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30/01/1976 | CANADA | N°[1977]_2_R.C.S._134

Canada | MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134 (30 janvier 1976)


Cour suprême du Canada

MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134

Date: 1976-01-30

John A. MacDonald et Railquip Enterprises Ltd. Appelants;

et

Vapor Canada Limited Intimée;

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l’Ontario et le procureur général du Québec Intervenants.

1975: les 25, 26 et 27 février; 1976: le 30 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE
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Cour suprême du Canada

MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134

Date: 1976-01-30

John A. MacDonald et Railquip Enterprises Ltd. Appelants;

et

Vapor Canada Limited Intimée;

et

Le procureur général du Canada, le procureur général de l’Ontario et le procureur général du Québec Intervenants.

1975: les 25, 26 et 27 février; 1976: le 30 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

Droit constitutionnel — Loi fédérale traitant de pratiques malhonnêtes en matière commerciale et prévoyant un recours civil — Ne relève pas de la compétence du Parlement en matière de droit criminel, de réglementation des échanges et du commerce ou d’exécution d’obligations découlant d’un traité international — Mesure législative sur la propriété et les droits civils — Compétence de la Cour fédérale — Loi sur les marques de commerce, S.R.C. c. T-10, art. 7, 53, 55 — Acte de l’Amérique du Nord britannique, art. 91(2), (27), 92(13), (16) et 101.

L’appelant MacDonald a été durant plusieurs années au service de l’intimée Vapor Canada qui faisait le commerce de matériel à chauffage. Alors qu’il était employé par l’intimée, MacDonald a constitué en corporation l’appelante, Railquip Enterprises Ltd., dont il a toujours été l’actionnaire majoritaire. Après avoir quitté son emploi chez l’intimée, MacDonald a présenté une soumission au nom de Railquip pour la fourniture d’installations de chauffage. Pour ce faire, MacDonald, selon l’intimée, s’est servi des connaissances qu’il avait acquises à titre d’employé de cette dernière et il a également utilisé des renseignements confidentiels en violation de son contrat d’engagement et contrairement à l’al. e) de l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce.

En Cour fédérale, Division de première instance, l’intimée se basant sur l’al. e) de l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce a obtenu une injonction interlocutoire interdisant aux appelants d’utiliser ou de communiquer aux tierces parties des renseignements confidentiels, ou des documents que l’appelant MacDonald avait acquis pendant qu’il était au service de l’intimée. D’autres conclusions de l’injonction portaient sur la contrefaçon des brevets et ne sont pas en litige devant

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cette Cour. Dans son action principale l’intimée a aussi demandé des dommages‑intérêts, une reddition de compte et la remise de tout le matériel prétendument détourné. L’injonction a été maintenue par la Division d’appel de la Cour fédérale avec certaines modifications, la cour étant d’avis que l’al. e) de l’art. 7 était intra vires du Parlement du Canada. D’où le pourvoi à cette Cour. Les appelants et les procureurs généraux du Québec et de l’Ontario soutiennent que l’al. e) de l’art. 7 est ultra vires du Parlement parce qu’elle constitue une disposition législative visant la propriété et les droits civils et que la Cour fédérale n’avait pas juridiction dans l’affaire.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Le juge en chef Laskin et les juges Spence, Pigeon, Dickson et Beetz: La Cour fédérale, tribunal établi conformément à l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, n’a pas d’autre juridiction que celle qu’elle tire des lois adoptées par le Parlement du Canada dans les limites de sa compétence. Il semble que le Parlement n’a pas compétence en vertu de l’art. 101 pour établir un tribunal qui aurait juridiction sur des matières strictement relatives aux droits civils entre les particuliers. Cependant, les questions sur la validité de l’al. e) de l’art. 7 et l’art. 53 de la Loi sur la concurrence déloyale se poseraient même si les cours supérieures provinciales avaient juridiction pour l’application de ces dispositions.

L’alinéa e) de l’art. 7 ne peut pas se justifier comme mesure relative au droit criminel. Même si la compétence fédérale en droit criminel permet l’adoption de mesures préventives, cela ne favorise aucunement une législation fédérale qui, en l’absence de toute procédure criminelle, prévoit des procédures purement civiles. Quoique l’art. 115 du Code criminel prévoie une sanction pour désobéissance à une loi fédérale, on ne peut vraiment pas fonder sur le Code criminel le redressement civil prévu à l’art. 53 de la Loi sur les marques de commerce. Cet article du Code criminel n’est qu’une disposition supplétive et ne peut certes pas servir de fondement à un recours civil entièrement distinct dont les parties lésées peuvent se prévaloir.

L’alinéa e) de l’art. 7, pris isolément ou comme partie d’un système limité visé par l’art. 7 dans son entier, constitue un embrassement ou un élargissement des droits d’actions civils relevant de la juridiction des tribunaux provinciaux et de la compétence législative provinciale. En l’absence d’un organisme administratif fédéral pour contrôler l’observation des interdictions décrétées à l’art. 7, il n’y a rien dans les pouvoirs fédéraux qui justifie une telle législation. Le fait que la Loi s’applique

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partout au Canada ne saurait constituer un point d’appui lorsque rien d’autre ne justifie sa validité.

L’alinéa e) de l’art. 7 ne peut pas se fonder sur la compétence fédérale à l’égard des brevets et des marques de commerce. La législation n’a pas d’aspect général. Aucun organisme administratif n’est établi et aucune infraction pénale n’est créée. La disposition ne vise pas le commerce en général et n’établit pas un système de réglementation. La loi ne peut donc pas se justifier sous l’art. 91(2) de l’A.A.N.B.

En l’absence d’une disposition expresse que la Loi sur les marques de commerce, l’art. 7 inclus, ou l’art. 7 lui-même, a été édictée pour exécuter les obligations de la Convention Internationale pour la Protection de la Propriété Industrielle (La Convention d’Union de Paris), on ne peut pas prétendre en l’espèce qu’il y avait exercice de la compétence fédérale relative à la mise en œuvre d’un traité ou d’une convention, en supposant que cette compétence existe.

Les juges Martland, Judson et de Grandpré: A première vue, l’argument de l’intimée que l’al. e) de l’art. 7 est une mesure législative adoptée par le Parlement en vertu de la compétence du Canada de signer des traités semble avoir quelque mérite. On ne peut toutefois, en l’examinant de près, l’admettre pour la simple raison que la Convention d’Union de Paris pour la Protection de la Propriété Industrielle ne traite pas de la concurrence déloyale considérée isolément mais uniquement dans un contexte qu’on ne trouve pas ici. On doit en effet lire l’art. 10bis de la Convention qui mentionne la concurrence déloyale dans le contexte des autres articles dont aucun ne traite des relations contractuelles entre employeurs et employés.

Arrêt suivi: R. c. Hume, Consolidated Distilleries Ltd. c. Consolidated Exporters Corp. Ltd., [1930] R.C.S. 531; arrêts mentionnés: The Kitchen Overall & Shirt Co. Ltd. c. Elmira Shirt and Overall Co. Ltd., [1937] R.C. de l’É. 230; Good Humor Corp. of America c. Good Humor Food Products Ltd., [1937] R.C. de l’É. 61; A.C. Spark Plug Co. c. Canadian Spark Plug Service, [1935] R.C. de l’É. 57; Booth v. Sokulsky (1953), 13 Fox Pat. Cas. 145; Kellogg Company c. Helen Kellogg, [1941] R.C.S. 242; Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada Ltd. c. R., [1956] R.C.S. 303; International News Service v. Associated Press (1918), 248 U.S. 215; A.L.A. Scheckter Poultry Corp. v. U.S. (1935), 295 U.S. 495; Corbeil c. Dufresne (1933), 40 R.L.N.S. 40; Giguère Automobile Ltée c. Universal Auto Ltd. (1941), 70 B.R. 166; Eagle Shoe Co. Ltd. c. Slater Shoe Co. Ltd. (1929), 46 B.R. 121; Canadian Converters Co. Ltd. v. Eastport Trading Co. Ltd. (1968), 70 D.L.R. (2d) 149; Breeze Corp. v. Hamilton

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Stamp Clampings Ltd. (1961), 37 C.P.R. 153; Building Products Ltd. v. B.P. Canada Ltd. (1961), 21 Fox. Pat. Cas. 130; Greenglass v. Brown (1962), 24 Fox Pat. Cas. 21; The Noshery Ltd. v. The Penthouse Motor Inn Ltd. (1969), 61 C.P.R. 207; Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. (1965), 54 D.L.R. (2d) 97; Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd., [1968] 2 R.C. de l’É. 552; S. & S. Industries Ltd. c. Rowell, [1966] R.C.S. 419; Citizens Insurance Co. v. Parsons (1881), 7 App. Cas. 96; Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada, [1937] A.C. 405; Attorney-General for Ontario v. Attorney-General for Canada, [1896] A.C. 348; Attorney-General for Canada v. Attorney‑General for Alberta, [1916] 1 A.C. 588; Hodge v. R. (1883), 9 App. Cas. 117; In Re Board of Commerce Act, [1922] 1 A.C. 191; Proprietary Articles Trade Association v. Attorney-General for Canada, [1931] A.C. 310; R. c. Eastern Terminal Elevator Co., [1925] R.C.S. 434; Reference re Natural Products Marketing Act, [1937] A.C. 377; Murphy c. C.P.R., [1958] R.C.S. 626; Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Board, [1938] A.C. 708; Renvoi relatif au Ontario Farm Products Marketing Act, [1957] R.C.S. 198; Renvoi relatif aux lois de l’Alberta, [1938] R.C.S. 100; Renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits naturels, [1936] R.C.S. 398; Johnson c. Le procureur général de l’Alberta, [1954] R.C.S. 127; Renvoi relatif à la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de l’industrie, 1935, [1936] R.C.S. 379; Attorney-General for Canada v. Attorney-General for Ontario, [1937] A.C. 326; Francis c. R., [1956] R.C.S. 618; In re The Regulation and Control of Aeronautics in Canada, [1932] A.C. 54. In re The Regulation and Control of Radio Communications in Canada, [1932] A.C. 304; Renvoi relatif à la Loi sur le repos hebdomadaire dans les établissements industriels, la Loi sur les salaires minima et la Loi sur la limitation des heures de travail, [1936] R.C.S. 461; In Re La compétence législative quant aux heures de travail, [1925] R.C.S. 505.

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] modifiant l’injonction interlocutoire accordée par le juge Walsh de la Cour fédérale[2]. Pourvoi accueilli.

Malcolm E. McLeod et J. Nelson Landry, pour les appelants.

G.F. Henderson, c.r., et E. Binavince, pour l’intimée.

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G.W. Ainslie, c.r., et W. Lefebvre, pour le procureur général du Canada.

J.D. Hilton, c.r., pour le procureur général de l’Ontario.

Jean LeFrançois, pour le procureur général du Québec.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence, Pigeon, Dickson et Beetz a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Ce pourvoi, autorisé par la Cour d’appel fédérale en vertu du par. (2) de l’art. 31 de la Loi sur la Cour fédérale, 1970 (Can.), c. 1, vise trois paragraphes d’une ordonnance d’injonction interlocutoire émise originairement par le juge Walsh de la Cour fédérale, et modifiée par la Cour d’appel fédérale. L’injonction modifiée se lit comme suit:

Il est interdit aux défendeurs John A. MacDonald et Railquip Enterprises Ltd., et à chacun d’eux en particulier, à leurs employés et mandataires, ainsi qu’à toute personne agissant pour leur compte, de

(1) utiliser aux fins de l’entreprise de la Railquip Enterprises Ltd., ou de toute autre entreprise à laquelle l’un ou l’autre des défendeurs peut être d’une façon ou d’une autre associé ou intéressé, soit par communication à des tiers ou autrement, tout renseignement ou connaissance de nature confidentielle acquis par eux du fait que le défendeur MacDonald était au service de la demanderesse, ou présenter toute soumission pour la fabrication ou la vente de produits à l’égard desquels ces renseignements confidentiels acquis par MacDonald sont utilisés ou utiles;

(2) utiliser aux fins de l’entreprise de la Railquip Enterprises Ltd., ou de toute autre entreprise à laquelle l’un ou l’autre des défendeurs peut être d’une façon ou d’une autre associé ou intéressé, tous plans, mémoires descriptifs, exposés, lettres ou autres documents appartenant à la demanderesse acquis par eux du fait que leur défendeur MacDonald était au service de la demanderesse ou s’assurer la complicité de tout employé de la demanderesse pour obtenir ces plans, mémoires descriptifs, lettres ou autres documents;

(3) il est par les présentes ordonné aux défendeurs John A. MacDonald et la Railquip Enterprises Ltd. de remettre immédiatement à la demanderesse tous plans, mémoires descriptifs, exposés, lettres ou autres documents lui appartenant, y compris toutes copies ou reproductions de ces documents, qui sont en leur possession et qui ont été acquis pour être utilisés aux fins de l’entreprise de la Railquip Enterprises Ltd. du

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fait que le défendeur MacDonald était au service de la demanderesse.

