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22/02/1977 | CANADA | N°[1978]_1_R.C.S._61

Canada | Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61 (22 février 1977)


Cour suprême du Canada

Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61

Date: 1977-02-22

Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta (Appelante);

et

La Commission canadienne des transports (Intimée).

1976: les 13 et 14 octobre; 1977: le 22 février.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

Cour suprême du Canada

Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61

Date: 1977-02-22

Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta (Appelante);

et

La Commission canadienne des transports (Intimée).

1976: les 13 et 14 octobre; 1977: le 22 février.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Compétence - Aéronautique - Acquisition par l’Alberta de la majorité des actions de la Pacific Western Airlines - Cette acquisition est-elle sujette à l’approbation de la Commission canadienne des transports? - La Couronne est-elle une «personne»? - La Couronne peut‑elle être liée par «déduction nécessaire»? - Loi sur l’aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, art. 9(2) et 14(1)d), e), f) et l) - Règlement sur les transporteurs aériens, DORS/, Partie III, art. 19 et 20 - Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, art. 27 et 55 - Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, art. 16, 28 - Loi sur la désignation et les titres royaux, S.R.C. 1970, c. R-12.

L’article 14 de la Loi sur l’aéronautique autorise la Commission canadienne des transports à établir des règlements relatifs aux permis et à l’exploitation des transporteurs aériens commerciaux. En vertu de cette Loi, la Commission a édicté les art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens exigeant que les ties impliquées dans le transfert de propriété d’un service aérien commercial lui en donnent avis, se conforment aux dispositions de la Loi nationale sur les transports et fassent approuver la transaction par la Commission. Le gouvernement de l’Alberta a contesté le pouvoir de la Commission d’exiger qu’il se conforme à ces dispositions et cette question a été soumise à la Cour d’appel fédérale qui s’est prononcée en faveur de la Commission.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson et Beetz: Mise à part la question soulevée sur le sens du mot «personne» aux art. 19 et 20, l’art. 19 soulève d’autres difficultés d’interprétation, en particulier, le sens du mot «contrôle» et de l’expression «service aérien commercial». [Le juge Spence en discute dans ses motifs.]

La principale question en litige en l’espèce est de savoir si la Cour d’appel fédérale a conclu à bon droit

[Page 62]

que, par déduction nécessaire, le Règlement sur les transporteurs aériens lie la Couronne du chef de l’ Alberta. La Couronne, qui n’est pas expressément mentionnée, ne peut être une «personne» aux fins du Règlement que si elle y est assujettie par déduction nécessaire. Un principe de common law veut que la Couronne soit liée par déduction nécessaire lorsqu’il ressort clairement de la Loi qu’elle serait privée de toute efficacité si elle ne liait pas la Couronne, mais on ne peut dire qu’il en est ainsi pour la Loi sur l’aéronautique.

L’article 16 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, prévoit que «nul texte législatif… ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet à l’égard de Sa Majesté … sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue». L’article 28 de la Loi définit l’expression «Sa Majesté» comme «le souverain du Royaume-Uni, du Canada et de Ses autres royaumes et territoires, et chef du Commonwealth». Un avocat a plaidé que la définition de l’art. 28 ne vise que la Couronne du chef du Canada et qu’en conséquence rien ne justifie d’accorder une situation privilégiée à la Couronne du chef d’une province en l’excluant de tout assujettissement à la législation fédérale. La définition ne limite pas l’expression «Sa Majesté» à la seule Couronne du chef du Canada. Bien que la définition se réfère au «Canada», il faut la replacer dans le contexte des termes employés dans la Loi sur la désignation et les titres royaux, S.R.C. 1970, c. R-12. Si la définition était ainsi limitée, ce serait en raison de l’organisation constitutionnelle du système fédéral canadien. On peut avancer que, vu la nature du système fédéral, la notion d’indivisibilité de la Couronne devrait être abandonnée. Cependant les décisions des tribunaux ont considéré qu’une mention générale de la Couronne dans la législation provinciale et fédérale renvoyait à la notion de Couronne indivisible. Il est inutile en l’espèce de décider si la définition de «Sa Majesté» à l’art. 28 ne devrait désigner, pour des motifs d’ordre constitutionnel, que la Couronne du chef du Canada. On peut se contenter de suivre l’opinion traditionnelle selon laquelle la définition s’applique à la Couronne dans tous les domaines où elle peut être assujettie à une loi fédérale. Si le gouvernement de l’Alberta ne peut se prévaloir de la protection prévue à l’art. 16 de la Loi d’interprétation, il peut à juste titre invoquer le principe de common law énoncé dans l’arrêt Bombay Province v. Bombay Municipal Corporation, [1947] A.C. 58, et quoiqu’il en soit, il n’est pas lié par les art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens.

Les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Dickson, Beetz et de Grandpré: La Commission canadienne des transports se fonde sur les art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens édicté en vertu de

[Page 63]

l’art. 14 de la Loi sur l’aéronautique. La Cour fédérale a décidé que l’Alberta est une «personne» au sens de ces articles, par déduction nécessaire, que la modification apportée en 1967 au libellé de l’art. 16 de la Loi d’interprétation permet d’assujettir la Couronne par déduction nécessaire et que les art. 19 et 20 sont en conséquence intra vires du Parlement et lient donc la Couronne du chef de l’Alberta. Puisque le mot «contrôle» ne peut avoir une plus grande signification dans le Règlement que dans la Loi, il faut prendre pour acquis, en interprétant ces articles, que l’art. 19 vise le contrôle de l’utilisation d’aéronefs moyennant paiement ou toute autre rémunération. Le gouvernement de l’Alberta a fait l’acquisition des actions d’un transporteur aérien qui exploite un service aérien commercial et le contrôle de l’utilisation d’aéronefs n’est donc pas en cause. Le point de vue voulant que l’art. 19 vise le contrôle du service offert plutôt que la propriété du transporteur est confirmé par le fait qu’il a trait au contrôle d’un service aérien commercial et non au contrôle d’un transporteur comme c’est le cas pour d’autres règlements sur les transporteurs aériens. Puisque les art. 19 et 20 ne s’appliquent pas en l’espèce, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si la Couronne du chef de l’Alberta est assujettie à ces articles.

