel ne doivent pas être considérées comme une «peine» de façon à faire relever la question de la compétence exclusive du Parlement.»

Il faut également remarquer que le par. 92(14) accorde aux législatures provinciales la compé­tence exclusive sur:

L’administration de la justice dans la province, y com­pris la constitution, le maintien et l’organisation de tribunaux provinciaux, de juridiction tant civile que criminelle, y compris la procédure en matière civile dans ces tribunaux.

Contrairement à presque toutes les autres dispo­sitions du Code criminel sur la procédure, le recours prévu à l’art. 653 a les caractéristiques d’un recours civil. Il n’entre en jeu que «sur la demande d’une personne lésée». Il n’est sanctionné d’aucune peine mais le jugement «peut être exécuté ... de la même manière ... qu’un jugement rendu ... dans des procédures civiles», bref l’art. 653 permet à une personne lésée dans ses biens par un acte criminel d’obtenir, devant une cour de juridic­tion criminelle, un jugement civil contre l’accusé. Il correspond à ce que l’on appelle en France la «constitution de partie civile» devant un tribunal criminel, une procédure à laquelle on a tellement souvent recours dans ce pays-là qu’une forte proportion des poursuites en responsabilité délictuelle, y compris les réclamations pour faute profession­nelle, sont introduites au pénal plutôt qu’au civil. Bien sûr, l’art. 653 ne vise que les infractions

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touchant les biens, mais si sa constitutionnalité est établie, on pourra lui donner la même portée.

Je ne crois pas qu’une somme d’argent qui doit être payée en vertu de l’art. 653 puisse être consi­dérée comme une amende, de façon à assujettir la disposition au principe énoncé dans l’arrêt Ville de Toronto c. Le Roi[26]. Dans son Dictionary of Eng­lish Law, lord Jowitt dit: [TRADUCTION] «En droit criminel, une amende est une somme d’argent que l’on ordonne au coupable de verser au trésor public pour le punir de son infraction». L’Oxford Dic­tionary qualifie d’archaïque le sens de «compensa­tion» (dédommagement). Les mots employés dans le texte, savoir «réparation ou dédommagement», indiquent clairement qu’il ne vise pas une sanction à infliger en plus de l’obligation civile.

A mon avis, si nous décidons d’exprimer une opinion sur la constitutionnalité de l’art. 653, nous devons également nous prononcer sur la nature et l’effet des ordonnances qu’il autorise. II faut déter­miner si ces ordonnances remplacent le recours civil ou s’y ajoutent. Dans ce dernier cas, l’article serait valide parce qu’il s’agirait d’une sanction. Mais à mon avis, ces ordonnances visent nettement à remplacer le recours civil à non à y ajouter et il est manifeste que c’est ce que pensaient toutes les parties au présent litige.

A cet égard, je tiens à signaler que ce n’est que par exception que l’on accorde des dommages-inté­rêts punitifs par opposition aux dommages «com­pensatoires» soumis au principe de la restitution intégrale, (voir McGregor On Damages, 136 éd., p. 303). La réparation et le dédommagement impli­quent tous deux restitution et s’opposent à l’idée de sanction. Ils visent donc les conséquences civiles d’un acte criminel et non sa sanction. 11 ne s’agit pas ici d’un cas où l’on pourrait accorder des dommages-intérêts punitifs (voir Basted v. Grafton and Wilde[27]). L’article 10 du Code criminel ne peut prévaloir sur l’intention manifeste de l’art. 653 de façon à permettre à un créancier qui a

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obtenu une ordonnance de dédommagement, d’ob­tenir une deuxième indemnisation devant un tribu­nal de juridiction civile.

