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01/05/1978 | CANADA | N°[1978]_2_R.C.S._605

Canada | Procureur général (Québec) et Glassco c. Cumming, [1978] 2 R.C.S. 605 (1 mai 1978)


Cour suprême du Canada

Procureur général (Québec) et Glassco c. Cumming, [1978] 2 R.C.S. 605

Date: 1978-05-01

Le procureur général de la province de Québec (Intervenant)

et

Dame Diane Mary Glassco (Demanderesse) Appelants;

et

Archibald Cumming (Défendeur) Intimé.

1978: 9 février; 1978: 1er mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Procureur général (Québec) et Glassco c. Cumming, [1978] 2 R.C.S. 605

Date: 1978-05-01

Le procureur général de la province de Québec (Intervenant)

et

Dame Diane Mary Glassco (Demanderesse) Appelants;

et

Archibald Cumming (Défendeur) Intimé.

1978: 9 février; 1978: 1er mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1978] 2 R.C.S. 605 ?
Date de la décision : 01/05/1978
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Divorce - Pension alimentaire - Dissolution de mariage par loi spéciale en 1957 - Requête fondée sur l’art. 212 du Code civil, édicté en 1969 - Sens de «divorce» à l’art. 212 - Loi sur le divorce, S.R.C. 1970, c. D-8 - Code civil, art. 185, 211, 212.

En mars 1957, le Parlement du Canada a édicté, à la demande de l’appelante Dame Glassco, une loi décrétant la dissolution de son mariage avec l’intimé. A l’époque, le Code civil ne parlait pas de divorce. Toutefois, en 1969, la législature du Québec a modifié le Code pour permettre au tribunal «dans le cas de séparation de corps ou de divorce», d’ordonner à l’un des époux de verser à l’autre une pension alimentaire (art. 212 C.c.). Se fondant sur ce texte de loi, l’appelante s’est adressée, en 1973, à la Cour supérieure et elle a obtenu une pension alimentaire de $800 par mois.

La Cour d’appel, considérant que le mot divorce employé à l’art. 212 C.c. ne s’applique pas à un divorce obtenu, comme en l’espèce, en vertu d’une loi d’exception, a infirmé le jugement de la Cour supérieure. L’appelante en appelle de cet arrêt devant cette Cour. Le procureur général de la province de Québec est également partie à ce pourvoi afin de soutenir la constitutionnalité des textes législatifs sur lesquels se fondait le jugement de première instance.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

Pour interpréter la portée du mot «divorce» à l’art. 212 du Code civil, il faut le lire dans le contexte de la Loi de 1969 qui a modifié le Code civil et plus particulièrement à la lumière des nouveaux art. 185 et 211. Le divorce auquel renvoient ces articles ne peut être que le divorce prononcé par un tribunal en vertu de la Loi sur le divorce de 1968, d’une loi à laquelle elle réfère ou d’une loi similaire d’un autre état. L’article 212 ne vise donc pas une dissolution de mariage prononcée par une loi

[Page 606]

spéciale et la requête de l’appelante, dont le mariage a été dissous en 1957 par une loi de ce genre, est mal fondée.

En raison de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de statuer sur la question constitutionnelle qui a motivé l’intervention du procureur général de la province de Québec.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure[2] accordant une pension alimentaire. Pourvoi rejeté.

Olivier Prat, pour l’appelant le procureur général de la province de Québec.

Richard McConomy, pour l’appelante, Dame Diane Mary Glassco.

Graham Nesbitt et Christopher Hoffman, pour l’intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE PIGEON — Le pourvoi autorisé par cette Cour est à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec, qui a infirmé le jugement de la Cour supérieure, accordant une pension alimentaire à l’appelante Dame Glassco. Le procureur général de la province de Québec est intervenu en Cour d’appel pour défendre la constitutionnalité du texte législatif sur lequel le jugement de première instance était fondé.

