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20/05/1975 | CANADA | N°[1976]_2_R.C.S._531

Canada | Barnett c. Harrison, [1976] 2 R.C.S. 531 (20 mai 1975)


Cour suprême du Canada

Barnett c. Harrison, [1976] 2 R.C.S. 531

Date: 1975-05-20

Percy Barnett (Plaignant) Appelant;

et

Arnott D. Harrison, Neil Douglas Harrison et Aileen Harrison (Défendeur) Intimés.

1974: les 18 et 19 juin (nouvelle audition); 1975: le 20 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Barnett c. Harrison, [1976] 2 R.C.S. 531

Date: 1975-05-20

Percy Barnett (Plaignant) Appelant;

et

Arnott D. Harrison, Neil Douglas Harrison et Aileen Harrison (Défendeur) Intimés.

1974: les 18 et 19 juin (nouvelle audition); 1975: le 20 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1976] 2 R.C.S. 531 ?
Date de la décision : 20/05/1975
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Vente de terrain - Exécution même de l’obligation - Condition suspensive - Contrat assujetti à l’obtention des approbations nécessaires du plan d’aménagement et du zonage - Condition non remplie - Droit de l’acheteur de renoncer à la condition.

Une convention de vente et d’achat de terrain est assujettie à la condition de demander et d’obtenir, dans les délais convenus, les approbations nécessaires du plan d’aménagement et du zonage. La convention stipule qu’elle est nulle et de nul effet si les conditions ne sont pas respectées. Le jour où l’audition devant la Commission municipale aurait dû être terminée, l’acheteur a signifié aux vendeurs un document par lequel il déclarait son intention de renoncer à toutes les conditions de la convention, sauf celle ayant trait au titre, et il offrait de signer l’acte de vente dans un délai de 60 jours. Les vendeurs ont immédiatement répondu que, puisque la condition stipulant que les procédures de requête et d’audition devant la Commission municipale devait être terminée dans le délai convenu n’avait pas été remplie, la convention était par conséquent nulle et de nul effet. En première instance, l’acheteur a allégué que, s’il y avait eu défaut de remplir les conditions, celles-ci n’avaient été ajoutées qu’à son avantage et il avait renoncé à son droit d’en exiger l’accomplissement. Le juge de première instance a conclu que ces conditions étaient de véritables conditions suspensives auxquelles on ne pouvait donc pas unilatéralement renoncer, et il a rejeté l’action. La Cour d’appel a confirmé cette décision.

Arrêt (le juge en chef Laskin et le juge Spence étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré: Pour plusieurs raisons, il ne faut pas déroger à la règle exposée dans Turney c. Zhilka, [1959] R.C.S. 578. Premièrement, à cause de la validité de la distinction entre le droit de A de renoncer au

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défaut de B de remplir une condition separable stipulée à l’avantage de A et la tentative de ce dernier de renoncer à son propre défaut ou au défaut de C, de qui dépend l’exécution dont découle l’obligation (c.-à-d. la véritable condition suspensive). Deuxièmement, lorsque des parties, avec l’aide de conseillers juridiques, font un contrat soumis à des conditions suspensives explicites et y stipulent expressément que, si une ou plusieurs des conditions ne sont pas remplies, le contrat sera nul, le tribunal foulerait aux pieds la convention en y introduisant une clause implicite accordant à l’acheteur le droit de renoncer à leur exécution. En l’espèce, certaines conditions (concernant l’aqueduc et les égoûts) stipulaient que l’acheteur pouvait y renoncer à son gré, mais d’autres conditions (relatives au plan d’aménagement et au zonage) ne le stipulaient pas; si la Cour donnait la même portée à ces conditions diverses, elle rédigerait une nouvelle convention. Troisièmement, si on donne à l’acheteur la possibilité d’invoquer les conditions suspensives ou d’y renoncer, cela peut avoir comme conséquence de donner à l’acheteur une option d’achat sans qu’il n’ait rien déboursé. Finalement, puisque la règle de Turney c. Zhilka est en vigueur depuis 1959 et a été appliquée à maintes reprises, elle doit, pour conserver son caractère de certitude et de prévisibilité, être maintenue, à moins que l’on ne démontre la nécessité de la modifier.