A mon sens, la question est donc de savoir si la compétence du Parlement sur «Le droit criminel, ... y compris la procédure en matière criminelle» s’étend à la procédure en matière civile résultant des mêmes faits que l’acte criminel. A mon avis, il faut répondre par la négative. Le pouvoir de défi­nir les crimes ne comprend pas le pouvoir de légiférer sur les conséquences purement civiles des faits constitutifs du crime. De même le pouvoir de légiférer sur la procédure en matière criminelle ne comprend pas le pouvoir de légiférer sur la procé­dure en matière civile, même lorsque l’infraction criminelle et l’action civile résultent des mêmes faits. A cet égard, on doit noter le texte de l’art. 10 du Code criminel.

10. Aucun recours civil pour un acte ou une omission n’est suspendu ou atteint du fait que l’acte ou omission constitue une infraction criminelle.

Il faut également noter qu’il a été jugé qu’une déclaration de culpabilité en vertu du Code criminel n’est pas déterminante du point de vue civil: La Foncière c. Ferras[28].

Cela ne résout pas la question constitutionnelle en l’espèce car il faut encore étudier un aspect important de la répartition constitutionnelle du pouvoir législatif, savoir l’étendue des pouvoirs accessoires du fédéral. Dans l’affaire des conserveries de poissons (Le procureur général du Canada c. Le procureur général de la Colombie-Britannique[29]) lord Tomlin dit ceci (à la p. 118):

[TRADUCTION] On a souvent soumis au Conseil des questions de conflit de compétence entre le Parlement du Canada et les législatures provinciales, et le Conseil a déjà énoncé les principes suivants:

(1) La législation du Parlement, qui porte strictement sur les catégories de sujets énumérés à l’art. 91, a prépondérance, même si elle empiète sur des domai­nes assignés aux législatures provinciales par l’art. 92: voir l’arrêt Tennant c. Union Bank of Canada, [1894] A.C. 31.

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(2) Le pouvoir général de légiférer que l’art. 91 de la Loi confère au Parlement du Canada en plus du pouvoir de légiférer sur les sujets expressément énu­mérés, doit se restreindre strictement aux matières qui sont incontestablement d’importance ou d’intérêt national et ne doit empiéter sur aucun des sujets énumérés à l’art. 92 comme étant du ressort exclusif des législatures provinciales, à moins que ces matières prennent des proportions telles qu’elles affectent le corps politique du Dominion: voir Le procureur géné­ral de l’Ontario c. Le procureur général du Canada, [1896] A.C. 348.

(3) Il est de la compétence du Parlement fédéral de statuer sur des questions qui, bien qu’à d’autres égards de la compétence législative des provinces, sont nécessairement accessoires à une législation efficace du Parlement fédéral sur un sujet de législation expressément mentionné à l’art. 91: voir Le procureur général de l’Ontario c. Le procureur général du Canada, (1894) A.C. 189, et Le procureur général de l’Ontario c. Le procureur général du Canada, [1896] A.C. 348.

(4) Il peut y avoir un domaine dans lequel les législations provinciales et fédérale chevauchent, auquel cas aucune n’est inconstitutionnelle si le champ est inoccupé, mais si le champ n’est pas libre et deux législations viennent en conflit, celle du fédéral doit prévaloir: voir Grand Trunk Ry. of Canada c. Le procureur général du Canada, [1907] A.C. 65.

Il faut peut-être souligner qu’au lieu de l’expres­sion «nécessairement accessoire» dans le par. 3, on trouve dans d’autres arrêts cités les expressions «vraiment accessoire» et «proprement accessoire» manifestement considérées comme synonymes.

Cette Cour a appliqué la doctrine du pouvoir accessoire dans des affaires de procédure crimi­nelle. Dans Le procureur général du Québec c. Le procureur général du Canada[30], le juge Tasche­reau, alors juge puîné, a dit (à la p. 604) après avoir cité l’arrêt susmentionné:

[TRADUCTION] De cette jurisprudence qui est appli­cable à l’affaire présente, il découle que l’article 770 du Code criminel, bien qu’il ne soit pas strictement une loi relative au droit et à la procédure criminels, n’en est pas moins de compétence fédérale, vu son incidence sur le droit et la procédure criminels. En pareil cas, le champ étant occupé, la loi provinciale devient inopérante.