[Arrêts mentionnés: Bombay Province v. Bombay Municipal Corporation, [1947] A.C. 58; Dominion Building Corporation c. Le Roi, [1933] A.C. 533; La Reine c. Murray, [1967] R.C.S. 262; Gauthier c. Le Roi (1918), 56 R.C.S. 176; Le procureur général de la Colombie‑Britannique c. Le procureur général du Canada, [1924] A.C. 222; Le procureur général du Québec c. Nipissing Central Railway, [1926] A.C. 715; La Reine du chef de l’Ontario c. La Commission des transports, [1968] R.C.S. 118; Toronto Transportation Commission c. Le Roi, [1949] R.C.S. 510; et In re Silver Bros. Ltd., [1932] A.C. 514.]

POURVOI contre un jugement de la Cour d’appel fédérale[1] portant sur un mémoire présenté par la Commission canadienne des transports. Pourvoi accueilli.

J.c. Major, c.r., et W. Henkel, c.r., pour l’appelante.

G.W. Ainslie, c.r., et G. St. John, pour l’intimée.

T.H. Wickett, pour le procureur général de l’Ontario.

[Page 64]

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson et Beetz a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Avant de rédiger ces motifs, j’ai eu l’avantage de lire ceux de mon collègue le juge Spence et, bien que je parvienne à la même conclusion, mon raisonnement diffère. Deux questions latentes dans cette affaire peuvent, du consentement des deux parties au litige, être mises de côté. Premièrement, la légalité de la constitution en compagnie de Pacific Western Airlines Ltd., en vertu de la législation provinciale, n’est pas contestée. Deuxièmement, la Couronne du chef de l’Alberta, appelante, (en réalité, le gouvernement de l’Alberta) ne conteste pas l’obligation de Pacific Western Airlines Ltd. de se conformer à la Loi sur l’aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3, et au Règlement sur les transporteurs aériens, établi en conformité de cette loi, en matière de délivrance de permis aux transporteurs aériens et d’utilisation des aéronefs, d’itinéraires et d’horaires, de tarifs et de tableaux tarifaires et de questions connexes. Ce pourvoi soulève l’étroite question suivante: le gouvernement de l’Alberta était-il tenu d’informer la Commission canadienne des transports de l’achat de plus de 99 pour cent des actions ordinaires émises et en circulation et de toutes les actions privilégiées de Pacific Western Airlines Ltd., et de lui demander d’approuver l’acquisition d’une participation majoritaire dans la compagnie?

Pacific Western Airlines Ltd. demeure une compagnie publique constituée en vertu des lois de la Colombie-Britannique et ce, nonobstant l’achat des actions par le gouvernement de l’Alberta. Officiellement, c’est toujours la même entité, mais puisqu’il s’agit d’un transporteur aérien commercial jouissant de certains privilèges de transporteur intérieur et international, on peut comprendre l’intérêt que porte la Commission canadienne des transports, l’organisme de réglementation en vertu de la Loi sur l’aéronautique, à l’identité, l’intégrité et la solvabilité de ceux qui exploitent l’entreprise.

La Loi autorise la Commission à réglementer ces domaines et lui confère également de larges pouvoirs de réglementation à l’égard des permis d’exploitation des services aériens commerciaux.

[Page 65]

Voici le texte des al. e), f), et l) du par. (1) de l’art. 14 de la Loi:

14. (1) La Commission peut établir des règlements

e) enjoignant à toute personne de fournir des renseignements sur la propriété de services aériens commerciaux ou sur des contrôles, transferts, unifications, fusions ou locations, réalisés ou projetés, de tels services;

f) exigeant la remise à ses bureaux de copies des conventions concernant des contrôles, transferts, unifications, fusions ou locations visés à l’alinéa e), de copies de contrats, de projets de contrats et de copies de conventions visant les services aériens commerciaux;

l) interdisant le changement de contrôle, le transfert, l’unification, la fusion ou la location de services aériens commerciaux, sauf aux conditions que ces règlements peuvent déterminer.

Se prévalant de ces pouvoirs, la Commission a adopté les art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens, qui en constituent la Partie III, intitulée Changements de contrôle financier, unifications, fusions, locations et transferts. Les articles 19 et 20 se lisent comme suit:

19. Toute personne qui entend se livrer à une opération dont le but est, ou dont le résultat serait un changement de contrôle financier, l’unification, la fusion, la location ou le transfert d’un service aérien commercial doit se soumettre aux conditions énoncées à l’article 20 ci-dessous.

20. (1) Toute personne qui se propose de se livrer à [???] des opérations décrites à l’article 19 doit donner avis de ce projet au Comité.

(2) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’une opération dont il est question à l’article 19 tombe sous le coup de l’article 27 de la Loi nationale sur les transports, il est obligatoire de se conformer aux dispositions de ladite oi.

(3) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’une opération dont il est question à l’article 19 ne tombe pas sous [???] coup de l’article 27 de la Loi nationale sur les transports, les dispositions de cet article s’appliquent mutatis mutandis à l’opération projetée, sauf que le Comité peut instituer une enquête sur cette opération, même s’il n’y a aucune opposition.

[Page 66]

(4) Le Comité peut, sur réception d’un avis d’opération décrite à l’article 19, exiger de la personne dont il est question au paragraphe (1) qu’elle dépose chez le Secrétaire les informations ou documents de nature à permettre au Comité de déterminer si l’opération pourrait réduire indûment la concurrence ou porter autrement préjudice à l’intérêt public.

Le gouvernement de l’Alberta a contesté le pouvoir de la Commission canadienne des transports d’exiger qu’il se conforme aux dispositions des art. 19 et 20 (précités) à l’égard de l’achat des actions de Pacific Western Airlines Ltd. La Commission, se fondant sur l’art. 55 de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, a donc posé la question suivante à la Cour d’appel fédérale:

[TRADUCTION] Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta est-elle une personne assujettie aux dispositions des articles 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens et à la juridiction de la Commission relativement à l’acquisition de la majorité des actions de la Pacific Western Airlines Ltd.?

La Cour a répondu par l’affirmative. Le juge Heald a rédigé les motifs de jugement auxquels les. juges Ryan et LeDain ont souscrit.

