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30/09/1977 | CANADA | N°[1978]_1_R.C.S._1123

Canada | Manitoba Govt. Employees Assn. c. Gouvernement du Manitoba et autres, [1978] 1 R.C.S. 1123 (30 septembre 1977)


Cour suprême du Canada

Manitoba Govt. Employees Assn. c. Gouvernement du Manitoba et autres, [1978] 1 R.C.S. 1123

Date: 1977-09-30

The Manitoba Government Employees Association Appelante;

et

Le gouvernement du Manitoba, la Manitoba Liquor Control Commission et le gouvernement du Canada Intimés.

1977: 22 février; 1977: 30 septembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE DU MANITOBA

Cour suprême du Canada

Manitoba Govt. Employees Assn. c. Gouvernement du Manitoba et autres, [1978] 1 R.C.S. 1123

Date: 1977-09-30

The Manitoba Government Employees Association Appelante;

et

Le gouvernement du Manitoba, la Manitoba Liquor Control Commission et le gouvernement du Canada Intimés.

1977: 22 février; 1977: 30 septembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE DU MANITOBA


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Accord entre le Canada et le Manitoba pour l’application de la Loi anti‑inflation - Convention collective conclue antérieurement entre la Manitoba Government Employees Association et la Liquor Control Commission - Les employés et l’employeur sont‑ils liés par la Loi anti-inflation et ses indicateurs? - Loi anti-inflation, 1 (Can.), c. 75, art. 4(3) - The Executive Government Organization Act, 1970 (Man.), c. 17, art. 16.

L’association appelante a demandé à la Cour du Banc de la Reine du Manitoba une ordonnance portant «(a) que l’accord apparemment conclu le 25 février 1976 entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la province du Manitoba ne rend pas la Loi anti-inflation ni les indicateurs fixés sous son régime applicables au secteur public du Manitoba tel que défini dans la Loi anti-inflation et ledit accord; (b) que la convention collective signée le 5 février 1976 par la Manitoba Liquor Control Commission et la Manitoba Government Employees Association lie les parties et que le défaut de la Manitoba Liquor Control Commission d’en respecter les termes et conditions, notamment de payer les salaires qui y sont prévus, constituerait une violation de ladite convention, et également, l’annulation de l’ordonnance du Directeur, rendue le 27 août 1976, visant notamment à limiter à 12% l’augmentation des rémunérations des employés de la Manitoba Liquor Control Commission et ordonnant de payer $300,000 à la Couronne du chef du Canada, soit le prétendu excédent de salaires versés depuis le 1er janvier 1976 en vertu de la convention collective du 5 février 1976 conclue entre la Manitoba Government Employees Association et la Manitoba

[Page 1124]

Liquor Control Commission.»

La demande a été rejetée au motif que l’art. 16 de The Executive Government Organization Act, 1970 (Man.), c. 17, autorisait l’adoption, par décret provincial, de l’accord intervenu entre le Canada et le Manitoba pour donner effet, dans cette province, aux dispositions de la Loi anti-inflation, 1974-75-76 (Can.), c. 75, et aux indicateurs fixés sous son régime. Pourvoi de cette décision a été interjeté, per saltum, sur autorisation de la Cour. Le pourvoi porte sur l’interprétation qu’il faut donner à l’art. 16 de The Executive Government Organization Act lu conjointement avec le par. 4(3) de la Loi anti-inflation qui autorise le ministre fédéral des Finances, avec l’approbation du gouverneur en conseil, à conclure avec la province un accord prévoyant l’application de la Loi anti-inflation et des indicateurs fixés sous son régime, conformément aux conditions qu’il stipule.

Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson et Spence étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.

Les juges Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré: Aux termes de la décision du tribunal d’instance inférieure, la Loi anti-inflation et les indicateurs fixés sous son régime ont été introduits dans le droit du Manitoba par l’accord intervenu entre le Canada et le Manitoba seize jours après la signature de la convention collective conclue entre l’appelante et la Manitoba Liquor Control Commission, conformément aux dispositions de The Labour Relations Act, 1972 (Man.), c. 75. Cela voudrait dire qu’on doit interpréter une loi d’ordre général, en l’occurrence The Executive Government Organization Act, comme accordant le pouvoir de déroger, par décret, à une législation subséquente portant sur un domaine particulier, à savoir, les relations de travail.

Accepter l’interprétation de l’art. 16 donnée par le tribunal d’instance inférieure contreviendrait gravement à trois règles bien établies d’interprétation des lois: elle donnerait à une loi d’ordre général un sens incompatible avec une loi spéciale, elle modifierait fondamentalement des droits acquis et elle impliquerait que le pouvoir dont est investi l’exécutif en vertu de cet article comprend le droit d’autoriser le ministre à conclure des ententes ayant effet rétroactif.

Le juge de première instance a fait erreur en concluant que l’art. 16 donne le fondement législatif nécessaire au décret en conseil autorisant le premier ministre

[Page 1125]

du gouvernement du Manitoba à conclure une entente avec le gouvernement du Canada au nom de cette province. Le décret en cause ne permet pas la conclusion d’un accord modifiant le droit de la province d’une façon incompatible avec une loi spéciale adoptée subséquemment et portant atteinte rétroactivement aux droits acquis de l’appelante et des employés qu’elle représente, en vertu de la convention collective conclue avec la Liquor Control Commission du Manitoba.

Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson et Spence, dissidents: Les lois spéciales, comme celles de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau‑Brunswick, et les lois confirmatives, comme celles de l’Ontario et de Terre-Neuve (la première adoptée avant que jugement ne soit rendu dans le Renvoi sur la Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373, et la deuxième, après l’audition mais avant le prononcé du jugement) ne permettent pas en l’espèce de tirer une conclusion sur l’application de la loi fédérale et des indicateurs au secteur public du Manitoba. Même si ces lois particulières établissent plus clairement leur force exécutoire à l’égard du secteur public de ces provinces, on ne peut dire que les lois d’ordre général, comme l’art. 16, ne peuvent atteindre ipso facto le même but.

C’est une chose de considérer que l’art. 16 autorise lui-même une modification du droit provincial par la conclusion d’un accord dans lequel seront incorporées les dispositions d’une loi fédérale qui doit s’appliquer en tant que législation provinciale. Dans un tel cas, la seule conclusion d’un accord ne peut entraîner une telle modification parce qu’il ne fait que renvoyer à sa source, c’est-à-dire l’art. 16. Ce n’est cependant pas le cas en l’espèce. C’est tout autre chose de considérer que l’art. 16 donne une base législative à un accord qui devient exécutoire en vertu d’une loi fédérale et qui rend cette loi, à titre de loi fédérale, applicable à une province dans la mesure prévue dans l’accord. C’est le cas en l’espèce et l’art. 16 convient à cette fin.