Deux autres paragraphes de l’injonction, portant tous deux sur la contrefaçon de brevets, n’ont pas été contestés et ne sont pas en litige devant cette Cour.

L’action qui a abouti à la délivrance de l’injonction interlocutoire a été intentée en Cour fédérale par l’intimée, qui prétend qu’il y a eu contrefaçon de brevets par les appelants, un ex-employé, MacDonald, et Railquip, compagnie constituée par MacDonald qui en est actionnaire majoritaire. L’intimée allègue en outre qu’il y a eu révélation de secrets commerciaux en violation d’un contrat, et utilisation commerciale illégale de ces secrets (notamment de certains plans, mémoires descriptifs et lettres) au préjudice de l’intimée et contrairement aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada. L’intimée demande dans cette action des dommages-intérêts, une reddition de compte, une injonction et la remise de tout le matériel prétendument détourné.

Contrairement à ce qui s’est produit en Cour fédérale, Division de première instance, la principale question soumise à la Cour d’appel fédérale et à cette Cour est d’ordre constitutionnel. Est mise en question la juridiction de la Cour fédérale, à titre de tribunal établi en conformité de l’art. 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, à l’égard des demandes de redressement civil sous forme de dommages-intérêts, d’injonction et de mesures auxiliaires, présentées par la demanderesse. Se trouve du fait même soulevée la question de savoir si le Parlement du Canada pouvait autoriser ce redressement aux termes des dispositions suivantes de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1970, c. T-10: l’al. e) de l’art. 7, l’art. 53 et l’art. 55 (modifié par le par. (2) de l’art. 64 de la Loi sur la Cour fédérale, 1970 (Can.), c. 1).

C’est un lieu commun que la Cour fédérale, tribunal établi conformément à l’art. 101 susmentionné «pour assurer la meilleure exécution des lois du Canada», n’a pas d’autre juridiction que celle qu’elle tire des lois adoptées par le Parlement du Canada dans les limites de sa compétence. Dans

[Page 140]

l’arrêt R. c. Hume, Consolidated Distilleries Ltd. c. Consolidated Exporters Corp. Ltd.[3], le juge en chef Anglin précise bien (à la p. 535) que [TRADUCTION] «s’il n’y a pas de doute que les pouvoirs du Parlement en vertu de l’art. 101 ont prépondérance lorsqu’il s’agit d’une matière relevant de sa compétence législative, il semble tout aussi certain qu’ils ne l’habilitent pas à établir un tribunal qui aurait juridiction sur des matières strictement relatives aux droits civils entre des particuliers». Cela mis à part, la question de la validité de l’al. e) de l’art. 7 et de l’art. 53 se poserait même si c’étaient les cours supérieures provinciales qui avaient été chargées de l’application des dispositions de fond de l’al. e) de l’art, 7. Une loi dont on veut confier l’application aux cours provinciales doit naturellement au départ avoir été adoptée par la législature compétente.

Je signale que si j’arrivais à la conclusion que l’al. e) de l’art. 7 est une disposition statutaire fédérale valide, dont l’application a été validement confiée à la Cour fédérale, je ne modifierais pas la décision des tribunaux d’instance inférieure selon laquelle, dans les faits, l’ordonnance d’injonction interlocutoire visée en l’espèce a été rendue à bon droit, compte tenu des prescriptions de l’al. e) de l’art. 7.

La question constitutionnelle soulevée en l’espèce, très importante quant à la délimitation de la compétence législative fédérale, du fait notamment qu’elle met en jeu le par. (2) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, a provoqué l’intervention des procureurs généraux du Canada, de l’Ontario et du Québec, conformément aux règles de la Cour sur l’avis à donner dans les pourvois touchant une question constitutionnelle et sur la possibilité d’intervention. Le procureur général du Canada soutient le jugement attaqué, mais les procureurs généraux de l’Ontario et du Québec appuient la prétention des appelants selon laquelle l’al. e) de l’art. 7 et l’art. 55 sont ultra vires, ce qui entraîne l’invalidité de l’art. 53.

Pour bien comprendre le problème, il faut considérer l’art. 7 ainsi que l’économie de la Loi sur les marques de commerce et certains traits de son

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historique. Avant de procéder à l’étude du contexte dans lequel se situent les art. 7, 53 et 55 et d’examiner la question constitutionnelle que soulève l’ensemble de l’affaire, je reproduis le texte des art. 7, 53 et 55:

7. Nul ne doit

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

c) faire passer d’autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde

(i) les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la composition,

(ii) l’origine géographique, ou

(iii) le mode de fabrication, de production ou d’exécution

de ces marchandises ou services; ni

e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

53. Lorsqu’il est démontré à une cour compétente, qu’un acte a été accompli contrairement à la présente loi, la cour peut rendre l’ordonnance que les circonstances exigent, y compris une stipulation portant un redressement par voie d’injonction et le recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, et peut donner des instructions quant à la disposition des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.

55. Toute action ou procédure en vue de l’application d’une disposition de la présente loi ou d’un droit ou recours conféré ou défini de la sorte est recevable par la Cour fédérale du Canada.

L’article 7 de la Loi sur les marques de commerce est le premier de cinq articles de la Loi (art. 7 à 11) réunis sous le sous-titre «Concurrence déloyale et marques interdites». Il est le seul à ne pas traiter des marques de commerce ou des noms

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commerciaux. Lui seul justifie la première partie du sous-titre, «Concurrence déloyale». Il a eu un prédécesseur, l’art. 11 de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 (Can.), c. 38. Cette Loi, comme la présente Loi sur les marques de commerce, qui l’a remplacée, visait la réglementation de l’usage des marques de commerce et prévoyait un système et des mesures pour en assurer l’enregistrement et la protection. Les articles 3 à 11 étaient coiffées du sous-titre «Concurrence déloyale», mais seul l’art. 11 avait trait à la concurrence déloyale. Le texte en était le suivant:

11. Nulle personne ne doit, dans les cours de ses affaires,

a) Faire un faux énoncé tendant à discréditer les produits d’un concurrent;

b) Attirer l’attention du public sur ses produits de telle manière qu’au moment où elle a ainsi commencé d’attirer cette attention il soit raisonnablement permis de craindre que sa manière d’agir ne créât une confusion possible au Canada entre ses produits et ceux d’un concurrent;

c) Adopter quelque autre pratique d’affaires contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale.

Si l’on compare l’art. 11 de la Loi de 1932 et l’art. 7 de la présente Loi sur les marques de commerce, on voit que dans ce dernier les interdictions sont plus nombreuses et il s’y trouve des dispositions qui ne figuraient pas à l’art. 11, soit les al. c) et d). Entre l’al. e) de l’art. 7 et l’al. c) de l’art. 11 qui lui correspond dans l’ancienne Loi, il y a trois différences. Au chapitre de ce qui est interdit ont été ajoutés les mots «faire un autre acte», la particule conjonctive dans l’expression «usages honnêtes en matière industrielle et commerciale» a été remplacée par la particule disjonctive dans l’expression correspondante «honnêtes usages industriels ou commerciaux» et l’on a précisé en ajoutant les mots «au Canada». Il existe toutefois une différence beaucoup plus importante entre l’ancien art. 11 et le présent art. 7. Dans la Loi de 1932, il n’était pas donné de recours civil aux personnes lésées par une contravention aux dispositions de l’art. 11. La Loi prévoyait bien sûr, comme le fait la présente Loi sur les marques de commerce, l’application des dispositions relatives aux marques de commerce à la demande de la

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partie lésée. En l’espèce, on n’a pas prétendu devant cette Cour que les dispositions de l’art. 20 de la Loi de 1932, qui donnaient à la Cour de l’Échiquier du Canada «la juridiction pour recevoir toute action ou procédure instituée pour rendre exécutoire l’un quelconque des droits conférés ou définis par la présente loi», donnaient, au cas de violation de l’art. 11, un recours civil équivalent au recours que donne expressément l’art. 53 de la présente Loi sur les marques de commerce au cas de violation de l’art. 7 ou d’une autre disposition de fond de la Loi. Je remarque toutefois que dans l’affaire The Kitchen Overall & Shirt Co. Ltd. c. Elmira Shirt & Overall Co. Ltd.[4], le président de la Cour, le juge Maclean, s’est dit d’avis que l’art. 11 accordait [TRADUCTION] «un droit d’action statutaire pour les mêmes dommages que ceux auxquels la common law donnait ouverture à un recours dans les affaires de concurrence déloyale».

Il y a peu de jurisprudence sur l’art. 11. Sa constitutionnalité n’a été soulevée que dans un seul des quelques cas où il a été examiné, soit dans l’affaire Good Humor Corp. of America c. Good Humor Food Products Ltd.[5], relative à la prétendue usurpation d’une marque de commerce. Étaient contestées la constitutionnalité des art. 3, 7 et 11 de la Loi sur la concurrence déloyale et, par voie de conséquence, la juridiction en l’espèce de la Cour de l’Échiquier. Les articles 3 et 7, a déclaré le juge Angers, traitaient respectivement des marques de commerce et des noms commerciaux et ils relevaient donc de la compétence fédérale en vertu du pouvoir sur la réglementation des échanges et du commerce. Il ne s’est pas prononcé sur l’art. 11 (quoi qu’en dise le sommaire) parce que (comme il le dit à la p. 75) [TRADUCTION] «l’art. 11 s’applique à des actes de concurrence déloyale et il n’est pas pertinent en l’espèce.»

Dans les autres affaires où l’on a étudié l’art. 11, la question portait sur l’application de cette disposition à un cas où il était censé jouer. Dans l’affaire A.C. Spark Plug Co. c. Canadian Spark Plug Service[6], la Cour a semblé d’avis que l’art. 11

[Page 144]

ne faisait que codifier le délit de concurrence déloyale et cette opinion a été reprise dans l’affaire Kitchen Overall. Dans l’affaire Spark Plug, il s’agissait d’une prétendue usurpation d’une marque de commerce enregistrée et l’on alléguait aussi violation de l’art. 11 de la Loi sur la concurrence déloyale. Les motifs du président de la Cour, le juge Maclean, aux termes desquels celui-ci rejette l’action, se terminent de la façon suivante (à la p. 69):

[TRADUCTION] Comme je conclus qu’il n’y a eu ni usurpation ni concurrence déloyale, je ne vois pas comment on peut dire que l’exploitation de l’entreprise par l’un ou l’autre des défendeurs contrevient à l’art. 11 de la Loi ou est contraire aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale.

En décidant que l’art. 11 donnait un droit d’action statutaire correspondant au recours existant en common law dans les affaires de concurrence déloyale, le juge Maclean, dans l’affaire Kitchen Overall, a peut-être postulé qu’il suffisait, pour conclure à la validité de l’art. 11, que la juridiction ait été attribuée à la Cour de l’Échiquier. S’il en est ainsi, c’est une proposition inacceptable. Le juge Maclean a renvoyé dans ses motifs de jugement à la convention internationale, dont je vais parler plus loin, et a déclaré que le Canada, en promulgant l’art. 11, cherchait à s’acquitter de l’obligation contractée aux termes de cette convention. Il a en outre précisé qu’on n’avait pas soulevé la question de la juridiction de la Cour de l’Échiquier quant aux actions visées par l’art. 11. Dans l’affaire Kitchen Overall, il s’agissait d’une demande d’injonction, à laquelle on a fait droit, pour interdire l’usage d’une marque de commerce ou d’un nom commercial.

