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01/04/1976 | CANADA | N°[1977]_2_R.C.S._342

Canada | Paré c. Bonin, [1977] 2 R.C.S. 342 (1 avril 1976)


Cour suprême du Canada

Paré c. Bonin, [1977] 2 R.C.S. 342

Date: 1976-04-01

Roger Paré Appelant;

et

Dame Carole Bonin Intimée.

1975: le 9 mai; 1976: le 1er avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

Cour suprême du Canada

Paré c. Bonin, [1977] 2 R.C.S. 342

Date: 1976-04-01

Roger Paré Appelant;

et

Dame Carole Bonin Intimée.

1975: le 9 mai; 1976: le 1er avril.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit matrimonial - Annulation de mariage - Absence de consentement - Mariage putatif - Nullité du contrat de mariage - Maintien des avantages civils - Code civil, art. 116, 139, 141, 142, 163, 164, 2202.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

L’appelant et l’intimée se sont mariés le 30 juillet 1966. Au préalable, le 18 juin, les parties avaient adopté par contrat de mariage le régime de la séparation de biens. Dans ce contrat, le futur époux conférait certains avantages à la future épouse. Le 24 novembre 1970, la Cour supérieure a accueilli l’action en annulation de mariage de l’appelant, ayant été établi que l’intimée souffrait, à l’époque du mariage, de schizophrénie paranoïde et ne pouvait donner de consentement valable. Le tribunal a cependant refusé d’annuler le contrat de mariage et de déclarer que l’intimée était déchue des avantages que lui conférait ce contrat; il n’a pas non plus adjugé sur la conclusion demandant que l’intimée soit déclarée déchue de tous les avantages civils du mariage. La Cour d’appel a modifié le jugement de la Cour supérieure en déclarant nul le contrat de mariage, mais elle a refusé expressément de déclarer l’intimée déchue des avantages civils du mariage. L’appelant se pourvoit devant cette Cour contre cette dernière partie de l’arrêt et demande que l’intimée soit déclarée déchue des effets civils.

Arrêt: Le pourvoi doit être rejeté.

A l’appui de sa prétention, l’appelant invoque trois moyens: (1) le mariage n’est pas seulement nul de nullité absolue, il est, faute de consentement, inexistant vu l’art. 116 C.c. et il ne saurait par conséquent produire d’effets civils; (2) le mariage n’a pas été contracté comme l’exige l’art. 163 C.c.; (3) l’intimée n’était pas de bonne foi lors de la célébration.

Que l’on accepte ou rejette les distinctions entre un mariage inexistant et un mariage nul, il s’agit de déterminer si, en l’espèce, la loi a voulu faire produire des effets au mariage nul pour défaut de consentement. Le législateur n’a pas établi de régime particulier pour

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pareille nullité et il a expressément prévu le cas du mariage d’un dément aux art. 139, 141 et 142 C.c. au chapitre des oppositions au mariage. Cette apparance de mariage devant être détruite par une déclaration de nullité, les dispositions générales des art. 163 et 164 C.c. s’appliquent à tout ce qui concerne les effets civils. Ces dispositions ne distinguent pas entre les causes de nullité mais elles visent les nullités qu’il faut faire déclarer par jugement. En l’espèce, la nullité du mariage célébré en conformité de la loi ne pouvait sûrement pas se produire par l’opération de la loi: il fallait l’intervention du juge comme le prévoit l’art. 163.

Comme deuxième moyen, l’appelant soutient que le mariage n’a pu avoir été «contracté de bonne foi» comme le prévoit l’art. 163, étant donné qu’en l’absence de consentement, il n’y a jamais eu de contrat. Il ne faut pas donner à l’expression «contracté» son sens le plus rigoureux car si les parties ont valablement contracté un mariage, ce dernier ne peut être déclaré nul. Le but de la proposition n’est pas d’exiger un contrat, mais plutôt une apparence de mariage et aussi de requérir que les parties aient été de bonne foi au moment du mariage. L’emploi du mot «contracté» dans l’article a une portée juridique mais non pas celle que l’appelant suggère.