[Arrêt appliqué: Renvoi relatif à la Loi anti-inflation, [1976] 2 R.C.S. 373; arrêts mentionnés: Re Township of York and Township of North York (1925), 57 O.L.R. 644; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Le ministre du Revenu national [1977] 1 R.C.S. 271; Western Counties Railway Co. v. Windsor and Annapolis Railway Co. (1882), 7 App. Cas. 178.]

POURVOI per saltum contre une décision du juge Nitikman de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba sur une demande présentée par la Manitoba Government Employees Association.

[Page 1126]

Pourvoi accueilli, le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson et Spence étant dissidents.

W.L. Ritchie, c.r., et W.D. Hamilton, pour l’appelante.

B.F. Squair, pour l’intimé, le gouvernement du Manitoba.

J. Scollin, c.r., et D. Frayer, pour l’intimé, le gouvernement du Canada.

J.S. Walker, c.r., pour l’intimée, la Manitoba Liquor Control Commission.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Martland, Judson et Spence a été rendu par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Le présent pourvoi a été entendu per saltum, sur consentement en bonne et due forme des parties et sur autorisation de la présente Cour. Il porte sur la question de savoir si certains employés du secteur public du Manitoba, en l’occurrence les employés de la Liquor Control Commission du Manitoba, et la Liquor Control Commission elle-même en tant qu’employeur, sont liés par la Loi anti-inflation fédérale, 1974‑75-76 (Can.), c. 75 et les indicateurs fixés sous son régime. Dans l’affirmative, leur convention collective du 9 février 1976 (rétroactive au 1er janvier 1976) est soumise aux restrictions de la Loi et des indicateurs.

Le point en litige dépend de l’effet d’un accord conclu conformément au par. 4(3) de la Loi anti-inflation, le 25 février 1976 entre le gouvernement du Manitoba, par l’intermédiaire de son premier ministre, et le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire de son ministre des Finances. Cet accord prévoit l’assujettissement du secteur public du Manitoba, tel que défini dans l’accord, à la Loi anti-inflation et à ses indicateurs. Trois considérants de l’accord sont à retenir:

[TRADUCTION] ET ATTENDU QUE LE PARAGRAPHE 4(3) de la loi fédérale autorise le ministre fédéral, avec l’approbation du gouverneur en conseil, à conclure avec la province un accord prévoyant l’application de la loi fédérale et des indicateurs fixés sous son régime, conformément aux conditions qu’il stipule.

[Page 1127]

ET ATTENDU que le ministre fédéral a été autorisé, par le décret C.P. 1976-338 du 17 février 1976, à conclure la présente entente.

ET ATTENDU que le ministre provincial a été autorisé, par le décret 10-76 du 14 janvier 1976, à conclure la présente entente.

Le décret provincial, mentionné au dernier considérant, fait d’abord référence à l’art. 16 de The Executive Government Organization Act, 1970 (Man.), c. 17 et compte les alinéas suivants:

[TRADUCTION] ET ATTENDU que le Parlement du Canada a édicté la Loi anti-inflation qui dispose, notamment, que le ministre des Finances du Canada a le pouvoir de conclure avec le gouvernement d’une province un accord prévoyant l’application de la Loi anti-inflation et des indicateurs fixés sous son régime à Sa Majesté du chef de la province, à ses mandataires et à certains organismes relevant de la compétence provinciale, y compris les municipalités et les organismes publics et municipaux qui exécutent des fonctions de gouvernement dans la province;

ET ATTENDU qu’il est dans l’intérêt des habitants du Manitoba que le gouvernement du Manitoba conclue avec le ministre des Finances un accord prévoyant l’application de la Loi anti-inflation et des indicateurs fixés sous son régime à Sa Majesté du chef de la province, à ses mandataires et à certains organismes relevant de la compétence provinciale, y compris les municipalités et les organismes publics et municipaux qui exécutent des fonctions de gouvernement dans la province;

Le décret se termine en accordant le pouvoir de conclure pareil accord selon une formule jointe en annexe ou une formule équivalente. Personne ne conteste que l’entente du 25 février 1976 est conforme à l’autorisation prévue dans le décret.

L’article 16 de The Executive Government Organization Act prévoit:

[TRADUCTION] 16. Le lieutenant-gouverneur en conseil peut autoriser un ministre à conclure un accord, au nom du gouvernement ou d’un de ses mandataires, avec

a) le gouvernement du Canada, un de ses ministres ou mandataires; ou

[Page 1128]

b) le gouvernement d’une autre province du Canada ou un de ses ministres ou mandataires; ou

c) une municipalité, un district scolaire, une division scolaire ou une autre autorité locale; ou

d) toute personne ou groupe de personnes;

dans l’intérêt et à l’avantage des habitants du Manitoba ou d’une partie.

Comme je l’ai déjà signalé, le décret permettant la conclusion de l’accord en vertu de cette disposition déclare qu’il a été conclu dans l’intérêt et à l’avantage des habitants du Manitoba, et on ne prétend pas ici que cela soit contestable, certainement pas en l’espèce.

Il reste donc à examiner si l’application du par. 4(3) de la Loi anti-inflation à l’accord, autorisé des deux côtés par une loi, rend la Loi anti-inflation et les indicateurs applicables au secteur public du Manitoba, tel que défini dans l’accord, et les fait prévaloir sur toute loi provinciale incompatible, comme le prévoit le par. 4.1(1) de la Loi anti-inflation. Avant d’étudier le par. 4(3), je répondrai à une prétention subsidiaire de l’avocat de l’appelante au sujet de l’effet rétroactif de l’accord qui, selon ses propres termes, s’applique à compter du 14 octobre 1975, sous réserve de certaines clauses de résiliation non pertinentes en l’espèce. Si dans le cadre des dispositions des par. 4(3) et 4.1(1) de la Loi anti-inflation, l’accord est en vigueur selon ses propres termes, son effet rétroactif ne le vicie pas en droit.