Dans l’affaire Booth v. Sokulsky[7], on a donné effet à l’al. c) de l’art. 11. Il s’agissait d’une action intentée en cour de l’Échiquier en vertu de la Loi sur la concurrence déloyale de 1932 et fondée sur la prétendue utilisation illicite de la marque de commerce et du nom commercial non enregistrés du demandeur sur des marchandises vendues par le défendeur et qui étaient semblables à celles du demandeur. Même si l’action était fondée sur la concurrence déloyale, on a décidé que la Cour de

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l’Échiquier avait juridiction en vertu de l’al. c) de l’art. 22 de la Loi sur la Cour de l’Échiquier au motif que, au sens de cette disposition, il s’agissait d’une action «concernant une marque de commerce». A mon avis, cette affaire-là ne nous aide pas, étant donné qu’en l’espèce ce n’est pas une marque de commerce qui fait l’objet du litige.

L’arrêt Kellogg Company c. Helen Kellogg[8], a de même traité de la juridiction de la Cour de l’Échiquier, mais seulement quant à l’interprétation de la loi sans traiter de la constitutionnalité, comme on l’y a clairement indiqué.

La prétention des appelants et des intervenants qui les appuient est, en résumé, que l’al. e) de l’art. 7, sinon l’art. 7 en entier, est une disposition législative sur la propriété et les droits civils dans la province ou, subsidiairement, sur des matières d’une nature locale ou privée dans la province, au sens des par. (13) et (16) de l’art. 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. L’intimée et le procureur général du Canada soutiennent que l’al. e) de l’art. 7 est (1) une disposition législative relative à la réglementation des échanges et du commerce au sens du par. (2) de l’art. 91 de l’Acte; (2) une législation valable comme visant à exécuter une obligation contractée par le Canada dans un traité ou accord international et relevant ainsi de la compétence fédérale de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement à l’égard d’une matière ne tombant pas sous l’art. 92; et (3) une mesure législative relative au droit criminel au sens du par. (27) de l’art. 91.

Ce dernier argument sur la constitutionnalité ne mérite pas plus qu’un bref énoncé des motifs de le rejeter. Même en présumant que l’al. e) de l’art. 7 (comme d’ailleurs les autres alinéas de l’art. 7) interdit des méthodes d’affaires antisociales susceptibles de la sanction générale prévue à l’art. 115 du Code criminel pour désobéissance à une loi fédérale, on dépasse vraiment les bornes en prétendant fonder sur le Code criminel le redressement civil prévu à l’art. 53 de la Loi sur les marques de commerce. Le principe qui en découlerait aurait pour conséquence d’ouvrir la voie toute large à la législation fédérale sur le redressement civil à

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l’égard de nombreux articles du Code criminel et, vu la vaste compétence fédérale en matière de droit criminel, affaiblirait l’autorité législative provinciale et la juridiction des tribunaux provinciaux de façon à transformer nos arrangements constitutionnels sur le partage des compétences au point de les rendre méconnaissables. Il n’est sûrement pas nécessaire d’examiner dans les détails une attitude si déraisonnable. L’arrêt de cette Cour dans Goodyear Tire and Rubber Co. of Canada Ltd. c. La Reine[9], qui a maintenu la validité d’une loi fédérale autorisant l’émission d’une ordonnance d’interdiction à l’occasion d’une déclaration de culpabilité d’infraction relative aux coalitions, fait voir que le pouvoir fédéral en matière de droit criminel permet l’adoption de mesures préventives pour renforcer une déclaration de culpabilité. A la poursuite pour une infraction, on a joint une sanction effective. Cela ne favorise aucunement une législation fédérale qui, en l’absence de toute procédure criminelle, prévoit des procédures purement civiles en dommages-intérêts avec demande d’injonction.

Je fais aussi remarquer que l’art. 115 du Code criminel est, pour ainsi dire, une disposition supplétive qui ne s’applique que lorsqu’aucune «peine ou châtiment» n’est expressément prévu, et je ne puis souscrire à la proposition que l’art. 115 soit, en vertu de la compétence fédérale en droit criminel, le fondement d’un recours civil entièrement distinct exclusivement à l’instance des particuliers qui se croient lésés.

Je ne pense pas qu’aucun avocat ait soutenu que l’art. 7, ou l’al. e) de l’art. 7 seulement, puisse se fonder sur la compétence en droit criminel, en dehors des recours prévus à l’art. 53. En disant cela, l’intimée et l’intervenant, le procureur général du Canada, se seraient trouvés à admettre que l’art. 53 ne s’applique pas à l’al. e) de l’art. 7. C’est ce que l’on n’a jamais admis.

Les prétentions des appelants et les deux autres prétentions de l’intimée, appuyées par les intervenants, exigent une étude plus approfondie de la compétence législative que celle que je viens de faire pour rejeter l’argument fondé sur le droit criminel. J’aborderai cette étude par l’examen de l’objet et de la portée de la loi en litige et de ce qu’était et serait la position juridique (non pas

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nécessairement la position constitutionnelle), en faisant abstraction de la disposition législative attaquée.

Il me paraît juste de considérer l’art. 7 comme l’énoncé d’un système, de portée limitée peut‑être, mais ne visant pas moins une série de matières connexes. Je reviendrai plus loin sur ce qui semble être la base fondamentale de la position de l’intimée et du procureur général du Canada, savoir, que l’art. 7 ou du moins l’al. e) de l’art. 7, ne doit pas être interprété dans l’abstrait, mais doit être considéré comme une pièce dans l’ensemble des règles relatives à la propriété industrielle et intellectuelle.

On ne nie pas que les actes visés par l’art. 7 (autrefois l’art. 11 de la Loi de 1932) relèvent du Code civil au Québec et de la common law dans les autres provinces. Par exemple, l’al. a) du par. 7 vise l’équivalent du délit de diffamation par dénigrement ou par fausse déclaration préjudiciable, même si l’élément de malice, ou plutôt l’intention de causer du tort sans motif ou excuse raisonnable, n’y est pas requis comme pour le recours de common law: voir Fleming on Torts (4e éd. 1971), à la p. 623. L’alinéa b) de l’art. 7 n’est que la formulation de l’action pour une espèce de concurrence déloyale en common law, que Fleming on Torts, supra, décrit à la p. 626 comme [TRADUCTION] «une autre forme de tromperie préjudiciable au commerce du demandeur… qui diffère de la fausse déclaration préjudiciable en ce qu’elle tend à réduire la clientèle du demandeur non pas par des remarques désobligeantes mais en usurpant sa réputation en faisant croire que des marchandises ou services viennent de lui ou d’une firme associée ou qu’il les garantit». Contrairement aux fauses déclarations préjudiciables [TRADUCTION] «il suffit que l’opération soit destinée ou de nature à induire en erreur même sans intention d’induire en erreur».

L’alinéa c) de l’art. 7 est une disposition singulière pour y attacher une sanction civile par voie de dommages-intérêts alors qu’il en existe déjà une dans le droit général des contrats. On y parle de substitution d’autres marchandises à celles qui ont été commandées ou demandées, mais on a toujours la possibilité de refuser les marchandises en décou-

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vrant la substitution, et si on les accepte sciemment, il semble bien que ce sera sans recours. Si l’al. c) vise à autoriser un redressement même si la substitution est sciemment acceptée, en quoi consistent les dommages? Veut-on prévoir des dommages-intérêts résultant du défaut de livrer à temps les marchandises commandées? Mail il y a déjà le recours habituel pour bris de contrat. Je verrais l’al. c) dans le contexte d’un système réglementaire sous la surveillance d’une autorité publique, mais sa présence sous un régime de redressements de droit privé ne fait que souligner, selon moi, l’empiétement fédéral dans une matière de compétence provinciale.

L’alinéa d) de l’art. 7 semble prévoir la protection de l’acheteur ou consommateur de marchandises ou services, par opposition à l’al. a) qui vise la diffamation ou le dénigrement d’un concurrent ou de sa marchandise. Cela implique ce que j’appellerais de la duperie dans l’offre au public de marchandises ou services, duperie au sens de désignation fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde les caractéristiques, la qualité, la quantité ou la composition des marchandises ou services ou leur origine géographique ou leur mode de fabrication, de production et d’exécution. Celui qui aurait droit d’action en vertu de l’art. 53 pour dommages causés par la violation de l’al. d) aura normalement un recours fondé sur la violation du contrat. On peut évidemment penser que l’al. d) fait de la duperie un délit statutaire, mais cela ne saurait guère tendre à justifier sa constitutionnalité comme législation fédérale. Sous l’aspect contractuel comme sous l’aspect délictuel, la disposition n’est pas restreinte aux seuls services ou entreprises qui relèvent par ailleurs de la compétence fédérale. De plus, il peut aussi facilement y avoir infraction à l’al. d) à l’occasion d’une transaction locale ou intraprovinciale qu’à l’occasion d’une transaction interprovinciale; il n’y a rien qui souligne dans cette interdiction une portée interprovinciale ou transprovinciale de façon à établir quelque lien avec le pouvoir législatif fédéral en vertu du 2e chef de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

L’alinéa e) de l’art. 7 est, dans sa forme, une interdiction qui s’ajoute à celles des alinéas a) à

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d). Son manque de précision n’est évidemment pas un motif d’inconstitutionnalité, et je suis convaincu qu’il a un objet, comme les faits en l’espèce le démontrent. On pourrait y faire entrer l’abus de confiance de la part d’un employé par l’utilisation commerciale, à l’encontre des intérêts de son employeur, de renseignements confidentiels ou secrets commerciaux. Il pourrait même être assez étendu pour viser l’espionnage industriel. L’avocat de l’intimée nous a cité le jugement de la Cour suprême des États-Unis dans International News Service v. Associated Press[10], comme exemple de la portée de l’al. e) de l’art. 7. Cet arrêt a considéré comme un acte de concurrence déloyale susceptible d’interdiction le fait pour une agence de «pirater» les nouvelles d’une autre et les vendre alors qu’elles ont encore une valeur commerciale même si ce résultat est obtenu par des moyens légaux, c.-à-d. par la lecture des tableaux d’affichage et des premières éditions des journaux abonnés à cette autre agence. Je signale seulement que cette conclusion, qui n’est pas unanime, est fondée sur des motifs qui reposent notamment sur des considérations d’équité, aucunement sur la loi écrite. Dans un arrêt subséquent, A.L.A. Schecter Poultry Corp. v. U.S.[11], aux pp. 531-2, le juge en chef Hughes a vu dans l’arrêt Associated Press une extension de la jurisprudence sur le délit de concurrence déloyale (dont la principale espèce selon la common law, est le fait de faire passer sa propre marchandise pour celle d’un concurrent). On a étendu la portée du délit, dit-il, [TRADUCTION] «afin d’appliquer le principe au détournement aussi bien qu’à la fausse présentation, au fait de vendre les marchandises d’un autre comme les siennes — de s’emparer de ce qui appartient en justice à un concurrent».

Que l’al. e) ait une portée véritable, soit à titre de codification de certains recours admise en common law ou comme fondement législatif de poursuites civiles, n’a pas pour effet de le distinguer, du point de vue constitutionnel, des al. a), b), c) et d). A titre de catégorie d’interdictions s’ajoutant aux précédentes, je n’y vois rien de plus que la formulation du délit de détournement, énoncée, peut-être, en des termes plus généraux et dans un contexte commercial.

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De même que la common law appliquée par les tribunaux des autres provinces, le Code civil du Québec prévoit des recours civils à l’égard des matières visées par l’art. 7. Le fondement en est principalement la disposition générale sur la responsabilité résultant de la faute, l’art. 1053: voir, par exemple, Corbeil c. Dufresne[12] (délit de dénigrement en common law); Giguère Automobile Ltée c. Universal Auto Ltd.[13] (annonces fausses et trompeuses, équivalant à une duperie); Eagle Shoe Co. Ltd. c. Slater Shoe Co. Ltd.[14] (concurrence déloyale par marque prêtant à confusion).

