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20/12/1976 | CANADA | N°[1977]_2_R.C.S._793

Canada | Montreal Trust Co. et al. c. Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Ltée, [1977] 2 R.C.S. 793 (20 décembre 1976)


Cour suprême du Canada

Montreal Trust Co. et al. c. Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Ltée, [1977] 2 R.C.S. 793

Date: 1976-12-20

La compagnie Montreal Trust, Robert Jack Stampleman et Arthur Howard Stampleman ès quai, et autres (Demandeurs) Appelants;

et

Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Ltée (Défenderesse) Intimée;

et

Dora Eileen Hallam et autres Intervenants.

1976: les 10 et 11 juin; 1976: le 20 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon et Dickson.

EN

APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Cour suprême du Canada

Montreal Trust Co. et al. c. Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Ltée, [1977] 2 R.C.S. 793

Date: 1976-12-20

La compagnie Montreal Trust, Robert Jack Stampleman et Arthur Howard Stampleman ès quai, et autres (Demandeurs) Appelants;

et

Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Ltée (Défenderesse) Intimée;

et

Dora Eileen Hallam et autres Intervenants.

1976: les 10 et 11 juin; 1976: le 20 décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC


Synthèse
Référence neutre : [1977] 2 R.C.S. 793 ?
Date de la décision : 20/12/1976
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Droit aérien - Décès d’un passager et perte de bagages - Clause de limitation de responsabilité du transporteur - Avis non conforme aux exigences du protocole de la Haye - Loi sur le transport aérien, S.R.C. 1970, c. C-14, annexe 1 (Convention de Varsovie), art. 3, 4 et annexe III (Protocole de la Haye), art. 3(1)c), 3(2), 4(1)c), 22.

A la suite du décès de Joseph Irving Stampleman dans l’écrasement au sol d’un avion des Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Limitée, à l’aéroport international de Tokyo et de la perte ou destruction de ses bagages, les appelants, l’exécuteur testamentaire et les deux fils de Stampleman avaient intenté une action en dommages-intérêts. Il est reconnu que ce sont les dispositions du Protocole de la Haye qui régissent les droits et obligations des parties puisque le voyage aller-retour commençait et se terminait au Canada. La Cour supérieure a statué que le transporteur n’était pas fondé à limiter sa responsabilité en cas de décès ou de perte de bagages. La Cour d’appel a infirmé ce jugement concluant que le billet contenait l’avis exigé par les art. 3 et 4 du Protocole et qu’il était raisonnablement lisible et compréhensible. Les appelants soumettent donc à la Cour la question de droit suivante: la défenderesse était-elle fondée à se prévaloir des dispositions de l’art. 22 du Protocole de la Haye qui limite sa responsabilité en cas de décès ou de perte de bagages?

Arrêt (les juges Judson, Martland et Pigeon étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.

[Page 794]

Le juge en chef Laskin et les juges Ritchie, Spence et Dickson: La Cour d’appel n’était pas justifiée à appliquer au Protocole de la Haye l’interprétation qu’elle avait donnée aux art. 3 et 4 de la Convention de Varsovie dans l’arrêt Ludecke c. Canadian Pacific Airlines Limited, [1974] C.A. 363. Dans la mesure où elles concernent la limitation de responsabilité du transporteur, les modifications de la Haye sont importantes. La Convention exigeait seulement l’inscription sur le billet d’une «indication» à cet égard tandis que le Protocole stipule que cette indication doit prendre la forme d’un «avis». De plus, en l’absence d’un tel «avis», le transporteur ne peut se prévaloir des dispositions limitatives en cas de décès ou de perte de bagages, alors que la Convention ne prévoyait pas de telles sanctions en cas de décès, sauf si aucun billet de passage n’avait été remis à l’auteur de la réclamation.