Mise à part la question fondamentale soulevée devant la Cour d’appel fédérale, et maintenant devant nous, sur le sens du mot «personne» aux art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens, l’art. 19 soulève d’autres difficultés d’interprétation, dont fait état mon collègue le juge Spence. Ainsi, ni le Règlement ni la Loi sur l’aéronautique ne définissent le mot «contrôle» et, en outre, la version française de l’art. 19 parle de «contrôle financier» alors que l’al. 14(1)e) de la Loi sur l’aéronautique emploie le mot «contrôles» au pluriel et sans qualification. Une autre difficulté d’interprétation vient de ce que l’expression «service aérien commercial» est utilisée dans les dispositions habilitantes de la Loi (par. 14(1)) et à l’art. 19 du Règlement, et est définie au par. 9(1) de la Loi comme signifiant «tout emploi d’aéronef dans les limites ou au-dessus du Canada, moyennant un prix de louage ou une rémunération»; cette définition se retrouve à l’art. 2 du Règlement. Si la définition est insérée dans l’art. 19, le mot «emploi» qui y figure donne un résultat bizarre. Les termes essentiels de l’art. 19 «contrôle financier, unifica-

[Page 67]

tion, fusion, location ou transfert» visent de toute évidence les transporteurs aériens au regard de leurs services aériens commerciaux. Cela est encore plus clair si l’on s’arrête à l’expression «changement de contrôle financier» à l’art. 19, plutôt qu’à la seule expression «contrôle financier». L’article 27 de la Loi nationale sur les transports, mentionné au par. 20(2) du Règlement, étaye cette opinion et plus particulièrement le par. 27(1):

27. (1) Une compagnie de chemin de fer, une compagnie de pipe-line pour denrées, une compagnie de transport par eau, une personne exploitant une entreprise de transport par véhicule à moteur ou un transporteur par air, assujetti à la compétence législative du Parlement du Canada, qui se propose d’acquérir, directement ou indirectement, par achat, location à bail, fusion, consolidation ou autrement, un intérêt dans les affaires ou l’entreprise de toute personne principalement engagée dans des opérations de transport, que ces affaires ou cette entreprise soient ou non soumises à la compétence du Parlement, doit donner à la Commission avis de l’acquisition proposée.

Les termes de l’art. 19 conviennent mal si on les utilise littéralement en disant «contrôle financier de l’emploi d’aéronefs» ou «unification de l’emploi d’aéronefs» ou encore «fusion de l’emploi d’aéronefs». Malgré la définition de «service aérien commercial», je ne pense pas devoir l’appliquer de façon à enlever toute efficacité aux art. 14(1)e) de la Loi et 19 du Règlement. Le but de chaque article est suffisamment clair, mais la difficulté d’interprétation du mot «contrôle» subsiste, surtout parce que l’art. 19 tend à englober toutes les opérations projetées dont le résultat serait un changement de contrôle financier.

Toutefois, la situation présente ne laisse aucun doute quant à la question du contrôle financier; j’estime donc nécessaire de me référer à la question soumise à la Cour d’appel fédérale. En répondant par l’affirmative, le juge Heald, parlant au nom de la Cour, a conclu que par déduction nécessaire, la Loi sur l’aéronautique et le Règlement sur les transporteurs aériens lient la Couronne du chef de l’Alberta (et, je présume, également la Couronne du chef des autres provinces et du chef du Canada). Il a rejeté l’argument selon lequel les dispositions de la Loi et du Règlement relatives à l’octroi de permis d’exploitation et à d’autres ques-

[Page 68]

tions connexes peuvent s’appliquer à la Couronne même si les art. 19 et 20 du Règlement ne s’y appliquent pas. Il a estimé que l’économie et l’objet de la Loi resteraient lettre morte si les gouvernements provinciaux n’étaient pas assujettis à ses dispositions.

On ne nous a pas signalé que d’autres gouvernements provinciaux, comme tels, se soient engagés dans une entreprise de transport aérien commercial ni ne projettent de le faire. Compte tenu du fait que la compétence dans le domaine de l’aéronautique relève exclusivement du Parlement du Canada, il serait plutôt invraisemblable qu’une disposition prévoie une intervention des gouvernements provinciaux dans ce champ d’activité à des fins commerciales. Sous toute autre forme, par exemple, par l’intermédiaire d’une compagnie publique ordinaire, l’assujettissement à l’organisme de réglementation est automatique. Si le gouvernement ou le Parlement du Canada craignait qu’un gouvernement provincial s’engage dans une entreprise de transport aérien commercial sans observer les dispositions réglementaires fédérales, il pourrait facilement y remédier par une législation appropriée.

Il est cependant allégué qu’aucune législation particulière n’est requise puisqu’un régime d’application générale est présentement en place. L’avocat du procureur général du Canada, représentant la Commission canadienne des transports, a invoqué le par. 9(2) de la Loi sur l’aéronautique à l’appui de cette thèse; ce paragraphe prévoit que la Partie II (relative à la Commission et à ses différents pouvoirs, dont celui d’émettre des permis) «ne s’applique pas aux aéronefs utilisés par les forces de Sa Majesté ou par quelques forces armées coopérant avec les forces de Sa Majesté, et portant les insignes ou marques des forces de Sa Majesté ou de ces autres forces». Je ne vois aucun rapport entre l’exclusion des forces armées de l’application de la Loi sur l’aéronautique et la question de savoir si le gouvernement d’une province ou le gouvernement fédéral sont assujettis à la Loi et à la compétence de la Commission canadienne des transports. A mon avis, le par. 9(2) a été ajouté par surcroît de précautions.

[Page 69]

Le principal argument à l’appui de la thèse voulant que la Couronne du chef de la province est liée, malgré l’absence de disposition expresse à cet effet, est fondé sur l’assertion que la Loi sur l’aéronautique et le Règlement sur les transporteurs aériens s’appliquent à tous ceux qui s’engagent dans une entreprise de transport aérien commercial, ou acquièrent le contrôle financier ou une participation au contrôle de pareilles entreprises ou projettent de le faire. Cependant cet argument qui vaut pour toute législation de portée générale est trop large, à moins qu’il ne signifie que lorsque la Couronne s’engage dans une activité commerciale ordinaire, elle est également assujettie à la réglementation régissant ces activités. Cela n’a pas été la règle suivie par les tribunaux jusqu’ici et elle ne trouve aucun appui dans l’énoncé de principe relatif à l’assujettissement de la Couronne aux textes législatifs exposé à l’art. 16 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23.