Le juge en chef Laskin et le juge Spence, dissidents: Une condition qui est définie comme condition suspensive peut comporter un intérêt pour les deux parties et tout de même être sujette à la renonciation d’une seule partie parce que leur intérêt dans la condition peut différer. Ce serait une erreur de conclure, du fait que les deux parties ont un intérêt dans l’accomplissement ou non d’une condition du contrat, qu’il ne peut pas y avoir de renonciation à cette condition au choix de la seule partie en faveur de qui la condition a été introduite. De plus, le fait que l’accomplissement adéquat d’une condition dépende de la conduite ou de l’acte d’un tiers n’en fait pas, ipso facto, une «véritable condition suspensive» à laquelle on ne peut pas renoncer. Si les conditions en l’espèce et dans l’affaire O’Reilly c. Marketers Diversified Inc., [1969] R.C.S. 741, ne sont pas des exemples de conditions auxquelles peut renoncer la partie qui doit les accomplir, il peut difficilement y avoir des cas où l’on puisse légalement effectuer une renonciation, sauf stipulation expresse en ce sens dans le contrat de vente. La renonciation n’implique pas la rédaction d’une nouvelle convention, pas plus que ne le fait la fin de non-recevoir opposée par une partie à l’exécution d’une clause d’une convention; le vendeur ne subit aucun préjudice du fait qu’il peut ignorer, jusqu’à la date de signature, si le contrat sera exécuter conformément à ses clauses initia-

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les ou si l’acheteur aura le choix, en exerçant son droit de renoncer à une ou plusieurs des conditions, de se libérer de son obligation ou d’exiger du vendeur qu’il exécute la sienne.

[Arrêts suivis: Turney c. Zhilka, [1959] R.C.S. 578; F.T. Developments Limited c. Sherman et al., [1969] R.C.S. 203; O’Reilly c. Marketers Diversified Inc., [1969] R.C.S. 741; arrêts mentionnés: Genern Investments Ltd. v. Back et al., [1969] 1 O.R. 694; Dennis v. Evans, [1972] 1 O.R. 585; Beauchamp et al. c. Beauchamp et al., [1973] 2 O.R. 43, pourvoi rejeté [1974] R.C.S. v.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a rejeté l’appel d’un jugement du juge Thompson. Pourvoi rejeté, le juge en chef et le juge Spence étant dissidents.

H.J. Bliss, pour l’appelant.

J.J. Robinette, c.r., et J. White, c.r., pour les intimés.

Le jugement du juge en chef Laskin et du juge Spence a été rendu par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — Ce pourvoi soulève la question de savoir si les décisions rendues par cette Cour dans Turney c. Zhilka[2], F.T. Developments Ltd. c. Sherman[3], et O’Reilly c. Marketers Diversified Inc.[4], sont bien fondées et, dans l’affirmative, si elles sont applicables. L’affaire a été plaidée deux fois, d’abord devant cinq juges (comme ce fut le cas des trois autres) et ensuite devant cette Cour siégeant au complet.

Lors de la première audition, l’avocat des vendeurs intimés a admis que la condition non respectée du contrat de vente, sur laquelle ils se sont appuyés pour s’opposer à l’exécution même de l’obligation demandée par l’acheteur appelant, n’était stipulée qu’à l’avantage de l’acheteur, qui y avait renoncé en temps opportun avant d’intenter son action. Lors de l’audition devant cette Cour siégeant au complet, on a adopté un point de vue différent et prétendu que la condition non respectée était une «véritable condition suspensive», qu’elle était stipulée à l’avantage des deux parties

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et que par conséquent l’acheteur seul ne pouvait y renoncer. On a effectivement retiré l’admission faite lors de la première audition selon laquelle les vendeurs n’avaient aucun intérêt à l’accomplissement de la condition visée qui aurait été exigée par l’acheteur à son seul avantage.

Le contrat de vente à l’origine du litige que doit trancher cette Cour est intervenu le 10 février 1967 et prévoyait la vente d’un terrain situé à Stoney Creek, une ville de l’Ontario, moyennant $350,000. Un dépôt de $5,000 avait été versé et le contrat stipulait que $70,000 seraient payés à la signature et que le solde de $275,000 serait garanti par une hypothèque en faveur des vendeurs. Aujourd’hui il n’est pas question de ces modalités de paiement, parce que l’acheteur a offert de conclure l’opération en versant le plein montant comptant et, en fait, le contrat de vente stipulait que l’acheteur pouvait payer le principal en tout ou en partie, en tout temps, sans avis ni indemnité.

Deux clauses de ce contrat de vente sont pertinentes pour trancher la question en litige. La première est assez longue et contient, selon l’acheteur, une condition stipulée à son seul avantage. La deuxième comprend aussi certaines conditions qui, selon l’argument des intimés, révèlent, si on la compare avec le texte de la première clause, pourquoi celle-ci constitue une «véritable condition suspensive». Pour situer le litige, je reproduis ici non seulement ces deux clauses mais également deux autres clauses de la convention, en les numérotant pour plus de commodité de un à quatre. Elles sont libellées en ces termes:

1. [TRADUCTION] L’acheteur doit mettre au point son plan d’aménagement et être prêt à le présenter à ladite Ville de Stoney Creek (et obtenir de celle-ci la fixation d’une date pour la présentation) dans un délai de quatre mois de l’acceptation de la présente offre.