Dans le Renvoi relatif à la Loi anti-inflation[1], cette Cour a confirmé la validité de la Loi anti‑inflation et des indicateurs, y compris l’art. 4. La Cour a clairement décidé que le pouvoir fédéral est, dans les circonstances, suffisamment étendu pour permettre au Parlement du Canada d’englober le secteur public provincial sans prévoir aux par. 4(3) et (4) la «nécessité» d’un accord. Il est vrai que le par. 4(2) prévoit que la Loi anti-inflation ne s’appliquera pas au secteur public provincial, mais cette exclusion est faite sous réserve du par. 4(3).

[Page 1129]

Les paragraphes (3) et (4) de l’art. 4 ont un champ d’application différent:

(3) Le Ministre peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, conclure avec le gouvernement d’une province un accord prévoyant l’application de la présente loi et des indicateurs

a) à Sa Majesté du chef d’une province,

b) à ses mandataires,

c) aux organismes visés aux alinéas (2)b) et c), et

d) aux organismes désignés par règlement en vertu de l’alinéa (2)d);

la présente loi s’applique, dès la conclusion de l’accord, conformément aux conditions qu’il stipule et les indicateurs s’appliquent, aux mêmes conditions, à compter de la date à laquelle les indicateurs s’appliquent à Sa Majesté du chef du Canada par l’effet de la présente loi.

(4) Le Ministre peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, conclure avec le gouvernement d’une province un accord prévoyant l’application

a) à Sa Majesté du chef d’une province,

b) à ses mandataires,

c) aux organismes visés aux alinéas (2)b) et c), et

d) aux organismes désignés par règlement en vertu de l’alinéa (2)d),

des indicateurs prescrits en vertu du paragraphe 3(2) qui s’appliquent aux fournisseurs d’articles ou de services du secteur public et aux employés du secteur public ainsi qu’à leurs employeurs, et prévoyant le mode d’application des indicateurs ou prévoyant que celui-ci sera déterminé par le gouvernement de la province.

Les différences entre ces deux dispositions sont, à mon avis, d’une importance fondamentale en l’espèce. Le paragraphe 4(3) prévoit la conclusion d’un accord intergouvernemental pour «l’application de la présente loi et des indicateurs» au secteur public provincial et dispose que la Loi et les indicateurs s’appliquent alors conformément aux conditions stipulées dans l’accord. Au contraire, le par. 4(4) vise un accord intergouvernemental qui ne prévoit pas l’application de la Loi et des indicateurs au secteur public provincial, mais seulement

[Page 1130]

l’assujettissement du secteur public provincial à certains indicateurs et leur mode d’application aux conditions stipulées dans l’accord ou à celles déterminées par le gouvernement de la province.

Si, en l’espèce, le Manitoba avait cherché à fonder l’application des indicateurs au secteur public provincial sur le par. 4(4) de la Loi anti-inflation, de sorte que la convention collective susmentionnée soit subordonnée à ces indicateurs uniquement en vertu de l’accord autorisé par l’art. 16 de The Executive Government Organization Act, il est possible qu’il aurait échoué à cet égard. En résumé, il se peut qu’un accord conclu en vertu du par. 4(4) ne tire aucun effet de la Loi anti-inflation, mais exige une loi provinciale plus précise que l’art. 16 de The Executive Government Organization Act pour que les indicateurs prévalent sur une loi provinciale incompatible.

La prétention de l’appelante ne fait en l’espèce aucune distinction entre un accord conclu en vertu du par. 4(3) et celui conclu en vertu du par. 4(4) et allègue, en fait, que l’accord conclu sur autorisation accordée en vertu de l’art. 16 de The Executive Government Organization Act crée une situation équivalente à celle où se trouvait l’Ontario dans le Renvoi sur la Loi anti‑inflation, où cette province cherchait à faire appliquer un accord conclu en vertu du par. 4(3) et autorisé par un décret, mais non fondé sur une loi provinciale. Je ne puis admettre que l’art. 16 de The Executive Government Organization Act n’ait aucun effet dans la mesure où le par. 4(3) est en cause.

Dans ses motifs de jugement prononcés dans le Renvoi sur la Loi anti-inflation au sujet de l’accord conclu par l’Ontario, la présente Cour, qui était unanime sur ce point, a exposé en ces termes le mécanisme du par. 4(3) (68 D.L.R. (3d) 452, à la p. 502):

…le par. (3) de l’art. 4 n’implique aucune délégation de pouvoir législatif par le Parlement. Il n’y a en l’espèce aucun délégué à qui le pouvoir de faire des lois soit conféré; c’est plutôt la législation fédérale qui est incorporée à la législation ontarienne. Il n’y a pas non plus délégation de pouvoirs administratifs par le Parlement; s’il y a quelque délégation, elle est consentie par le

[Page 1131]

gouvernement de l’Ontario à l’autorité fédérale. L’administration et l’application de la Loi et des Indicateurs sont confiées au fédéral, bien que leur champ d’application soit régi par l’accord à l’égard du secteur public provincial.

J’oppose à cela l’effet du par. 4(4) qui, à mon avis, prévoit que la mise en application des indicateurs est confiée à la province qui les incorporera à la législation provinciale, ce qui exigera certaines dispositions exécutoires pour assurer, en cas d’incompatibilité, la prépondérance des indicateurs sur toute autre loi provinciale.

Pour éviter toute confusion, j’ajouterais que, dans la dernière citation, l’expression «la législation fédérale […] est incorporée à la législation ontarienne» vise pareille incorporation par un accord conclu en vertu du par. 4(3) qui prévoit l’application de la Loi et des indicateurs conformément aux conditions de l’accord. Dans ce sens, comme le dit l’extrait cité, l’application en est confiée au fédéral et non au provincial.

Dans le Renvoi sur la Loi anti-inflation, l’Ontario, comme le Manitoba en l’espèce, a cherché à conclure un accord en vertu du par. 4(3), et c’est dans cette optique que la Cour a déclaré que le pouvoir du gouvernement ontarien à cet égard n’était «fondé sur aucune loi provinciale, contrairement aux accords conclus par toutes les autres provinces, à l’exception de Terre-Neuve, qui, comme l’Ontario, a procédé par arrêté en conseil» (68 D.L.R. (3d) 452, aux pp. 503 et 504).