Quant au troisième moyen, il se fonde sur le fait que l’intimée, en raison de son état, était incapable d’être de bonne foi puisque les notions de bonne et de mauvaise foi présupposent le discernement. Toutefois, s’il faut être capable de discernement pour être de mauvaise foi, il en est tout autrement pour agir de bonne foi, lorsque celle-ci est définie comme l’ignorance de la cause d’invalidité de l’acte. Ce que le législateur veut aux art. 163 et 164 C.c., c’est qu’il n’y ait pas de mauvaise foi. Et même s’il n’y a pas unanimité de la doctrine et de la jurisprudence sur l’opportunité d’appliquer en matière de mariage la présomption de l’art. 2202 C.c., la seule preuve de l’incapacité de donner un consentement valable ne suffit pas à écarter l’application de la présomption de bonne foi quand il s’agit d’un mariage putatif. Statuer autrement aurait pour conséquence de refuser les effets civils du mariage dans tous les cas où la démence d’un conjoint est ignorée de l’autre au moment de la célébration du mariage. Il ne faut pas interpréter des dispositions d’équité de manière à priver la partie la plus faible de la protection qu’elles étendent à tous ceux qui n’ont pas voulu violer la loi. Ce troisième moyen de l’appelant, comme les deux autres, est aussi mal fondé.

Arrêts mentionnés: Ahmed-ben-Youssef c. Aïchabent- Mahomed- ben- Mustapha, DP. 1880.2.161; Decaudin c. Bayle, Gaz. Pal. 1937.2.598; Ettouhami ben Ali el Hamrouni c. Dame Assia bent Sadok ben Amor Boulila, D. 1957.1.557; Berthiaume v. Dastous, [1930]

[Page 344]

A.C. 79; Stephens c. Falchi, [1938] R.C.S. 354; Richard c. Levasseur, [1957] C.S. 323; Darche c. Byron, [1946] C.S. 123; M. c. P., [1966] C.S. 475; Bergeron c. Proulx, [1967] C.S. 579; L. c. L., [1968] C.S. 480.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec[1] qui a modifié un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi rejeté.

Claude Dugas, c.r., pour l’appelant.

C. Trudel et C. Landreville, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE BEETZ — Il s’agit de décider si un mariage déclaré nul à cause de la démence de l’une des parties lors de la célébration produit en sa faveur les effets civils d’un mariage putatif.

Le 30 juillet 1966, en l’église de la Paroisse Ste-Thérèse de l’Enfant Jésus à Joliette, est célébré le mariage de l’appelant et de l’intimée. Au préalable, le 18 juin, les parties ont adopté par contrat de mariage le régime de la séparation de biens; dans ce contrat, le futur époux confère certains avantages à la future épouse.

En octobre 1969, l’appelant intente à l’intimée une action par laquelle il demande que le mariage soit déclaré nul à toutes fins que de droit, de même que le contrat de mariage; il demande également que l’intimée soit déclarée déchue de tous les avantages civils du mariage.

L’action est contestée par l’intimée qui en demande simplement de rejet.

Le 24 novembre 1970, la Cour supérieure accueille l’action: l’intimée souffrait, à l’époque du mariage, de schizophrénie paranoïde et ne pouvait donner de consentement valable; le mariage est donc nul, vu l’art. 116 C.c.; considérant par contre que l’intimée, n’étant pas saine d’esprit, n’était pas de mauvaise foi, — ni l’une ni l’autre des parties n’étant d’ailleurs de mauvaise foi, — le tribunal refuse expressément de déclarer l’intimée déchue des avantages que lui confère le contrat de mariage du 18 juin 1966; le tribunal n’adjuge pas sur la conclusion demandant que l’intimée soit

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déclarée déchue de tous les avantages civils du mariage.

L’appelant interjette appel et demande à la Cour d’appel du Québec de modifier le jugement de la Cour supérieure en déclarant nul le contrat de mariage du 18 juin 1966, et en déclarant l’intimée déchue des avantages civils du mariage. L’intimée se contente de contester l’appel.

La Cour d’appel accueille en partie l’appel et déclare nul le contrat de mariage à cause d’une déficience qui lui est propre, le défaut de consentement de l’intimée; mais elle refuse expressément de déclarer l’intimée déchue des avantages civils du mariage; la seule raison pour laquelle elle ne croit pas pouvoir les accorder affirmativement tient à ce que l’intimée n’a pas pris de conclusion dans ce sens.