A première vue, la Couronne, du chef du Canada ou du chef d’une province, n’est pas une «personne» en vertu de la Loi sur l’aéronautique ou du Règlement sur les transporteurs aériens. La signification du mot «personne» n’y est pas précisée et l’art. 28 de la Loi d’interprétation fédérale précise seulement que le mot «personne» désigne également une corporation. La Couronne ne peut être une «personne» aux fins de la Loi et du Règlement que si elle y est assujettie par «déduction nécessaire». Le principe de common law relativement à une telle inclusion est exposé dans l’arrêt Bombay Province v. Bombay Municipal Corporation[2], où Lord du Parcq a déclaré (à la p. 61):

[TRADUCTION] … Le principe général à appliquer en examinant si la Couronne est liée par les dispositions générales d’une loi est bien connu. Selon l’ancienne maxime juridique, aucune loi ne lie la Couronne si celle-ci n’y est expressément mentionnée … Mais cette règle souffre au moins une exception. La Couronne, comme on l’a souvent dit, peut être liée «par déduction nécessaire», c’est-à-dire que, s’il appert du libellé même de la Loi que le législateur entendait lier la Couronne, le résultat est le même que si cette dernière était expressément mentionnée….

[Page 70]

Au sujet du dernier point mentionné dans cet extrait, la remarque suivante est pertinente (à la p. 63):

[TRADUCTION] … Si Ton peut affirmer qu’au moment où la Loi a été adoptée et a reçu la sanction royale, il ressortait clairement de son libellé qu’elle serait privée de toute efficacité si elle ne liait pas la Couronne, on peut déduire que la Couronne a accepté d’être liée. Leurs Seigneuries ajoutent toutefois que lorsqu’on demande aux tribunaux de faire cette déduction, il faut se rappeler que si l’intention du législateur est de lier la Couronne, rien de plus facile que de le dire en toutes lettres.

Si la question relevait exclusivement de la common law, telle que définie dans l’arrêt Bombay, je ne vois pas comment on pourrait prétendre que la Loi sur l’aéronautique serait privée de tout effet si elle ne liait pas la Couronne. Cependant, peut-on affirmer que l’affaire relève exclusivement de la common law, compte tenu de l’art. 16 de la Loi d’interprétation fédérale?

Cet article, édicté par 1967-68 (Can.), c. 7, art. 16, se lit comme suit:

16. Nul texte législatif de quelque façon que ce soit ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet à l’égard de Sa Majesté ou sur les droits et prérogatives de Sa Majesté, sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue.

L’expression «Sa Majesté» est définie comme suit à l’art. 28 de l’actuelle Loi d’interprétation fédérale:

28. Dans chaque texte législatif

«Sa Majesté», «La Reine», «le Roi» ou «la Couronne» désigne le souverain du Royaume-Uni, du Canada et de Ses autres royaumes et territoires, et chef du Commonwealth;

L’avocat de l’intimée a plaidé que la définition de l’art. 28 ne vise que la Couronne du chef du Canada et qu’en conséquence rien ne justifie d’accorder une situation privilégiée à la Couronne du chef d’une province en l’excluant de tout assujettissement à la législation fédérale.

Je ne puis souscrire à cet argument. Bien que la définition précitée se réfère au «Canada», il faut la replacer dans le contexte des termes employés dans la Loi sur la désignation et les titres royaux, S.R.C. 1970, c. R-12. Je ne crois pas que la définition elle-même limite l’expression «Sa

[Page 71]

Majesté» à la seule Couronne du chef du Canada. Si c’était le cas, ce serait en raison de l’organisation constitutionnelle de notre système fédéral.

Toutefois l’avocat de l’intimée n’a pas poussé son argument aussi loin. On peut avancer que vu la nature du système fédéral canadien, la notion d’indivisibilité de la Couronne devrait être abandonnée. La Constitution du Canada répartit le pouvoir législatif entre le Parlement central et des législatures provinciales et le pouvoir exécutif, dit de prérogative (officiellement conféré à la Reine), est réparti comme le pouvoir législatif et relève donc de différents pouvoirs exécutifs. Cependant les décisions des tribunaux, notamment celles du Conseil privé, ont considéré qu’une mention générale de la Couronne dans la législation provinciale et fédérale renvoyait à la notion de Couronne indivisible. Il suffit à ce sujet de citer l’arrêt du Comité judiciaire dans Dominion Building Corporation c. Le Roi[3], où la définition de «Sa Majesté» dans l’Ontario Interpretation Act fut appliquée à la Couronne du chef du Canada. Compte tenu des circonstances de cette affaire, la Couronne fut jugée assujettie à la loi provinciale selon laquelle la règle d’equity concernant les stipulations de délais impératifs contenues dans les contrats devait s’appliquer dans tous les tribunaux de la province. Je souligne toutefois que cette affaire, dont la Cour de l’Échiquier avait été saisie en vertu de la Loi, portait sur une action en dommages-intérêts contre la Couronne fédérale pour rupture de contrat, et qu’il appartenait à la Cour de l’Échiquier de déterminer, le cas échéant, la loi régissant le contrat. Je ne pense pas que les faits particuliers de l’arrêt Dominion Building Corporation permettent d’en étendre la portée.

Quoi qu’il en soit, je n’ai pas plus à décider en l’espèce si l’arrêt Dominion Building Corporation c. Le Roi fait toujours autorité que mon collègue le juge Martland n’avait à le faire dans les motifs qu’il a exposés au nom de la Cour dans La Reine c.

[Page 72]

Murray[4]. Cependant, compte tenu de décisions comme Gauthier c. Le Roi[5], selon laquelle la province ne peut pas imposer à la Couronne du chef du Canada une responsabilité contractuelle (la législation provinciale avait modifié la common law et voulait rendre la modification applicable à la Couronne), il convient de se demander si une mention générale de Sa Majesté ou de la Couronne dans une loi d’interprétation provinciale vise la Couronne du chef du Canada et si par contre, la mention de «Sa Majesté» ou de «la Couronne» dans la Loi d’interprétation fédérale vise la Couronne du chef d’une province. Il est bien évident que le Parlement fédéral peut rendre la législation relevant de sa compétence applicable à la Couronne provinciale s’il en décide ainsi: Voir par exemple, Le procureur général de la Colombie-Britannique c. Le procureur général du Canada[6]; Le procureur général du Québec c. Nipissing Central Railway[7]. Un arrêt récent de cette Cour, La Reine du chef de l’Ontario c. La Commission des transports[8], illustre bien l’assujettissement de la Couronne du chef d’une province au pouvoir fédéral de réglementation; dans cette affaire, la Cour a jugé que l’exploitation par le gouvernement de l’Ontario d’un service de trains de banlieue sur les voies de la Compagnie des chemins de fers nationaux du Canada, conformément à une entente avec cette dernière, relevait de la compétence de la Commission des transports en matière de tarifs.

