La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/11/1975 | CANADA | N°[1976]_2_R.C.S._739

Canada | P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739 (27 novembre 1975)


Cour suprême du Canada

P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739

Date: 1975-11-27

P.P.G. Industries Canada Ltd. (ci-devant Canadian Pittsburgh Industries Limited) et Pilkington Brothers (Canada) Limited Appelantes;

et

Le Procureur général du Canada Intimé.

1975: le 23 octobre; 1975: le 27 novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE

Cour suprême du Canada

P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739

Date: 1975-11-27

P.P.G. Industries Canada Ltd. (ci-devant Canadian Pittsburgh Industries Limited) et Pilkington Brothers (Canada) Limited Appelantes;

et

Le Procureur général du Canada Intimé.

1975: le 23 octobre; 1975: le 27 novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL FÉDÉRALE


Synthèse
Référence neutre : [1976] 2 R.C.S. 739 ?
Date de la décision : 27/11/1975
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Droit administratif- - Examen judiciaire - Partialité - Crainte raisonnable de partialité - Le président se récuse et ne participe ni à l’audience ni aux délibérations - Le président paraphe la décision - Loi antidumping, S.R.C. 1970, c. A-15 - Loi sur le ministère de la Justice, S.R.C. 1970, c. J-2, art. 4 - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10 (2e supp.), art. 18.

Examen judiciaire - Certiorari - Requête en annulation - La requête du ministère public est présentée deux ans après la décision - Décision non contestée par les parties - Le ministère public n’est pas une partie - Droit du procureur général à la délivrance du bref de certiorari - Pouvoir discrétionnaire de la Cour de refuser de délivrer le bref de certiorari ou de ne pas faire droit à la requête - Loi sur la Cour fédérale, S.R.C. 1970, c. 10(2e supp.), art. 18.

Les appelantes sont des compagnies fabricantes de verre. Au début de l’année 1969, elles ont formulé une plainte à l’égard du dumping préjudiciable sur le marché canadien de verre à vitre transparent importé de certains pays européens. Le sous-ministre du Revenu national a fait une détermination préliminaire de dumping et le Tribunal antidumping a alors institué une enquête. Le Tribunal était composé de trois membres, soit du président et de deux autres. Le président, qui avait travaillé pour les deux appelantes et les avait conseillées au regard de la plainte logée plus tard auprès du sous-ministre du Revenu national, s’est, dès sa nomination comme président du Tribunal, dissocié de ses clientes et s’est récusé relativement à l’enquête, qui fut menée par les deux autres membres sans aucune intervention de sa part et sans qu’il soit consulté d’aucune façon. Ils lui ont ensuite demandé d’examiner la phraséologie de leur projet final. Les deux versions originales de la décision, portant signatures, ont été envoyées au sous-ministre du Revenu national conformément à un avis juridique. Le

[Page 740]

Tribunal a conservé dans ses dossiers les autres copies non signées de la décision, qui comprenait sur la seconde page une liste de tous les membres du Tribunal, et a envoyé aux parties intéressées d’autres copies également non signées.

Après deux ans, le procureur général, qui n’était pas une partie devant le Tribunal et qui n’avait pas non plus tenté de s’immiscer dans le cours de l’enquête, a présenté à la Cour fédérale une requête en annulation de la décision du Tribunal, affidavit à l’appui, au motif que le président 1) a participé à l’élaboration de la décision même s’il n’était pas présent à l’audience qui l’a précédée, 2) avait un intérêt pécuniaire dans l’objet de celle-ci et 3) était partial envers les appelantes.

Le juge Cattanach a rejeté la requête au motif que la décision aux dossiers du Tribunal n’est pas signée et révèle que le président n’a pas participé à la décision. Par contre la Cour d’appel a jugé que l’existence d’une décision du Tribunal portant la signature du président suffit à démontrer sa participation et subsidiairement que le document déposé aux dossiers du Tribunal doit être considéré comme ayant été rédigé par les trois membres dont les noms figurent à la deuxième page.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Dans les circonstances, la simple signature de la décision n’implique pas une participation du président à l’élaboration de la décision. La signature n’ajoutait rien à la validité de la décision, celle-ci pouvant être régulièrement entérinée par la signature des deux membres qui ont mené l’enquête. Puisque le procureur général était au courant de tous les faits entourant la signature du document par le président, ayant même cité celui-ci comme témoin pour l’interroger à ce sujet, il lui est maintenant impossible de se retrancher derrière la règle de l’inadmissibilité de la preuve testimoniale contre un écrit, comme si les faits étaient inexistants. La signature du président ne constitue donc pas une participation qui entache la décision du Tribunal de façon à la rendre vulnérable à la requête en annulation déposée par le procureur général, et le même raisonnement s’applique au fait que les noms des trois membres du Tribunal figurent à la page 2 de la décision.