Certains accords conclus en vertu du par. 4(3), par exemple ceux de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-Prince-Édouard, sont fondés sur une loi provinciale beaucoup plus explicite quant à l’application au secteur public provincial de la loi fédérale et des indicateurs que ne l’est la Loi du Manitoba: voir l’Anti-Inflation (Nova Scotia) Act, 1975 (N.-É.), c. 54; An Act to Authorize a Federal-Provincial Anti-Inflation Agreement, 1975 (Î.-P.-É.), c. 63. Le Nouveau-Brunswick a édicté une loi qui, sans être aussi explicite que celles de la Nouvelle-Écosse et de l’Île‑du‑Prince-Édouard, autorise spécifiquement l’application de la Loi

[Page 1132]

anti-inflation: voir 1975 (N.-B.), c. 93. La Loi de la Colombie-Britannique, l‘Anti-Inflation Measures Act, édictée le 9 juin 1976, paraît autoriser la conclusion d’un accord en vertu du par. 4(4) puisqu’elle prévoit la nomination de personnes chargées de mettre en œuvre la Loi et tout accord conclu avec le Canada pour l’application de la loi fédérale et des indicateurs au secteur public provincial. L’Alberta a adopté une loi similaire, The Temporary Anti-Inflation Measures Act, 1975 (Alberta), c. 83, qui va plus loin en ce qui concerne le par. 4(4) puisqu’elle établit sa propre commission de lutte contre l’inflation et ses propres procédures d’application. Le Québec, pour sa part, a adopté la Loi concernant les mesures anti‑inflationnistes, (1975 (Que.), c. 16), qui fixe sa portée vis-à-vis du secteur public provincial et des règles d’application sans aucun lien apparent avec la loi fédérale et les indicateurs. L’Ontario a remédié à l’omission constatée par cette Cour dans le Renvoi sur la Loi anti‑inflation en promulguant une loi ratifiant l’accord conclu en vertu du par. 4(3) par le gouvernement et prévoyant que l’accord ainsi ratifié prévaudrait, en cas d’incompatibilité, sur toute autre loi de l’Ontario: voir The Anti-Inflation Agreement Act, 1976 (Ont.), c. 61. Terre‑Neuve a également promulgué une loi confirmative, The Federal-Provincial Anti‑Inflation Agreement Act, 1976 (Terre-Neuve), n° 52, qui prévoit expressément que le secteur public provincial est assujetti à la loi fédérale et aux indicateurs qui s’appliqueront nonobstant toute disposition contraire d’une autre loi de Terre-Neuve.

Des lois spéciales, comme celles de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick, et des lois confirmatives commes celles de l’Ontario et de Terre-Neuve (la première adoptée avant que jugement ne soit rendu par cette Cour dans le Renvoi sur la Loi anti-inflation et la deuxième, après l’audition mais avant le prononcé du jugement) ne permettent pas en l’espèce de tirer une conclusion sur l’application de la loi fédérale et des indicateurs au secteur public du Manitoba. Bien que ces lois spéciales établissent plus clairement leur force exécutoire à l’égard du secteur public de ces provinces, on ne peut dire qu’une législation d’ordre général, comme l’art. 16

[Page 1133]

de The Executive Government Organization Act, ne peut pas atteindre ipso facto le même but.

C’est une chose de considérer que l’art. 16 autorise lui-même une modification du droit provincial par la conclusion d’un accord dans lequel seront incorporées les dispositions d’une loi fédérale qui doit s’appliquer en tant que législation provinciale. J’admets que, dans un tel cas, la seule conclusion d’un accord ne peut entraîner pareille modification parce qu’il ne fait que renvoyer à sa source, c’est-à-dire l’art. 16. Ce n’est pas cependant le cas en l’espèce. C’est tout autre chose de considérer que l’art. 16 donne une base législative à un accord qui devient exécutoire en vertu d’une loi fédérale et qui rend cette loi, à titre de loi fédérale, applicable à une province dans la mesure prévue dans l’accord. C’est le cas en l’espèce et, à mon avis, l’art. 16 convient à cette fin.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Le jugement des juges Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Pourvoi est interjeté, per saltum, sur autorisation de cette Cour et sur consentement en bonne et due forme de toutes les parties, d’une décision du juge Nitikman de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba à laquelle la présente demande avait été soumise par la Manitoba Government Employees Association. En préambule à son jugement, le juge Nitikman a résumé en ces termes la nature de l’ordonnance recherchée:

[TRADUCTION] La requérante demande une ordonnance portant

a) «que l’accord apparemment conclu le 25 février 1976 entre le gouvernement du Canada et le gouvernement de la province du Manitoba ne rend pas la Loi anti‑inflation ni les indicateurs fixés sous son régime applicables au secteur public du Manitoba tel que défini dans la Loi anti-inflation et ledit accord»;

b) «que la convention collective signée le 5 février 1976 par la Manitoba Liquor Control Commission et la Manitoba Government Employees Association lie les parties et que le défaut de la Manitoba Liquor Control Commission d’en respecter les termes et conditions, notamment de payer les salaires qui y sont

[Page 1134]

prévus, constituerait une violation de ladite convention»,

et également, l’annulation de l’ordonnance du Directeur, rendue le 27 août 1976, visant notamment à limiter à 12% l’augmentation des rémunérations des employés de la Manitoba Liquor Control Commission et ordonnant de payer $300,000 à la Couronne du chef du Canada, soit le prétendu excédent de salaires versés depuis le 1er janvier 1976 en vertu de la convention collective du 5 février 1976 conclue entre la Manitoba Government Employees Association et la Manitoba Liquor Control Commission.

Le juge Nitikman a rejeté la demande au motif que l’art. 16 de The Executive Government Organization Act, 1970 (Man.), c. 17 (cité ci-dessous), autorise l’adoption, par décret provincial, de l’accord intervenu entre le Canada et le Manitoba pour donner effet, dans cette province, aux dispositions de la Loi anti-inflation, 1974-75-76 (Can.), c. 75, et aux indicateurs fixés sous son régime.

Le savant juge de première instance a conclu ainsi ses motifs de jugement:

[TRADUCTION] Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis que l’art. 16 de The Executive Government Organization Act confère le pouvoir d’adopter légitimement le décret 10-76 qui autorise le premier ministre du Manitoba à conclure, au nom du Manitoba, un accord avec le gouvernement du Canada, conformément au par. 4(3) de la Loi anti-inflation, que l’accord ainsi conclu entre le Canada et le Manitoba rend la Loi anti-inflation et les indicateurs applicables au secteur public du Manitoba et ce, dès la conclusion de l’accord, le 25 février 1976, avec effet rétroactif au 14 octobre 1975, comme le prévoit ladite entente.

Vu ma conclusion sur la première ordonnance recherchée, il est inutile d’examiner les deuxième et troisième ordonnances demandées.