La question qui nous occupe, c.-à-d. de savoir si Sa Majesté ou la Couronne, lorsque la législation fédérale ou provinciale s’y réfère sans plus de précision, désigne la Couronne du chef du Canada ou d’une province, selon le cas, est partiellement résolue du fait qu’une législature provinciale ne peut, dans l’exercice de ses pouvoirs législatifs, assujettir la Couronne du chef du Canada à une réglementation obligatoire. Cela ne signifie pas pour autant que la Couronne fédérale ne peut se trouver assujettie à la législation provinciale lorsqu’elle cherche à s’en prévaloir: voir Toronto

[Page 73]

Transportation Commission c. Le Roi[9]; La Reine c. Murray[10].

Le Conseil privé a dû envisager la question dans l’affaire Silver Bros. Ltd.[11], où la Couronne du chef du Canada réclamait un rang prioritaire sur les autres créanciers d’une compagnie en faillite pour le paiement de la taxe d’accise et s’opposait ainsi à la Couronne du chef de la province de Québec qui réclamait un rang prioritaire pour le paiement de l’impôt sur les compagnies. Les montants réalisés à même les biens n’étaient pas suffisants pour payer les deux. La réclamation de la Couronne fédérale se fondait sur une loi fédérale valide selon laquelle

Nonobstant les dispositions de la Loi des banques et de la Loi de faillite, ou de tout autre Statut ou loi, la responsabilité envers la Couronne de toute personne, firme ou corporation, pour le paiement des taxes d’accise spécifiées … constitue une première charge sur l’actif de cette personne, firme ou corporation, et prend rang pour le paiement de préférence à toutes autres réclamations, … sauf et excepté seulement les frais judiciaires, honoraires et dépenses légitimes d’un syndic ou autre fonctionnaire public, chargé de l’administration ou de la distribution de cet actif.

Il est clair dans ce texte que le mot «Couronne» désigne uniquement la Couronne du chef du Canada. La province de Québec fondait sa demande de rang prioritaire sur une loi du Québec disposant que toute somme due à la Couronne pour le paiement de l’impôt, réclamé en l’espèce à la compagnie en faillite, constitue «une dette privilégiée prenant rang après les frais de justice». Cette disposition ne vise manifestement que la Couronne du chef de la province de Québec.

Bien qu’il ne fût pas expressément examiné, le pouvoir du Parlement de donner un rang prioritaire à la réclamation du fédéral, tout au moins dans le cadre du règlement d’une faillite, n’a pas été contesté. L’effet de l’art. 16 de la Loi d’interprétation fédérale, S.R.C. 1906, c. 1, était au cœur du litige:

16. Nulle disposition non plus que nulle prescription d’une loi ne peut porter atteinte de quelque façon que ce

[Page 74]

soit aux droits de Sa Majesté, de ses héritiers et de ses successeurs, à moins que l’intention n’y soit formellement exprimée d’y atteindre Sa Majesté.

Le Conseil privé a retenu la thèse de la province de Québec selon laquelle donner effet à la revendication fédérale de priorité signifierait que la Couronne du chef de la province de Québec serait liée au détriment de l’un de ses droits (découlant d’une loi de la province de Québec) même en l’absence d’une disposition expresse à cet effet. Le Conseil privé a donc fondé sa décision sur la prémisse que la Couronne en vertu de l’art. 16 susmentionné désigne la Couronne du chef de la province et du chef du Canada, mais a estimé nécessaire d’établir une distinction vu les circonstances particulières de l’affaire, comme cela ressort de l’extrait suivant de ses motifs (à la p. 523):

[TRADUCTION] L’avocat a ensuite plaidé que les dispositions de l’art. 16 ne s’appliquent pas lorsqu’elles ont pour effet, non pas de causer un préjudice à la Couronne, mais de l’avantager et il a fait valoir qu’il existe une seule Couronne, invoquant à cet égard l’arrêt Le procureur général de la province de Québec c. Nipissing Central Ry. Co. [1926] A.C. 715. Il est vrai que l’article se réfère à des situations où la Couronne serait «atteinte», c.-à-d. assujettie à une responsabilité, et non à des situations dont la Couronne tire un avantage. L’erreur résulte de l’application de cette règle en l’espèce. La Loi spéciale des revenus de guerre confère un avantage à la Couronne du chef du Canada mais, par contre, elle vise à lier la Couronne du chef de la province de Québec à son désavantage. Il est exact qu’il existe une seule Couronne, mais relativement aux revenus et aux biens qui reviennent à la Couronne en vertu d’une loi, il faut distinguer les revenus et les biens d’une province de ceux du Dominion. Il s’agit de deux budgets distincts, établis par des lois différentes. Dans chaque cas, le pouvoir de perception et de dépenses est différent.

Le Conseil privé, en se fondant sur l’art. 16 de la Loi d’interprétation, a rejeté la thèse de la «déduction nécessaire» invoquée à l’appui de l’argumentation de la Couronne fédérale. Il a déclaré à ce sujet (à la p. 523):

[TRADUCTION] On a ensuite avancé que puisque la Loi sur les banques et la Loi sur la faillite non seulement traitent de privilèges mais (inter alia) de privilèges de la Couronne, il faut conclure par «déduction irrésistible» que le législateur entendait traiter de tous les privilèges de la Couronne. Pour répondre à cette affirmation, il

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suffit de s’arrêter aux termes mêmes de l’art. 16. Il est alors manifestement contradictoire de prétendre qu’une «déduction irrésistible» constitue une mention expresse.

La question de savoir si le Conseil privé aurait retenu la thèse de la «déduction nécessaire» en l’absence dudit art. 16 est une toute autre chose. Comme je l’ai déjà indiqué, je suis incapable d’accepter cette thèse en l’espèce, ni en vertu de la règle de common law, ni en vertu de l’actuel art. 16 de la Loi d’interprétation.