Dame Glassco et l’intimé Archibald Cumming ont contracté mariage à Westmount le 22 septembre 1951. Un jugement de la Cour supérieure du 25 septembre 1956 a accordé à l’épouse la séparation de corps, la garde de ses enfants mineurs et une pension alimentaire pour ces derniers. Cette pension, augmentée à diverses reprises, a été supprimée par jugement du 19 juin 1973. Longtemps avant cela cependant, savoir le 28 mars 1957, une loi du Parlement du Canada votée à la demande de Dame Glassco avait décrété à son premier article:

1. Le mariage contracté entre Diana Mary Beatrice Glassco et Herbert Archibald James Cumming, son

[Page 607]

époux, est dissous par la présente loi et demeurera à tous égards nul et de nul effet.

Il est unanimement reconnu qu’à la suite de cette loi prononçant la dissolution du mariage, Dame Glassco ne pouvait plus réclamer des aliments de l’intimé. En effet, il n’y avait dans le Code civil de la province de Québec aucun texte sur lequel une pareille demande aurait pu être fondée. En 1969 cependant, la législature a adopté une loi modifiant le Code civil (c. 74) par laquelle a été décrétée notamment la disposition suivante:

212. Le tribunal peut, dans le cas de séparation de corps ou de divorce, ordonner à l’un des époux de verser pour l’entretien de l’autre époux et des enfants, les sommes qui sont jugées raisonnables. Ces sommes sont payées à l’autre époux ou à un administrateur, en un ou en plusieurs versements, selon que le décide le tribunal, et aux autres conditions qu’il juge appropriées.

C’est en vertu de ce texte que Dame Glassco s’est adressée à la Cour supérieure par requête du 10 août 1973 sur laquelle jugement a été rendu le 21 novembre 1973 accordant une pension alimentaire de $800 par mois.

La Cour d’appel ayant ordonné une seconde audition, celle-ci eut lieu devant neuf juges. L’arrêt infirmatif fut prononcé avec deux dissidences.

La première question étudiée fut évidemment l’interprétation de l’art. 212 C.c. Dans ce texte, le mot «divorce» vise-t-il une loi d’exception comme celle qui fut votée à la demande de Dame Glassco ou ne s’applique-t-il pas plutôt exclusivement à un divorce prononcé par un tribunal en vertu de la Loi sur le divorce ou une législation analogue d’un pays étranger où les époux sont domiciliés? Sur ce point, le juge Rinfret, aujourd’hui juge en chef, dit:

Théoriquement encore, le parlement aurait la compétence pour édicter rétroactivement que nonobstant l’obtention d’un divorce et malgré les droits acquis, des personnes antérieurement mariées, restent assujetties à l’obligation de payer à l’ex-conjoint une pension alimentaire; mais le texte de la Loi ne devrait souffrir d’aucune ambiguïté à ce sujet.

En 1968, par sa Loi sur le divorce, reproduite aux S.R.C. 1970, c. D-8, le parlement n’est pas allé aussi loin que cela, mais il a, de façon importante, modifié les

[Page 608]

conditions du divorce et son incidence sur les époux et sur les conséquences du mariage.

Agissant à l’intérieur de sa compétence en matière de divorce, il a établi un nouveau concept différent de l’ancien à certains points de vue: il a édicté que l’abrogation totale du lien du mariage qui existait jusqu’alors, comme conséquence du divorce, ne serait plus que partielle, en ce sens, pour ceux ou celles qui obtiennent un divorce en vertu de la nouvelle Loi, le lien disparaît en ce qui a trait au droit des ex-conjoints d’épouser une personne de leur choix, mais qu’il subsiste en autant que sont concernés l’obligation, d’un côté, et le droit, de l’autre, à une pension alimentaire, dans certaines conditions spécifiées à la Loi.

L’on remarquera l’utilisation à l’article 11 des mots “mari” et “épouse”.

C’est qu’au moment du prononcé du jugement conditionnel de divorce les parties sont encore mari et femme et ne cesseront de l’être que lors du jugement définitif.