[Page 984]

Le juge Kerwin, l’autre juge qui a exposé des motifs dans cette affaire, a dit (à la p. 608):

[TRADUCTION] Il suffit de dire que cette loi est nécessairement accessoire au pouvoir de légiférer sur le droit criminel et la procédure en matière criminelle conformément au paragraphe 91(27) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique,

Le droit criminel, sauf la constitution des tribunaux de juridiction criminelle, mais y compris la procédure en matière criminelle.

Je ne vois rien qui permette de considérer les par. 653(1) et (2) du Code criminel nécessairement accessoires au plein exercice par le Parlement de ses pouvoirs en matière de droit criminel et de procédure criminelle. Une ordonnance de dédommagement n’est rien d’autre qu’un jugement civil. Comme l’a dit le juge DesBrisay, juge en chef de la Colombie-Britannique, dans un extrait cité par le juge Matas (R. v. Scherstabitoff[31]):

[TRADUCTION] ... Il est parfaitement clair, à mon avis, que la définition de «sentence» au par. 628(1) a pour but de permettre d’interjeter appel d’une telle ordonnance qu’on aurait pu sans cela déclarer non susceptible d’ap­pel. A part cela, je ne crois pas qu’elle fasse partie de la sentence....

Je dois également signaler qu’une ordonnance de dédommagement en vertu du par. 653(1) n’est pas de même nature qu’une ordonnance de probation qui, aux termes de l’al. 663(2)e), prescrit que l’accusé doit:

e) faire restitution ou réparation, à toute personne lésée ou blessée du fait de l’infraction, de la perte ou du dommage véritables soufferts de ce fait par cette personne;

Il ne me semble pas opportun de discuter des décisions qui nous ont été citées sur la portée de ces ordonnances de probation. Je me contenterai de signaler que celles-ci ne deviennent pas des jugements civils qu’un créancier peut faire exécu­ter par voie civile. Le défaut de s’y conformer est une infraction aux termes de l’art. 666(1) et, de plus, peut donner lieu à la révocation d’un sursis.

[Page 985]

Je dois également dire que les dispositions du par. 653(3) me semblent d’une nature différente de celles des par. (1) et (2) en vertu desquels l’ordonnance de dédommagement devient un jugement civil. Le paragraphe (3) tire son origine d’un autre article de l’ancien Code criminel, l’art. 1049, qui remonte à l’ancienne Larceny Act. Puisque cet article vise l’argent trouvé en la possession de l’accusé au moment de son arrestation, il me paraît constituer une disposition proprement accessoire à la procédure criminelle. L’arrestation et la fouille du suspect, la saisie de l’argent trouvé en sa posses­sion font toutes partie du processus criminel normal. La disposition de l’argent ainsi saisi est donc une étape nécessaire de la procédure crimi­nelle, au même titre que la décision sur la culpabi­lité ou l’innocence de l’accusé. Je n’hésite donc pas à juger valide une ordonnance de dédommagement qui se limite à ce que vise le par. (3).

De même je ne vois aucune raison de douter de la validité constitutionnelle de l’art. 655 qui traite de la disposition de biens qui sont devant la Cour au moment du procès criminel. C’est une partie accessoire du processus criminel que de présenter au tribunal l’objet du délit ou de le confier à sa garde. Il devient donc nécessaire de prévoir ce que l’on fera de ces biens à la clôture du procès et il me semble manifeste que cela fait partie de la procé­dure criminelle. Bien qu’il soit possible de s’en remettre à la décision d’un tribunal civil à cet égard, il serait déraisonnable de nier la nécessité pratique d’une décision immédiate du tribunal cri­minel qui est saisi de la question à titre accessoire au jugement sur l’accusation criminelle.