C’est contre cet arrêt que l’appelant se pourvoit: il demande que l’intimée soit déclarée déchue des effets civils. L’intimée demande uniquement le rejet du pourvoi.

Les dispositions pertinentes du Code civil se lisent comme suit:

Art. 116. Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a pas de consentement.

Art. 163. Le mariage qui a été déclaré nul produit néanmoins les effets civils, tant à l’égard des époux qu’à l’égard des enfants, lorsqu’il est contracté de bonne foi.

Art. 164. Si la bonne foi n’existe que de la part de l’un des époux, le mariage ne produit les effets civils qu’en faveur de cet époux et des enfants nés du mariage.

Art. 2202. La bonne foi se présume toujours. C’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver.

Le premier moyen de l’appelant c’est que son mariage n’est pas seulement nul de nullité absolue: faute de consentement, il est inexistant vu l’art. 116 C.c., et il ne saurait par conséquent produire d’effets civils. Le deuxième moyen, c’est que le mariage n’a pas été contracté comme l’exige l’art.

[Page 346]

163 C.c. Le troisième, c’est que l’intimée n’était pas de bonne foi lors de la célébration.

Devant nous, et pour répondre à la Cour d’appel qui assimile le mariage nul pour absence de consentement au mariage nul pour vice de forme, l’appelant a voulu combiner les deux premiers moyens afin de leur donner si c’est possible un effet cumulatif. Sa prétention, c’est que le mariage trouvé nul à cause de l’art. 116 C.c., — article dont on a dit qu’il ne concerne que le mariage du dément, (J. Loranger, Commentaire sur le Code civil, t. 2, n° 70, aux pp. 72 et 73), — constitue un cas unique, distinct des autres cas de mariages nuls, qui ne tombe pas sous le coup des art. 163 et 164 C.c.

Sans oublier cet argument, je traiterai néanmoins des trois moyens parce que leur distinction facilite l’analyse et parce que Sa Cour d’appel attache de l’importance au premier même si l’appelant n’insiste plus sur lui comme sur un moyen autonome.

Le premier moyen

La doctrine française s’est partagée au sujet de la distinction qu’il y aurait lieu de faire entre le mariage radicalement nul et le mariage inexistant, sans parler du mariage relativement nul ou annulable. Certains tiennent que la distinction est fondamentale. (Aubry et Rau, Droit civil français; 4e éd. T.V. nos 450 et ss; K.S. Zachariae, Le droit civil français, t. 1, 1854, aux pp. 199 et ss; F. Laurent, Principes de droit civil français, t. 2, 3e éd., 1878, à la p. 650 n° 515; Baudry-Lacantinerie, Traité théorique et pratique de droit civil, 3e éd., 1908, t. 3, à la p. 502).

On a fait entrer dans la catégorie des mariages inexistants, entre autres, le mariage à la célébration duquel n’a pas présidé un officier public compétent, le mariage contracté par une personne frappée de mort civile, le mariage de deux personnes du même sexe, le mariage auquel au moins l’une des deux parties n’a absolument pas consenti — par opposition au mariage affecté par un consentement simplement vicié. — On a été porté à tirer de la théorie du mariage inexistant, sans toujours distinguer entre les espèces, certaines con-

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séquences comme l’impossibilité qu’un tel mariage puisse produire des effets civils, donnant à penser que, par une nécessité logique, les mêmes conséquences doivent fatalement suivre dans tous les cas de mariages inexistants, le néant ne pouvant produire d’effets.

D’autres auteurs, plus modernes pour la plupart, dont certains reconnaissent jusqu’à un certain point la validité théorique de la distinction entre le mariage nul et le mariage inexistant, y voient cependant des inconvénients pratiques et veulent que l’on traite le mariage inexistant, s’il en est, comme un mariage radicalement nul, capable de produire les effets civils. (V. Marcadé, Explication du Code Napoléon, 6e éd., 1869, t. 1, aux pp. 492 et ss; Beudant, Lerebourg-Pigeonnière et Batifol, Cours de Droit civil français, 2e éd., 1936, t. 2, à la p. 487; Colin et Capitant et Julliot de la Morandière, Traité de droit civil, 1957, t. 1, à la p. 590). Quelques-uns se rallient à la seconde opinion en faisant toutefois exception pour les cas de défaut absolu de célébration ou d’identité incontestable du sexe. (Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, 2e éd., 1952, t. 2, à la p. 205 n° 322). On a même été jusqu’à distinguer, peut-être non sans raison, entre l’acte inexistant qui est un acte avorté et l’absence complète d’acte. (Louis Josserand, Cours de droit civil positif français, 2e éd., 1932, aux pp. 100, 101, 444 et ss).