Il convient de noter dès maintenant que l’avis de requête pour autorisation d’appel à cette Cour, soumis par la Manitoba Government Employees’

[Page 1135]

Association, invoque, parmi d’autres, les motifs suivants:

[TRADUCTION] (3) Que les présentes procédures requièrent l’interprétation du jugement prononcé le 12 juillet 1976 par cette honorable Cour dans le renvoi relatif à la validité de la Loi anti-inflation et, en particulier, celle des observations du juge en chef du Canada, le très honorable Bora Laskin, C.P., relativement aux effets juridiques des accords conclus par les provinces conformément au par. 4(3) de la Loi anti-inflation et à la façon dont la Loi anti-inflation et les indicateurs fixés sous son régime s’appliquent aux secteurs publics provinciaux, en particulier au secteur public provincial du Manitoba;

(4) Que la thèse de la requérante repose, dans une large mesure, sur l’interprétation qu’il faut donner aux observations de cette honorable Cour dans le renvoi relatif à la constitutionnalité de la Loi anti-inflation, et en particulier à la déclaration du juge en chef selon laquelle dans toutes les autres provinces, à l’exception de Terre-Neuve et de l’Ontario, un texte législatif autorise la conclusion d’accords avec le Canada, et sur la question de savoir si, par une telle déclaration, cette honorable Cour a jugé que tous ces accords avaient été conclus en vertu d’un pouvoir statutaire légitime;

(5) Que les présentes procédures requièrent l’interprétation de l’art. 16 de The Executive Government Organization Act du Manitoba qui a été promulguée en 1970, et son application, et en particulier, la détermination du point de savoir si cet article accorde à la province du Manitoba le pouvoir statutaire de conclure un accord avec le gouvernement du Canada conformément au par. 4(3) de la Loi anti-inflation, ce qui aurait pour effet de modifier la législation du Manitoba, d’abolir, atténuer ou autrement modifier les droits qui ont été accordés par la convention collective signée par la Manitoba Government Employees Association et une des régies du Manitoba, la Manitoba Liquor Control Commission, cette convention collective ayant été conclue conformément aux dispositions de The Labour Relations Act de 1972, antérieurement à la signature de l’accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Manitoba; …

Puisqu’à mon avis, le point en litige dans ce pourvoi porte sur l’interprétation qu’il faut donner à l’art. 16 de The Executive Government Organization Act lu conjointement avec le par. 4(3) de la

[Page 1136]

Loi anti-inflation, je crois qu’il est nécessaire de citer au départ cet article:

4. (3) Le Ministre peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, conclure avec le gouvernement d’une province un accord prévoyant l’application de la présente loi et des indicateurs

a) à Sa Majesté du chef d’une province,

b) à ses mandataires,

c) aux organismes visés aux alinéas (2)b) et c), et

d) aux organismes désignés par règlement en vertu de l’alinéa (2)d);

la présente loi s’applique, dès la conclusion de l’accord, conformément aux conditions qu’il stipule et les indicateurs s’appliquent, aux mêmes conditions, à compter de la date à laquelle les indicateurs s’appliquent à Sa Majesté du chef du Canada par l’effet de la présente loi.

Dans le Renvoi relatif à la Loi anti-inflation (ci-après appelé «le Renvoi») qui est maintenant commodément publié à 68 D.L.R. (3d) à la p. 452, la deuxième question soumise à la Cour était la suivante:

2. Si la Loi anti-inflation est constitutionnelle, l’Accord intitulé «Between the Government of Canada and the Government of the Province of Ontario», conclu le 13 janvier 1976 (dont un exemplaire, de même que le texte des décrets du gouverneur et du lieutenant‑gouverneur en conseil, figurent à l’annexe «B» ci-après), a-t-il pour effet d’assujettir le secteur public ontarien, tel que défini dans ledit accord, à la Loi et aux Indicateurs anti-inflation?

Dans cette affaire, l’accord avait été conclu au nom de la province de l’Ontario en vertu d’un décret qui n’était autorisé par aucun texte législatif provincial.

La Cour décida unanimement de répondre négativement à la deuxième question, par la voix du juge en chef Laskin, qui dit à ce sujet (à la p. 504):

Si l’accord seul a l’effet prétendu, il impose les Indicateurs et leurs sanctions au secteur public provincial et, par le fait même, modifie la loi existante de l’Ontario et

[Page 1137]

empêche d’y apporter des modifications incompatibles avec les Indicateurs: voir art. 4.(1) de la Loi anti-inflation. Je ne vois pas comment le pouvoir exécutif provincial pourrait, de son chef, effectuer de tels changements. Naturellement, je suis d’accord que l’exécutif, ou un ministre autorisé par lui, peut régulièrement signer un accord auquel le gouvernement de l’Ontario est partie. Toutefois, cela ne vise que la formalité de la signature; même si l’accord lie le gouvernement de l’Ontario comme tel, par analogie avec les traités qui peuvent lier les parties contractantes mais sans avoir d’effet en droit interne, il ne devient pas une loi de l’Ontario à l’égard des personnes qu’il prétend obliger à s’y conformer.

La prétention du procureur général de l’Ontario, savoir que Sa Majesté du chef de l’Ontario, représentée par le lieutenant-gouverneur, a de droit commun, en l’absence de restriction législative, le pouvoir et la capacité de conclure des accords, ne démontre pas l’existence du pouvoir de modifier les lois de l’Ontario par de tels accords. La question en litige n’est pas l’étendue de la prérogative de l’exécutif ni le droit de l’exercer en vertu d’un arrêté en conseil de manière que la responsabilité incombe aux ministres présents à la réunion du Conseil exécutif. Il ne s’agit pas non plus de la théorie du gouvernement responsable ni de la responsabilité politique des ministres devant l’Assemblée législative. Ce qui est en litige, c’est le pouvoir du gouvernement provincial, même dûment autorisé par arrêté en conseil, d’assujettir les citoyens de la province à des lois qui n’ont pas été adoptées par la législature ou rendues applicables par décret émis en vertu d’une loi. Rien ne permet à Sa Majesté, en ce pays comme en Grande‑Bretagne, de légiférer par proclamation, décret ou arrêté en conseil de façon à lier les citoyens sans s’appuyer sur une loi de la législature: voir Dicey, Law of the Constitution (10e éd. 1959), pp. 50-54.

Le pouvoir de contracter qu’a le gouvernement ne signifie rien de plus qu’il peut se trouver lié par le contrat ou peut poursuivre l’autre partie contractante. Ce que nous avons en l’espèce n’est aucunement une obligation contractuelle en ce sens, mais un accord ayant pour objet de donner à certaines dispositions législatives l’effet d’une loi provinciale.