L’avocat du procureur général du Canada prétend que si l’une des dispositions du Code criminel qui traitent des aspects civils du crime est valide, elles le sont nécessairement toutes. Je dois avouer ma surprise face à cette assertion à l’appui de laquelle je n’ai rien trouvé dans la jurisprudence et la doctrine et qui vient directement à l’encontre de l’approche traditionnelle selon laquelle on se demande si la législature aurait édicté les diverses dispositions attaquées sans les autres (Toronto

[Page 986]

Corporation c. York Corporation[32], à la p. 427). Ici, aucun examen approfondi n’est nécessaire pour répondre à cette question, car les diverses disposi­tions proviennent de sources différentes et ne sont pas interdépendantes. Certaines dispositions du Code criminel ne sont pas divisibles, mais tel n’est pas le cas des par. 653(1) et (2). On ne porte pas atteinte au processus de sentence si l’on empêche les tribunaux criminels de rendre à la demande de la personne lésée, des ordonnances de dédommagement qui, par leur nature, équivalent à un jugement civil exécutoire par voie civile.

Le juge Matas a souligné certaines des difficul­tés inhérentes à ce pouvoir de rendre un jugement civil de façon sommaire sans communication des pièces, interrogatoire préalable, etc. Il y en aurait beaucoup plus à dire, mais il ne faut pas oublier qu’il n’appartient pas aux tribunaux de se pronon­cer sur la sagesse de la législation. Pour statuer sur la constitutionnalité, nous devons nous en tenir à l’interprétation du partage constitutionnel des pou­voirs. De plus, la juridiction visée à l’art. 653 est discrétionnaire et le remède aux difficultés réside dans l’exercice de cette discrétion: lorsqu’il serait injuste envers l’accusé de rendre une ordonnance de dédommagement, le devoir de la cour est de refuser de le faire.

Le juge Matas a également mentionné un autre aspect, la doctrine plutôt vague selon laquelle on ne doit pas recourir au processus criminel pour obtenir un redressement civil. Je ne m’attarderai pas à la jurisprudence sur ce point. Les arrêts sont tous cités dans le jugement du juge Wilson Re State of Nebraska and Morris[33] sur lequel je n’exprime aucune opinion. Tout ce que je dirai, c’est que la présente affaire, comme plusieurs déci­sions antérieures qu’on nous a mentionnées, démontre que la possibilité d’obtenir par procédure sommaire auprès des cours de juridiction crimi­nelle une ordonnance de dédommagement équiva­lant à un jugement civil est une invitation directe à recourir au processus criminel pour obtenir une condamnation civile, surtout dans les cas de crimes contre les biens commis par des personnes contre

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lesquelles il est probable qu’une condamnation civile donnera des résultats.

Pour les raisons susmentionnées je suis d’avis que les par. (1) et (2) de l’art. 653 sont ultra vires sauf dans la mesure prévue au par. (3).

Comme je l’ai dit plus haut, je suis d’avis d’ac­cueillir le pourvoi et d’ordonner que l’arrêt de la Cour d’appel soit modifié de façon à rétablir l’or­donnance de restitution des marchandises saisies et ordonner de plus que la Cour de première instance retienne le certificat de titre produit jusqu’au jugement final dans les procédures civiles intentées par Eaton. Conformément aux conditions de la déci­sion de cette Cour accordant l’autorisation, le pro­cureur général du Manitoba paiera les dépens de l’intimée en cette Cour. Il n’y aura pas d’autre adjudication de dépens.

Appel accueilli en partie; arrêt de la Cour d’appel confirmé dans la mesure où il infirme l’ordonnance de dédommagement mais il est modifié de façon à rétablir la partie de l’ordon­nance mixte qui impose la restitution. L’article 653 du Code criminel est déclaré valide, les juges PIGEON, BEETZ et PRATTE étant dissidents en ce qui concerne les par. (1) et (2).

Procureur de l’appelante: Le sous-procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureurs de l’intimée: D. A. Yanofsky & Assoc., Winnipeg.

[1] [1977] 1 W.W.R. 155, 73 D.L.R. (3d) 596.

[2] [1932] A.C. 98.

[3] [1922] 1 A.C. 191.

[4] [1903] A.C. 524.