La Cour d’appel fait une étude de la doctrine et cite la plupart des auteurs auxquels je réfère ce qui me dispense de les citer également puisque son arrêt est publié (supra, renvoi n° 1).

En France, la jurisprudence a manifesté sa préférence pour la deuxième école, qui assimile l’inexistence à la nullité, mais il s’agit surtout de cas où les parties ou l’une d’elles, de bonne foi, n’ont pas respecté les formalités requises par les lois du lieu de la célébration. (Voir par exemple Ahmed-ben-Youssef c. Aïcha-bent-Mahomed-ben-Mustapha[2]; Decaudin c. Bayle[3]; — dans ce dernier arrêt, la Cour reconnaît cependant, en obiter, la notion d’inexistence dans les hypothèses

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où «il n’y a même pas d’apparence de validité telles que celles de l’identité incontestable de sexe ou de défaut absolu de célébration»; — Ettouhami ben Ali el Hamrouni c. Dame Assia bent Sadok ben Amor Boulila[4]; — dans cet arrêt, on donne à un mariage célébré illégalement selon la coutume tunisienne les effets d’un mariage putatif; le consentement de l’épouse, s’il en était, a été exprimé par son père, devant des notaires et non pas devant un officier de l’état civil. — )

Pour le Québec, le Comité judiciaire du Conseil Privé a décidé, comme la jurisprudence française, que l’on doit accorder les effets civils à un mariage dont les parties ont de bonne foi passé outre aux lois du lieu de la célébration en se mariant devant un prêtre et non pas devant un officier de l’état civil: Berthiaume v. Dastous[5]. La Cour d’appel se fonde sur cet arrêt de même que sur la doctrine française plus récente; elle conclut que l’on ne peut distinguer entre deux sortes de nullités radicales considérées par certains comme des cas de mariages inexistants, la nullité qui résulte d’un vice de forme et celle qui provient de l’absence de consentement, et, semble-t-il, que l’on doit aussi rejeter la théorie du mariage inexistant. Comme le Comité judiciaire accorde les effets civils dans un cas, la Cour d’appel les accorderait dans l’autre.

J’arrive aux mêmes conclusions que la Cour d’appel mais par une voie différente.

Poussée jusqu’à ses limites extrêmes dans tous les cas où on l’a mise de l’avant, la théorie du mariage inexistant pourrait avoir les conséquences les plus graves, en droit civil et même en droit pénal; on pourrait par exemple vouloir en quelque sorte se faire justice à soi-même en se dispensant, avant de contracter un nouveau mariage, de faire à tout le moins constater par jugement la lacune du premier. D’autre part, rejeter totalement la théorie du mariage inexistant pourrait vouloir dire que l’on assimile au mariage le concubinage et peut-être d’autres sortes d’unions n’ayant même pas les apparences du mariage. Le professeur Carbonnier démontre que la théorie du mariage inexistant,

[Page 349]

loin d’être inspirée «par une sorte de nécessité rationnelle répondait à des fins très pratiques»: le besoin d’échapper à la règle qui voulait autrefois qu’il n’y ait pas, en matière de mariage, de nullité sans texte, et surtout le souci de protéger en droit interne, sinon en droit international privé, le monopole de l’état civil. J. Carbonnier, Droit civil, 1969, t. 2, aux pp. 111 et 112.