Le certiorari ou, dans la procédure moderne, la requête en annulation, est un recours discrétionnaire. Le procureur général ne possède pas un droit historique d’obtenir d’office la délivrance d’un bref de certiorari, c.-à-d. de présenter la requête à un Tribunal de première instance, mais, au sujet de l’effet principal de la requête en annulation, le procureur général doit être traité comme tout autre requérant. Les requêtes en annulation

[Page 741]

déposées par le procureur général sont sujettes au pouvoir discrétionnaire des tribunaux tout autant que le sont sans conteste ses requêtes pour l’obtention d’un bref de prohibition ou ses demandes de jugement déclaratoire. Le retard inexpliqué de deux ans mis à présenter la requête et le fait qu’aucune des parties concernées n’ait attaqué la décision justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser le redressement demandé.

Arrêt mentionné: R. v. Amendt, [1915] 2 K.B. 276.

POURVOI interjeté d’un arrêt de la Cour d’appel fédérale[1] infirmant un jugement rendu par le juge Cattanach[2] rejetant une requête en annulation d’une décision du Tribunal antidumping présentée par le procureur général du Canada.

R.A. Smith, c.r., et L.J. Levine, pour l’appelante, P.P.G. Industries Limited.

Donald J.M. Brown, pour l’appelante, Pilkington Brothers (Canada) Ltd.

G.W. Ainslie, c.r., et R. Vincent, pour l’intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Le 4 mai 1972, le procureur général du Canada, invoquant l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale, 1970 (Can.), c. 1, demandait à la Cour fédérale d’annuler une conclusion ou décision du Tribunal antidumping rendue le 13 mars 1970 à l’égard de l’importation de verre à vitre transparent de certains pays européens. Le 4 août 1972, le juge Cattanach rejetait la demande dans un jugement qui fut infirmé par la Cour d’appel fédérale le 29 juin 1973. A la même occasion, la Cour d’appel fédérale refusait l’autorisation d’interjeter un pourvoi devant la Cour suprême; toutefois, cette Cour a donné l’autorisation le 2 octobre 1973.

Je tiens à souligner la nature extraordinaire des procédures prises par le procureur général du Canada. Il n’était pas partie à l’enquête à l’issue de laquelle le Tribunal antidumping a pris la décision que le procureur général conteste maintenant; il n’a pas non plus tenté de s’immiscer dans le cours de l’enquête. Aucune des nombreuses parties intéressées que cette décision a pu défavoriser n’a

[Page 742]

tenté de la contester. Le procureur général ne s’en prend pas au fond en raison d’une erreur de compétence ou de droit qui entacherait la décision. Il n’invoque aucune disposition légale précise à l’appui de son droit de présenter une requête en annulation d’une décision d’un organisme judiciaire fédéral, organisme constitué par le Parlement pour s’acquitter de ses propres fonctions, sans aucun lien de dépendance envers le ministère de la Justice. De l’aveu de son avocat, le procureur général du Canada demande en l’espèce un redressement qu’il peut, d’après lui, demander contre toute décision d’un organisme administratif fédéral en invoquant tous les motifs recevables à l’appui d’une requête en annulation. Bref, le procureur général prétend que sa charge (et il invoque l’art. 4 de la Loi sur le ministère de la Justice, S.R.C. 1970, c. J-2 comme lui imposant de veiller «à ce que les affaires publiques soient administrées conformément à la loi») lui confère la compétence voulue pour exiger des tribunaux qu’ils entreprennent, à sa demande, une enquête sur toute allégation de faiblesse juridique concernant une décision d’une commission administrative fédérale, même si les parties en cause en sont satisfaites et ne veulent pas la contester.

