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01/05/1978 | CANADA | N°[1978]_2_R.C.S._736

Canada | Laidlaw c. Metro Toronto, [1978] 2 R.C.S. 736 (1 mai 1978)


Cour suprême du Canada

Laidlaw c. Metro Toronto, [1978] 2 R.C.S. 736

Date : 1978-05-01

Marion Viola Laidlaw (Plaignant) Appelante;

et

La Municipalité du Toronto Métropolitain (Défendeur) Intimée.

1978: 27 février; 1978: 1er mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence et Estey.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Laidlaw c. Metro Toronto, [1978] 2 R.C.S. 736

Date : 1978-05-01

Marion Viola Laidlaw (Plaignant) Appelante;

et

La Municipalité du Toronto Métropolitain (Défendeur) Intimée.

1978: 27 février; 1978: 1er mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence et Estey.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1978] 2 R.C.S. 736 ?
Date de la décision : 01/05/1978
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Expropriation - Indemnité - Résidence - Valeur marchande - Plus-value attribuable à une annexe - Coût des améliorations non reflété dans la plus-value - «Coût» - «Valeur» - The Expropriation Act, S.R.O. 1970, c. 154, art. 13, 14(1) et 18(1)a)(ii).

Législation - Interprétation - Considération de documents extrinsèques - Constatation du problème à corriger par les modifications législatives - Rapport de la Commission de réforme du droit (Ont.) - The Expropriation Act, S.R.O., 1970, c. 154, art. 13, 14(1) et 181)a)(ii).

En 1953, l’appelante achète vingt-six acres de terrain pittoresque sur lequel se trouve une maison de brique de plus de cent ans. En 1970 l’appelante, dont c’était la résidence, fait construire une annexe au coût de $26,000. En 1954, dans le but de reconstruire les voies d’accès au pont, la municipalité de Scarborough achète une acre et demie du terrain; en 1969, l’appelante vend 19.7 acres au Metropolitan Toronto and Regional Conservation Authority et accorde à cet organisme un droit de préemption de premier rang sur les 4.96 acres restantes. Le 13 février 1973, l’intimée exproprie le reste du terrain pour y aménager un jardin zoologique. Selon les évaluateurs qui ont témoigné devant la Commission d’expropriation, l’annexe n’avait ajouté que $10,000 à la valeur marchande du terrain et la Commission a retenu le témoignage de l’évaluateur cité par l’appelante selon lequel cette valeur marchande était de $87,500. La Commission a en outre accordé d’autres montants non litigieux et une somme additionnelle de $3,125. L’appelante réclame un montant supplémentaire de $16,000, représentant la différence entre le coût de l’annexe et la plus‑value attribuée, et fonde sa demande sur le sous-al. 18(1)a)(ii) de The Expropriation Act, S.R.O. 1970, c. 154. La Commission n’a pas accordé d’indemnité aux termes du sous-al. 18(1)a)(i) mais a souligné que l’appelante avait acheté des terrains situés à une distance de quelques milles et s’apprêtait à y construire une résidence évaluée à $95,000; la Commission a donc addi-

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tionné l’indemnité relative à la valeur marchande ($87,500) et 5 pour cent de ce montant, autorisé par le sous-al. 18(1)a)(i), et comme le total était inférieur au prix de la nouvelle résidence, elle a accordé ce montant en vertu de l’art. 15 de la Loi. En appel devant la Cour divisionnaire, les deux parties ont convenu que l’art. 15 ne s’appliquait pas. La question litigieuse consistait donc à déterminer si les dispositions du sous-al. 18(1)a)(ii) autorisent une indemnité au titre d’une amélioration qui a augmenté la valeur marchande d’un montant considérablement inférieur au coût engagé. La Cour divisionnaire a jugé que c’était le cas alors que la Cour d’appel a conclu le contraire.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Le choix entre les deux interprétations ne peut se fonder uniquement sur les mots employés dans l’article. La Commission de réforme du droit de l’Ontario a rédigé un rapport sur les éléments de l’indemnité en matière d’expropriation et, même si la consultation de ce genre de rapport et de ses recommandations ne doit pas servir à interpréter la loi, la Cour est fondée à le consulter pour définir le problème auquel faisait face le législateur et qu’il a voulu corriger. Le rapport suggère une méthode pour faire disparaître la confusion et l’incertitude qui entourent le calcul de l’indemnité: «affirmer le principe général que le propriétaire a droit à l’indemnisation de toute perte pécuniaire résultant de l’expropriation, et ensuite définir l’indemnité qui comprendrait la valeur marchande et les dommages-intérêts résultant des troubles de jouissance.» Ainsi le par. 13(2), la définition de valeur marchande au par. 14(1), l’art. 18 qui traite d’une indemnité supplémentaire pour «troubles de jouissance», et plus particulièrement le paragraphe de cet article qui ordonne le paiement des «frais raisonnables qui sont les conséquences naturelles et raisonnables de l’expropriation, notamment», font que l’appelante a gain de cause sans recourir à l’alinéa contesté. Le solde de $16,000 constitue une perte pour l’appelante et des frais résultant directement de l’expropriation qu’elle a le droit de recouvrir.