La Cour d’appel fédérale a considéré comme importante la modification apportée au libellé de l’actuel art. 16, par rapport au texte de cet article dans l’ancienne Loi d’interprétation analysée dans l’affaire Silver Bros. Ltd., précitée. Le juge d’appel Heald n’a toutefois pas précisé comment la modification rétablissait la doctrine de la «déduction nécessaire». A mon avis, l’actuel art. 16, si l’on considère qu’il se réfère à la Couronne du chef d’une province et à la Couronne du chef du Canada, protège mieux la Couronne que l’ancienne disposition d’un assujettissement à un texte législatif qui ne la mentionne pas expressément. Alors que la disposition étudiée dans les arrêts In re Silver Bros. Ltd., précité, et Dominion Building Corporation c. Le Roi, précité, parlait d’une atteinte aux droits de la Couronne (point retenu dans l’arrêt Dominion Building Corporation à l’égard d’une disposition semblable de la Loi ontarienne, et à la base de la décision rendue), l’actuel art. 16 ne se limite pas aux «droits», mais spécifie en outre que «nul texte législatif … ne lie Sa Majesté ni n’a d’effet à l’égard de Sa Majesté … sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue». Je ne puis souscrire à la conclusion de la Cour d’appel fédérale selon laquelle la substitution de l’expression «sauf dans la mesure y mentionnée ou prévue» pour «à moins que l’intention n’y soit formellement exprimée d’y atteindre Sa Majesté» rétablit la doctrine de la «déduction nécessaire». Il me semble au contraire que la «déduction nécessaire» est exclue s’il faut que la Couronne soit mentionnée ou prévue dans le texte législatif pour y être assujettie.

J’estime inutile en l’espèce de décider si la définition des termes «Sa Majesté» à l’art. 28 de la Loi d’interprétation fédérale ne devrait désigner, pour

[Page 76]

des motifs d’ordre constitutionnel, que la Couronne du chef du Canada. Je me contenterai de suivre l’opinion traditionnelle selon laquelle la définition s’applique à la Couronne dans tous les domaines où elle peut être assujettie à une loi fédérale.

J’ajouterai cependant la remarque suivante. On peut soutenir que si la mention générale susmentionnée ne vise que la Couronne du chef du Canada, il ne s’ensuit pas nécessairement que la règle de common law exposée dans l’arrêt Bombay doive régir la situation de la Couronne du chef d’une province à l’égard de la législation fédérale. On peut se demander pourquoi cette règle, élaborée dans le régime unitaire anglais, devrait s’appliquer dans un état fédéral? A mon avis, deux réponses sont possibles. Premièrement, si la Couronne du chef d’une province ne peut invoquer son immunité, à moins d’être liée expressément ou par déduction nécessaire, il en résulte un assujettissement automatique du gouvernement provincial à la législation fédérale, ce qui porterait atteinte à l’indépendance respective de la Couronne du chef du Canada et de la Couronne du chef d’une province que confère, en l’absence d’une législation valide à l’effet contraire, notre système constitutionnel. Deuxièmement, la règle de common law fait partie de ce qu’il convient d’appeler le droit de la Couronne et constitue un principe historique faisant partie du droit de notre pays depuis son origine; elle fait partie de notre droit en vertu du régime fédéral entré en vigueur en 1867, à l’avantage à la fois de la Couronne du chef du Canada et de la Couronne du chef d’une province. A mon sens, si le gouvernement de l’Alberta ne peut se prévaloir de la protection prévue à l’art. 16 de la Loi d’interprétation fédérale, il peut à juste titre invoquer le principe de common law énoncé dans l’arrêt Bombay. Quoi qu’il en soit, je conclus qu’il n’est pas lié par les art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens.

En conséquence, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de répondre par la négative à la question posée par la Commission canadienne des transports. Il n’y a pas lieu en l’espèce d’accorder des dépens.

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Les juges Martland, Judson, Ritchie, Dickson, Beetz et de Grandpré ont souscrit aussi aux motifs exprimés par

LE JUGE SPENCE — Ce pourvoi attaque un arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale le 19 février 1976.

Pacific Western Airlines Limited (ci-après désignée par les initiales PWA), une compagnie constituée en vertu des lois de la Colombie-Britannique, était à l’origine une compagnie privée connue sous le nom de Central British Columbia Airways Limited; plus tard, elle a adopté son nom actuel et elle est devenue, en août 1955, une compagnie publique. A titre de transporteur commercial aérien, elle dessert par vols réguliers les territoires du Nord-Ouest, l’État de Washington et les provinces de la Colombie-Britannique et de l’Alberta; elle exploite aussi un service de vols d’affrètement internationaux. Au mois d’août 1974, le gouvernement de la province de l’Alberta a acquis environ 99.3 pour cent des actions ordinaires émises de la compagnie ainsi que toutes ses actions privilégiées émises.

Le 9 août 1974, le Secrétaire de la Commission intimée a envoyé le message télex suivant au Premier ministre de l’Alberta:

[TRADUCTION] LES JOURNAUX FONT ÉTAT D’UN PRÉTENDU CHANGEMENT DE CONTRÔLE DU SERVICE COMMERCIAL AÉRIEN DE PWA AU PROFIT DU GOUVERNEMENT DE L’ALBERTA STOP ON ME DEMANDE DE PORTER À VOTRE ATTENTION LE RÈGLEMENT SUR LES TRANSPORTEURS AÉRIENS (DORS/72‑145, PUBLIÉ DANS LA PARTIE II DE L’ÉDITION SPÉCIALE DE LA GAZETTE DU CANADA DU 5 MAI 1972) ET PLUS PARTICULIÈREMENT LES ARTICLES 19 ET 20 DE CE RÈGLEMENT ET L’ARTICLE DE LA LOI NATIONALE SUR LES TRANSPORTS MENTIONNÉ AUDIT ART. 20 STOP VEUILLEZ NOUS FAIRE TENIR VOS OBSERVATIONS ET COMMENTAIRES.

Le gouvernement de l’Alberta s’est dit disposé à coopérer et à fournir volontairement les renseignements requis par la Commission, mais il a déclaré que les art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens ne s’appliquaient pas. L’intimée a

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exprimé son désaccord et, en conséquence, le gouvernement de l’Alberta, à la demande de l’intimée et sous toutes réserves, a fait publier un avis de changement de contrôle dans certains journaux. Après la publication de cet avis, certains intervenants ont soumis des documents à l’intimée et les ont fait signifier à l’appelante.