Je ne vois pas comment l’art. 4 de la Loi sur le ministère de la Justice, où l’expression clef est «les affaires publiques», peut venir en aide au procureur général du Canada. Il s’agit en réalité de savoir s’il est vraiment mieux placé qu’un tiers qui demanderait l’annulation d’une décision d’une commission et, dans l’affirmative, dans quelle mesure le procureur général peut prétendre à une prérogative qui l’autorise à demander l’annulation des décisions de tribunaux établis par la loi: voir de Smith, Judicial Review of Administrative Action (1973, 3e éd.), aux pp. 369 à 372. Le juge Cattanach s’est penché brièvement sur la question, la Cour d’appel pas du tout, et les appelantes n’en ont pas fait un point en litige devant cette Cour. Selon le juge Cattanach, il n’existe aucune restriction au droit du procureur général du Canada de demander l’annulation, le Tribunal ne devant s’occuper que du fond. Étant donné les circonstances, je présumerai en l’espèce que le procureur général du Canada peut présenter une demande d’annulation en vertu de l’art. 18 de la Loi sur la Cour fédérale.

[Page 743]

Trois moyens sont invoqués à rencontre de la décision du Tribunal antidumping et tous ont trait au comportement de son président. Selon le premier moyen, il a participé à l’élaboration de la décision, bien qu’il eût un intérêt pécuniaire dans l’objet de celle-ci; selon le deuxième moyen, il a participé à l’élaboration de la décision bien qu’il ait eu ou ait pu avoir tendance à favoriser les appelantes du fait de son association avec elles; et selon le troisième moyen, il a participé à l’élaboration de la décision bien qu’il ne fût pas présent à l’audience qui a précédé cette décision.

Les appelantes sont des compagnies canadiennes fabricantes de verre. Au début de l’année 1969, elles ont formulé une plainte à l’égard du dumping préjudiciable sur le marché canadien de verre à vitre transparent importé de Tchécoslovaquie, d’Allemagne de l’Est, de Pologne, d’U.R.S.S. et de Roumanie. Le sous-ministre du Revenu national a fait une détermination préliminaire de dumping le 15 décembre 1969. Le Tribunal antidumping établi en vertu de la Loi antidumping, maintenant S.R.C. 1970, c. A-15, et ses modifications, a alors institué une enquête en vertu du par. (1) de l’art. 16 de cette Loi.

Même si le nouveau Tribunal était composé de trois membres, soit du président W.A. Buchanan et de deux autres membres J.P.C. Gauthier et B.G. Barrow, seuls ces deux derniers ont mené l’enquête. Avant le 3 janvier 1969, date de sa nomination comme président, Buchanan avait travaillé pour les deux appelantes à titre de consultant privé, et il les avait même conseillées au regard de la plainte qu’elles ont logée un peu plus tard auprès du sous-ministre du Revenu national à l’égard du prétendu dumping de verre à vitre transparent. Dès sa nomination comme président du Tribunal, Buchanan s’est dissocié de ses clientes et il s’est récusé relativement à l’enquête qui fut menée par Gauthier et Barrow sans aucune intervention de sa part et sans qu’il soit consulté d’aucune façon. Après avoir tenu des audiences et recueilli la preuve des parties intéressées, les deux membres ont procédé à l’élaboration et à la formulation de leurs conclusions. Ils ont ensuite demandé à Buchanan d’examiner la phraséologie de leur projet final, et ce dernier leur a proposé de légères

[Page 744]

modifications de phraséologie. La décision concluait notamment que le dumping des importations de ce type de verre était susceptible de causer un préjudice sensible à la production au Canada de marchandises semblables.

Ne sachant pas qui devait parafer leur décision, les deux membres se sont adressés à un avocat du Conseil du Trésor qui, voyant que la Loi antidumping ne prévoit aucun quorum pour le Tribunal, leur répondit dans une lettre datée du 12 février 1970, qu’il était plus prudent que tous les membres signent le document officiel qui constaterait la décision. L’avocat ne savait peut-être pas que Buchanan n’avait participé ni à l’enquête ni aux audiences (en fait, Buchanan était à l’extérieur du pays à cette époque); par contre, il s’est rétracté quelques jours plus tard après avoir pris connaissance de l’art. 21 de la Loi sur l’interprétation, S.R.C. 1970, c. I-23. Il informa alors le secrétaire du Tribunal, dans une lettre datée du 18 février 1970, que [TRADUCTION] «les deux membres qui ont reçu les témoignages peuvent rendre une décision au nom du Tribunal». Malgré tout, puisque la première lettre de l’avocat faisait état d’une procédure qu’il était, semble-t-il, préférable de suivre, la version définitive de la décision en date du 13 mars 1970 fut présentée à Buchanan pour qu’il y appose sa signature. Il signa une version anglaise et une version française. A la page 2 de chacun des deux documents (soit celle suivant la page titre dactylographiée sur le papier à en-tête où est inscrit l’intitulé de l’affaire), sont imprimés une liste de tous les membres du Tribunal, le nom du secrétaire, et un avis indiquant que toute correspondance doit être adressée à ce dernier. Les deux versions originales de la décision, portant signatures, ont été envoyées au sous‑ministre du Revenu national. Étant une cour d’archives en vertu de sa loi constitutive, le Tribunal a conservé dans ses dossiers une copie non signée de la décision et a envoyé aux parties intéressées d’autres copies également non signées. Une liste de tous les membres du Tribunal figure à la page 2 de toutes ces copies, mais on n’y trouve aucune indication de signatures.