La limitation de responsabilité du transporteur doit s’interpréter restrictivement et elle ne peut être invoquée que si on s’est conformé aux exigences de la loi. La Cour d’appel a statué dans l’arrêt Ludecke que l’exigence d’une «indication», tel que requise par l’art 3(2) de la Convention, était satisfaite même si elle était imprimée en caractères de quatre points et demi et qu’elle était présentée de façon à ne pas attirer l’attention. Le Protocole de la Haye a complètement modifié cet article en obligeant le transporteur à inscrire sur le billet de passage un «avis» dont le texte lui est expressément fourni. Il s’agit donc de deux exigences distinctes. La reproduction en caractères de quatre points et demi du texte dont l’art. 3.(1)c) du Protocole exige l’inclusion n’est pas un «avis» au sens de cet article. Par conséquent, le transporteur n’était pas fondé à se prévaloir des dispositions limitatives de responsabilité.

Les juges Judson, Martland et Pigeon dissidents: La Cour d’appel était justifiée de rejeter l’action car le billet était conforme aux exigences de la Convention de Varsovie, modifiée par le Protocole de la Haye et l’avis qu’il contenait était raisonnablement lisible et compréhensible.

Distinction faite avec l’arrêt: Ludecke c. Canadian Pacific Airlines Limited, [1974] C.A. 363; 53 D.L.R. (3d) 636; arrêts mentionnés: Mertens v. Flying Tiger Line Inc. (1965), 341 Fed. Rep. (2d) 851; Lisi v. Alitalia-Linee Aeree Italiene (1966), 370 Fed. Rep. (2d) 508.

[Page 795]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec infirmant le jugement du juge Challies de la Cour supérieure. Pourvoi accueilli.

Peter Lack, pour les appelants.

W.S. Tyndaken, c.r., et Alastair Paterson, c.r., pour l’intimée.

D.H. Jack, pour l’intervenante Dora Hallam.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Ritchie, Spence et Dickson a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de la province de Québec accueillant un appel d’un jugement rendu en première instance par le juge en chef adjoint Challies, et portant que la Compagnie Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Limitée était fondée à limiter sa responsabilité conformément aux dispositions de l’art. 22 de la première annexe à la Loi modifiant la Loi sur le transport aérien (Protocole de la Haye), 1963 (Can.) c. 33, relativement au décès de Irving Joseph Stampleman et à la perte de ses bagages à la suite de l’écrasement d’un des avions de l’intimée, à Tokyo, le 4 mars 1966.

Les appelants sont l’exécuteur testamentaire et les deux fils de feu Stampleman. Ils ont intenté cette action par bref d’assignation et déclaration en date du 24 février 1967 et ont demandé à la Cour de trancher la question de droit suivante, conformément à un exposé conjoint du droit et des faits déposé en conformité de l’art. 448 du Code de procédure civile:

Question de droit

[TRADUCTION] NOUS saisissons uniquement la Cour de la question de droit suivante: compte tenu des faits précités et de la teneur des pièces faisant partie desdits faits, la défenderesse est-elle fondée à se prévaloir des dispositions de l’art. 22 de la première annexe à la «Loi modifiant la Loi sur le transport aérien (Protocole de la Haye)», qui limite sa responsabilité à l’égard des demandeurs, relativement au montant des

[Page 796]

dommages-intérêts payables par elle à ces derniers à la suite du décès de Joseph Irving Stampleman dans l’écrasement au sol d’un de ses avions, à l’aéroport international de Tokyo (Japon), le 4 mars 1966, et de la perte ou de la destruction des bagages enregistrés de feu M. Stampleman?

Les droits et obligations des parties sont régis par la Loi sur le transport aérien, S.R.C. 1970, c. C-14 qui incorpore dans le droit canadien le texte français de la Convention de Varsovie modifiée à la Haye en 1955 (ci-après appelé «Protocole de la Haye»).

Au moment de l’accident, Joseph Stampleman était muni d’un billet délivré par Air Canada pour son propre compte et pour celui des transporteurs successifs, y compris l’intimée. Le billet servait à la fois de billet de passage et de bulletin de bagages pour le voyage projeté de M. Stampleman, de Montréal à Tokyo, via Vancouver et Hong Kong, et retour. A l’époque en question, le Canada était l’une des hautes parties contractantes du Protocole de la Haye, ce qui n’était pas le cas du Royaume-Uni ni du Japon. Il est reconnu que les dispositions du Protocole s’appliquent en l’espèce parce que le voyage aller-retour commençait et se terminait au Canada.