Dès le début de l’audition tenue par la Commission intimée, l’appelante a contesté la compétence de cette dernière et, à sa demande, la Commission a, en vertu de l’art. 55 de la Loi nationale sur les transports, S.R.C. 1970, c. N-17, soumis la question suivante à la Cour d’appel fédérale:

[TRADUCTION] Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta est-elle une personne assujettie aux dispositions des articles 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens et à la juridiction de la Commission relativement à l’acquisition de la majorité des actions de la Pacific Western Airlines Ltd.?

Parlant au nom de la Cour d’appel fédérale, le juge Heald a répondu par l’affirmative à la question et les juges Ryan et LeDain ont souscrit à son opinion. Par ordonnance du 27 avril 1976, la présente Cour a accordé l’autorisation d’interjeter appel de cet arrêt.

Pour exiger la signification d’un avis au Comité des transports aériens et une procédure conforme aux prescriptions de l’art. 27 de la Loi nationale sur les transports, l’intimée se fonde sur les dispositions des art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens, édictés en vertu des al. d), e) et f) du par. (1) de l’art. 14 de la Loi sur l’aéronautique, S.R.C. 1970, c. A-3. Ces alinéas disposent:

14. (1) La Commission peut établir des règlements

d) enjoignant aux transporteurs aériens de faire tenir à la Commission des relevés concernant leur actif, leur passif, leur capitalisation, leurs revenus, leurs dépenses, leur matériel, leur trafic, leurs employés et tout autre question relative à l’exploitation des services aériens commerciaux et à laquelle s’applique la présente Partie;

[Page 79]

e) enjoignant à toute personne de fournir des renseignements sur la propriété de services aériens commerciaux ou sur des contrôles, transferts, unifications, fusions ou locations, réalisés ou projetés, de tels services;

f) exigeant la remise à ses bureaux de copies des conventions concernant des contrôles, transferts, unifications, fusions ou locations visés à l’alinéa e), de copies de contrats, de projets de contrats et de copies de conventions visant les services aériens commerciaux;

Lesdits articles 19 et 20 du Règlement prévoient:

19. Toute personne qui entend se livrer à une opération dont le but est, ou dont le résultat serait un changement de contrôle financier, l’unification, la fusion, la location ou le transfert d’un service aérien commercial doit se soumettre aux conditions énoncées à l’article 20 ci-dessous.

20. (1) Toute personne qui se propose de se livrer à une des opérations décrites à l’article 19 doit donner avis de ce projet au Comité.

(2) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’une opération dont il est question à l’article 19 tombe sous le coup de l’article 27 de la Loi nationale sur les transports, il est obligatoire de se conformer aux dispositions de ladite loi.

(3) Sous réserve du paragraphe (4), lorsqu’une opération dont il est question à l’article 19 ne tombe pas sous le coup de l’article 27 de la Loi nationale sur les transports, les dispositions de cet article s’appliquent mutatis mutandis à l’opération projetée, sauf que le Comité peut instituer une enquête sur cette opération, même s’il n’y a aucune opposition.

(4) Le Comité peut, sur réception d’un avis d’opération décrite à l’article 19, exiger de la personne dont il est question au paragraphe (1) qu’elle dépose chez le Secrétaire les informations ou documents de nature à permettre au Comité de déterminer si l’opération pourrait réduire indûment la concurrence ou porter autrement préjudice à l’intérêt public.

Voici les questions litigieuses soumises à la Cour par l’appelante:

[TRADUCTION] a) La Cour fédérale a décidé que l’Alberta est une «personne», au sens des art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens, par «déduction nécessaire».

[Page 80]

b) La Cour fédérale a statué que la modification apportée au libellé de l’art. 16 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1952, c. 158 par la Loi d’interprétation, S.C. 1967-68, c. 7, est importante et permet d’assujettir la Couronne par «déduction nécessaire».

c) La Cour fédérale a statué que les art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens constituent des dispositions législatives ayant trait à une question intéressant la réglementation de l’aéronautique et sont en conséquence intra vires du Parlement.

Il est à mon avis primordial d’étudier en détail la portée et le sens des art. 19 et 20.

L’article 19 interdit à toute personne de se livrer à une opération dont le but est, ou dont le résultat serait un changement de contrôle financier, l’unification, la fusion, la location ou le transfert d’un service aérien commercial à moins qu’elle se soumette aux conditions énoncées à l’art. 20. (C’est moi qui souligne.) Le Règlement sur les transporteurs aériens ne définit pas le mot «personne» mais l’art. 28 de la Loi d’interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23, précise que le terme « «personne» ou tout mot ou expression ayant le sens du mot «personne» désigne également une corporation». Cette définition soulève la question de savoir si la Loi sur l’aéronautique et le Règlement sur les transporteurs aériens sont censés lier la Couronne du chef du Canada ou du chef d’une province. J’étudierai cette question plus loin, si cela s’avère nécessaire. Aux fins de la présente affaire, les expressions importantes de l’art. 19 sont «contrôle financier» et «service aérien commercial». L’expression «service aérien commercial» est définie comme suit à l’art. 2 du Règlement sur les transporteurs aériens: « «service aérien commercial» désigne toute utilisation d’aéronefs dans les limites ou au-dessus du Canada, moyennant paiement ou toute autre rémunération». Le mot «contrôle» n’est pas défini au Règlement. Pour l’expression «contrôle financier», on trouve en anglais, l’autre langue officielle, un seul terme «control». Comme je l’ai déjà dit, cet article du Règlement a été édicté en vertu du pouvoir conféré par les al. d), e) et f) du par. (1) de l’art. 14 de la Loi sur l’aéronautique. Le mot «contrôle» est employé seul à l’al. e) et, ni dans la version française, ni dans la version anglaise de la

[Page 81]

Loi, le substantif «contrôle» n’est modifié par l’adjectif «financier». Puisque le pouvoir d’édicter les règlements ne peut être conféré que par la loi, tout excès de pouvoir dans les règlements serait ultra vires et, en conséquence, il convient, aux fins de ce pourvoi, d’analyser la portée et le sens de l’art. 19 dans son application au «contrôle» des services aériens commerciaux.