Pendant deux ans, tout resta tel quel. La raison qui a incité le procureur général à déposer, le 4

[Page 745]

mai 1972, cette requête sans précédent à ma connaissance, demeure toujours inconnue. Cette requête est appuyée de cinq affidavits: un en date du 28 avril 1972, deux en date du 1er mai 1972, un autre en date du 3 mai 1972 et un dernier en date du 4 mai 1972. L’affidavit en date du 28 avril 1972, signé par un nommé McMullen, un employé du ministère de la Consommation et des Corporations, a trait à des documents saisis chez les appelantes le 24 septembre 1971, dont copies ont été jointes à l’affidavit comme pièces. L’affidavit en date du 3 mai 1972, signé par un nommé Davis, un examinateur senior sur place au service du ministère du Revenu national, a trait à certains états de compte qui, selon le serment de Davis, lui auraient été transmis par Buchanan lui-même, et parmi lesquels se trouvent deux factures pour honoraires et dépenses adressées respectivement aux deux appelantes.

Les documents saisis chez les appelantes et les états de compte examinés au bureau de Buchanan constituent apparemment les preuves au moyen desquelles le procureur général du Canada espérait démontrer que Buchanan avait un intérêt pécuniaire dans l’enquête antidumping. Je résiste à la tentation de disserter sur les méthodes utilisées pour obtenir certains dossiers de Buchanan et sur les tentatives visant à discréditer ce dernier à l’aide de documents obtenus des appelantes, à titre confidentiel en vertu de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C-23 ou en vertu de la Loi de l’impôt sur le Revenu, S.R.C. 1970, c. I-5. Je me contente d’affirmer que des tactiques injustifiées ont été employées. Au cours du contre-interrogatoire portant sur son affidavit, Davis a déclaré qu’il croyait effectuer une vérification fiscale de routine à laquelle Buchanan avait consenti avec empressement, tout en ne sachant pas qu’on s’affairait à préparer un dossier contre celui-ci dans le but de faire annuler la décision du Tribunal antidumping. Malgré cette déclaration de Davis, il est quand même étrange qu’il ne se soit emparé que de deux factures adressées aux appelantes. Tout compte fait, cette histoire est plutôt triste et minable puisque les documents destinés à démontrer que Buchanan facturait des honoraires pour services rendus après sa nomination comme président du Tribunal, ne révèlent rien de tel.

[Page 746]

Apparemment, on n’a même pas pris soin de vérifier les comptes en regard des services facturés aux appelantes. En définitive, le procureur général de Canada a retiré, très tôt au débet du procès, l’allégation que Buchanan avait en intérêt pécuniaire.

Le juge Cattanach a conclu que Buchanan était inapte à participer à l’élaboration de la décision pour une double raison: premièrement, malgré l’absence de partialité effective, ses relations avec les appelantes dont la plainte a abouti à l’institution des procédures antidumping, permettaient de conclure à une crainte raisonnable de partialité; et deuxièmement, il n’était pas présent aux audiences du Tribunal antidumping. Il restait donc à trancher la question de savoir si Buchanan avait participé à l’élaboration de la décision en signant les deux documents qui constataient la décision du Tribunal antidumping. Le savant juge de première instance se fonde sur un motif que l’on peut qualifier de formaliste lorsqu’il conclut que Buchanan n’a pas participé à l’élaboration de la décision puisque le dossier du Tribunal antidumping ne contient pas de décision signée par lui. Cependant, selon le juge de première instance, si le dossier avait révélé que Buchanan avait signé la décision, ceci aurait signifié qu’il l’avait fait sienne et avait participé à son élaboration.

La Cour d’appel fédérale diffère d’opinion sur ce point. Elle estime que l’existence d’une décision du Tribunal portant la signature de Buchanan suffit à démontrer sa participation même s’il ne s’en trouve aucun exemplaire signé dans les dossiers de Tribunal; et, subsidiairement, si le document déposé au dossier du Tribunal constitue le seul enregistrement de la décision, il doit alors être considéré comme ayant été rédigé par les trois membres dont les noms figurent à la page 2.