On arrive cependant au même résultat en considérant l’alinéa litigieux. Il s’agit d’une loi corrective. La notion imprécise de «valeur pour le propriétaire» est remplacée à l’art. 13 par la «valeur marchande» et l’addition de trois éléments clairs, savoir, les troubles de jouissance, le préjudice causé et les difficultés particulières de réinstallation. Une loi corrective ne devrait pas être interprétée, advenant une ambiguïté, de manière à priver un individu de ses droits fondamentaux, à moins d’une disposition expresse.

Arrêts mentionnés: Black-Ctawson International Ltd. v. Papierwerke Waldhof‑Aschaffenburg AG, [1975] 1

[Page 738]

All E.R. 810 (H.L.); R v. Herman, [1879] L.R. 4 Q.B.D. 284; Robinson v. Local Board of Barton-Eccles, [1883] 8 A.C. 798; Ricard c. Lord, [1941] R.C.S. 1; East Coast Amusements Ltd. v. British Transport Board, [1965] A.C. 58 (H.L.); Conger c. Kennedy (1896), 26 R.C.S. 397.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario accueillant un appel d’un jugement de la Cour divisionnaire relatif à un appel d’une décision de la Commission d’expropriation. Pourvoi accueilli.

M.P. Spearing et J.A. Olah pour l’appelante.

R.M. Parker et Mme M.G. Hordo pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE SPENCE — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario rendu le 22 juin 1976 — et non les 9 et 10 juin 1976 comme l’indique la copie certifiée de la minute de l’ordonnance de cette Cour-là. La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel interjeté contre le jugement de la Cour divisionnaire de la Cour suprême de l’Ontario, rendu le 23 janvier 1976. Dans ce jugement, la Cour divisionnaire augmentait de $12,875 l’indemnité fixée par la Commission d’expropriation de l’Ontario relativement à l’expropriation des terrains de l’appelante. La Cour d’appel a retranché $16,000 du montant de l’indemnité, c’est-à-dire les $12,875 accordés par la Cour divisionnaire plus $3,125. J’expliquerai ces chiffres plus loin.

En 1953, l’appelante achète, dans la région de la vallée de la Rivière Rouge, vingt-six acres de terrain pittoresque. Sur ce terrain, il y a une maison de brique de plus de cent ans et l’appelante en fait sa résidence. En 1954, dans le but de reconstruire les voies d’accès au pont détruites par l’ouragan Hazel, la municipalité de Scarborough achète une acre et demie de terrain à l’appelante. En 1969, l’appelante vend 19.7 acres au Metropolitan Toronto and Regional Conservation Authority et accorde à cet organisme un droit de préemption de premier rang sur les 4.96 acres restantes. Cependant, le 13 février 1973, l’intimée exproprie le reste du terrain par enregistrement d’un plan. Cette expropriation devait permettre

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l’aménagement d’un nouveau jardin zoologique et le droit d’exproprier n’est pas contesté.

En 1970, l’appelante fait ajouter à sa maison une annexe de plain-pied d’approximativement 540 pieds carrés. Elle y installe une salle de séjour, une cheminée, une bibliothèque et un cabinet de toilette. L’annexe repose sur un sous-sol. La preuve révèle que l’annexe, érigée en 1970, a coûté environ $26,000 et que ce que l’appelante a pu en conserver en abandonnant la possession de l’immeuble n’était pas de grande valeur.