[5] [1941] R.C.S. 396.

[6] [1949] R.C.S. 1, conf. [1951] A.C. 179.

[7] [1963] 2 C.C.C. 208.

[8] [1953] 2 R.C.S. 273.

[9] [1956] R.C.S. 303.

[10] [1969] R.C.S. 221.

[11] (1977), 39 C.R.N.S. 366.

[12] (1974), 15 C.C.C. (2d) 296.

[13] [1970] 1 O.R. 331.

[14] [1922] 3 W.W.R. 1126.

[15] [1974] R.P. 309.

[16] [1924] A.C. 328.

[17] [1949] R.C.S. 1.

[18] [1951] A.C. 179.

[19] [1972] R.C.S. 821.

[20] [1908] 2 K.B. 452.

[21] [1975] 2 R.C.S. 426.

[22] [1969] R.C.S. 49.

[23] [1941] R.C.S. 396.

[24] [1957] R.C.S. 285.

[25] [1975] 1 R.C.S. 5.

[26] [1932] A.C. 98.

[27] [1948] 1 W.W.R. 614.

[28] [1943] R.C.S. 165.

[29] [1930] A.C. 111.

[30] [1945] R.C.S. 600.

[31] [1963] 2 C.C.C. 208.

[32] [1938] A.C. 415.

[33] (1971), 2 C.C.C. (2d) 282.


Synthèse
Référence neutre : [1978] 2 R.C.S. 940 ?
Date de la décision : 01/05/1978
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli en partie; l’arrêt de la Cour d’appel est confirmé dans la mesure où il infirme l’ordonnance de dédommagement prononcée en vertu de l’art. 653 du Code mais il est modifié de façon à rétablir la partie de l’ordonnance mixte du juge du procès qui impose la restitution. L’article 653 est déclaré valide, les juges Pigeon, Beetz et Pratte étant dissidents au sujet des par. 653(1) et (2)

Analyses

Droit constitutionnel - Droit criminel - Vol - Plaidoyer de culpabilité - Sentence d’emprisonnement et ordonnance de probation - Ordonnance de dédom­magement et de restitution - Conditions remplies pour le dédommagement mais non pour la restitution - Validité de l’art. 653 du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34.

L’accusée, agent de réclamation au service des ventes par catalogue de la Compagnie T. Eaton Limitée, et son mari ont été accusés d’avoir escroqué Eaton d’un montant d’environ $18,000; le surlendemain des parents de l’accusée ont été accusés de recel de biens volés. Une accusation de fraude a également été portée contre un autre parent de l’accusée. Par la suite, une nouvelle accusation a été portée contre l’accusée, son mari, sa fille, son gendre et sa soeur, pour vol d’argent au montant d’environ $18,000 et de marchandises d’une valeur de $7,000 environ, qui étaient la propriété d’Eaton. A la suite d’un marchandage sur leur plaidoyer, l’accusée et son mari ont choisi d’être jugés par un juge de la Cour provinciale. Ils ont plaidé coupable sur l’accusation de vol d’argent au montant d’«environ» $18,000 et de mar­chandises au montant d’«environ» $7,000. Les autres accusations ont été suspendues.

La compagnie Eaton avait intenté des procédures civiles pour recouvrer l’argent et les biens volés, la veille du commencement des poursuites criminelles. Elle a continué les procédures civiles en prenant les mesures appropriées, alors que se poursuivaient les procédures criminelles et même après que les accusés eurent plaidé coupables sur l’accusation de vol. Ensuite, Eaton a demandé une ordonnance de dédommagement en vertu de l’art. 653 du Code criminel et il s’est avéré que le montant de la perte, particulièrement la somme volée,

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était contesté. Il semble qu’elle ait poursuivi les procédu­res civiles parallèlement à la demande d’ordonnance de dédommagement.