A mon avis, dans une matière aussi diverse et complexe que celle des nullités de mariage, il est délicat de raisonner par analogie comme il est périlleux de faire découler, par voie de syllogisme, toutes les conséquences qui devraient rationnellement suivre la reconnaissance d’une théorie ou d’un postulat unique. La déduction pure est particulièrement inopportune en ce qui concerne le mariage putatif, une institution d’équité, qui apporte un tempérament à la rigueur des nullités et du même coup, met leur logique en échec. Pothier l’avait bien vu:

437. Le cas auquel un mariage, quoique nul, a des effets civils, est lorsque les parties qui l’ont contracté, étaient dans la bonne foi, et avaient une juste cause d’ignorance d’un empêchement dirimant qui le rendait nul.

Comment direz-vous, ce mariage qui est nul, peut-il donner ces droits aux enfants qui en sont nés? car, quod nullum est, nullum producit effectum. La réponse est, que si ce mariage, en tant qu’il est considéré comme nul, ne peut pas les leur donner, la bonne foi des parties qui l’ont contracté, les leur donne, en suppléant à cet égard au vice du mariage…

438. La bonne foi des parties qui ont contracté un mariage nul, donne-t-elle pareillement à ce mariage les effets civils, à l’effet de confirmer entre elles leurs conventions matrimoniales, et de donner à la femme un douaire? Il y a même raison.

On opposera que les conventions matrimoniales dépendent de la condition si nuptiae sequantur, laquelle n’a pas été accomplie, puisqu’on ne peut pas dire qu’elles ont été suivies d’un mariage entre les parties; celui qui a suivi n’étant pas un véritable mariage, puisqu’il est nul. La réponse est, que la bonne foi des parties qui l’ont contracté, supplée à la nullité de ce mariage, et fait regarder la condition comme accomplie, de même qu’elle fait regarder comme légitimes les enfants qui en sont nés. M. Bugnet, Œuvres de Pothier, 1861, t. 6, pp. 197 et 198.

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(Ce texte est cité en partie dans Stephens c. Falchi[6]. L’exemple auquel réfère Pothier dans ce texte est un cas de bigamie: l’épouse d’un soldat, qu’erronément on croyait mort, contracte un nouveau mariage.)

Un mariage nul ne devrait logiquement pas produire d’effets, mais il en produit quand même de par la volonté souveraine de la loi s’il entre dans la catégorie de ceux auxquels elle décide d’en conférer. La loi peut parfaitement, si elle le veut, faire produire des effets à ce qui n’a pas existé ou à ce qui n’existe plus. La seule question est de savoir si elle le veut et dans quels cas elle le veut.

Selon moi, elle le veut dans les cas de mariages contractés de bonne foi, dont l’apparence est suffisante pour qu’il soit nécessaire de recourir au juge si on veut les écarter. Mis à part l’esprit de système, dont il faut se garder, et le libellé catégorique de l’art. 116, qui est affaire de style, je ne vois aucun motif juridique pour lequel, en matière de mariage putatif, le législateur aurait, comme le soutient l’appelant, fait un régime particulier au seul mariage nul pour défaut de consentement. La possibilité que le mariage d’un dément se produise est expressément prévue par les art. 139, 141 et 142 Ce, au chapitre des oppositions au mariage. Il importe que cette apparence de mariage soit détruite par une déclaration de nullité. Dès lors qu’il s’agit d’un mariage dont l’invalidité doit être déclarée, le législateur s’en remet à mon sens aux dispositions générales des art. 163 et 164 Ce, pour tout ce qui concerne les effets civils. Ces dispositions ne distinguent pas entre les causes de nullité mais elles visent les nullités qu’il faut faire déclarer par jugement. C’est le cas du mariage des parties qui a été célébré publiquement par l’officier compétent, avec les solennités prescrites par la loi. La nullité d’un mariage ainsi célébré en conformité de la loi ne peut sûrement pas se produire par l’opération de la loi. Il faut l’intervention du juge, comme le prévoit l’art. 163 Ce, et la disposition de cet article devient applicable au mariage déclaré nul si les conditions qu’elle prévoit se trouvent satisfaites.

[Page 351]

Le deuxième moyen

Ce moyen se fonde sur la présence du mot «contracté» dans le libellé de l’art. 163 Ce. Puisque le mariage doit avoir été «contracté de bonne foi», il faudrait qu’il y ait eu contrat, ce qui n’est pas le cas lorsque le mariage est nul pour défaut de consentement car alors le contrat n’a jamais existé.