Selon tous les évaluateiurs qui ont témoigné devant la Commission d’expropriation, l’annexe n’avait ajouté que $10,000 à la valeur marchande du terrain et la Commission a retenu le témoignage de l’évaluateur cité par l’appelante selon lequel cette valeur marchande était de $87,500. La Commission a donc accordé à l’appelante cette somme, soit la valeur marchande, en sus d’autres montants non litigieux, et une somme additionnelle de $3,125. L’appelante réclame un montant supplémentaire de $16,000, soit la différence entre le coût de l’annexe, $26,000, et la plus-value attribuée à celle-ci, $10,000. Elle fonde sa demande sur le sous-al. 18(1)a)(ii) de The Expropriation Act, R.S.O. 1970, c. 154, dont il sera question plus loin. Pour des motifs assez obscurs, la Commission d’expropriation a décidé de ne pas accorder d’indemnité aux termes de ce sous-alinéa, mais elle a souligné que l’appelante avait acheté des terrains situés à quelques milles au nord et s’apprêtait à y faire construire une résidence au coût de $95,000. La Commission a donc ajouté à l’indemnité de $87,500, soit la valeur marchande, 5 pour cent de ce montant, en vertu du sous-al. 18(1)a)(i) de The Expropriation Act, et comme le total était inférieur de $3,125 au prix de $95,000 de la nouvelle résidence, elle a accordé ce montant en vertu de l’art. 15 de The Expropriation Act.

L’appelante et l’intimée ont toutes deux interjeté appel devant la Cour divisionnaire. Devant cette Cour-là, les deux parties ont convenu que l’art. 15 de The Expropriation Act ne s’applique pas parce que rien dans la preuve ne permet de comparer la nouvelle résidence à la propriété expropriée, de

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sorte qu’on ne pouvait accorder l’indemnité de $3,125. Le juge Holland a rédigé les motifs de la Cour divisionnaire et a examiné la question de savoir s’il y avait lieu d’accorder un montant au titre du sous-al. 18(1)a)(ii) de The Expropriation Act.

Voici les dispositions des art. 13, 14, 15 et 18 de The Expropriation Act:

[TRADUCTION] 13. (1) Lorsqu’un bien-fonds est exproprié, l’autorité expropriante doit payer au propriétaire une indemnité fixée conformément à la présente loi.

(2) Lorsqu’un bien-fonds est exproprié, l’indemnité payable au propriétaire doit être fondée sur

a) la valeur marchande du terrain;

b) des dommages attribuables aux troubles de jouissance;

c) le préjudice causé; et

d) toute difficulté particulière de réinstallation,

mais, lorsque la valeur marchande est fondée sur un usage du bien-fonds autre que l’usage actuel, aucune indemnité ne doit être payée au titre de l’alinéa b) pour des dommages imputables à des troubles de jouissance qu’aurait subis le propriétaire dans cet autre usage du bien-fonds.

14. (1) La valeur marchande d’un bien-fonds exproprié est égale au prix auquel il aurait pu être vendu sur le marché libre, par un vendeur consentant à un acheteur consentant.

(2) Si le bien-fonds exproprié est utilisé à une fin particulière et qu’il n’existe ni demande générale ni marché pour un bien-fonds servant à pareille fin, et si le propriétaire a réellement l’intention de se réinstaller dans des lieux semblables, la valeur marchande est réputée être le coût raisonnable de cette réinstallation.

(3) Lorsque l’expropriation ne vise qu’une partie du bien-fonds d’un propriétaire mais qu’il n’existe ni demande générale ni marché pour cette partie, en raison de ses dimensions, forme et nature, la valeur marchande et le préjudice causé par l’expropriation peuvent être déterminés en établissant la valeur marchande de l’ensemble du bien-fonds et en en déduisant la valeur marchande du bien-fonds après l’expropriation.

(4) Pour déterminer la valeur marchande du bien-fonds, il n’y a pas lieu de tenir compte

a) de l’usage particulier que l’autorité expropriante envisage de faire du terrain;

b) d’une augmentation ou diminution de la valeur du bien-fonds résultant de l’imminence de l’aménage-

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ment en vue duquel l’expropriation a lieu ou des perspectives imminentes d’expropriation; ou

c) d’une augmentation de la valeur du bien-fonds résultant de l’affectation à un usage qui pourrait être interdit par un tribunal ou qui est contraire à la loi, ou qui nuit à la santé des occupants du bien-fonds ou à l’hygiène publique.