Si l’on insérait la définition de l’expression «service aérien commercial» dans l’art. 19, il deviendrait alors:

Toute personne qui entend se livrer à une opération dont le but est, ou dont le résultat serait un changement de contrôle financier, l’unification, la fusion, la location ou le transfert de toute utilisation d’aéronefs dans les limites ou au-dessus du Canada, moyennant paiement ou toute autre rémunération, doit se soumettre aux conditions…

Il semble donc que l’art. 19 vise notamment le contrôle de l’utilisation d’aéronefs dans les limites ou au-dessus du Canada, moyennant paiement ou toute autre rémunération. L’appelante a toujours soutenu que ses objections aux exigences du Comité des transports aériens portaient uniquement sur l’exercice par ce dernier ou par l’intimée d’un contrôle sur le transfert des actions de PWA, alors qu’elle ne contestait aucunement l’exercice par l’un ou l’autre d’un contrôle sur l’exploitation du service aérien. Voici le texte du par. 4 de la réponse de l’appelante à l’intervention du gouvernement de la Colombie-Britannique:

[TRADUCTION] (4) En réponse aux allégations ou prétentions exposées aux paragraphes 3, 4, 6 et 9 en particulier, Sa Majesté soutient en outre qu’on ne peut déduire, et cela n’a pas été fait, que suite à l’acquisition projetée, Pacific Western Airlines, Ltd. ne sera plus en mesure de fournir un service aérien dans sa région conforme aux exigences relatives à la commodité et à la nécessité publique ni de desservir les itinéraires existants ni d’exploiter de nouveaux itinéraires de façon économique et efficace, et ce, dans les meilleurs intérêts des usagers des services aériens de la région.

La question soumise par l’intimée et le jugement de cette Cour devraient se limiter à cet aspect du problème qui, à mon avis, ne porte pas sur le contrôle de l’utilisation d’aéronefs dans les limites ou au-dessus du Canada, moyennant paiement ou

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rémunération; je pense également qu’en l’espèce, cette Cour n’a pas à trancher la question de savoir si le Comité des transports aériens, ou l’intimée, peut contrôler l’utilisation d’aéronefs par PWA, qu’elle soit ou non la propriété exclusive du gouvernement de l’Alberta. D’ailleurs, les autres dispositions du Règlement sur les transporteurs aériens confirment mon point de vue. Elles traitent en grande partie des transporteurs aériens et dans le Règlement l’expression «transporteurs aériens» désigne «toute personne qui exploite un service aérien commercial». Cependant l’art. 19 du Règlement vise seulement le contrôle d’un service aérien commercial et non d’un transporteur aérien. A mon sens, il vise les questions de changements d’itinéraires, d’horaires, de politiques d’exploitation et autres, qui sont directement liées à l’exploitation du service aérien commercial et non à l’identité des actionnaires d’une compagnie aérienne qui exploite un service aérien commercial.

Donner à l’art. 19 l’interprétation avancée par l’intimée aurait de lourdes conséquences sur la possession d’actions des compagnies et les opérations portant sur ces actions. PWA est une compagnie publique. Ses actions peuvent donc être librement échangées sur le marché, qu’elles soient ou non cotées en bourse. Les actions d’un très grand nombre de transporteurs aériens font l’objet d’opérations semblables. Il serait impossible de déterminer si une transaction donnée, portant sur les actions d’un transporteur aérien, aurait quelque effet sur le contrôle de ce transporteur aérien, sans parler du service aérien commercial qu’il exploite. On dit souvent qu’on peut contrôler une compagnie avec un nombre d’actions bien inférieur à la majorité des actions émises et un actionnaire détenant X milliers d’actions d’un transporteur aérien particulier ne peut déterminer avec certitude si l’achat d’un autre millier d’actions, ou d’une seule action supplémentaire, lui donnera le contrôle de la compagnie. Le règlement ne peut avoir pour but d’exiger que tout transfert d’actions d’une compagnie publique qui exploite un service de transport aérien, fasse au préalable l’objet d’une demande d’approbation à l’intimée.

On peut essayer d’imaginer le nombre de demandes qui auraient ainsi dû être présentées

[Page 83]

cette année compte tenu du nombre de compagnies publiques qui exploitent un service de transport aérien au Canada.

Je suis donc d’avis que les art. 19 et 20 du Règlement sur les transporteurs aériens ne s’appliquent pas en l’espèce et qu’en conséquence, la question soumise par l’appelante à la Cour d’appel fédérale doit recevoir une réponse négative. Compte tenu de cette conclusion, j’estime qu’il n’est ni nécessaire ni souhaitable de me prononcer, dans ce jugement, sur la question de savoir si l’appelante, Sa Majesté la Reine du chef de la province de l’Alberta, est assujettie aux art. 19 et 20. Cette question sera éventuellement soulevée dans un autre litige et devra alors être tranchée.

Quant aux dépens, je constate que l’ordonnance de la Cour d’appel fédérale en date du 19 février 1976 répond seulement à la question posée et ne prévoit rien quant à l’adjudication des dépens. Les motifs du juge Heald sont au même effet. L’ordonnance de cette Cour, prononcée le 27 avril 1976, prévoit que les dépens suivront l’issue de la cause. Le factum de l’appelante est muet sur cette question.

Je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’accorder des dépens.

Pourvoi accueilli sans dépens.

Procureurs de l’appelante: Jones, Black & Company, Calgary.

Procureur de l’intimée: D.S. Thorson, Ottawa.

[1] [1976] 2 C.F. 52, sub nom. In re Pacific Western Airlines Ltd.

[2] [1947] A.C. 58.

[3] [1933] A.C. 533.

[4] [1967] R.C.S. 262.

[5] (1918), 56 R.C.S. 176.

[6] [1924] A.C. 222.

[7] [1926] A.C.715.

[8] [1968] R.C.S. 118.

[9] [1949] R.C.S. 510.

[10] [1967] R.C.S. 262.

[11] [1932] A.C. 514.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta
Défendeurs : Commission canadienne des transports

Références :
Proposition de citation de la décision: Sa Majesté du chef de la province de l’Alberta c. Commission canadienne des transports, [1978] 1 R.C.S. 61 (22 février 1977)


Origine de la décision
Date de la décision : 22/02/1977
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1978] 1 R.C.S. 61 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1977-02-22;.1978..1.r.c.s..61 ?
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