On voit la similitude entre ce que renferme le Code civil du Québec et ce dont traite l’art. 7, dans le passage suivant du Traité Pratique de la Responsabilité Civile Délictuelle (1971) de Nadeau, à la p. 221:

Le Code civil. — La concurrence illicite ou déloyale, qui cause un tort injuste à autrui, ressortit à la responsabilité civile de l’art. 1053 C. civ. Les actions en dommages-intérêts pour concurrence déloyale sont instruites en vertu, non seulement de la loi fédérale, mais aussi des principes généraux de la responsabilité civile délictuelle. C’est ainsi qu’un acte de concurrence déloyale ne donnera lieu à une action en dommages-intérêts que de la part d’un concurrent pouvant justifier d’un préjudice réel. II convient aussi de noter que la loi fédérale ne couvre pas tous les cas possibles de concurrence déloyale, d’autant que cette dernière peut voisiner avec la diffamation, s’il y a dénigrement d’un concurrent.

Les formes de la concurrence déloyale. — On peut dire, d’une manière générale, que la concurrence est déloyale si elle est contraire aux «usages honnêtes» de l’industrie ou du commerce. C’est qu’elle dépasse alors les limites de l’équité. Nos tribunaux exigent un élément de mauvaise foi ou du moins une intention de nuire pour qu’il y ait concurrence déloyale. Le désir d’une personne de profiter du malheur d’un concurrent, dont l’usine a été partiellement détruite par l’incendie, en invitant quelques-uns des clients et voyageurs de ce dernier à lui confier des commandes, s’il traduit un manque de générosité évident, ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale et illicite, pas plus qu’une simple affirmation inexacte ne peut justifier de condamnation, si elle n’a causé aucun dommage. Il en va de même pour une publicité tapageuse et même malveillante, qui ne vise personne en particulier.

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M. le juge P. Cousineau, dans cette affaire Corbeil, définit la concurrence déloyale «l’acte pratiqué de mauvaise foi à l’effet de produire une confusion entre les produits de deux fabricants ou commerçant ou qui, sans produire de confusion, jette le discrédit sur un établissement rival». La concurrence déloyale peut donc revêtir bien” des formes. Elle pourra désigner la substitution de produits (passing off), la contrefaçon, le recours à des manœuvres dolosives pour créer des difficultés à un concurrent, comme de détourner son personnel ou l’usage d’une publicité gravement mensongère, comme l’annonce en vente à de très bas prix d’autos d’une marque identique à celle de concurrents quand on n’en a pas à vendre, le détournement de secrets et, enfin, l’usurpation d’enseigne.

Quant aux affaires où l’on a considéré l’art. 7, je n’en connais aucune, avant la présente, où on en ait examiné la constitutionnalité. Dans quelques cas, au moins, on semble avoir présumé de sa validité ou de la partie pertinente, comme par exemple dans Canadian Converters Co. Ltd. v. Eastport Trading Co. Ltd.[15]. Les décisions sont toutefois instructives en ce qu’elles révèlent la portée de l’art. 7 et font voir comment, en certains cas, il correspond à la common law et au droit civil sur ce dont il traite et, en d’autres cas, il les déborde ou prolonge.

Les affaires que je vais maintenant citer seront des exemples plutôt qu’une liste complète. Dans Breeze Corp. v. Hamilton Clamp Stampings Ltd.[16], le jugement du juge Donnelly de la Cour suprême d’Ontario, concernait un présumé abus de confiance en violation d’un contrat et l’utilisation de renseignements confidentiels, en dehors des limites stipulées. En l’instance, le seul intérêt que présente cette affaire, est le passage où l’on fait la remarque que l’art. 7, comme l’al. c) indique clairement, ne se limite pas aux actions pour concurrence déloyale fondées sur la common law.

Une abondante jurisprudence de la Cour de l’Échiquier et des cours provinciales montre qu’on s’est fondé soit directement soit subsidiairement sur l’al. b) de l’art. 7 comme base pour la protec-

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tion de «noms commerciaux». Ainsi dans, Building Products Ltd. v. B.P. Canada Ltd.[17] et Greenglass v. Brown[18], les deux juges de la Cour de l’Échiquier ont été d’accord que l’al. b) de l’art. 7 va au-delà de l’ancien art. 11 de la Loi sur la concurrence déloyale en n’exigeant pas que le danger de confusion soit entre concurrents, mais ils semblent avoir été en désaccord quant à savoir si les art. 2 et 6, touchant le sens de l’expression «créant de la confusion» à l’égard des marques de commerce et des «noms commerciaux», s’appliquent lorsque l’al. b) de l’art. 7 est invoqué. Dans The Noshery Ltd. v. The Penthouse Motor Inn Ltd.[19] le juge Addy, alors juge de la Cour suprême de l’Ontario, a, au contraire, décidé que l’al. b) de l’art. 7 ne s’applique qu’entre concurrents.

Voici maintenant deux affaires où l’on a étudié l’art. 7 et qui illustrent bien à quel point il reprend des causes d’actions entre individus que connaissent bien la common law et le droit civil. Il s’agit de Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd.[20] et de Clairol International Corp. c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd.[21] Je les mentionne non pas pour ce qu’on y a décidé mais pour ce qu’on y a dit de l’art. 7. Ainsi, dans Eldon Industries, où les demanderesses alléguaient l’imitation d’un jouet par un concurrent, le juge d’appel Schroeder parlant au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, déclarait (aux pp. 105-106, 107-108):

[TRADUCTION] On n’a pas prétendu que les actes des défenderesses étaient interdits par l’al. a) de l’art. 7 de la Loi ni qu’ils allaient de quelque façon à l’encontre des dispositions de l’al. d) de l’art. 7. Les alinéa b) et c) de l’art. 7 énoncent sous forme codifiée le délit de common law qui consiste à faire passer ses marchandises pour celles d’un autre. A l’alinéa b) il s’agit du délit de faire passer ses marchandises pour celles d’un autre en attirant l’attention du public sur les marchandises (non pas nécessairement des marchandises qui ont été commandées ou demandées) comme, par exemple en donnant à un produit une marque, un façonnement ou une présentation particuliers qui aux yeux du public ont une autre origine et, par ce fait, créant de la confusion ou créant vraisemblablement de la confusion dans l’esprit du public. L’alinéa c), en revanche, traite de concurrence

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déloyale d’un genre particulier — soit de substituer des marchandises ou services à ceux qui sont commandés ou demandés, comme lorsqu’un produit manufacturé par A est commandé et que le vendeur remet un produit manufacturé par B comme étant conforme au premier.

Une réclamation basée sur l’allégation que les marchandises sont marquées ou présentées contrairement aux dispositions de l’al. b) de l’art. 7 est vouée à l’échec à moins que le réclamant établisse que la marque ou la présentation est connue par le public comme ayant une origine particulière…

On a beaucoup insisté devant nous sur la portée à donner à l’al. e) de l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce. Je partage la conclusion du savant juge de première instance que l’al. e) de l’art. 7 doit s’interpréter conjointement avec les al. a), b), c) et d) du même article: A.C. Spark Plug Co. v. Canadian Spark Plug Service, [1935] R.C. de l’É. 57, [1935] 3 D.L.R. 84; Kitchen Overall & Shirt Co. v. Elmira Shirt & Overall Co., [1937] R.C. de l’É. 230, [1938] 1 D.L.R. 7. Ces affaires ont été décidées selon l’art. 11 de la Loi sur la concurrence déloyale, 1932 (Can.), c. 38, qui avait codifié le délit de concurrence déloyale de common law, et l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce reproduit en substance l’art. 11 de la Loi sur la concurrence déloyale, quelques dispositions ajoutées en sus. L’alinéa e) de l’art. 7 doit donc s’interpréter ejusdem generis avec les al. a), b), c) ou d) de l’art. 7. Aussi bien en common law qu’en equity l’évolution des principes régissant les affaires d’imitation de produits a été lente et ces principes sont maintenant énoncés dans une loi aux al. a) à d) de l’art. 7. Il n’a jamais été question que ces derniers soient soumis à un critère subjectif ou inconnu qui aurait sa source dans les mots «une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada», ce que les dispositions de l’al. e) de l’art. 7 auraient pour effet si elles étaient considérées hors du contexte des alinéas antérieurs de l’article___

Dans l’affaire Clairol, une action pour usurpation d’une marque de commerce, la demanderesse a aussi invoqué les al. d) et e) de l’art. 7 et le juge Thurlow a décidé qu’en fait il n’y avait pas violation ni de l’al. d) ni de l’al. e). En examinant l’al. e) de l’art. 7 il déclarait ceci (à la p. 561):

[TRADUCTION] …Cette disposition statutaire particulière, qui est la dernière d’au moins cinq interdictions distinctes comprises dans l’ensemble de l’article, n’est pas indépendante. De plus, elle s’applique seulement, selon le texte, à des actes ou méthodes autres que ceux

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qui sont interdits dans les alinéas précédents. Le premier de ces alinéas interdit expressément de faire une déclaration fausse ou trompeuse tentant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent. Ici les mots clefs sont, à mon avis, «fausse ou trompeuse» et c’est le caractère faux ou trompeur de la déclaration qui la rend malhonnête et injuste. Il s’ensuit, comme je le vois, qu’il n’est pas interdit de faire une déclaration qui peut tendre à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent si elle n’est pas fausse ni trompeuse. Il devient clair, je crois, que c’est la situation juridique lorsqu’on voit qu’à ma connaissance, du moins il n’a jamais été considéré malhonnête ou répréhensible pour un homme d’affaires de chercher par tous les moyens honnêtes à attirer les clients de ses concurrents et ainsi réduire leur clientèle. Il me semble que la même tendance se reflète aussi dans les al. b), c) et d) de l’art. 7, puisque chacun, selon ses termes, se borne à interdire des actes trompeurs ou dont les conséquences sont vraisemblablement trompeuses et en ce sens malhonnêtes. Lorsqu’on arrive par conséquent à l’al, e) et que l’on voit qu’il interdit tout autre acte ou méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels et commerciaux ayant cours au Canada, il semble clair que ce qu’il vise ce sont les actes ou méthodes malhonnêtes dans le sens qu’ils sont de quelque façon trompeurs ou susceptibles d’induire en erreur. Des actes ou une conduite qui impliquent quelque abus de confiance pourraient bien aussi être également visés. Mais je ne crois pas que dans le contexte de l’article, considéré dans son ensemble, les termes employés puissent à juste titre s’interpréter plus largement de façon à interdire une conduite qu’on pourrait qualifier de malhonnête que dans le sens beaucoup plus subtil de profiter de la situation du marché, même si cette situation, comme en l’espèce, découle en grande partie des efforts et dépenses d’un tiers, pourvu que les moyens utilisés pour profiter de la situation ne soient pas eux-mêmes malhonnêtes. Le juge d’appel Schroeder, parlant au nom de la Cour d’appel de l’Ontario dans Eldon Industries Inc. v. Reliable Toy Co. Ltd. a exprimé, à mon avis, la même opinion à l’égard de la portée de l’al. e) de l’art. 7.

Il importe peu qu’il y ait accord ou désaccord entre les deux décisions Eldon Industries et Clairol quant à la relation entre l’al. e) de l’art. 7 et le reste de l’article.

Il y a un arrêt, de cette Cour, S. & S. Industries Ltd. c. Rowell[22], quant à la portée de l’art. 7, et

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particulièrement des al. a) et e), qui est particulièrement important, vu que cette portée n’est pas sans influer sur la validité. Aucune question constitutionnelle n’a été soulevée dans cette affaire qui touchait deux points: premièrement la validité du brevet de l’appelante, deuxièmement le droit de l’intimé à des dommages-intérêts pour ce qui était en substance un dénigrement ou une fausse déclaration préjudiciable. Rendant le jugement de la Cour, le juge Martland déclarait (aux pp. 422-3):

[TRADUCTION] La prétention de l’appelante était que l’intimé, pour recouvrer des dommages-intérêts, doit faire entrer sa réclamation dans le cadre d’une action de common law, que l’on a décrite comme une action pour «fausse déclaration préjudiciable», pour «dénigrement de marchandise», et pour «diffamation commerciale». Cela suppose, probablement à bon droit, que le droit d’action de l’intimé, s’il existe, a pris naissance dans la province d’Ontario et est régi par les lois de cette province. Je traiterai, sur cette base de l’argument de l’appelante, bien que je sois d’avis, comme on le verra plus loin, que la réclamation en dommages-intérêts de l’intimé peut à juste titre s’appuyer sur une loi fédérale, et qu’il n’est pas nécessaire par conséquent de trancher ici cette question.