15. Sur demande à cet effet, la Commission doit, par ordonnance, après avoir fixé, sous le régime du paragraphe 1 de l’article 14, la valeur marchande d’un bien-fonds à usage résidentiel, allouer au propriétaire l’indemnité supplémentaire qui, de l’avis de la Commission, est nécessaire pour permettre au propriétaire de se réinstaller dans un logement au moins équivalent à celui qui est exproprié.

18. (1) L’autorité expropriante doit payer à un propriétaire autre qu’un locataire, pour le trouble de jouissance, les frais raisonnables qui sont les conséquences naturelles et raisonnables de l’expropriation, notamment,

a) lorsque les lieux expropriés incluent la résidence du propriétaire,

(i) une indemnité compensatrice de la gêne et des frais supportés pour trouver une autre résidence, égale à cinq pour cent de l’indemnité représentant la valeur marchande de cette partie du bien-fonds exproprié dont le propriétaire se sert comme résidence, si cette partie du bien-fonds n’avait pas été mise en vente à la date de l’expropriation, et.

(ii) une indemnité pour les améliorations dont la valeur n’est pas reflétée dans la valeur marchande du bien-fonds;

b) lorsque les lieux ayant fait l’objet d’une expropriation n’incluent pas la résidence du propriétaire, les frais supportés par le propriétaire pour trouver des lieux en remplacement de ceux qui ont été expropriés, si le bien-fonds n’avait pas été mis en vente à la date de l’expropriation; et

c) les frais de réinstallation, comprenant

(i) les frais de déménagement, et.

(ii) les frais de justice et d’arpentage et les autres dépenses non-recouvrables supportés pour acquérir d’autres lieux.

(2) L’autorité expropriante doit payer pour trouble de jouissance au locataire occupant un bien-fonds exproprié la portion des frais visés au paragraphe 1 qui convient en fonction

a) de la durée du bail;

b) de la période du bail qui reste;

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c) de tout droit à renouveler la location ou des perspectives raisonnables de renouvellement;

d) dans le cas d’un commerce, de la nature du commerce; et

e) de l’importance de l’investissement du locataire dans le bien-fonds.

L’avocat de l’appelante allègue depuis le début que le sous-al. 18(1)a)(ii) doit être interprété de manière à ce que la différence entre le coût de l’annexe, $26,000, et l’augmentation moindre de la valeur marchande de la propriété, $10,000, soit incluse dans l’indemnité. L’intimée soutient par contre que dès que l’«amélioration», pour reprendre le terme employé au sous-alinéa, augmente la valeur marchande, même d’un faible montant, l’article devient inapplicable. Le juge Holland, qui a rédigé les motifs unanimes de la Cour divisionnaire, a conclu que cette interprétation était illogique et contraire à l’économie de la loi. Le juge Arnup, qui a exposé les motifs unanimes de la Cour d’appel, a estimé que l’interprétation avancée par l’appelante nécessitait l’insertion à l’al. 18(1)a) des mots suivants «dans la mesure où la valeur de ces améliorations n’est pas entièrement reflétée dans la valeur marchande», ce qui constituerait une modification exorbitante des fonctions de la Cour.

Cette Cour est donc saisie d’une question claire: aux termes du sous-al. 18(1)a)(ii), faut-il verser une indemnité au propriétaire au titre d’une amélioration qui a augmenté la valeur marchande d’un montant considérablement inférieur au coût engagé? Le rapport entre «coût» et «valeur» sera examiné ci-après.

Tout d’abord, je dois dire que le choix entre les deux interprétations ne peut se fonder uniquement sur les mots employés à l’alinéa. Selon le juge Arnup, l’interprétation de l’appelante nécessite l’addition de tout un membre de phrase. Indubitablement, on peut également dire que l’interprétation très restrictive de l’intimée requiert l’addition d’un adverbe limitatif comme «aucunement» dans l’expression «n’est «aucunement» réflétée dans». Le sens du verbe «refléter» est à mon avis très imprécis. Pour le comprendre, il faut examiner tous les

[Page 743]

articles de la loi et, à mon avis, prendre en considération l’historique de la loi et la situation que le législateur a voulu corriger.