Le juge du procès a accordé un sursis au mari de l’accusée mais il a condamné celle-ci à deux ans moins un jour d’emprisonnement. Et il a ajouté à la sentence une année de probation sous surveillance. Il a également prononcé une ordonnance de dédommagement, en vertu du par. 653(1), pour un montant de $18,000 et a ordonné, en vertu de l’art. 655, la restitution des biens recouvrés.

En appel, il fut d’abord décidé à l’unanimité de confirmer la sentence d’emprisonnement et de probation. Plus tard, la majorité de la Cour a jugé l’art. 653 ultra vires et la minorité s’est prononcée pour sa validité. Cependant, contrairement aux dissidents, la majorité a en outre jugé que les ordonnances de dédommagement et de restitution n’étaient pas justifiées. La présente Cour a accordé au ministère public l’autorisation d’in­terjeter appel de cet arrêt.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli en partie; l’arrêt de la Cour d’appel est confirmé dans la mesure où il infirme l’ordonnance de dédommagement prononcée en vertu de l’art. 653 du Code mais il est modifié de façon à rétablir la partie de l’ordonnance mixte du juge du procès qui impose la restitution. L’article 653 est déclaré valide, les juges Pigeon, Beetz et Pratte étant dissidents au sujet des par. 653(1) et (2).

Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Dickson et Estey: La validité de l’art. 655 n’a pas été contestée devant la Cour d’appel ni devant cette Cour et l’ordonnance de restitution doit être maintenue comme ordonnance autonome validement prononcée en vertu de l’art. 655.

L’article 653 est valide parce qu’il fait partie du processus de sentence. Ceux qui contestent la validité de l’art. 653 ont fait grand cas de la disposition relative à la production d’une ordonnance de dédommagement et à son enregistrement comme jugement dans une cour supérieure de la province; c’est là un mécanisme qui ne peut décider de la validité.

Dans les motifs rendus au nom de la majorité de la Cour d’appel, le juge Matas parle des diverses considé­rations qui influent sur l’application de l’art. 653 et conclut à son inconstitutionnalité en comparant la situa­tion de l’accusé qui est défendeur dans une action civile en dommages-intérêts à celle de l’accusé déclaré coupa­ble et contre lequel on demande une ordonnance en vertu de l’art. 653. Cette approche est valable pour statuer sur la constitutionnalité mais les avantages rela­tifs des procédures applicables ne peuvent déterminer

[Page 942]

leur validité car la considération principale est plus fonctionnelle puisqu’il faut tenir compte du but de la loi attaquée et de ses liens avec d’autres aspects manifestement valides du processus pénal.

Une ordonnance de dédommagement ne doit être rendue qu’avec circonspection et les circonstances de la présente affaire ne justifient pas la Cour de modifier la partie du jugement de la majorité de la Cour d’appel qui déclare qu’il n’y avait pas lieu de rendre une ordonnance de dédommagement.

L’essentiel est de limiter l’art. 653 à ce qui fonde sa validité, c’est-à-dire son étroite association au processus de sentence, et d’éviter ainsi toute possibilité d’ingérence dans la compétence législative provinciale en matière de propriété et de droits civils dans la province. Bien que les tribunaux aient reconnu la vaste étendue du pouvoir fédéral relativement au droit criminel et à la procédure criminelle et bien que les tribunaux qui prononcent des sentences puissent maintenant imposer une grande variété de sanctions aux coupables, il n’en reste pas moins vrai que l’on ne peut recourir au droit criminel pour déguiser un empiétement sur le pouvoir législatif provincial. En fait, toute contestation sérieuse des ques­tions de fait ou de droit ou du point de savoir si la personne qui se dit lésée l’est effectivement, doit entraî­ner le refus de rendre une ordonnance en vertu de l’art. 653.

En ce qui concerne la question de l’appel d’une ordon­nance de dédommagement, la production d’une telle ordonnance dans une cour supérieure d’une province ne déclenche que les procédures civiles d’exécution et pas d’autres. Vu qu’elle est incluse dans la définition de «sentence» à l’art. 601 du Code criminel, l’ordonnance de dédommagement peut faire l’objet d’un appel comme le prévoit le Code et l’application du principe de l’arrêt Pringle c. Fraser, [1972] R.C.S. 821 exclut toute possi­bilité d’appel au civil.