Si les vendeurs acceptent la présente offre, le contrat de vente sera sujet à la condition suivante: obtenir de la Commission municipale de l’Ontario et de la ville de Stoney Creek les approbations nécessaires du plan d’aménagement et des modifications projetées du zonage ainsi que celle, si nécessaire, du Comité de révision ou de la Commission de la planification. L’acheteur doit à ses frais, préparer les requêtes, les comparutions et tout ce qui se rapporte à cette approbation, mais il peut le faire au nom des vendeurs. Les

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vendeurs s’engagent à accorder à l’acheteur toute l’aide et la coopération requises et à signer tous les documents et faire toutes les démarches nécessaires (sans frais pour l’acheteur) pour l’aider à obtenir les approbations et inscriptions dont il a besoin. Les parties conviennent que les procédures de requête et d’audition devant la Commission municipale de l’Ontario doivent être terminées le ou avant le 30 septembre 1968 (même si à cette date la décision n’a pas été rendue). Toutefois, si une opposition hors du pouvoir de l’acheteur provoque quelque ajournement, ledit délai sera prorogé jusqu’au 31 janvier 1969, au plus tard. Il est en outre convenu que l’acheteur doit, dans un délai de deux mois après l’obtention de toutes les approbations municipales, obtenir la fixation d’une date pour une audition devant la Commission municipale de l’Ontario. Si ces conditions ne sont pas respectées, nonobstant toute stipulation aux présentes, le contrat de vente est nul et de nul effet et la somme déposée sera remise à l’acheteur.

2. Si les vendeurs acceptent la présente offre, le contrat de vente sera soumis aux conditions suivantes:

(a) que soient installés sur lesdits terrains les services d’aqueduc et d’égouts capables de répondre aux besoins commerciaux et résidentiels prévus au plan d’aménagement de l’acheteur, conformément aux dispositions du règlement de zonage.

(b) qu’aucune charge pour les installations ne grève les terrains, sauf celles existant au moment de l’acceptation de la présente convention.

(c) que la ville de Stoney Creek n’exige pas d’autre contribution que le cinq pour cent (5%) habituel du terrain qui est réservé pour des fins d’utilité publique.

Si l’une des conditions mentionnées n’est pas respectée, l’acheteur aura le choix de déclarer la présente convention nulle et de nul effet et d’obtenir la remise de son dépôt ou d’accepter les modifications et de poursuivre l’exécution de la convention.

3. Il est convenu que l’acheteur n’aura pas à apporter de modifications à son plan d’aménagement projeté si l’approbation nécessaire de toutes les personnes, ministères ou organismes n’est pas obtenue. Si le plan d’aménagement projeté soumis par l’acheteur n’est pas approuvé par toutes les personnes, ministères et organismes, ladite convention sera nulle et de nul effet et le dépôt sera aussitôt remis à l’acheteur. Toutefois, l’acheteur peut, à son choix, apporter toute modification nécessaire pour satisfaire les exigences de ces

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personnes, ministères ou organismes. L’acheteur doit aviser les vendeurs s’il décide de se prévaloir de cette option, dans un délai de quarante-cinq jours après avoir été informé du refus de l’approbation.

4. Si cette offre n’est pas acceptée au plus tard le 11 février 1967, elle sera nulle. La vente doit être signée dans les soixante jours à compter de la date de l’approbation par la Commission municipale de l’Ontario du plan projeté préparé par l’acheteur, alors que l’acheteur prendra possession des terrains.

L’offre d’achat faite par l’acheteur, laquelle comprenait les clauses ci-dessus et d’autres clauses, a été dûment acceptée. Le temps constituait un élément essentiel du contrat. L’acheteur voulait la propriété pour ériger un ensemble d’immeubles résidentiels et il se mit en devoir de présenter des plans d’aménagement pour les faire approuver par les autorités municipales. Après avoir soumis quelque quinze plans en vain (bien qu’il fût prêt à accepter toutes les modifications proposées par la municipalité), il devint évident qu’il ne réussirait pas à obtenir l’approbation nécessaire pour son ensemble d’immeubles résidentiels. Sur ce, il fit savoir qu’il était prêt à prendre possession du terrain et à l’utiliser selon le zonage existant.

Les vendeurs n’ont aucunement participé à la préparation de l’un ou l’autre des plans d’aménagement et ils n’ont pas été consultés à ce sujet. Selon le dossier, la preuve produite au procès révèle que les vendeurs considéraient la condition, numérotée «un» ci-dessus, sans intérêt ou conséquence pour eux. J’attire l’attention sur ce point parce que, à mon avis, il faut tenir compte de l’interprétation que les parties donnent mutuellement à un contrat quand on examine les droits et les obligations qui en découlent. En l’espèce, comme l’a admis franchement l’avocat des vendeurs lors de la première audition, ceux-ci ont reçu une meilleure offre pour leur terrain et ils ont cherché un moyen de rompre leur contrat avec l’appelant.