La Commission de réformie du droit de l’Ontario a rédigé un rapport sur les éléments de l’indemnité en matière d’expropriation. Il est établi qu’on ne peut recourir à ce genre de rapport pour interpréter la loi à la lumière des recommandations qui y sont faites, mais qu’on peut s’en servir pour définir le problème auquel faisait face le législateur et qu’il a voulu corriger par la nouvelle loi, The Expropriation Act, 1968-69 (Ont.), c. 36, maintenant R.S.O. 1970, c. 154. Il existe toute une jurisprudence à l’appui de ce principe, mais il suffit de citer l’extrait suivant, tiré des motifs de lord Reid, à la p. 814, dans l’arrêt Black-Clawson International Ltd. v. Papierwerke Waldhof-Aschaffenburg AG[1]:

[TRADUCTION] Mais le principe est que lorsqu’un texte de loi est ambigu, il faut préférer une interprétation qui rattache le but de la loi à la situation à corriger, à une interprétation différente ou plus large que ne justifient pas les circonstances prévalant à l’époque. La situation que cette loi voulait corriger pouvait être de notoriété publique il y a 40 ans. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cependant une commission d’éminents experts a fait une enquête approfondie sur le sujet et a soumis son rapport quelques mois avant l’adoption de la loi.

Je pense que l’on peut considérer que ce rapport décrit bien la «situation à corriger» et l’état du droit à l’époque et nous sommes donc pleinement fondés à en consulter les chapitres pertinents.

J’en viens maintenant au rapport. Il fait l’historique du mode de calcul de l’«indemnité appropriée» et du heurt de deux notions contradictoires à cet égard, savoir la «valeur marchande» et la «valeur pour le propriétaire». A l’origine, les tribunaux ontariens ont adopté la première alors que la Cour de l’Échiquier et, par la suite, la Cour fédérale, ont clairement opté pour la seconde. Le rapport souligne que les tribunaux ontariens semblent avoir récemment opté pour la notion de «valeur pour le propriétaire», sans toutefois réussir à éliminer toute confusion et incertitude. Pour résoudre le

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problème, il a donc fallu adopter un «énoncé des éléments de l’indemnité». Je cite un alinéa tiré de la p. 15 du rapport:

[TRADUCTION] La Commission estime que l’on pourrait quasiment faire disparaître la confusion et l’incertitude dans ce domaine si la loi était modifiée et contenait un énoncé des éléments de l’indemnité. On pourrait par exemple affirmer le principe général que le propriétaire a droit à l’indemnisation de toute perte pécuniaire résultant de l’expropriation, et ensuite définir l’indemnité qui comprendrait la valeur marchande et les dommages-intérêts résultant des troubles de jouissance.

A mon avis, c’est ainsi que le législateur a procédé. Le paragraphe 13(2) de The Expropriation Act énumère les quatre éléments qui composent l’indemnité, savoir:

[TRADUCTION] a) la valeur marchande du bien-fonds;

b) les dommages attribuables aux troubles de jouissance;

c) le préjudice causé; et

d) toute difficulté particulière de réinstallation.

En l’espèce, la valeur marchande a été établie en fonction de l’usage de la propriété au moment de l’expropriation, ce qui exclut l’application du dernier sous-alinéa.

La valeur marchande, qui fait l’objet de l’al. 13(2)a), est définie de manière plus précise au par. 14(1) de The Expropriation Act. Les autres paragraphes de l’art. 14 et les art. 15, 16 et 17 ne s’appliquent pas en l’espèce. J’en viens donc à l’art. 18 de The Expropriation Act. Nous verrons plus loin que cet article, appliqué aux faits de l’espèce, précise le sens d’un «élément d’indemnité» prévu à la l’al. 13(2)b), précité, savoir les troubles de jouissance. Il faut souligner que l’obligation de payer vise [TRADUCTION] «les frais raisonnables qui sont les conséquences naturelles et raisonnables de l’expropriation, notamment,» [c’est moi qui souligne]. Il est bien connu que lorsqu’une loi emploie les mots «notamment» ou «y compris» plutôt que «signifie» ou «désigne», la définition n’est ni complète ni exhaustive et n’exclut pas le sens courant