L’article 616 du Code criminel traite des pouvoirs d’une cour d’appel provinciale relativement à une ordon­nance de dédommagement et prévoit la suspension de l’application de l’ordonnance jusqu’à l’expiration du délai d’appel et, le cas échéant, jusqu’à ce qu’iI ait été statué sur l’appel. Le paragraphe 616(2) autorise la Cour d’appel provinciale à annuler ou à modifier l’or­donnance de dédommagement, que la déclaration de culpabilité soit cassée ou non. Il n’accorde pas de droit d’appel. Il semble donc que seul l’accusé ait un droit d’appel contre une ordonnance de dédommagement, droit que lui confère l’al. 603(1)b), et non la personne en faveur de qui l’ordonnance a été rendue. Cela est com­patible avec une ordonnance qui fait partie de la sentence.

[Page 943]


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Zelensky

Références :

Jurisprudence: Re Torek v. The Queen (1974), 15 C.C.C. (2d) 296

Turcotte c. Gagnon, [1974] R.P. 309, appliqués

Ville de Toronto c. Le Roi, [1932] A.C. 98

Renvoi relatif à la Loi de la Commission de commerce (1919), et à la Loi des coalitions et des prix raisonna­bles (1919), [1922] 1 A.C. 191

Le procureur général de l’Ontario c. Hamilton Street Railway, [1903] A.C. 524

Le Secrétaire de la Province de l’Île-du-Prince-Edouard c. Egan, [1941] R.C.S. 396

Renvoi relatif à la validité de l’article 5a) de la Loi de l’industrie laitière, [1949] R.C.S. 1, confirmé par [1951] A.C. 179