Le billet de passage et le bulletin de bagages en question sont joints à titre de pièces à l’exposé conjoint des faits et leur teneur est bien décrite dans l’extrait suivant des motifs du juge Challies:

[TRADUCTION] Au haut du billet de passage et bulletin de bagages, soit les pièces P-1 et P-2 (billet n° 014491120008), délivré au de cujus par Air Canada, on trouve la clause suivante «Soumis aux Conditions de Transport (Page 5)», qui se lit à l’œil nu, et au bas du billet en caractères de quatre points et demi, le renvoi suivant: «la Convention de Varsovie peut être applicable si le voyage du passager comporte une destination finale ou une escale dans un autre pays que le pays de départ. La Convention de Varsovie régit et, dans la plupart des cas, limite la responsabilité du transporteur en cas de

[Page 797]

mort ou de lésions corporelles, ainsi qu’en cas de perte ou d’avarie de bagages».

Moins d’un mois avant de prononcer son jugement dans la présente affaire (c.-à-d. le 31 décembre 1971), le juge en chef adjoint Challies avait statué dans l’affaire Ludecke c. Canadian Pacific Airlines Limited, C.S.M. 746 832, en Cour supérieure. Cette affaire faisait suite au décès d’un voyageur dans le même accident que celui où a péri Stampleman et la question de droit posée d’un commun accord, en vertu de l’art. 448 du Code de procédure civile, était similaire à tous égards à celle posée dans la présente affaire, sauf que dans l’affaire Ludecke, la question portait sur le droit de la défenderesse de limiter sa responsabilité conformément aux dispositions de la Convention de Varsovie, alors que la présente question vise les droits en vertu du Protocole de la Haye modifiant cette Convention.

Dans l’affaire Ludecke, le juge en chef adjoint Challies a statué que la mention, dans le billet de passage, que «le transport est soumis aux règles et limitations de responsabilité édictées par la Convention», imprimée en caractères de quatre points et demi, n’était pas une «indication» au sens de l’art. 4 de la Convention et que le transporteur n’était donc pas fondé à limiter sa responsabilité relative aux bagages, mais qu’il était couvert par la disposition limitative de responsabilité en cas de décès, en raison du libellé de l’Art. 3 de la Convention.

Dans la même affaire, le juge d’appel Casey, porte-parole de la Cour d’appel[1], a statué que les «indications» en caractères de quatre points et demi figurant sur le billet étaient raisonnablement lisibles et conformes aux exigences des art. 3 et 4 de la Convention, et que le transporteur était fondé à limiter sa responsabilité en cas de perte de bagages et de décès.

Ce jugement n’a été prononcé que le 23 décembre 1974. Entre-temps (c.-à-d. le 31 décembre

[Page 798]

1971) le juge en chef adjoint Challies a rendu dans la présente affaire le jugement de la Cour supérieure. Il y note la différence entre la rédaction des Art. 3 et 4 de la Convention, qui régissent l’affaire Ludecke, et celle des articles modifiés par le Protocole de la Haye, qui s’appliquent en l’espèce. Il déclare toutefois que [TRADUCTION] «pour les motifs donnés par le soussigné dans Ludecke v. C.P.A.», le transporteur n’est pas fondé à limiter sa responsabilité en cas de mort ou de perte de bagages.

Le juge Casey a infirmé ce jugement. Parlant au nom de la Cour d’appel, il a conclu par les remarques suivantes sur le Protocole de la Haye:

[TRADUCTION] Deux questions seulement se posent — le billet contenait-il l’avis exigé par les art. 3.1c) et 4.1c) et cet avis était-il raisonnablement lisible et compréhensible? Comme dans l’affaire Ludecke, ma réponse à ces deux questions est affirmative et, pour cette raison, je suis d’avis de faire droit à l’appel.