La jurisprudence anglaise démontre que si les conditions requises pour la responsabilité sont établies, la menace de procédures judiciaires pour une prétendue contrefaçon d’un brevet ou marque de commerce invalides peut en common law donner lieu à une poursuite en dommages-intérêts…

Après avoir signalé la prétention de l’appelante que la malice (au sens d’absence d’une cause ou excuse raisonnable pour les fausses déclarations) était un élément nécessaire du droit d’action, le juge Martland a continué comme suit:

[TRADUCTION] En Angleterre, on a légiféré à l’art. 32 de la Loi sur les brevets de 1883 sur les menaces de procédures pour prétendue contrefaçon de brevet, mais au Canada la loi ne contient aucune disposition semblable. L’intimé prétend toutefois que les dispositions de l’al. a) de l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce, c. 49, Statuts du Canada 1952-53, créent un droit d’action statutaire, semblable à l’action pour fausse déclaration préjudiciable, mais seulement pour des déclarations faites par un concurrent où, cependant, la malice n’est plus un élément nécessaire…

Il n’est pas expressément exigé que les déclarations fausses ou trompeuses aient été faites sciemment ou

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malicieusement. Interpréter ces dispositions en y sous-entendant ces éléments équivaudrait à les lire comme si elles n’étaient que l’énoncé de règles de droit existantes. Je ne crois pas que cela soit justifié. La Loi sur la concurrence déloyale est une codification statutaire visant l’honnêteté dans le commerce. L’article 11 était inspiré de la Convention internationale pour la Protection de la Propriété Industrielle, signée à la Haye le 6 novembre 1925 à laquelle le Canada était partie…

A mon avis, l’al. a) de l’art. 7, selon sa signification normale, donne, dans les circonstances spécifiées, un droit d’action pour des déclarations qui sont, de fait, fausses et la malice ou l’absence de malice n’est à considérer que dans l’évaluation des dommages.

Les circonstances, en l’espèce, font tomber l’intimé sous le coup des dispositions de l’al. a) de l’art. 7 et par conséquent le pourvoi doit, à mon avis, être rejeté avec dépens.

Le juge Spence, en donnant son accord, a déclaré que même si la malice était nécessaire, il y avait de la preuve d’où le juge de première instance pouvait tirer des conclusions en ce sens.

Dans S. & S, Industries, la Cour ne s’est pas prononcée sur l’al. e) de l’art. 7, et elle a étudié la question des dommages en vertu de l’al a) dans le contexte d’une affaire de brevet, donc dans une matière qui relève expressément de la compétence législative du Parlement.

En définitive, soit que l’on considère l’al e) de l’art. 7 isolément ou mieux, comme partie d’un petit système visé par l’art. 7 dans son ensemble, la conclusion doit être que le Parlement du Canada a, par une loi, embrassé ou élargi des droits d’action reconnus en matière civile relevant de la juridiction des tribunaux provinciaux et touchant des questions de compétence législative provinciale. En l’absence d’organisme administratif pour contrôler l’observation des interdictions décrétées à l’art. 7 (et sans conclure que l’existence d’un tel organisme serait un facteur important ou décisif de constitutionnalité), je ne puis rien trouver dans les pouvoirs fédéraux qui fournisse un fondement incontestable à l’art. 7 dans son ensemble ou à l’al. e) considéré isolément. Le fait que la loi s’applique dans tout le Canada ne saurait constituer un point d’appui suffisant lorsque rien d’autre ne justifie sa validité.

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Les décisions que j’ai mentionnées font voir qu’il y a une certaine relation entre les al. a), b) et d) de l’art. 7 et la compétence fédérale sur les brevets et le droit d’auteur qui découle de certains chefs spéciaux de pouvoir législatif ainsi que la compétence sur les marques de commerce et les noms commerciaux qui viendrait, comme on le verra plus loin, du deuxième chef de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique. Même si cela suffît à donner à ces alinéas un certain champ d’application valable, il n’en résulte pas qu’ils attirent dans le champ de la compétence fédérale les autres matières qu’ils visent et qui ne relèvent pas autrement de l’autorité exclusive du pouvoir fédéral. Cet effet ne peut certainement pas se produire à l’égard de l’al. e) de l’art. 7 qui, comme on l’interprète dans la jurisprudence, n’a pas avec la protection des marques de commerce, des noms commerciaux, des brevets d’invention ou du droit d’auteur le lien qu’on prétend trouver dans les al. a), b) et d). Même s’il était possible de donner à tous les alinéas de l’art. 7 une portée restreinte à la réglementation fédérale dans le domaine des brevets, des marques de commerce, des noms commerciaux et du droit d’auteur, la présente affaire ne tombe pas dans ce domaine parce qu’elle concerne un abus de confiance par un employé et l’appropriation de renseignements confidentiels.

L’avocat de l’intimée a souligné à maintes reprises que l’al. e) de l’art. 7 vise des pratiques concurrentielles malhonnêtes, dans un marché ou s’exerce la concurrence, qu’il y présuppose deux ou plusieurs concurrents en lice et y implique détournement et utilisation malhonnête de renseignements ou documents ainsi obtenus. Tout cela est aussi vrai du délit de détournement lorsqu’il implique des hommes d’affaires ou des concurrents. Le fait que le Parlement a précisé un aspect particulier d’un délit connu ou a élargi la responsabilité qui en découle, ne saurait être un critère de constitutionnalité. Les questions pertinentes en l’espèce sont de savoir si la responsabilité est imposée à l’égard d’entreprises ou d’activités, par exemple les banques ou les lettres de change, qui relèvent elles-mêmes expressément de la compétence fédérale ou, dans la négative, si la responsabilité est réglementée de façon à tomber sous quelque autre rubrique du pouvoir législatif fédéral.

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Cela ne dépend pas seulement du caractère de la responsabilité mais aussi des mesures de contrôle adoptés par la loi fédérale. Il est évident, en l’espèce, que les méthodes malhonnêtes ne sont pas soumises au contrôle d’un organisme administratif fédéral et ne sont pas non plus expressément assujetties à une sanction pénale par la loi qui les interdit. Il est, à mon avis, difficile de les concevoir dans les termes généraux mis de l’avant par l’intimée et le procureur général du Canada devant cette Cour, lorsque la sanction reste sous tous rapports, y compris le préjudice, une affaire de caractère privé à débattre entre particuliers dans n’importe quelle petite ville ou ailleurs dans une province. Je ne vois dans l’al. e) de l’art. 7 aucun aspect d’intérêt général sauf qu’il s’agit d’une loi fédérale qui (comme c’est généralement le cas) n’est pas géographiquement limitée dans son application. En fait, la base même de l’al. e) sur lequel se fonde l’analyse qu’en fait l’intimée, c’est-à-dire qu’il présuppose la présence de deux ou plusieurs concurrents, élimine, à mon avis, l’aspect général qui aurait existé si cette législation avait imposé les mêmes interdictions mais sous la surveillance d’une autorité publique, indépendamment d’aucun grief immédiat de quelque particulier à l’égard du préjudice subi ou appréhendé.

Il y a lieu maintenant d’examiner le par. (2) de l’art. 91 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique comme fondement de l’al. e) de l’art. 7. L’intimée et le procureur général du Canada s’appuient sur les motifs du jugement qu’a rendu le juge en chef Jackett au nom de la Cour d’appel fédérale et j’y arrive. La première proposition énoncée dans ces motifs comme un fondement de ce qui suit n’en est pas une que je puis adopter. Il dit:

La première question à se poser est celle de savoir si l’ensemble de la Loi sur les marques de commerce relève de la compétence du Parlement du Canada. Si la réponse à cette question est négative, la question suivante à se poser est celle de savoir si l’article 7, ou son alinéa e), est susceptible d’être séparé du reste de la loi et, pris séparément, d’être considéré comme relevant de la compétence du Parlement du Canada.

La Loi sur les marques de commerce dans son ensemble n’est pas contestée et la validité de ses dispositions sur les marques de commerce n’est pas

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mise en question. Puisque l’al. e) de l’art. 7 n’a pas trait aux marques de commerce, sa présence dans la Loi sur les marques de commerce n’est pas une garantie de validité simplement parce que les principales dispositions n’en sont pas attaquées. Je reviens à la question de savoir si l’art. 7, particulièrement l’al. e) peut être considéré comme une partie du système général de la Loi sur les marques de commerce et des autres lois fédérales connexes. Si l’article est valide en soi, il n’a pas besoin d’autre appui. Sinon, sa constitutionnalité est susceptible de venir du contexte où il a le caractère de disposition additionnelle servant à renforcer d’autres dispositions d’une validité incontestable.

Vu la façon dont la question constitutionnelle a été soulevée devant cette Cour, je crois qu’il faut rechercher d’abord si l’al. e) de l’art. 7, pris séparément, peut se justifier comme législation fédérale, et dans la négative, s’il peut se justifier à titre de partie d’un système de contrôle que le Parlement peut établir. A cet égard, je ne caractériserais pas la Loi sur les marques de commerce comme la Cour d’appel fédérale l’a fait en considérant l’ensemble des art. 7 à 11 de la Loi comme «un ensemble de règles générales applicables à tout le trafic et à tout le commerce au Canada, y compris une version statutaire de la règle de common law interdisant la concurrence déloyale». J’ai déjà noté que les art. 8 à 11 visent l’usurpation des marques de commerce, et s’il ne reste que l’art. 7 dans la catégorie des règles générales applicables à tous les échanges et à tout le commerce au Canada, la généralité tient seulement à ce que l’art. 7 est sans limite géographique. Telles sont les données du problème dont il faut chercher la solution.

La conclusion de la Cour d’appel fédérale sur la validité de l’art. 7, y compris l’al. e), est fondée sur deux arrêts du Conseil Privé: Citizens Insurance Co. v. Parsons[23], et Attorney‑General of Ontario v. Attorney-General of Canada[24]. Elle est formulée comme suit:

[Page 160]

A la lumière de cette jurisprudence, je conclus qu’une loi établissant un ensemble de règles générales visant la conduite des hommes d’affaires au Canada dans le cadre d’activités concurrentielles est une loi promulgant [TRADUCTION] «des réglementations de l’ensemble du commerce ou des réglementations du trafic et du commerce au niveau national au sens donné à ces expressions dans l’arrêt Parsons». A cet égard, il n’y a, à mon avis, aucune différence entre la réglementation des normes auxquelles doivent se conformer les produits et une loi réglementant les normes à respecter dans la conduite des affaires; selon moi, s’il existe une notion telle que la réglementation générale de l’ensemble du commerce, elle doit inclure une loi d’application générale qui réglemente soit les normes des produits soit les normes de la conduite des affaires.

A mon avis, la Loi sur les marques de commerce, dans son ensemble, est une loi d’application générale réglementant les normes de la conduite des affaires au Canada; elle relève donc de la compétence conférée au Parlement par l’article 91(2) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867. Il ne m’est donc pas nécessaire d’examiner les autres moyens invoqués à l’appui de la validité de l’article 7 e).

Je suis bien prêt, en examinant la portée de la compétence du Parlement du Canada sur la réglementation des échanges et du commerce, à considérer sous leur aspect le plus général les énoncés de l’arrêt Parsons sur la portée de cette compétence. L’atténuation de la vaste formulation de ce pouvoir ne peut être attribué à ce seul arrêt mais bien à une série d’arrêts subséquents qui, à mon avis, n’en ont pas suivi les traces. Il se peut même que d’après les faits, l’arrêt Parsons soit correct dans la mesure où il touche la validité de la législation provinciale sur les contrats d’assurance dans la province ainsi que les conditions statutaires des polices d’assurance-incendie dans la province. On ne doit pas oublier que cette Cour avait maintenu la validité de la loi, avec deux dissidences, lorsque l’affaire lui a été soumise: voir (1880), 4 R.C.S. 215. En maintenant la loi provinciale, cette Cour avait pris soin de souligner l’étendue et la primauté de la compétence fédérale en matière d’échanges et de commerce mais elle a décidé que la loi provinciale en litige respectait les limites de cette compétence. Ainsi le juge Ritchie déclarait (à la p. 242):

[Page 161]

[TRADUCTION] Personne ne peut mettre en doute le pouvoir général du Parlement de légiférer à l’égard «des échanges et du commerce» et lorsque, en des matières qui relèvent de la compétence des législatures locales, une loi locale entre en conflit avec une loi adoptée par le Parlement du Dominion légiférant à l’égard de quelque matière relevant de sa compétence, la loi du Parlement du Dominion a préséance sur la loi de la législature locale; en d’autres mots, en pareil cas, la loi provinciale est subordonnée à la réglementation édictée par le Parlement du Dominion à l’égard par exemple, des échanges et du commerce. Je maintiens ce que j’ai dit dans Valin c. Langlois, que la propriété et les droits civils mentionnés ne sont pas toute la propriété et tous les droits civils, mais les mots «propriété et droits civils» doivent nécessairement s’interpréter dans un sens restreint et limité, puisque plusieurs sujets y touchant sont expressément réservés au Parlement du Dominion. De plus, le pouvoir des législatures locales est subordonné aux pouvoirs généraux et spéciaux du Parlement du Dominion. A cela, j’ai ajouté en cet arrêt-là «mais bien que la compétence législative des législatures locales soit en ce sens subordonnée à la compétence du Parlement du Dominion, je crois que l’autorité de celui-ci doit s’exercer, dans la mesure du possible, en respectant l’autorité des législatures locales; et par conséquent le Parlement du Canada n’aura le droit d’intervenir dans les matières de propriété et de droits civils que dans la mesure où pareille intervention est nécessaire pour légiférer complètement et efficacement sur des matières relevant de la compétence du Parlement du Canada.»