En 1969, la législature introduisait dans le Code civil, ce nouveau concept de l’existence partielle du lien du mariage et amendait plusieurs de ses articles pour y donner effet.

Je ne m’arrêterai qu’à certains de ces articles.

L’article 185 se lit maintenant:

185. Le mariage ne se dissout que par le décès de l’un des conjoints ou par le divorce légalement prononcé.

Que signifie l’expression “divorce légalement prononcé”, sinon divorce prononcé suivant la loi fédérale de 1968?

Ceci est d’ailleurs confirmé par le texte même du nouvel article 200 C.C., qui parle de l’instance en divorce et de l’article 211 qui peut être considéré comme définissant le mot “divorce” employé dans la loi provinciale:

211. Le divorce ne produit ses effets (dont celui envisagé par l’article 185 C.C.) qu’à compter de la date à laquelle un jugement définitif rend irrévocable le jugement conditionnel qui l’a prononcé.

La femme peut, jusqu’à cette date, requérir les mesures provisoires visées aux articles 814 et 815 C.P.

L’on voit là, une référence directe et non équivoque à la Loi sur le divorce; il n’y est aucunement question d’un divorce obtenu par loi ou résolution fédérale.

C’est, à mon avis, la seule signification possible et logique du mot “divorce” employé à l’article 212 C.C.

[Page 609]

Cette opinion a été endossée par les juges Owen, Brossard, Dubé et Mayrand. Le juge Brossard a fait l’observation suivante:

Je me permets de souligner, au départ, que la loi de 1957 par laquelle le mariage entre les parties aux présentes a été déclaré dissous et éteint ne stipulait ou ne réservait en faveur de Dame Glassco soit rétroactivement, soit pour l’avenir, le droit pour elle de se faire payer une pension alimentaire par l’appelant Cumming et qu’à compter de l’adoption de cette loi tout lien de mariage a été éteint entre les parties.

Le juge Dubé a ajouté:

D’accord avec MM. les Juges Rinfret et Mayrand, et avec respect pour toute opinion différente, je crois que l’article 212 C.C. ne s’applique qu’aux parties divorcées en vertu de la nouvelle Loi sur le divorce de 1968 tout comme l’article 11 de la Loi sur le divorce de 1968 qu’il a voulu introduire dans notre Code civil. En effet, même si l’article 212 emploie le terme général de “divorce”, cependant l’article précédent, soit l’article 211, qui a été mis en force par le même bill à la même date (18 El. II, bill 8, a. 14), précise qu’il n’est ici question que du divorce établi par la loi de 1968:

Art. 211. Le divorce ne produit ses effets qu’à compter de la date à laquelle un jugement définitif rend irrévocable le jugement conditionnel qui l’a prononcé (soulignement ajouté).

Rien dans ce que les juges dissidents ont écrit ne me paraît persuasif. Le juge Lajoie dit:

L’article 185 dit:

Le mariage ne se dissout que par le décès de l’un des conjoints ou par le divorce légalement prononcé.

Si le mot “divorce” dans ce texte ne réfère qu’au divorce prononcé en vertu de la loi de 1968, non à celui décrété par loi du Parlement ou résolution du Sénat, il faudrait conclure qu’aux yeux du législateur provincial les divorcés d’avant 1968 sont encore mariés.

Ce raisonnement me paraît méconnaître la nature particulière des dissolutions de mariage prononcées par lois d’exception. Quand le Code civil a été adopté, ces lois n’étaient pas inusitées même si elles étaient peu nombreuses. Cependant, l’art. 185 disait:

185. Le mariage ne se dissout que par la mort naturelle de l’un des conjoints: tant qu’ils vivent l’un et l’autre, il est indissoluble.

C’est que le pouvoir du législateur d’adopter des lois d’exception existe à l’encontre de toute règle

[Page 610]

de droit. Il n’y a donc pas lieu d’en tenir compte dans la rédaction législative, autrement on en parlerait constamment. Le législateur peut indubitablement décréter par loi d’exception l’extinction de n’importe quelle obligation, mais on chercherait vainement la loi d’exception dans la liste des modes d’extinction des obligations à l’art. 1138 du Code civil.