A mon avis, la réponse à la question soulevée par le présent pourvoi sera affirmative ou négative selon que la Cour d’appel est ou non justifiée à se fonder sur sa propre interprétation des art. 3 et 4 de la Convention pour trancher une affaire où s’appliquent ces mêmes articles, mais modifiés par le Protocole de la Haye. Pour trancher cette question, il y a lieu d’examiner le texte de ces articles, que voici:

CONVENTION DE VARSOVIE

PROTOCOLE DE LA HAYE

Article 3

Article 3

(1) Dans le transport de voyageurs, le transporteur est tenu de délivrer un billet de passage qui doit contenir les mentions suivantes:

(1) Dans le transport de passagers, un billet de passage doit être délivré, contenant:

e) l’indication que le transport est soumis au régime de la responsabilité établi par la présente Convention.

c) un avis indiquant que si les passagers entreprennent un voyage comportant une destination finale ou une escale dans un pays autre que le pays de départ, leur

[Page 799]

(2) L’absence, l’irrégularité ou la perte du billet n’affecte ni l’existence, ni la validité du contrat de transport, qui n’en sera pas moins soumis aux règles de la présente Convention. Toutefois si le transporteur accepte le voyageur sans qu’il ait été délivré un billet de passage, il n’aura pas le droit de se prévaloir des dispositions de cette Convention qui excluent ou limitent sa responsabilité.

transport peut être régi par la Convention de Varsovie qui, en général, limite la responsabilité du transporteur en cas de mort ou de lésion corporelle, ainsi qu’en cas de perte ou d’avarie des bagages.

(2) Le billet de passage fait foi, jusqu’à preuve contraire, de la conclusion et des conditions du contrat de transport. L’absence, l’irrégularité ou la perte du billet n’affecte ni l’existence ni la validité du contrat de transport, qui n’en sera pas moins soumis aux règles de la présente Convention. Toutefois, si, du consentement du transporteur, le passager s’embarque sans qu’un billet de passage ait été délivré, ou si le billet ne comporte pas l’avis prescrit à l’alinéa 1c) du présent article, le transporteur n’aura pas le droit de se prévaloir des dispositions de l’article 22.

Article 4

(1) Dans le transport de bagages, autres que les menus objets personnels dont le voyageur conserve la garde, le transporteur est tenu de délivrer un bulletin de bagages.

(3) Il doit contenir les mentions suivantes:

h) l’indication que le transport est soumis au régime de la responsabilité établi par la présente Convention.

(4) L’absence, l’irrégularité ou la perte du bulletin n’affecte ni l’existence, ni la validité du contrat de transport qui n’en sera pas moins soumis aux règles de la présente Convention. Toutefois si le transporteur accepte les bagages sans qu’il ait été délivré un bulletin ou si le bulletin ne contient pas les mentions indiquées sous les lettres d), f), h), le transporteur n’aura pas le droit de se pré-

Article 4 (extraits pertinents):

(1) Dans le transport de bagages enregistrés, un bulletin de bagages doit être délivré qui, s’il n’est pas combiné avec un billet de passage conforme aux dispositions de l’article 3, alinéa 1er, ou n’est pas inclus dans un tel billet, doit contenir:…

c) un avis indiquant que, si le transport comporte une destination finale ou une

[Page 800]

valoir des dispositions de cette Convention qui excluent ou limitent sa responsabilité.

escale dans un pays autre que le pays de départ, il peut être régi par la Convention de Varsovie qui, en général, limite la responsabilité du transporteur en cas de perte ou d’avarie des bagages.

(C’est moi qui souligne).

Dans la mesure où elles ont trait à la présente affaire, les modifications de la Haye sont importantes: (1) la Convention, qui établit la limitation de la responsabilité du transporteur, exige seulement l’inclusion dans le billet d’une «indication» à cet égard alors qu’aux termes de la modification, cette indication doit prendre la forme d’un «avis»; (2) la modification porte qu’en l’absence d’un «avis», le transporteur n’a pas le droit de se prévaloir des dispositions limitatives en cas de décès ou de perte de bagages, alors que la Convention ne prévoit pas de telles sanctions pour les réclamations faisant suite à un décès, sauf dans le cas où aucun billet de passage n’a été délivré à l’auteur de la réclamation.