R. v. Scherstabitoff, [1963] 2 C.C.C. 208

Industrial Acceptance Corporation Ltd. c. La Reine, [1953] 2 R.C.S. 273

Goodyear Tire & Rubber Co. of Canada Ltd. c. La Reine, [1956] R.C.S. 303

Sunbeam Corporation (Can­ada) Ltd. c. La Reine, [1969] R.C.S. 221

R. v. Groves (1977), 39 C.R.N.S. 366

Papp v. Papp, [1970] 1 O.R. 331

R. v. Cohen and Miller, [1922] 3 W.W.R. 1126

Le procureur général de l’Ontario c. Reciprocal Insurers, [1924] A.C. 328.
Les juges Pigeon, Beetz et Pratte, dissidents en partie: L’accusée a seulement admis avoir volé des biens et une somme d’argent importante dont elle ne voulait pas admettre le montant. Le juge de première instance a eu raison d’accepter l’argument du substitut selon lequel l’attitude de l’accusée démontrait qu’elle persistait dans la malhonnêteté, en d’autres mots, qu’elle ne montrait aucun repentir. Si peu sympathique que tout cela ait rendu la cause de l’accusée, si déplorable que soit l’atti­tude de l’avocat qui a participé à ces manoeuvres, rien de tout cela ne pouvait cependant justifier une ordonnance de dédommagement. Le prononcé d’une ordonnance de dédommagement ne peut avoir lieu en l’absence d’une preuve claire de la somme due, par aveu ou autrement.
En ce qui concerne l’ordonnance de restitution, la situation n’est pas la même. Aucune procédure civile n’était pendante, toutes les marchandises mentionnées dans l’acte d’accusation avaient été saisies par la police et rien ne laissait croire que le plaidoyer de culpabilité sur l’accusation de vol de marchandises, d’une valeur de $7,000 environ, ne couvrait pas tous les articles saisis. Il faut dire également que l’ordonnance de restitution des biens a été rendue en vertu d’un article du Code dont la constitutionnalité n’est pas attaquée. Le prononcé de pareille ordonnance n’est pas discrétionnaire comme celui de l’ordonnance de dédommagement
il est obliga­toire dans le cas spécifié au par. 655(1). L’ordonnance de restitution devrait donc être rétablie.
Quant à la constitutionnalité de l’art. 653, les ordon­nances que cet article autorise visent nettement à remplacer le recours civil et ne s’y ajoutent pas. Dans ce dernier cas, l’article serait valide parce qu’il s’agirait
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d’une sanction. La question est donc de savoir si la compétence du Parlement sur «Le droit criminel, ... y compris la procédure en matière criminelle» s’étend à la procédure en matière civile résultant des mêmes faits que l’acte criminel. Il faut répondre par la négative. Le pouvoir de définir les crimes ne comprend pas le pouvoir de légiférer sur les conséquences purement civiles des faits constitutifs du crime. De même le pouvoir de légiférer sur la procédure en matière criminelle ne com­prend pas le pouvoir de légiférer sur la procédure en matière civile, même lorsque l’infraction criminelle et l’action civile résultent des mêmes faits. A cet égard, il convient de noter que le texte de l’art. 10 du Code criminel est libellé comme suit: «Aucun recours civil pour un acte ou une omission n’est suspendu ou atteint du fait que l’acte ou omission constitue une infraction criminelle.» Il faut également noter qu’il a été jugé qu’une déclaration de culpabilité en vertu du Code criminel n’est pas déterminante du point de vue civil: La Foncière c. Perras, [1943] R.C.S. 165.
Cela ne résout toutefois pas la question constitution­nelle en l’espèce car il faut encore étudier un aspect important de la répartition constitutionnelle du pouvoir législatif, savoir l’étendue des pouvoirs accessoires du fédéral. Rien ne permet de considérer les par. 653(1) et (2) nécessairement accessoires au plein exercice par le Parlement de ses pouvoirs en matière de droit criminel et de procédure criminelle. Une ordonnance de dédom­magement n’est rien d’autre qu’un jugement civil.
Les dispositions du par. 653(3) semblent d’une nature différente de celles des par. (1) et (2) en vertu desquels l’ordonnance de dédommagement devient un jugement civil. Le paragraphe (3) tire son origine d’un autre article de l’ancien Code criminel, l’art. 1049, qui remonte à l’ancienne Larceny Act. Puisque cet article vise l’argent trouvé en la possession de l’accusé au moment de son arrestation, c’est une disposition proprement accessoire à la procédure criminelle. L’arrestation et la fouille du suspect, la saisie de l’argent trouvé en sa possession font toutes partie du processus criminel normal. La disposition de l’argent ainsi saisi est donc une étape nécessaire de la procédure criminelle, au même titre que la décision sur la culpabilité ou l’inno­cence de l’accusé.
Il s’ensuit donc que les par. (1) et (2) de l’art. 653 doivent être déclarés ultra vires sauf dans la mesure prévue au par. (3).
Jurisprudence: Adgey c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 426, Lake c. La Reine, [1969] R.C.S. 49
Le Secrétaire de la Province de l’Île-du-Prince-Édouard c. Egan, [1941] R.C.S. 396
Switzman c. Elbling, [1957] R.C.S. 285
Ross c. Le Registraire des véhicules automobiles,
[Page 945]
[1975] 1 R.C.S. 5
Ville de Toronto c. Le Roi, [1932] A.C. 98
Basted v. Grafton, [1948] 1 W.W.R. 614
Le procureur général du Canada c. Le procureur général de la Colombie-Britannique, [1930] A.C. 111
Le pro­cureur général du Québec c. Le procureur général du Canada, [1945] R.C.S. 600
R. v. Scherstabitoff, [1963] 2 C.C.C. 208
Toronto Corporation c. York Corpora­tion, [1938] A.C. 415
Re: State of Nebraska and Morris (1971), 2 C.C.C. (2d) 282.

Proposition de citation de la décision: La Reine c. Zelensky, [1978] 2 R.C.S. 940 (1 mai 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-05-01;.1978..2.r.c.s..940 ?
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