A l’audition, l’avocat de Dame Glassco a argué que celle-ci ne demandait rien autre chose que d’être traitée comme le serait une femme d’une autre province qui aurait obtenu le divorce en 1957. La réponse à cet argument je la trouve dans l’opinion du juge Mayrand où l’on lit:

La Cour suprême d’Alberta a déjà accordé en 1973 une pension alimentaire à une femme qui avait obtenu son divorce en 1963, donc avant l’adoption de la Loi sur le divorce (Caldwell v. Caldwell (1973), 32 D.L.R. 3d, 635). Mais cette demande était fondée sur le Divorce and Matrimonial Causes Act, 1857, du Royaume-Uni applicable en Alberta au moment du divorce. Comme cette loi reconnaissait à la femme divorcée un droit de réclamer une pension à son ex-mari même après que le divorce eut été prononcé, on a constaté que la Loi sur le divorce de 1968 ne faisait pas perdre à la femme un droit qu’elle avait déjà en vertu de la législation antérieure. Cette solution s’imposait vu l’article 22(2)(a) de la Loi sur le divorce (ancien article 25(2)(a)):

(a) des procédures de divorce intentées devant un tribunal canadien qui était compétent en la matière avant le 2 juillet 1968 et dont il n’a pas été disposé définitivement avant cette date, doivent être traitées, et il doit en être disposé, en conformité de la législation telle qu’elle existait… (soulignement ajouté).

Dans la cause dont nous sommes saisis, l’on veut appliquer une loi provinciale postérieure nonobstant une loi fédérale de divorce de 1957; dans l’affaire Caldwell, on a appliqué une loi antérieure à laquelle réfère la Loi sur le divorce de 1968.

En étant venu à la conclusion qu’au nouvel art. 212 du Code civil, le mot «divorce» signifie un divorce prononcé par un tribunal et ne vise pas une dissolution de mariage prononcée par une loi spéciale, il n’est pas nécessaire d’étudier l’autre motif qui a été retenu par certains juges de la Cour d’appel et que le juge en chef Tremblay a exprimé comme suit:

… Si l’on interprète l’article 212 C.C. comme s’appliquant aux parties en cette cause, l’on tient par le fait

[Page 611]

même que la législature de la province édicta que l’obligation alimentaire abolie revivait, par conséquent, que la législature de la province amenda une loi fédérale valide, ce qui ne peut se faire constitutionnellement.

Sauf dans des circonstances exceptionnelles, il n’est pas à propos de statuer sur des questions de droit qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour juger le litige, à plus forte raison, lorsqu’il s’agit d’un problème constitutionnel. Il n’y a donc pas lieu, à mon avis, d’exprimer une opinion sur cette question qui a motivé l’intervention du procureur général de la province de Québec.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi. Suivant la condition à laquelle l’autorisation de se pourvoir lui a été accordée, le procureur général de la province de Québec devra payer les dépens de l’intimé.

Pourvoi rejeté.

Procureurs de l’appelant le procureur général de la province de Québec: de Grandpré, Colas, Amyot, Lesage, Deschênes & Godin, Montréal.

Procureurs de l’appelante Dame Glassco: Beaulieu, Carisse, Szemenyei, Paiement, Semeniuk, Boisvert & Pickel, Montréal.

Procureurs de l’intimé: Courtois, Clarkson, Parsons & Tétrault, Montréal.

[1] [1976] C.A. 29.

[2] [1973] C.S. 921.


Parties
Demandeurs : Procureur général (Québec) et Glassco
Défendeurs : Cumming
Proposition de citation de la décision: Procureur général (Québec) et Glassco c. Cumming, [1978] 2 R.C.S. 605 (1 mai 1978)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1978-05-01;.1978..2.r.c.s..605 ?
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