Dans l’arrêt Ludecke, pour arriver à la conclusion que la compagnie ne pouvait pas limiter sa responsabilité en cas de perte de bagages, le juge Challies s’est fortement appuyé sur plusieurs arrêts américains où il a été décidé que «l’indication» dans le billet, exigée par la Convention, devait y figurer sous une forme telle que le voyageur ait [TRADUCTION] «une occasion raisonnable de prendre les mesures nécessaires pour se protéger» des effets de la limitation de ses droits au profit du transporteur, prévue par l’art. 22.

Le juge Challies cite, en les approuvant, les arrêts Mertens v. Flying Tiger Line Inc.[2] et Lisi v. Alitalia-Linee Aeree Italiene[3]. Dans cette dernière affaire, le juge de district McMahon, qui parlait d’un billet contenant «l’indication» exigée, imprimée dans les mêmes caractères qu’en l’espèce, la

[Page 801]

décrivait comme [TRADUCTION] «pratiquement invisible» et «imprimée en caractères minuscules, sans rien pour attirer l’attention, comme par exemple des caractères gras ou une couleur contrastante».

Le juge Casey a refusé de suivre la jurisprudence américaine et a fait droit à l’appel dans l’affaire Ludecke. Il a déclaré ce qui suit:

[TRADUCTION] Je ne peux admettre que les décisions citées par l’appelante nous imposent les normes selon lesquelles il faut juger la lisibilité de «l’indication». Selon moi, sur cette question de fait, la Convention devrait énoncer ses propres critères. Comme elle ne le fait pas, je ne vois pas pourquoi il faudrait traiter cette affaire de façon différente de celles dont est saisie la Cour. Partant de ce principe et après avoir examiné les documents pertinents, je conclus que le transporteur a fait imprimer ces «indications» en caractères raisonnablement lisibles.

Il faut bien comprendre que la limitation de la responsabilité du transporteur prévue à l’art. 22 de la Convention, tant dans son texte original que dans sa forme modifiée, constitue un empiétement sur les droits du voyageur. A ce titre, elle doit s’interpréter strictement et ne peut être invoquée que si l’on s’est scrupuleusement conformé aux exigences de l’article.

L’effet du par. (2) de l’art. 3 de la Convention était de permettre aux transporteurs de limiter leur responsabilité envers les voyageurs en émettant simplement un billet où figurait «l’indication que le transport [était] soumis au régime de la responsabilité établi par la Convention» et la Cour d’appel a statué dans l’arrêt Ludecke que cette exigence était satisfaite même si «l’indication» était placée de façon à ne pas attirer l’attention et imprimée en caractères de quatre points et demi. Le Protocole de la Haye en 1955 a totalement changé le par. (2) de l’art. 3, en remplaçant l’exigence d’une simple «indication» par des dispositions plus complètes. Aux termes du nouvel al. c) du par. (1) de l’art. 3, le transporteur est tenu d’insérer un «avis» dont le texte lui est expressément fourni.

Je ne pense pas qu’on puisse supposer que les rédacteurs du Protocole de la Haye ont apporté ces modifications importantes à l’art. 3 sans d’abord

[Page 802]

peser avec soin les mots qu’ils employaient et je ne puis admettre que la substitution du mot «avis» au mot «indication» aux art. 3 et 4 soit dénuée de sens ou inutile. En cas de problème d’interprétation, c’est le texte français du Protocole qui fait foi et l’on a prétendu que le mot «avis» a un sens plus fort que le mot «notice». Toutefois je ne fonde pas ma conclusion sur cet argument, car je suis convaincu que les expressions «a notice» et «un avis» désignent une mention présentée de manière à attirer l’attention.