Cette dernière question a été soulevée d’une singulière façon. En effet, un des affidavits datés du 1er mai 1972, celui du secrétaire alors en fonction du Tribunal antidumping, était accompagné d’un document présenté comme une copie de la décision du Tribunal et portant au bas la signature des trois membres du Tribunal. Il s’agit donc d’une «combinaison» puisqu’une pareille copie ne peut

[Page 747]

provenir des archives du Tribunal, vu que les seuls exemplaires signés sont entre les mains du sous-ministre du Revenu national. Il est inutile d’insister davantage sur ce point «collant», quoi que l’on puisse penser de ce qui l’a motivé. Je me contente d’exprimer mon accord sur la façon dont la Cour d’appel fédérale a tranché la question de savoir ce qui constitue le document officiel. Sur cette base, il m’est impossible de convenir qu’en signant la décision dans les circonstances relatées plus haut, Buchanan y a participé.

La Cour d’appel fédérale a donné deux motifs à l’appui de sa conclusion sur cette question de participation. Premièrement, en apposant sciemment sa signature sur le document officiel constatant la décision du Tribunal, Buchanan l’a fait sienne, et aucune déposition visant à contredire cette conclusion n’est recevable en l’absence d’allégation d’erreur sur la nature du document signé. Deuxièmement, la Cour d’appel fédérale est d’avis que le témoignage de Buchanan indique que, «quelle que soit sa raison pour ce faire et qu’il ait ou non considéré qu’il s’agissait d’une formalité, il a signé parce qu’il considérait approprié d’indiquer, en apposant sa signature, qu’il adoptait la décision comme étant la sienne». Cette appréciation de la preuve est inexacte et constitue une conclusion insoutenable. Voilà pour les conclusions sur les faits tirées par la Cour d’appel fédérale et que l’avocat du procureur général du Canada a vainement tenté d’étayer. La conclusion juridique fondée sur la règle de l’inadmissibilité de la preuve testimoniale contre un écrit est également inacceptable en autant qu’elle est invoquée pour démontrer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité sur laquelle le procureur général du Canada pourrait fonder sa requête en annulation de la décision du Tribunal.

Selon la Cour d’appel fédérale, il ne serait pas permis d’expliquer comment Buchanan en est venu à signer les deux documents officiels qui constatent la décision du Tribunal, bien qu’il n’ait assisté à aucune des audiences, ni participé à aucune des délibérations sur lesquelles repose cette décision. Puisque sa signature n’ajoutait rien à la validité de la décision — celle-ci pouvant être régulièrement entérinée par la signature des deux membres qui

[Page 748]

ont mené l’enquête — nous n’avons plus qu’à examiner l’argument du procureur général du Canada à l’appui des motifs de la Cour d’appel fédérale, selon lequel la signature est une cause d’invalidité qui est irréfutable, même par une explication qui élimine le fondement de l’attaque.

Il appert du dossier que, sauf qu’il a signé le document, Buchanan n’a pas participé à l’élaboration de la décision du Tribunal, de sorte que la maxime «nul ne peut juger sans avoir entendu la cause» est inapplicable en l’espèce. S’il avait participé à l’élaboration de la décision, une autre question se soulèverait et je crois que j’en viendrais à une conclusion différente de celle qui va suivre. On prétend cependant que la signature du document par Buchanan a créé une apparence raisonnable de participation et, par là, une crainte raisonnable de partialité, de la même façon qu’une telle crainte aurait pris naissance s’il y avait eu preuve d’une véritable participation par Buchanan à l’élaboration de la décision malgré son absence des audiences. Même si cet argument était soutenable, je ne crois pas que le procureur général serait recevable à l’invoquer.

Par suite des enquêtes que le procureur général prétend avoir instituées en exécution de ses fonctions, il était au courant de tous les faits entourant la signature du document par Buchanan, et il a même cité Buchanan comme témoin pour l’interroger à ce sujet. Dans ces circonstances, j’estime qu’il lui est maintenant impossible de se retrancher derrière la règle de l’inadmissibilité de la preuve testimoniale contre un écrit, comme si ces faits étaient inexistants. En l’espèce, le procureur général est dans une position différente de celle d’une partie intéressée qui s’oppose à la production d’une preuve pour dissiper une crainte raisonnable de partialité entretenue par cette partie à l’égard d’une décision qu’elle conteste. Par conséquent, je ne peux conclure que la signature de Buchanan constitue une participation qui entache la décision du Tribunal de façon à la rendre vulnérable à la requête en annulation déposée par le procureur général.