[Page 745]

du mot. Voir les arrêts R. v. Herman[2], lord Coleridge à la p. 288, et Robinson v. Local Board[3], à la p. 800, tous deux adoptés par le juge Rinfret (alors juge puîné) dans l’arrêt Ricard c. Lord[4], aux pp. 10 et 11. En conséquence, si la somme de $16,000, c’est-à-dire la différence entre le coût de l’annexe, $26,000, et l’augmentation de la valeur marchande, estimée à $10,000, représente des «frais raisonnables qui sont les conséquences naturelles et raisonnables de l’expropriation,» il faut l’ajouter à l’indemnité aux termes du par. 18(1), qu’elle entre ou non dans les cas prévus aux al. a), b) ou c) qui suivent le paragraphe introductif de l’art. 18(1). L’appelante a démontré que les améliorations ont coûté $26,000. Les évaluateurs ont unanimement conclu que cette dépense n’avait augmenté la valeur marchande que de $10,000. J’estime donc que la perte de la différence de $16,000 subie par l’appelante constitue des «frais», conséquence naturelle de l’exproriation. L’appelante a dépensé $26,000 et c’est seulement à cause de l’expropriation qu’elle n’a pu profiter de cette dépense. Si elle ne devait pas recevoir plus que la valeur marchande, elle ne serait remboursée que de $10,000. Le solde de $16,000 constitue donc une perte pour elle et des frais résultant directement de l’expropriation. Je conclus donc que l’appelante doit avoir gain de cause sur la base de cette interprétation de l’article, sans même considérer le recours au sous-al. 18(1)a)(ii) en cause.

J’arrive cependant au même résultat lorsque je prends cet alinéa en considération. J’insiste encore sur la nouvelle structure de The Expropriation Act. La notion imprécise de «valeur pour le propriétaire» est remplacée à l’art. 13 par la «valeur marchande» et l’addition de trois éléments clairs, le premier étant les «troubles de jouissance». Le sens de l’expression «troubles de jouissance» est suffisamment large pour couvrir toute valeur particulière pour le propriétaire exproprié qui n’est pas comprise dans la «valeur marchande» et l’art. 18 élargit le cadre de l’indemnité au titre des «troubles de jouissance». Je reviens au rapport de la Commission de réforme du droit de l’Ontario dont voici un extrait tiré du haut de la p. 29:

[Page 746]

[TRADUCTION] E. AMÉLIORATIONS NON RÉALISABLES

Il peut arriver qu’un propriétaire effectue des améliorations sur sa propriété qui ont une valeur particulière à ses yeux, mais que la valeur marchande du terrain ne reflète pas. Suivant le principe qu’il doit être indemnisé de sa perte, le propriétaire devrait recevoir un dédommagement pour les améliorations non réalisables qu’il a effectuées. On cite par exemple le cas d’un tétraplégique qui fait installer des rampes dans sa maison ou celui d’un propriétaire qui construit un abri souterrain. Ces améliorations n’ont de valeur particulière qu’à leurs yeux, ou, tout au plus, aux yeux d’un petit groupe d’acheteurs éventuels. Certains auraient tendance à ne pas dédommager un propriétaire excentrique pour des dépenses que le reste de la société peut percevoir comme frivoles ou injustifiées. Cependant, la Commission estime que le propriétaire excentrique a autant droit au dédommagement que le propriétaire qui ne l’est pas. Il faudrait toutefois limiter ce type d’indemnités aux résidences privées car des améliorations de ce genre, sur des propriétés industrielles ou commerciales, devraient rester entièrement aux frais de l’entreprise.

[C’est moi qui souligne.]

Il faut souligner que ce texte s’intitule [TRADUCTION] «Améliorations non réalisables» et l’intimée soutient ici (comme elle l’a fait avec succès devant la Cour d’appel) que le sous-al. 18(1)a)(ii), la disposition législative relative à ce genre d’indemnité, ne devrait s’appliquer qu’aux améliorations qui n’ajoutent absolument rien à la valeur de la propriété. Le titre du texte ne permet évidemment pas de tirer pareille conclusion. En fait c’est un titre abrégé, car ce n’est pas l’amélioration elle-même qu’on peut réaliser; l’amélioration fait partie d’un immeuble et il faut se demander si elle a augmenté la valeur marchande de l’ensemble de la propriété. En outre, les mots que j’ai soulignés indiquent que la Commission a mis dans la même catégorie les améliorations qui augmentent la valeur marchande d’un montant inférieur à leur coût parce qu’elles n’intéressent qu’un nombre très restreint d’acheteurs éventuels. Il est également important de souligner que lorsque le législateur a adopté la loi afin de remédier au problème, il n’a pas conservé l’expression [TRADUCTION] «non réalisables» pour décrire les améliorations; il a repris textuellement les termes suivants du rapport «mais que la valeur marchande du terrain ne reflète pas». Le texte de l’alinéa est imprécis: «…améliora-