On ne peut évidemment pas prendre l’expression «contracté» dans son sens le plus rigoureux car si les parties ont valablement contracté un mariage, ce dernier ne peut être déclaré nul. Le contrat se doit de ne pas être valide ou à tout le moins d’être attaquable. A mon avis le mariage a été bel et bien contracté en l’espèce mais il l’a été de façon non valide, le mot «contracté» étant ici employé de façon aussi peu rigoureuse que le mot «contrat» dans l’expression «contrat nul pour défaut de consentement»; en effet quand il n’y a pas de consentement, il n’y a pas de contrat et on ne peut par conséquent pas parler de contrat; pourtant on emploie couramment l’expression «contrat nul» car il est commode de le faire. Ici, il s’agit néanmoins de plus que d’une commodité. Le but de la proposition «lorsqu’il est contracté de bonne foi» n’est pas d’exiger un contrat mais plutôt une apparence de mariage et aussi de requérir que les parties aient été de bonne foi au moment du mariage. Ainsi, il pourrait y avoir mariage putatif si la découverte d’un empêchement survient après le mariage et si la cohabitation continue: P.B. Mignault, Droit civil canadien, vol. 1, aux pp. 462, 463. D’autre part, il ne saurait être question de mariage putatif en l’absence de toute cérémonie. L’emploi du mot «contracté», dans l’art. 163 C.c., a donc une portée juridique, mais ce n’est pas celle que l’appelant suggère.

Le troisième moyen

L’intimée n’était pas de bonne foi, soutient l’appelant, car elle en était incapable: les notions de bonne et de mauvaise foi présupposent le discernement dont, par hypothèse, l’intimée était démunie; son mariage ne satisferait donc pas à la condition génératrice du mariage putatif. (Voir dans le même sens: Richard c. Levasseur[7]; Darche c.

[Page 352]

Byron[8] - semble-t-il - ; M. c. P.[9] - et Germain Brière, «Le manage putatif» (1959‑60), 6 McGill L.J. 217, à la p. 221; mais voir en sees inverse Bergeron c. Proulx[10]; L. c. L.[11].).

Sans doute il doit y avoir, chez le sujet, capacité de discerner le bien du mal pour qu’il soit de mauvaise foi. Je ne crois pas cependant qu’il faille requérir la même capacité pour pouvoir dire qu’il est de bonne foi, lorsque, c’est le cas, on définit la bonne foi comme l’ignorance de la cause d’invalidité de l’acte. L’ignorance est l’absence de connaissance. Que l’individu soit capable ou incapable de discerner le bien du mal importe peu sous ce rapport. L’ignorance demeure.

D’autre part, quelle que soit la forme empruntée par le législateur pour exprimer sa pensée aux art. 163 et 164 C.c., ce qu’il veut, en substance, c’est qu’il n’y ait pas de mauvaise foi. L’appelant a expressément allégué la mauvaise foi de l’intimée, mais il ne l’a pas établie.

La doctrine n’est pas unanime sur l’opportunité d’appliquer en matière de mariage la présomption de l’art. 2202 C.c., qui se trouve au titre de la prescription, notamment lorsqu’il y a erreur en droit. On exigeait autrefois que l’erreur fût excusable et il est bien possible qu’une erreur absolument déraisonnable fasse douter de la bonne foi et contribue à saper la présomption que les auteurs modernes ont tendance à admettre. (Mazeaud et Mazeaud, Leçons de droit civil, t. 1, 1re éd., n° 808, 1963, aux pp. 822-823; Marty et Raynaud, Droit civil, t. 1, 2e vol., 2e éd., 1967, n° 125, aux pp. 141-144; Azard et Bisson, Droit civil québecois, t. 1, 1971, n° 79, aux pp. 118-120.) Les tribunaux français appliquent au mariage putatif la présomption de l’art. 2268 C.N., l’équivalent de notre art. 2202 C.c., Notre jurisprudence n’est pas aussi déterminée. Je note toutefois que la présomption a été appliquée de façon implicite en cette matière dans Stephens c. Falchi, ce qui peut se déduire de l’extrait suivant de l’opinion majoritaire:

[Page 353]

[TRADUCTION] J’en viens à la conclusion que la bonne foi de l’timé n’étant pas en cause, il s’agit d’un mariage putatif au sens propre (à la p. 361).