Enfin, il a fait remarquer, dans un des derniers paragraphes de son jugement:

Ce n’est pas, de la part de Sa Majesté du chef d’une province, de s’engager en son nom que de s’engager à ce que les citoyens et les associations de travailleurs de la province soient assujettis à des lois qui régissent leurs activités d’une certaine manière, sans autorité législative

[Page 1138]

à cette fin. Cela équivaut à légiférer sous l’apparence d’un contrat. Les conditions de l’accord en l’espèce, même dans leur sens le plus restreint, dépassent le cadre à l’intérieur duquel Sa Majesté peut, de sa propre autorité, s’engager contractuellement.

J’ai cité aussi longuement la réponse du Juge en chef à la deuxième question du Renvoi parce que je suis de ceux qui y ont souscrit et que je l’accepte comme l’énoncé de l’état du droit au Canada.

La première clause de l’accord conclu par le gouvernement du Canada et la province du Manitoba le 25 février 1976, prévoit que:

[TRADUCTION] (1) Le Canada et la Province conviennent par les présentes que la loi fédérale et les indicateurs nationaux s’appliqueront au secteur public provincial.

Cette clause avait pour but d’assujettir le secteur public provincial aux dispositions de la Loi anti-inflation et aux indicateurs fixés sous son régime. Ces derniers étaient incompatibles avec les conditions de la convention collective conclue conformément aux dispositions de The Labour Relations Act of Manitoba, 1972 (Man.), c. 75, entre l’appelante et la Manitoba Liquor Control Commission. Afin d’appliquer la clause précitée et conformément aux pouvoirs qui lui étaient accordés par le par. 20(1) de la Loi anti-inflation, le Directeur nommé en vertu de cette loi a rendu une ordonnance qui dérogeait à la convention collective en limitant l’augmentation annuelle moyenne des salaires des employés à un maximum de 12 pour cent et en exigeant que la Liquor Control Commission du Manitoba remette à sa Majesté du chef du Canada le montant correspondant à l’excédent des augmentations versées conformément à la convention collective entre le 1er janvier 1976 et la date de l’ordonnance (27 août 1976), soit $300,000.

J’avais cru comprendre que la réponse négative de la présente Cour à la deuxième question du Renvoi signifiait que le secteur public d’une province n’était lié par un accord conclu avec le gouvernement du Canada en vertu du par. 4(3) que lorsque cet accord était autorisé par une loi provinciale à cet effet et qu’un décret du lieutenant-gouverneur en conseil non autorisé par

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pareille loi et ayant pour but d’accorder ce pouvoir ne liait pas les employés du secteur public provincial. Comme les extraits cités précédemment l’indiquent, le Renvoi avait trait à un décret du lieutenant-gouverneur en conseil de l’Ontario qui avait pour but d’autoriser la signature d’un tel accord et j’avais cru comprendre qu’on avait jugé que le secteur public provincial de l’Ontario n’était pas assujetti à la Loi anti-inflation ni aux indicateurs parce que le décret «n’était fondé sur aucune loi provinciale».

Compte tenu de cette décision, il semble que la question soulevée par le présent pourvoi est de savoir si le décret invoqué en l’espèce est «fondé» sur une loi habilitante de la province du Manitoba et peut ainsi imposer aux employés du secteur public de cette province des conditions fondamentalement différentes des stipulations d’une convention collective en vigueur, régulièrement conclue et autorisée par la législation du Manitoba.

Le décret donnant au gouvernement du Manitoba le pouvoir de conclure un accord avec le gouvernement du Canada, cite les dispositions de Fart. 16 de The Executive Government Organization Act:

[TRADUCTION] ATTENDU qu’il est prévu à l’art. 16 de The Executive Government Organization Act, chap. E170 des Statuts revisés que:

16. Le lieutenant-gouverneur en conseil peut autoriser un ministre à conclure un accord, au nom du gouvernement ou d’un de ses mandataires, avec

a) le gouvernement du Canada, un de ses ministres ou mandataires; ou

b) …

c) …

d) …

dans l’intérêt et à l’avantage des habitants du Manitoba ou d’une partie.

Le décret expose ensuite que:

[TRADUCTION]… il est dans l’intérêt des habitants du Manitoba que le gouvernement du Manitoba conclue avec le ministre des Finances un accord prévoyant l’ap-

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plication de la Loi anti-inflation et des indicateurs fixés sous son régime à Sa Majesté du chef de la province, …

Enfin, il recommande:

[TRADUCTION] QUE le gouvernement du Manitoba soit autorisé à conclure un accord avec le gouvernement du Canada… prévoyant l’assujettissement du secteur public provincial à la Loi anti-inflation et aux indicateurs fixés sous son régime et que l’honorable Premier ministre du gouvernement du Manitoba soit autorisé à signer l’accord au nom du gouvernement du Manitoba.

(Les italiques sont de moi.)

Il convient de remarquer que The Executive Government Organization Act (1970) est une loi d’ordre général qui ne fait spécifiquement référence à aucun domaine d’action gouvernementale. On prétend toutefois en l’espèce que l’art. 16 confère au lieutenant‑governeur en conseil le pouvoir de conclure des ententes exécutoires ayant force de loi même si elles sont en partie incompatibles avec les dispositions de la loi spéciale relative aux relations de travail (The Labour Relations Act (1972)) qui a été édictée deux ans plus tard. L’article 64 de The Labour Relations Act prévoit que:

[TRADUCTION] Une convention collective conclue par un agent négociateur lie, sous réserve et aux fins de la présente loi,

a) l’agent négociateur et tout travailleur de l’unité d’employés à qui elle s’applique;

b) l’employeur qui a conclu la convention ou au nom de qui cette dernière a été conclue; …

La convention collective en cause a été conclue par l’agent négociateur régulièrement accrédité de l’appelante afin, notamment, de fixer les taux de salaires, la durée du travail et les autres conditions de travail et d’emploi. Dans ce but, la convention contenait un tableau détaillé établissant les taux de salaires des différentes classes d’employés et il est certain que ces taux avaient force de loi.

Le paragraphe 4.1(1) de la Loi anti-inflation vise:

[Page 1141]

4.1 (1) Tout organisme qui, en vertu d’une autre loi ou règle de droit, établit ou approuve les prix ou les marges bénéficiaires… d’une personne assujettie à toutes dispositions des indicateurs…

et prévoit que:

…les dispositions des indicateurs l’emportent sur toute autre loi ou règle de droit qui régit l’organisme.