Comme je l’ai signalé, M. le juge Casey, dans ses motifs de jugement dans Ludecke, s’est dit d’avis que [TRADUCTION] «sur cette question de fait [la lisibilité de l’indication], la Convention devrait énoncer ses propres critères» et il s’est dit d’avis qu’elle ne le fait pas. S’il avait examiné l’al. c) du par. (1) de l’art. 3 du Protocole, le savant juge serait peut-être arrivé à une conclusion différente, car il me semble que l’article énonce effectivement ses propres critères, à savoir, que l’indication doit prendre la forme d’un «avis». En admettant que les caractères de quatre points et demi dans lesquels est reproduit l’avis exigé au bas de la première page du billet sont raisonnablement lisibles, on ne peut dire, à mon avis, qu’ils attirent l’attention et se distinguent du reste du texte imprimé dans ces mêmes caractères. Pour une réclamation faisant suite à un décès, le par. (1) de l’art. 3 de la Convention, comme je l’ai dit, exige seulement une «indication» et cet article prévoit en outre que l’absence de cette «indication» n’empêche pas le transporteur de limiter sa responsabilité, dès lors qu’un billet a été «délivré». L’article modifié figurant au Protocole exige non seulement un «avis», mais prévoit aussi qu’en l’absence de cet «avis», le transporteur ne peut se prévaloir des dispositions de l’art. 22. L’«avis» requis par le Protocole et l’indication requise par la Convention sont donc deux exigences distinctes dont l’effet est radicalement différent et, avec égards, je suis d’avis que la Cour d’appel s’est trompée en appliquant à l’interprétation du Protocole dans la présente affaire, l’argumentation qui avait été employée dans l’arrêt Ludecke pour interpréter la Convention.

[Page 803]

Comme je l’ai indiqué, je suis d’avis que la reproduction en caractères de quatre points et demi du texte dont l’al. c) du par. (1) de l’art. 3 du Protocole exige l’inclusion n’est pas un «avis» au sens de cet article et que, en conséquence, le transporteur n’est pas fondé à se prévaloir des dispositions de l’art. 22.

Pour tous ces motifs, je suis d’avis de faire droit au pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de répondre par la négative à la question qu’on nous a demandé de trancher de sorte que l’intimée n’a pas le droit de se prévaloir des dispositions de l’art. 22 de la première annexe au Protocole de la Haye pour limiter sa responsabilité envers les appelants quant au montant des dommages-intérêts payables par suite du décès de Joseph Irving Stampleman à l’aéroport international de Tokyo, le 4 mars 1966, et par suite de la perte ou de la destruction des bagages enregistrés dudit M. Stampleman, dont le bulletin de bagages faisait partie de son billet.

Les appelants ont droit à leurs dépens dans cette Cour et en Cour d’appel.

Le jugement des juges Martland, Judson et Pigeon a été rendu par

LE JUGE JUDSON (dissident) — La Cour d’appel du Québec a exposé les questions soulevées dans le présent pourvoi en termes clairs et simples. En premier lieu, le billet délivré au voyageur était-il conforme aux exigences de la Convention de Varsovie, modifiée par le Protocole de la Haye, de façon à limiter la responsabilité du transporteur? En second lieu, cet avis était-il raisonnablement lisible et compréhensible? La Cour d’appel du Québec a répondu par l’affirmative à ces deux questions, elle a fait droit à l’appel et a rejeté l’action.

Je suis entièrement d’accord avec les motifs de jugement de la Cour d’appel du Québec et je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur des appelants: David M. Lack, Montréal.

[Page 804]

Procureurs de l’intimée: Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Montgomery, Renault, Clarke & Kirkpatrick, Montréal.

Procureurs de l’intervenante Dora Eileen Hallam: Fraser & Beatty, Toronto.

[1] [1974] C.A. 363, 53 D.L.R. (3d) 636.

[2] (1965), 341 Fed. Rep. (2d) 851.

[3] (1966), 370 Fed. Rep. (2d) 508.


Parties
Demandeurs : Montreal Trust Co. et al.
Défendeurs : Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Ltée
Proposition de citation de la décision: Montreal Trust Co. et al. c. Lignes Aériennes Canadien Pacifique, Ltée, [1977] 2 R.C.S. 793 (20 décembre 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-12-20;.1977..2.r.c.s..793 ?
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