Je suis également d’avis qu’il est impossible de considérer comme une participation pouvant entraîner l’annulation de la décision le fait que les

[Page 749]

noms des membres du Tribunal, y compris celui de Buchanan, figurent à la page 2 du document qui la constate. Le mode employé pour distribuer au public des copies de la décision semble indiquer que le Tribunal ou son personnel n’a pas fait la distinction entre un communiqué de presse et la minute d’une décision motivée. Je n’accorde pas plus d’importance à cette objection qu’à celle qui est fondée sur la signature, et la rejette pour les mêmes motifs.

J’estime également que le présent pourvoi doit être accueilli au motif que le certiorari ou, dans la procédure moderne, la requête en annulation, est un recours discrétionnaire et ce, autant pour le ministère public qui demande l’annulation que pour le particulier qui formule la même demande. En l’espèce, je n’ai pas à trancher la question préalable de savoir s’il faut s’adresser au tribunal de première instance pour obtenir la délivrance d’un certiorari aux fins d’évoquer les procédures contestées — je n’ai pas à examiner le bien-fondé du droit historique du procureur général d’obtenir d’office la délivrance d’un bref de certiorari — , je dois plutôt examiner l’effet principal de la requête en annulation. Sous ce rapport, le procureur général doit être traité comme toute autre personne qui demande l’annulation d’une adjudication ou d’une décision: voir R. v. Amendt[3], à la p. 281. L’opinion contraire formulée par la Cour, d’appel fédérale est fondée sur une interprétation erronée de la règle selon laquelle le certiorari est accordé de plein droit sur demande du procureur général. Cette règle n’a trait qu’à la délivrance formelle du bref et ne porte aucunement sur le droit au redressement demandé par certiorari: voir 1 Hals. (4e éd. 1973), à la p. 156.

A mon avis, les requêtes en annulation déposées par le procureur général sont sujettes au pouvoir discrétionnaire des tribunaux tout autant que le sont sans conteste ses requêtes pour l’obtention d’un bref de prohibition ou ses demandes de jugement déclaratoire. La présente cause est éminemment propice à l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui permet de refuser le redressement demandé par le procureur général. Au premier rang des facteurs qui m’inclinent en ce sens il y a

[Page 750]

le retard inexpliqué de deux ans qui a précédé la contestation de la décision du Tribunal antidumping. Il y a aussi le fait qu’aucune des parties concernées n’ait attaqué la décision et qu’aucune d’elles n’a appuyé le procureur général du Canada en l’espèce. Même si la décision du Tribunal était jusqu’à un certain point viciée par la signature de Buchanan, j’estime que cela ne peut suffire à en justifier l’annulation judiciaire sur demande du procureur général du Canada agissant non pas à titre de partie lésée, mais comme soi-disant protecteur de l’intérêt public. Il y a ici absence complète du genre d’abus de pouvoir susceptible de justifier l’intervention du procureur général au nom de l’intérêt public. Les appelantes portent également à notre attention le prétexte employé par l’intimé et l’abus de confiance qu’il a commis dans la préparation de sa contestation de la décision du Tribunal. Je ne sens pas le besoin d’invoquer cet argument, mais cela ne signifie pas que cette façon d’agir de la part du procureur général soit admissible.

Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel, sauf dans la mesure où il confirme l’adjudication à Buchanan de ses propres dépens, et de rétablir le jugement du juge Cattanach qui rejetait la requête en annulation de la décision du Tribunal. les appelantes ont droit à leurs dépens dans toutes les cours contre le procureur général du Canada.

Appel accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante, P.P.G. Industries Canada Ltd.: Smith, Lyons, Torrance, Stevenson & Mayer, Toronto.

Procureurs de l’appelante, Pilkington Brothers (Canada) Limited: Blake, Cassels & Graydon, Toronto.

Procureur de l’intimé: D.S. Thorson, Ottawa.

[1] [1973] C.F. 745.

[2] [1972] C.F. 1078.

[3] [1915] 2 K.B. 276.


Parties
Demandeurs : P.P.G. Industries Canada Ltd.
Défendeurs : P.G. du Canada
Proposition de citation de la décision: P.P.G. Industries Canada Ltd. c. P.G. du Canada, [1976] 2 R.C.S. 739 (27 novembre 1975)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-11-27;.1976..2.r.c.s..739 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award