Je crois qu’il ne faut pas considérer le pouvoir du Parlement du Canada de légiférer pour réglementer les échanges et le commerce comme nécessairement incompatible avec le pouvoir des législatures locales de légiférer pour réglementer la propriété et les droits civils à l’égard de toutes les matières d’une nature purement locale ou privée, comme les matières relatives à la jouissance et à la conservation des biens dans la province ou à des contrats ayant pour objet les biens ou les opérations des parties contractantes, même si l’exercice par les législatures locales de pareil pouvoir peut être considéré comme touchant quelque peu des matières relatives aux échanges et au commerce, à moins que, de fait, les lois des législatures provinciales entrent en conflit avec les lois édictées par le Parlement du Canada pour la réglementation générale des échanges et du commerce…

L’appréciation par le Conseil Privé, dans l’affaire Parsons, de la compétence en matière d’échange et de commerce, sur laquelle la Cour

[Page 162]

d’appel fédérale s’est fondée en l’espèce, a été formulée de façon suivante (à la p. 113 de 7 App. Cas.):

[TRADUCTION] Par conséquent, si l’on interprète les mots «réglementation des échanges et du commerce» en s’aidant des divers moyens mentionnés plus haut, on voit qu’ils devraient inclure les arrangements politiques concernant les échanges qui requièrent la sanction du Parlement et la réglementation des échanges dans les matières d’intérêt interprovincial. Il se pourrait qu’ils comprennent la réglementation générale des échanges s’appliquant à tout le Dominion. Leurs Seigneuries s’abstiennent dans la présente circonstance de tenter d’établir les limites de l’autorité du Parlement du Dominion dans ce domaine. Pour juger la présente affaire, il suffit, d’après Elles, de dire que le pouvoir fédéral de légiférer pour réglementer les échanges et le commerce ne comprend pas le pouvoir de légiférer pour réglementer les contrats d’un échange ou d’un commerce en particulier, tel que les affaires d’assurance-incendie dans une seule province, et que, par conséquent, l’autorité législative du parlement fédéral n’entre pas ici en conflit avec le pouvoir sur la propriété et les droits civils attribué par le par. 13 de l’art. 92 à la législature de l’Ontario.

Lord Watson dans l’affaire de la prohibition à l’échelle municipale, Attorney-General of Ontario v. Attorney-General of Canada[25], à la p. 363 n’a pas voulu se prononcer sur la portée exacte du pouvoir fédéral en matière d’échanges et de commerce, disant en parlant de l’arrêt Parsons qu’il a été décidé [TRADUCTION] «qu’en l’absence d’une législation du Parlement canadien à ce sujet, la législature de l’Ontario a la compétence pour réglementer l’assurance‑incendie comme se rattachant aux droits civils, dans la mesure où les conditions posées ne se rattachaient qu’aux échanges provinciaux». C’est dans le renvoi de 1916 relatif à l’assurance, Attorney-General of Canada v. Attorney-General of Alberta[26], à la p. 596 qu’on a beaucoup restreint le pouvoir fédéral en matière d’échanges et de commerce lorsque lord Haldane, sans mentionner spécifiquement l’arrêt Parsons mais bien deux autres arrêts, Hodge v. The Queen[27], et l’arrêt non publié du Conseil Privé

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dans l’affaire de la loi McCarthy (voir à ce sujet l’annexe du c. 74, 1885 (Can.),) a déclaré: [TRADUCTION] «on doit reconnaître maintenant que le pouvoir d’adopter des mesures législatives concernant la réglementation des échanges et du commerce ne s’étend pas à la réglementation par un système de permis d’un commerce particulier que, par ailleurs, les canadiens pourraient exercer en toute liberté dans les provinces».

L’arrêt Parsons, comme on vient de le voir dans le passage cité, parle de «réglementer les contrats d’un échange ou d’un commerce en particulier» et exclut cela du champ de la réglementation par le Parlement fédéral en vertu du par. (2) de l’art. 91. Le processus de restriction s’est poursuivi avec l’arrêt Board of Commerce[28], mais dans l’arrêt Proprietary Articles Trade Association v. Attorney-General of Canada[29], y a mis fin.

Je ne considère pas nécessaire d’examiner en détail les arrêts subséquents, soit du Conseil Privé soit de cette Cour, qui ont étudié ou examiné le pouvoir fédéral en matière d’échanges et de commerce. Dans la mesure où ils concernaient la réglementation de la mise en marché, soit en vertu de lois fédérales comme dans l’affaire The King c. Eastern Terminal Elevator Co.[30], le renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits naturels[31], et l’affaire Murphy c. C.P.R.[32], soit en vertu de lois provinciales comme dans l’affaire Shannon c. Lower Mainland Dairy Products Board[33], ou le renvoi Re Ontario Farm Products Marketing Act[34], ils n’ont pas d’incidence directe sur le présent litige. Ils ont toutefois pour effet d’indiquer qu’il faut qu’il s’agisse d’échanges commerciaux ou étrangers: si l’on veut qu’une loi fédérale imposant la réglementation par une autorité publique et la soustrayant à l’initiative individuelle soit valide ou, si l’on considère la réglemen-

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tation du crédit (pour reprendre l’opinion exprimée par le juge en chef Duff dans le renvoi relatif aux lois de l’Alberta[35], la loi doit prévoir une réglementation publique applicable à la poursuite des activités commerciales dans tout le Canada.

Je ne trouve rien dans la jurisprudence sur le par. (2) de l’art. 91 qui empêche cette Cour, même en s’en tenant prudemment au stare decisis, de s’inspirer du texte du Conseil Privé dans l’arrêt Parsons, précité, comme d’un guide dans l’étude de la question constitutionnelle soulevée en l’espèce. Je crois que la Cour d’appel fédérale a bien fait d’agir de la sorte mais je ne suis pas d’accord que l’utilisation des critères de l’arrêt Parsons conduise à juger valide l’al. e) de l’art. 7. J’en répète la phrase pertinente:

[TRADUCTION] Les mots «réglementation des échanges et du commerce» …devraient inclure les arrangements politiques concernant les échanges qui requièrent la sanction du Parlement et la réglementation des échanges dans les matières d’intérêt interprovincial. Il se pourrait qu’ils comprennent la réglementation générale des échanges s’appliquant à tout le Dominion.

On doit examiner en l’espèce la dernière catégorie mentionnée. Je la considère selon les termes employés par le juge en chef Duff dans le renvoi relatif à la Loi sur l’organisation du marché des produits naturels[36], lorsque, à la p. 412 il parlait [TRADUCTION] “de règlements généraux sur le commerce dans son ensemble ou des règlements de commerce général, au sens du jugement rendu dans la cause Parsons».

A vrai dire l’al. e) de l’art. 7 n’est pas une réglementation et il ne vise pas le commerce dans son ensemble ni le commerce en général. Dans un sens très large toute disposition législative est réglementaire, même celles du Code criminel, mais je n’interprète pas le par. (2) de l’art. 91 comme autorisant par lui-même l’adoption d’une loi fédérale qui ne fait que créer un délit statutaire, sanctionné par voie de poursuite civile privée et applicable, comme en l’espèce, à l’ensemble des relations commerciales dans n’importe quelle activité, même si elle ne relève pas de la compétence législative fédérale. S’il y a eu des arrêts qui ont

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semblé aller trop loin dans la restriction du pouvoir fédéral en matière d’échanges et de commerce, une conclusion affirmative, en l’espèce, irait à mon avis, encore plus loin dans la direction opposée.

Il est évident qu’ici le Parlement du Canada a simplement donné plus d’ampleur et d’importance à la notion de responsabilité délictuelle reconnue par le droit civil et la common law en adoptant une loi qui prescrit en même temps les redressements civils ordinaires que la victime pouvait déjà réclamer. Le Parlement du Canada ne peut pas plus élargir son autorité législative en ajoutant à la responsabilité civile existante, qui est du ressort des tribunaux provinciaux en tant que matière de compétence provinciale, que les législatures provinciales peuvent élargir leur autorité législative en ajoutant au droit criminel fédéral: voir Johnson c. Le procureur général d’Alberta[37].

C’est en vain qu’on cherche dans l’art. 7, à plus forte raison dans l’al. e), un système de réglementation. L’application en est laissée à l’initiative des particuliers, sans contrôle public par un organisme qui surveillerait de façon permanente l’application des règlements, ce qui donnerait au moins quelque apparence de fondement à la prétention que l’al. e) de l’art. 7 est de portée nationale ou qu’il vise tout le Canada. L’objet de la disposition n’est pas le commerce mais l’éthique des personnes qui s’adonnent au commerce ou aux affaires, et, à mon avis, on ne peut maintenir une semblable disposition seule et sans lien avec un système général régissant les relations commerciales dépassant l’intérêt local. Même en disant qu’elle vise des pratiques commerciales, son application pour action civile à l’instance des particuliers lui donne un caractère local parce qu’elle vise, dans ses termes, des concurrents locaux ou à l’intérieur d’une même province aussi bien que des concurrents au niveau interprovincial.

On dit toutefois que l’art. 7, ou l’al. e) en particulier, peut être considéré comme une partie d’un système général de réglementation englobant la loi même où il est inséré ainsi que des lois connexes comme la Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, c. P-4, la Loi sur le droit d’auteur, S.R.C.

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1970, c. C-30 et la Loi sur les dessins industriels, S.R.C. 1970, c. I-8.

La Loi sur les marques de commerce et la Loi sur les brevets, qui sont les pivots du système se distinguent par des registres publics et un contrôle administratif que ne prévoit aucunement l’art. 7. Cela est également vrai de la loi sur le droit d’auteur mais, on le sait, les brevets et le droit d’auteur sont expressément mentionnés dans la liste des matières de compétence fédérale et le pouvoir fédéral exclusif y exclut toute compétence provinciale. Ce n’est pas le cas pour la concurrence déloyale visée à l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce. Dans Attorney-General of Ontario v. Attorney-General of Canada[38], le Conseil privé à, non sans précaution, rattaché la loi sur les marques de commerce (ce qui vaudrait pareillement pour la loi sur les dessins industriels qui prévoit également un régime d’enregistrement) à la compétence fédérale en la matière d’échanges et de commerce. Cet arrêt, sur lequel s’appuient, en l’espèce, l’intimée et le Procureur général du Canada, touchait certaines dispositions de la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de l’industrie, 1935 (Can.), c. 59, (abrogée par 1949 (Can. 2e session), c. 31, art. 9). Cette loi instituait une marque de commerce nationale, Canada Standard ou C.S. qui était déclaré appartenir à Sa Majesté du chef du Canada, et qui pouvait être apposée aux marchandises conformes aux exigences établies par la loi pour son utilisation. Personne n’était obligé de s’en servir, même si ses marchandises répondaient aux exigences. C’était un genre de réglementation facultative sanctionnée seulement si la marque était utilisée sans se conformer aux conditions prescrites.