Aux termes de la décision du juge Nitikman, l’accord intervenu entre le Canada et le Manitoba 16 jours après la signature de la convention collective a eu pour effet d’introduire la Loi anti‑inflation et les indicateurs fixés sous son régime dans le droit manitobain. Cela voudrait dire qu’on doit interpréter une loi d’ordre général, en l’occurrence The Executive Government Organization Act, comme accordant le pouvoir de déroger, par décret, à une législation subséquente portant sur un domaine particulier, savoir, les relations de travail.

Ce raisonnement me semble contraire au principe général formulé en ces termes par Halsbury, Laws of England, 3e éd., vol. 36 à la p. 468:

[TRADUCTION] Dans la mesure où l’application d’une loi générale à un cas particulier est incompatible avec une disposition spéciale édictée par la suite à cet égard, la loi spéciale l’emporte sur la loi générale car elle soustrait le cas particulier à l’application de cette dernière ou, en d’autres termes, abroge la loi générale relativement à ce cas.

Ce principe a été adopté par le juge Riddell dans Re Township of York and Township of North York[2], où il a dit, à la p. 648:

[TRADUCTION] Il est certes élémentaire qu’en cas de conflit la loi spéciale l’emporte sur la loi générale — selon la maxime Generalia specialibus non dérogant… — même si la loi générale est postérieure: Barker v. Edgar, [1898] A.C. 748, à la p. 754, arrêt du comité judiciaire. En effet, si le législateur s’est penché sur un domaine particulier et a édicté des dispositions à son égard, on peut présumer qu’une loi générale visant un grand nombre d’objets ne doit pas porter atteinte à de telles dispositions: …

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Le juge Nitikman, tout en reconnaissant la validité de ce principe, le trouve inapplicable aux circonstances de l’espèce:

[TRADUCTION] J’admets le principe général d’interprétation des lois voulant que, dans des circonstances appropriées, les dispositions d’une loi spéciale annulent, remplacent et supplantent les dispositions d’une loi générale. Je suis cependant d’avis que ce principe n’est pas en cause ici.

Le savant juge poursuit en disant:

[TRADUCTION] L’article 16 de The Executive Government Organization Act ne modifie pas la loi provinciale. Il confère simplement à l’exécutif du Manitoba le pouvoir de conclure un accord avec le gouvernement du Canada conformément au par. 4(3) de la Loi anti-inflation.

Dès la signature de l’accord intervenu entre le Canada et le Manitoba, le 25 février 1976, conformément au par. 4(3) de la Loi anti-inflation, cette loi et les indicateurs fixés sous son régime sont devenus applicables au secteur public du Manitoba et ce, rétroactivement au 15 octobre 1975. Cette loi fédérale a rendu inopérante toute loi provinciale incompatible, parce que les lois du Parlement édictées dans les limites de sa compétence supplantent la législation provinciale.

On voit que le savant juge est parti du principe que l’art. 16 confère à l’exécutif le pouvoir de conclure l’accord prévu au par. 4(3) et, partant, d’appliquer la Loi anti-inflation et les indicateurs en tant que loi fédérale ayant pour effet de rendre inopérante toute loi provinciale incompatible. Comme je l’ai indiqué, cette question est, à mon avis, au centre du présent pourvoi. Dans ses motifs de jugement prononcés dans le Renvoi, le Juge en chef, à la p. 503, a signalé qu’on n’avait pas prétendu «que le pouvoir de l’exécutif provincial de conclure l’accord au nom du gouvernement de l’Ontario émanait du Parlement» et je ne crois pas qu’une telle prétention ait été formulée dans la présente cause. Dans le Renvoi, le décret ontarien n’était «fondé» sur aucune loi provinciale et, selon moi, tout le litige repose sur la question de savoir si l’art. 16 accorde ce pouvoir au Manitoba.

A cet égard, j’adopte le moyen avancé au nom du gouvernement du Canada que l’on trouve dans

[Page 1143]

l’extrait suivant du factum du sous-procureur général:

[TRADUCTION] Bien que, comme l’a fait remarquer le juge de première instance (dossier p. 134, 11.19-24), l’art. 16 de The Executive Government Organization Act ne modifie pas la loi provinciale, l’intimée reconnaît qu’en l’espèce, il ne peut servir de fondement à l’accord à moins qu’il n’autorise expressément l’exécutif à suspendre l’application d’autres lois provinciales.

A mon avis, l’art. 16 autorise seulement la conclusion de certains accords mais il ne prévoit pas que de tels accords ont pour effet de suspendre l’application des autres lois provinciales ou de lier les employés du secteur public de la province du Manitoba. Si l’article accordait une force législative à tous les accords conclus en vertu d’un décret parce que l’exécutif juge qu’une telle entente est «dans l’intérêt et à l’avantage des habitants du Manitoba», cela constituerait, selon moi, une délégation de pouvoirs législatifs équivalant à une renonciation de la législature à exercer son pouvoir fondamental d’adopter des lois «dans l’intérêt et à l’avantage des habitants du Manitoba».

Le juge Nitikman a fait observer que le fait de traiter l’accord intervenu entre le Canada et le Manitoba comme s’il avait été autorisé par The Executive Government Organization Act, l’amenait à conclure que:

[TRADUCTION]… cette loi et les indicateurs fixés sous son régime s’appliquent au secteur public du Manitoba depuis le 15 octobre 1975.

Ceci donne un effet rétroactif au pouvoir accordé à l’exécutif par l’art. 16 et la règle applicable aux lois canadiennes à cet égard a été clairement énoncée par le juge Dickson de cette Cour dans Gustavson Drilling (1964) Limited c. Le ministre du Revenu national[3], où il a dit, à la p. 279:

Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive a moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n’exige implicitement une telle interprétation.

[Page 1144]

Rien dans The Executive Government Organization Act n’exige expressément ou implicitement qu’on donne à cette loi un effet rétroactif.

Selon moi, un autre principe d’interprétation des lois joue contre l’interprétation de l’art. 16 donnée par le juge Nitikman: l’effet qu’il reconnaît à la loi aurait pour résultat d’abolir des droits conférés aux employés du secteur public du Manitoba conformément à la convention collective mentionnée ci-dessus. Aux termes de la décision du Directeur de la Loi anti‑inflation, il est évident que l’application de l’accord proposé en vertu du par. 4(3) modifierait radicalement l’échelle de salaires des employés de la Manitoba Liquor Control Commission et ce, comme je l’ai déjà dit, avec effet rétroactif.