Quoi qu’il en soit dans d’autres cas, je suis d’avis que la seule preuve de l’incapacité de donner un consentement valable ne suffit pas à écarter l’application de la présomption de bonne foi quand il s’agit de la putativité d’un mariage. Le contraire irait à l’encontre du caractère équitable de l’institution. En l’instance, le premier juge a constaté l’absence de mauvaise foi de l’appelant, et, dans le dispositif de son jugement, qui, sur ce point, a maintenant force de chose jugée, il lui a expressément réservé tous les autres recours auxquels il peut avoir droit. L’appelant pourrait donc, en théorie, réclamer les effets civils contre l’intimée. — Nous n’avons pas à décider qu’il doit le demander en même temps qu’il demande la nullité. — Si des enfants étaient nés de cette union, la bonne foi de leur père leur assurerait les effets civils, vu l’art. 164 C.c. Ainsi donc, si le troisième moyen de l’appelant est fondé, l’intimée seule se verrait refuser les effets civils et il en irait de même dans tous les cas où la démence d’un conjoint est ignorée de l’autre au moment de la célébration du mariage. Des dispositions d’équité ne doivent pas s’interpréter de manière à toujours priver la partie la plus faible et la plus innocente de la protection qu’elles étendent à tous ceux qui n’ont pas voulu violer la loi.

Le troisième moyen de l’appelant est donc lui aussi mal fondé.

Dans les motifs de son arrêt, mais non pas dans le dispositif, la Cour d’appel exprime l’avis que les parties se trouvent régies par le régime légal à l’époque de la célébration du mariage, la communauté de biens, et que les effets civils comprennent la successibilité et le droit aux aliments.

Il s’agit là de questions hérissées de difficultés. Le Comité judiciaire accorde des aliments à l’épouse dans Berthiaume v. Dastous, un pourvoi direct, alors que la jurisprudence française, avec des textes presque identiques aux nôtres, distingue entre les effets acquis au jour du jugement de nullité et les autres, et ne reconnaît pas le droit aux

[Page 354]

aliments après la déclaration de nullité: Guy Lambert, Mariage putatif Jurisclasseur, Art. 201‑202, Fasc. 1. A ma connaissance cette Cour ne s’est jamais prononcée sur la question. Cette Cour s’est prononcée sur la successibilité dans Stephens c. Falchi, mais il s’agissait d’une succession ouverte avant le constat de nullité du mariage. Ces deux arrêts sont aussi singuliers pour des raisons de procédure et de juridiction: dans Berthiaume v. Dastous, le Comité judiciaire «tient pour nul» un mariage que l’on demandait en premier lieu de déclarer valide; dans Stephens c. Falchi, cette Cour accorde les effets civils à un mariage qu’elle n’annule pas formellement encore que la nullité soit certaine. Il y a sans doute lieu également de distinguer les effets de la légitimité des effets civils entre les ex-conjoints.

Nous ne sommes pas appelés à trancher ces difficultés pour les fins de cette cause et je m’abstiens d’exprimer une opinion à leur sujet.

Je rejetterais le pourvoi sans frais.

Pourvoi rejeté sans frais.

Procureurs de l’appelant: Dugas, Dugas & Gagnon, Joliette.

Procureurs de l’intimée: Trudel, Fontaine & Roy, Joliette.

[1] [1973] C.A. 875.

[2] D.P. 1880.2.161.

[3] Gaz. Pal. 1937.2.598.

[4] D. 1957.1.557.

[5] [1930] A.C. 79.

[6] [1938]R.C.S. 354.

[7] [1957] C.S. 323.

[8] [1946] C.S. 123.

[9] [1966] C.S. 475.

[10] [1967] C.S. 579.

[11] [1968] C.S. 480.


Parties
Demandeurs : Paré
Défendeurs : Bonin

Références :
Proposition de citation de la décision: Paré c. Bonin, [1977] 2 R.C.S. 342 (1 avril 1976)


Origine de la décision
Date de la décision : 01/04/1976
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1977] 2 R.C.S. 342 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-04-01;.1977..2.r.c.s..342 ?
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