[Page 747]

tions dont la valeur n’est pas reflétée dans la valeur marchande du bien-fonds». Que signifie «valeur»? Dans sa plaidoirie, l’intimée a suggéré «valeur marchande», mais comment est-ce possible puisque cette expression est utilisée dans la même phrase, une ligne plus loin? Si l’on remplace le mot «valeur» là où il est employé pour la première fois par «valeur marchande», la phrase perd tout son sens. A mon avis, le mot «valeur» employé après le mot «améliorations» se rapporte à l’importance des améliorations aux yeux de la personne qui les a faites et n’a rien à voir avec leur valeur marchande. L’abri souterrain a une valeur pour celui qui craint les raids aériens et les rampes ont une grande valeur pour l’invalide. C’est l’injustice qui consisterait à priver ces personnes de la valeur de leurs améliorations en limitant l’indemnité à la valeur marchande, que la législation vise à éviter. Peu importe que certains considèrent que l’abri souterrain pourrait servir de cellier ou que les rampes sont un moyen commode de déménager de gros meubles.

Arrêtons-nous maintenant au verbe «refléter». On voit tout de suite qu’il vient du rapport. Mais, comme je l’ai dit, c’est un mot imprécis. Si dix pour cent du coût d’une amélioration augmentent la valeur marchande d’un montant équivalent, peut-on dire que la valeur de l’amélioration «est reflétée» dans la valeur marchande? Le Shorter Oxford Dictionary donne une douzaine de sens principaux au mot “reflect” (refléter) et aucun ne convient exactement au paragraphe en question. Le mot «refléter» connote certainement l’idée d’intégralité. Je ne pense pas qu’un homme puisse dire qu’un miroir reflète son image s’il ne peut voir qu’un côté de son visage et aucune autre partie de son corps. Le miroir reflète seulement un côté de son visage. L’amélioration qui augmente la valeur marchande d’une propriété d’un montant équivalant à dix pour cent du coût n’est pas «reflétée» dans l’augmentation de la valeur marchande, mais l’augmente d’une faible proportion.

L’interprétation soumise par l’intimée et acceptée par la Cour d’appel conduit aux injustices flagrantes mentionnées dans le rapport de la Commission de réforme du droit de l’Ontario et dans

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les présents motifs. Quand on se rend compte que la législation vise à remplacer la notion vague de «valeur pour le propriétaire», une interprétation aussi restrictive n’est manifestement pas fidèle au but évident de la législation. Il semble clair que si l’expropriation avait eu lieu sous le régime de la loi précédente, l’application du principe de la «valeur pour le propriétaire» aurait permis à l’appelante de recevoir une indemnité pour les «améliorations non réalisables». Une loi corrective ne devrait pas être interprétée, advenant une ambiguïté, de manière à priver un individu de ses droits en common law, à moins d’une disposition expresse: East Coast Amusements Ltd. v. British Transport Board[5], le vicomte Simmonds, à la p. 81. Cette Cour a affirmé ce principe dès 1896: voir l’arrêt Conger c. Kennedy[6], le juge en chef Strong, à la p. 405, et, à l’instar des cours d’appel des diverses provinces, elle continue de le faire.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de la Cour divisionnaire. Ainsi l’appelante a droit de recouvrer $108,751.50 ainsi que les intérêts de 6 pour cent à compter du 3 août 1973 sur le montant de $87,500. L’appelante a droit aux dépens accordés par la Commission d’expropriation de l’Ontario et à ses dépens devant la Cour divisionnaire, la Cour d’appel de l’Ontario et cette Cour.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: McKeown, Yoerger, Spearing & Champlin, Toronto.

Procureur de l’intimée: A.P.G. Joy, Toronto.

[1] [1975] 1 All E.R. 810 (H.L.).

[2] [1879] L.R. 4 Q.B.D. 284.

[3] [1883] 8 A.C. 798.

[4] [1941] R.C.S. 1.

[5] [1965] A.C. 58 (H.L.).

[6] (1896), 26 R.C.S. 397.


Parties
Demandeurs : Laidlaw
Défendeurs : Metro Toronto
Proposition de citation de la décision: Laidlaw c. Metro Toronto, [1978] 2 R.C.S. 736 (1 mai 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-05-01;.1978..2.r.c.s..736 ?
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