A ce sujet, je renvoie à l’opinion de lord Watson, du Conseil privé, dans Western Counties Railway Co. v. Windsor and Annapolis Railway Co.[4], où il a dit:

[TRADUCTION] Le critère d’interprétation de pareille loi est qu’il ne faut pas considérer qu’elle retire ou éteint les droits de la compagnie intimée, sauf s’il ressort explicitement ou implicitement que telle était l’intention de la législature.

On peut trouver l’extrait suivant un peu plus loin dans les mêmes motifs:

[TRADUCTION] Jusqu’à maintenant toutefois, la règle de droit paraît simple: il ne suffit pas, pour retirer un droit, de démontrer que, si la mesure sanctionnée par la Loi est appliquée, elle mettra automatiquement fin au droit; il faut également établir que la législature en a autorisé l’application dans tous les cas, quels qu’en soient les effets possibles sur les droits existants.

Il a également déclaré:

[TRADUCTION] Il y a une grande différence entre permettre la conclusion d’une entente et permettre qu’elle soit conclue et appliquée aussitôt de façon à annuler et détruire tous les droits individuels qui pourraient lui faire obstacle.

A mon avis, accepter l’interprétation de l’art. 16 donnée par le juge Nitikman contreviendrait gravement à trois règles bien établies d’interprétation

[Page 1145]

des lois: elle donnerait à une loi d’ordre général un sens incompatible avec une loi spéciale, elle modifierait fondamentalement des droits acquis et elle impliquerait que le pouvoir dont est investi l’exécutif en vertu de cet article comprend le droit d’autoriser le ministre à conclure des ententes ayant effet rétroactif.

En se prononçant ainsi, le juge Nitikman a jugé que l’extrait suivant des motifs de jugement du Juge en chef dans le Renvoi est «important et très persuasif», mais l’interprétation qu’il en donne semble en avoir faussé le raisonnement, du moins jusqu’à un certain point. Cet extrait se trouve à la p. 503. Après avoir fait remarquer qu’aucun texte législatif ne permettait l’adoption du décret édicté en l’espèce, le Juge en chef a poursuivi en disant:

…il n’est fondé sur aucune loi provinciale, contrairement aux accords conclus par toutes les autres provinces, à l’exception de Terre-Neuve, qui, comme l’Ontario, a procédé par arrêté en conseil.

Je pense qu’il faut souligner que la validité de l’art. 16 de The Executive Government Organization Act n’était pas en cause dans le Renvoi et que, si l’on peut envisager la déclaration du Juge en chef comme une mention indirecte de cet article, on ne peut, à mon avis, considérer qu’elle ait été nécessaire dans ce cas-là pour trancher les questions en litige.

Je ne pense pas non plus que ce passage constitue une conclusion définitive sur l’interprétation à donner aux lois de «toutes les autres provinces» qui autorisent des accords avec le gouvernement du Canada, bien qu’il y ait des cas, et la Colombie-Britannique en est un exemple, où la loi est si claire que son interprétation ne peut soulever aucune difficulté.

L‘Anti-Inflation Measures Act de la Colombie-Britannique (Bill 16 de 1976) qui est entrée en vigueur le 21 juin 1976, prévoit:

[TRADUCTION] Art. 5. Accords. — Le Ministre peut, au nom du gouvernement et avec l’approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, conclure des accords

a) avec le Canada au sujet de l’application, dans la province, de la Loi anti-inflation (Canada), des règlements et des indicateurs fédéraux, et de la façon dont ceux-ci s’appliqueront au prix des articles et des servi-

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ces et aux rémunérations des employés du secteur public provincial, et…

(Les italiques sont de moi.)

La différence manifeste entre ce genre de loi et The Executive Government Organization Act en cause ici ressort tout de suite.

Avec le plus grand respect pour ceux dont le point de vue est différent, je suis d’avis que le juge Nitikman a fait erreur en concluant que l’art. 16 de The Executive Government Organization Act donne le fondement législatif nécessaire au décret autorisant le premier ministre du gouvernement du Manitoba à conclure une entente avec le gouvernement du Canada au nom de cette province. A mon sens, le décret ne permet pas la conclusion d’un accord modifiant le droit de la province d’une façon incompatible avec une loi spéciale adoptée subséquemment et portant atteinte rétroactivement aux droits acquis de l’appelante et des employés qu’elle représente, en vertu de la convention collective conclue avec la Liquor Control Commission du Manitoba.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler le jugement du juge Nitikman et de déclarer que l’entente apparemment conclue le 25 février 1976 entre le gouvernement du Canada et le gouvernement du Manitoba n’a pas pour effet de rendre applicables la Loi anti-inflation et les indicateurs fixés sous son régime au secteur public provincial du Manitoba; et de statuer en outre que la convention collective du 5 février 1976 conclue entre la Manitoba Liquor Control Commission et la Manitoba Government Employees Association lie les parties en cause.

Je suis également d’avis d’accueillir la demande de l’appelante sollicitant l’annulation de l’ordonnance rendue le 27 août 1976 par Donald D. Tansley, Directeur aux termes de la Loi anti-inflation.

L’appelante a droit à ses dépens dans toutes les cours.

[Page 1147]

Jugement en conséquence, le juge en chef LASKIN et les juges MARTLAND, JUDSON et SPENCE étant dissidents.

Procureurs de l’appelante: Thompson, Dorfman, Sweatman, Winnipeg.

Procureurs du gouvernement du Manitoba: Sous-procureur général du Manitoba, Winnipeg.

Procureurs de la Manitoba Liquor Control Commission: Walker, Cristall & Pandya, Winnipeg.

Procureurs du gouvernement du Canada: Sous-procureur général du Canada, Ottawa.

[1] (1976), 68 D.L.R. (3d) 452, [1976] 2 R.C.S. 373.

[2] [1925], 57 O.L.R. 644.

[3] [1977] 1 R.C.S. 271.

[4] (1882), 7 App. Cas. 178.


Parties
Demandeurs : Manitoba Govt. Employees Assn.
Défendeurs : Gouvernement du Manitoba et autres

Références :
Proposition de citation de la décision: Manitoba Govt. Employees Assn. c. Gouvernement du Manitoba et autres, [1978] 1 R.C.S. 1123 (30 septembre 1977)


Origine de la décision
Date de la décision : 30/09/1977
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1978] 1 R.C.S. 1123 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1977-09-30;.1978..1.r.c.s..1123 ?
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