Reconnaissant la validité de cet aspect de la loi, le Conseil privé profita de l’occasion pour dire sur la validité de la loi existante touchant les marques de commerce (à la p. 417) [TRADUCTION] «personne n’a contesté la compétence du Dominion à adopter cette législation. Si on le contestait, on pourrait évidemment s’appuyer sur la catégorie de sujets énumérés au par. (2) de l’art. 91, la réglementation des échanges et du commerce».

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Lorsque la Cour suprême du Canada a entendu cette dernière affaire (Renvoi sur la Loi sur la Commission fédérale du commerce et de l’industrie, 1935[39]) elle n’a pas examiné seulement les art. 18 et 19 visant la marque C.S. (qu’elle a jugés ultra vires, décision infirmée par le Conseil privé), elle a aussi étudié l’art. 14 qui prescrivait que le gouvernement pouvait approuver des ententes conclues en vue de contrôler et de réglementer les prix, entre personnes engagées dans des industries particulières au sein desquelles aurait existé une concurrence ruineuse ou démoralisante. On a jugé cette disposition ultra vires parce qu’elle pouvait s’appliquer à des ententes qui pourraient avoir trait à un commerce absolument local. La Cour suprême du Canada a ajouté (à la p. 382):

S’il se limitait au commerce extérieur et au commerce interprovincial, ledit article pourrait bien ressortir à la rubrique n° 2 de l’art. 91; et si la loi portait, en substance, sur un commerce de ce genre, une loi accessoire relative au commerce local et nécessaire pour empêcher l’échec des dispositions régulières pourrait également être constitutionnelle; mais nous estimons que, dans son texte actuel, cet article est invalide.

Il n’y a pas eu d’appel au Conseil privé à l’égard de cette opinion et la Cour suprême, à mon avis, n’a pas jugé que l’art. 14 pouvait être maintenu comme partie d’un système de réglementation.

Je crois qu’en l’espèce, on en arrive a fortiori à la même conclusion puisque non seulement l’art. 7 ne vise pas essentiellement le commerce interprovincial ou extérieur mais de plus il n’est pas relié à un organisme de surveillance rattaché au système de contrôle public qui s’exerce sur les marques de commerce. Parler de réglementation relative aux marques de commerce comme d’un système pour prévenir la concurrence déloyale et vouloir de la sorte faire tomber l’art. 7 dans le domaine de la compétence fédérale équivaut à remplacer l’analyse par la nomenclature.

J’en arrive enfin à examiner si l’on peut dire de l’art. 7, y compris l’al. e), qu’il est de la compétence législative fédérale, parce qu’il vise à exécuter une obligation contractée par le Canada en vertu d’un traité ou d’une convention internationale. Il y a deux questions importantes soulevées à

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cet égard. D’abord, prenant pour acquis que j’ai à juste titre conclu que l’art. 7, dans son texte actuel, ne relève pas de la compétence fédérale, est-ce que l’arrêt relatif aux Conventions du travail[40], empêche le pouvoir fédéral de décréter une loi pour exécuter une obligation internationale découlant d’un traité ou accord international? En second lieu, si la réponse à cette question est négative et le pouvoir fédéral n’est pas ainsi restreint, l’art. 7 est-il une disposition législative régulièrement décrétée pour exécuter une obligation internationale?

L’arrêt relatif aux Conventions du travail est trop bien connu pour qu’il soit nécessaire d’en citer ou d’en résumer les conclusions. Dans Francis c. La Reine[41], à la p. 621, le juge Kerwin, alors juge en chef de cette Cour, parlant en son nom et au nom des juges Taschereau et Fauteux (chacun d’eux deviendra plus tard juge en chef), a déclaré qu’il pourrait être nécessaire dans l’avenir de considérer (ce qui, je crois, veut dire reconsidérer) l’arrêt rendu dans l’affaire des Conventions du travail. Lord Wright, qui siégeait au Conseil privé lorsque cette affaire a été entendue, a déclaré plus tard dans un commentaire ex cathedra (voir (1955), 33 Rev. du Bar. Can. 1123, aux pp. 1125 ss.) que l’opinion exprimée par le Comité judiciaire dans cette affaire, à l’égard des art. 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, ne pouvait se concilier avec la compétence générale du fédéral énoncée au début de l’art. 91, ni avec les opinions exprimées par le Conseil privé dans les arrêts sur l’Aéronautique[42], et la Radiocommunication.[43]

Dans ce dernier arrêt, Lord Dunedin parlant au non du Conseil privé, a dit (à la p. 312):

[TRADUCTION] …Le Canada, en tant que Dominion, est l’un des signataires de la Convention. Dans un différend avec des puissances étrangères, les stipulations de la Convention pourront être violées par des personnes demeurant au Canada et non pas par le Dominion du Canada. Ces personnes doivent, si l’on peut dire, être disciplinées au moyen de lois, et, les seules lois qui peuvent s’appliquer en même temps à elles toutes sont

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les lois du Dominion. On était loin de penser en 1867 que le Canada, en tant que Dominion, pourrait être lié par une convention équivalant à un traité conclu avec des puissances étrangères. C’est la conséquence du développement graduel de la position du Canada vis-à-vis de sa mère patrie, la Grande-Bretagne, que l’on trouve consignée de nos jours dans le Statut de Westminster. On ne peut donc pas s’attendre à voir cette question visée en termes explicites, pas plus dans l’art. 91 que dans l’art. 92. Le seul genre de traité susceptible de lier le Canada était, pensait-on alors, un traité signé par la Grande-Bretagne et l’art. 132 y pourvoyait. N’étant mentionné de façon explicite ni dans l’art. 91 ni dans l’art. 92, un tel objet de législation tombe sous le coup des termes généraux du début de l’art. 91, qui assignent au gouvernement fédéral le pouvoir de faire des lois «pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par le présent acte exclusivement assignés aux législatures des provinces». Somme toute, tout en admettant que la Convention n’est pas un traité au sens de l’art. 132, leurs Seigneuries croient que cela revient au même…

Dans une autre déclaration ex cathedra, un juge retraité de cette Cour, feu le juge Rand, a aussi exprimé l’opinion que le pouvoir résiduaire du Parlement du Canada lui conférait pleine autorité de légiférer pour exécuter les obligations internationales contractées par le Canada, même quand l’objet de l’accord international ne relève pas de la compétence, fédérale: voir RAND, «Some Aspects of Canadian Constitutionalism» (1960), 38 Rev. du Bar. Can. 135, à la p. 142.

Même si ce que je viens de mentionner pouvait justifier un nouvel examen de l’affaire des Conventions du travail, je ne le trouve pas nécessaire en l’espèce, car en supposant que le Parlement pouvait légiférer pour exécuter une obligation internationale contractée par le Canada en vertu d’un accord ou d’un traité (dans un domaine qui autrement ne relèverait pas de sa compétence), je suis d’avis qu’on ne peut pas dire que l’art. 7 a été ainsi édicté.

On prétend que l’obligation a pris naissance en vertu de la Convention internationale pour la Protection de la Propriété Industrielle (la Convention d’Union de Paris) intervenue le 20 mars 1883 modifiée subséquemment à Bruxelles, le 14 décembre 1900, à Washington, le 2 juin 1911, à La

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Haye, le 6 novembre 1925 et à Londres, le 2 juin 1934. Il y en a eu une autre par la suite, à Stockholm, le 14 juillet 1967, le Canada l’a agréée mais elle est ici sans intérêt. L’instrument de ratification par le Canada des autres modifications ci-dessus mentionnées a été déposé le 26 juin 1951 et la Convention modifiée est entrée en vigueur le 30 juillet 1951. La Loi sur les marques de commerce, dont fait partie l’art. 7, a été adoptée en 1953 par 1952-53 (Can.), c. 49, et est entrée en vigueur le 1er juillet 1954.

Le paragraphe 2 de l’art. 1 de la Convention modifiée se lit comme suit:

La protection de la propriété industrielle a pour objet d’invention, les modèles d’utilité, les dessins ou modèles industriels, les marques de fabrique ou le commerce, les marques de service, le nom commercial et les indications de provenance ou appellations d’origine, ainsi que la répression de la concurrence déloyale.

L’article 10bis est le seul qui traite de la protection contre la concurrence déloyale. Il se lit comme suit:

1. Les pays de l’Union sont tenus d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection effective contre la concurrence déloyale.

2. Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

3. Notamment devront être interdits:

(1) Tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n’importe quel moyen avec l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent.

(2) Les allégations fausses, dans l’exercice du commerce, de nature à discréditer l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent.

(3) Les indications ou allégations dont l’usage, dans l’exercice du commerce, est susceptible d’induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l’aptitude à l’emploi ou la qualité des marchandises.

Ce texte est rédigé en termes d’obligations. Ces dispositions ont une certaine ressemblance avec l’al. e) de l’art. 7 de même qu’avec les al. a) et b). Rien ne correspond à l’al c) et ce n’est que par extension exagérée qu’on peut établir une parallèle avec l’al. d).

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Il n’y a rien dans la Loi des marques de commerce de 1953 qui indique qu’elle a été adoptée pour mettre en vigueur la Convention ci-dessus mentionnée sauf que dans l’article d’interprétation il y a renvoi à la Convention et définition de «pays d’origine» et de «pays de l’Union», celle-ci se rattachant à la Convention. Ces renvois visent uniquement la réglementation des marques de commerce, comme il appert des art. 5, 29 et 33 de la Loi sur les marques de commerce. Par eux-mêmes, ils n’étayent pas la conclusion que la loi a été adoptée pour mettre en vigueur la Convention et certainement pas que l’art. 7 a été adopté à cette fin.

A mon avis, en supposant que le Parlement a le pouvoir de légiférer pour mettre en vigueur un traité ou une convention à l’égard de matières qui en font l’objet mais autrement relèveraient de la compétence législative provinciale seulement, il faut que cela ressorte clairement du texte de la loi visant la mise en vigueur et ne soit pas objet de déduction. Les tribunaux doivent être capables de décider, d’après le texte, qu’il s’agit d’une loi de mise en vigueur. Évidemment, même dans ce cas, on pourra toujours soulever la question de savoir si la loi dépasse ou ne dépasse pas les obligations naissant du traité ou de la convention.

Dans les diverses lois qui ont fait l’objet de la décision de cette Cour et de celle du Conseil privé dans l’affaire des Conventions du travail, supra, on renvoyait expressément à la convention. Lorsque ces lois ont été soumises à l’appréciation de cette Cour, sous le titre abrégé, Renvoi relatif à la Loi sur le repos hebdomadaire dans les établissements industriels, la Loi sur les salaires minima et la Loi sur la limitation des heures de travail[44], le décret de renvoi énonçait le fait à savoir que les trois lois [TRADUCTION] «avaient respectivement passées, comme il appert des exposés dans leurs préambules, aux fins d’édicter la législation nécessaire pour permettre au Canada de remplir les obligations qu’il déclare avoir assumées …». Dans un renvoi antérieur à cette Cour, In Re La compétence législative quant aux heures de travail[45], lequel visait un projet de convention sur la limita-

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tion des heures de travail dans les entreprises industrielles, adopté par la Conférence internationale du travail de la Société des nations, le Gouverneur général en Conseil en déférant l’affaire a énoncé l’avis du ministre de la Justice que le Parlement du Canada n’était pas obligé de légiférer mais qu’on se devait seulement de soumettre tout projet de convention [TRADUCTION] «à l’autorité ou aux autorités compétentes en la matière en vue de l’adoption d’une loi ou de toute autre mesure». La Cour a exprimé son avis sur ce renvoi à partir de cet exposé.

En l’absence d’une déclaration expresse dans la Loi sur les marques de commerce que dans son ensemble, l’art. 7 inclus, ou que l’art. 7 lui-même, a été édicté pour exécuter les obligations de la convention mentionnée ci-dessus, je ne considère pas qu’il y ait, en l’espèce, exercice de la compétence fédérale relative à la mise en œuvre d’un traité ou d’une convention, en supposant que cette compétence existe.

En l’espèce, j’en viens à la conclusion suivante. Ni l’art. 7 dans son ensemble, ni l’al. e) considéré seul ou en relation avec l’art. 53, n’est une loi fédérale valide relative à la réglementation des échanges et du commerce ou une autre rubrique de compétence fédérale. Il y a empiétement sur la compétence législative provinciale dans la situation comme elle se présente. Toutefois l’art. 7 comprend des dispositions visant les fins de la loi fédérale dans la mesure où l’on peut les considérer comme un complément des systèmes de réglementation établis par le Parlement dans l’exercice de sa compétence à l’égard des brevets, du droit d’auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux. Si les alinéas de l’art. 7 se limitaient à cela, ils seraient valides et, si l’al. e) qui est le seul dont la constitutionnalité soit contestée en l’espèce, pouvait être ainsi restreint, je serais certainement prêt, à maintenir dans cette mesure sa validité. Je suis toutefois d’avis (et ici je m’inspire de l’étude de l’al. e) dans l’affaire Eldon Industries), que l’al. e) n’a plus d’objet à l’égard des brevets, du droit d’auteur, des marques de commerce et des noms commerciaux après que ces rubriques du pouvoir législatif ont été appliquées aux alinéas précédents. De toute façon, en l’espèce, les faits ne soulèvent

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aucune question de contre-façon de brevet ou d’usurpation de droit d’auteur ou de marque de commerce ni aucun délit relié à ces matières ou à un nom commercial. Il n’y a rien d’autre que l’allégation d’une violation de contrat par un ex-employé, un abus de confiance et d’une appropriation frauduleuse de renseignements confidentiels. Une législation ayant pour objet un droit d’action statutaire à cet égard n’est pas de compétence fédérale.

Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, à l’égard des clauses de l’injonction interlocutoire qui sont en litige en l’espèce, d’ordonner que ces clauses soient supprimées et que le jugement de la Cour fédérale soit modifié en conséquence. Les appelants ont droit à leurs dépens en Cour d’appel fédérale et en cette Cour. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens en faveur des intervenants ou contre eux. Ceci, évidemment, sans préjudice à toute action que l’intimée voudra ou pourra intenter devant un tribunal provincial.

Le jugement des juges Martland, Judson et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE DE GRANDPRÉ — Les faits qui donnent naissance à la question constitutionnelle soulevée en ce pourvoi, sont très circonscrits. Le juge en chef Jackett, de la Cour d’appel, décrit le contexte comme suit (aux pp. 1158-9):

L’intimée fait depuis plusieurs années le commerce de matériel de chauffage; l’appelant MacDonald a été au service de l’intimée et d’une compagnie remplacée par cette dernière pendant presque 10 ans et il est arrivé jusqu’au poste de vice-président. Lorsqu’il est entré au service de la compagnie remplacé par l’intimée, MacDonald a souscrit un engagement dont le préambule est rédigé en partie de la façon suivante:

[TRADUCTION] …me rendant compte que, grâce à mon dit emploi, je serai en mesure d’acquérir, par mes observations et par des communications qui me seront faites, des renseignements confidentiels et d’importance capitale relatifs aux méthodes de construction et aux principes utilisés dans les appareils et dispositifs fabriqués, vendus, mis au point ou utilisés par la présente compagnie (et aux difficultés que provoque. leur production) dans le cours de ses affaires, durant toute la période où je serai au service de la compagnie;

La clause cinq dudit engagement est libellée de la façon suivante:

[Page 174]

[TRADUCTION] Je ne divulguerai à aucune personne non autorisée quelque renseignement obtenu ou quelque connaissance acquise du fait de mon emploi par la compagnie.

Alors qu’il était encore employé par l’intimée, MacDonald s’est occupé de la constitution en corporation de l’appelante, la Railquip Enterprises Ltd., dont il a toujours été l’actionnaire majoritaire.

Au cours des derniers mois où il a été employé par l’intimée, MacDonald a participé à la préparation d’une soumission présentée par cette dernière pour la fourniture de 500 installations de chauffage de wagons de chemin de fer au Canadien National. MacDonald a quitté son emploi chez l’intimée le 15 avril 1971 et, le 1er mai 1971, il a présenté une soumission, probablement au nom de la Railquip, pour la fourniture d’installations de chauffage de wagons de chemin de fer au Canadien National. Suite à cette soumission, la Railquip a obtenu une commande de 150 installations de chauffage. Pour préparer ladite soumission, MacDonald s’est servi des connaissances qu’il avait acquises, à titre d’employé de l’intimée, et des chiffres sur lesquels se fondait la soumission de l’intimée. La détermination de ces montants avait exigé un travail considérable de la part des employés de l’intimée. Pour permettre à la compagnie dont il était l’actionnaire majoritaire de préparer cette soumission, MacDonald a aussi employé et dévoilé d’autres renseignements confidentiels acquis pendant qu’il était employé par l’intimée. En outre, il s’est emparé d’un certain nombre de documents relatifs à cette affaire que l’intimée avait en sa possession et qui lui appartenaient.

Dans son action, l’intimée demande un redressement par voie d’injonction, des dommages‑intérêts ainsi que d’autres conclusions auxiliaires. En produisant sa déclaration, l’intimée a donné avis d’une requête pour injonction interlocutoire. Celle-ci a été accordée en substance par le juge Walsh dans les termes que l’on trouve à la p. 243 de 6 C.P.R. (2d) 204. Le jugement de première instance a été modifié en appel de sorte qu’en résumé l’ordonnance actuelle interdit aux appelants de

1) utiliser toute invention appartenant à l’intimée et couverte par deux brevets;

2) utiliser tout renseignement confidentiel acquis par le fait que MacDonald était au service de l’intimée;

3) utiliser tout document acquis à cette occasion;

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4) livrer du matériel constituant une contrefaçon des brevets de l’intimée ou accepter des commandes pour ce matériel;

5) garder en leur possession tout document appartenant à l’intimée.

Malgré le renvoi aux brevets de l’intimée dans les al. 1 et 4 ci-dessus, les cours d’instance inférieure n’ont pas accordé l’injonction interlocutoire parce que l’intimée avait établi que la contrefaçon de ses brevets d’invention par les appelants paraissait fondée. Le passage suivant de la p. 224 du jugement de première instance l’indique clairement:

Il semble donc que les défendeurs peuvent contester sérieusement les allégations de la demanderesse sur la question de la contrefaçon de brevets et que je ne dois pas accorder une injonction interlocutoire en l’état actuel de la procédure en me fondant uniquement sur la contrefaçon qu’allègue la demanderesse.

En l’absence d’allégations précises de contrefaçon de droits d’auteur dans la première déclaration et dans les affidavits présentés à l’appui de celle-ci, le sort de la demande dépend donc, en l’état actuel de la procédure, de l’application de l’art. 7 de la Loi sur les marques de commerce,…

C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter l’ordre de l’ex-juge en chef qui a défini la question constitutionnelle. La seule question en litige est de décider, selon les faits en l’espèce, si, en l’absence de contrefaçon d’un brevet, d’une marque de commerce, d’un droit d’auteur, ou d’un nom commercial, et étant donné la simple allégation d’appropriation frauduleuse de renseignements confidentiels par un ex-employé, l’al. e) de l’art. 7 est ultra vires du Parlement du Canada.

J’ai eu l’avantage de lire les motifs rédigés par le Juge en chef et je suis d’avis de décider ce pourvoi de la façon qu’il propose. Je ne vois pas comment la compétence en matière de droit criminel peut être invoquée ici à l’appui de la validité de l’al. e) de l’art. 7 considéré isolément. Quant à la compétence relative au trafic et au commerce, je souscris à l’opinion que les faits en l’espèce ne permettent pas de l’appliquer, puisque le contrat entre l’appelant et l’intimée est de nature privée et concerne essentiellement des droits privés.

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L’autre prétention de l’intimée à savoir que l’al. e) de l’art. 7 est une mesure législative adoptée par le Parlement en vertu de la compétence du Canada de signer des traités, a retenu, à première vue, mon attention. Toutefois en l’examinant de plus près, il semble qu’on ne peut admettre cet argument pour la simple raison que le traité qu’il mentionne ne traite pas de la concurrence déloyale considérée isolément mais uniquement dans un contexte qu’on ne trouve pas ici. La Convention d’Union de Paris pour la Protection de la Propriété Industrielle intervenue le 20 mars 1883 a été modifiée à différentes reprises et finalement à Londres, le 2 juin 1934. C’est à la version telle que modifiée à Londres que le Canada a adhéré en déposant le 26 juin 1951 un instrument de ratification. L’article 1 de cette Convention en expose le but:

1. Les pays auxquels s’applique la présente convention sont constitués à l’état d’Union pour la protection de la propriété industrielle.

2. La protection de la propriété industrielle a pour objet les brevets d’invention, les modèles d’utilité, les dessins ou modèles industriels, les marques de fabrique ou de commerce, les marques de service, le nom commercial et les indications de provenance ou appellations d’origine, ainsi que la répression de la concurrence déloyale.

Les articles 4 à 10 traitent longuement des brevets, des marques de commerce, etc. L’article 10bis est le seul qui parle de concurrence déloyale:

1. Les pays de l’Union sont tenus d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection effective contre la concurrence déloyale.

2. Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

3. Notamment devront être interdits:

(1) Tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n’importe quel moyen avec l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent.

(2) Les allégations fausses, dans l’exercice du commerce, de nature à discréditer l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent.

Malgré la portée générale que semble avoir le texte, il ne fournit à mon avis aucun fondement à l’al. e) de l’art. 7 lorsqu’il y a conclusion, comme en l’espèce, qu’il n’y a pas violation de la propriété

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industrielle comme telle de l’intimée (autrement que par concurrence déloyale). L’article 10bis doit s’interpréter dans le contexte des autres articles de la Convention dont aucun ne traite des relations contractuelles entre employeur et employé.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs des appelants: Ogilvy, Cope, Porteous, Hansard, Marier, Montgomery & Renault, Montréal.

Procureurs de l’intimée: Gowling & Henderson, Ottawa.

Procureur du procureur général du Canada: George W. Ainsley, Ottawa.

Procureurs du procureur général du Québec: Geoffrion & Prud’homme, Montréal.

Procureur du procureur général de l’Ontario: J.D. Hilton, Toronto.

[1] [1972] C.F. 1156.

[2] (1972), 6 C.P.R. (2d) 204.

[3] [1930] R.C.S. 531.

[4] [1937] R.C. de l’É. 230.

[5] [1937] R.C. de l’É. 61.

[6] [1935] R.C. de l’É. 57.

[7] (1953), 13 Fox Pat. Cas. 145.

[8] [1941] R.C.S. 242.

[9] [1956] R.C.S. 303.

[10] (1918), 248 U.S. 215.

[11] (1935), 295 U.S. 495.

[12] (1933), 40 R.L.N.S. 40.

[13] (1941), 70 B.R. 166.

[14] (1929), 46 B.R. 121.

[15] (1968), 70 D.L.R. (2d) 149.

[16] (1961), 37 C.P.R. 153.

[17] (1961), 21 Fox Pat. Cas. 130.

[18] (1962), 24 Fox Pat. Cas. 21.

[19] (1969), 61 C.P.R. 207.

[20] (1965), 54 D.L.R. (2d) 97.

[21] [1968] 2 R.C. de l’É. 552.

[22] [1966] R.C.S. 419.

[23] (1881), 7 App. Cas. 96.

[24] [1937] A.C. 405.

[25] [1896] A.C. 348.

[26] [1916] 1 A.C. 588.

[27] (1883), 9 App. Cas. 117.

[28] [1922] 1 A.C. 191.

[29] [1931] A.C. 310.

[30] [1925] R.C.S. 434.

[31] [1937] A.C. 377.

[32] [1958] R.C.S. 626.

[33] [1938] A.C. 708.

[34] [1957] R.C.S. 198.

[35] [1938] R.C.S. 100.

[36] [1936] R.C.S. 398.

[37] [1954] R.C.S. 127.

[38] [1937] A.C. 405.

[39] [1936] R.C.S. 379.

[40] [1937] A.C. 326.

[41] [1956] R.C.S. 618.

[42] [1932] A.C. 54.

[43] [1932] A.C. 304.

[44] [1936] R.C.S. 461.

[45] [1925] R.C.S. 505.


Synthèse
Référence neutre : [1977] 2 R.C.S. 134 ?
Date de la décision : 30/01/1976

Parties
Demandeurs : MacDonald et al.
Défendeurs : Vapor Canada Ltd.
Proposition de citation de la décision: MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134 (30 janvier 1976)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1976-01-30;.1977..2.r.c.s..134 ?
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