L’acheteur a renoncé par écrit en bonne et due forme à toutes les conditions, sauf à celle ayant trait au titre, et a déclaré qu’il voulait conclure la vente conformément aux autres stipulations de la convention. Les vendeurs ont alors répliqué que

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l’approbation du plan d’aménagement et des modifications du zonage qui en découlaient constituait une condition suspensive à laquelle ils ne renonçaient pas et que, puisque cette approbation n’avait pas été obtenue dans le délai requis, ils considéraient la convention comme nulle et de nul effet. Dans l’action en exécution intentée par la suite par l’acheteur, le juge de première instance a statué que la règle de Turney c. Zhilka s’appliquait parce qu’il y avait en l’espèce, comme dans cette affaire-là, une «véritable condition suspensive» dont l’accomplissement dépendait de la volonté de tiers, c’est-à-dire les autorités municipales, et qu’à moins qu’elle n’ait été réalisée conformément aux modalités prévues, l’acheteur ne pouvait pas réclamer l’exécution de l’obligation.

La majorité de la Cour d’appel de l’Ontario a adopté la même attitude en confirmant le rejet de l’action de l’acheteur. Le juge d’appel Jessup a exprimé sa dissidence et statué qu’il fallait faire une distinction avec l’arrêt Turney c. Zhilka, parce qu’en l’espèce, contrairement à cette affaire-là, on a donné à l’acheteur un droit illimité de modifier son projet pour satisfaire aux exigences des autorités compétentes et que, par conséquent, il avait la possibilité d’accepter le zonage existant, comme il l’a effectivement fait. Cette conclusion du juge d’appel Jessup appuie l’interprétation donnée au contrat par l’acheteur, selon laquelle le contrat contenait une condition stipulée à son seul avantage.

Je passe maintenant à l’examen de Turney c. Zhilka et du principe sur lequel se fonde cet arrêt. La condition dans cette affaire-là, qui a causé l’échec de l’action en exécution, était stipulée dans le contrat sans mention que l’obligation de l’accomplir relevait du vendeur ou de l’acheteur. Cette condition est ainsi libellée:

[TRADUCTION] A la condition que la propriété puisse être annexée au village de Streetsville et que le conseil municipal approuve un plan de lotissement.

Le juge Judson, au nom de cette Cour, interpréta cette clause comme dépendant (selon ses mots) [TRADUCTION] «entièrement de la volonté d’un tiers». Ce n’est pas le cas en l’espèce, car il est très clair en vertu du contrat (même sans tenir compte

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du témoignage des vendeurs) qu’il incombait à l’acheteur de préparer et de faire approuver un plan d’aménagement et les modifications nécessaires au zonage afin de réaliser son ensemble d’immeubles résidentiels, dont on savait qu’il était destiné à cette fin particulière. Puisque l’obligation d’aller de l’avant avec un plan d’aménagement et de demander une modification du zonage incombait expressément à l’acheteur et puisque, d’après la preuve, ce dernier avait exigé la stipulation de cette condition à son avantage seulement, il y a une nette différence entre le cas en l’espèce et l’affaire Turney c. Zhilka.

La question soulevée par Turney c. Zhilka et par les arrêts qui l’ont suivi, comme F.T. Developments et O’Reilly, commande, selon moi, de bien interpréter l’expression «véritable condition suspensive» que le juge Judson a employée dans Turney c. Zhilka, dans le passage suivant de ses motifs (aux pp. 583-4):

[TRADUCTION] Les obligations des deux parties, en vertu du contrat, dépendent d’un événement futur et incertain, dont la réalisation dépend entièrement de la volonté d’un tiers, le conseil municipal. Il s’agit d’une véritable condition suspensive, une condition externe dont dépend l’existence de l’obligation. Jusqu’à l’arrivée de l’événement, aucune des parties n’a droit à l’exécution de l’obligation. Les parties n’ont pas promis que l’événement se réaliserait. Sans cette promesse, il ne peut pas y avoir d’inexécution de contrat tant que l’événement n’est pas arrivé.

Je reviendrai à ce passage après les quelques remarques préliminaires qui suivent.

Une condition qui est définie comme une condition suspensive peut comporter un intérêt pour les deux parties et tout de même être sujette à la renonciation d’une seule partie. C’est parce que leur intérêt dans la condition peut différer. La condition peut être stipulée pour la protection d’une seule partie, en ce sens qu’elle est à son seul avantage, mais elle peut être importante pour l’autre partie, en ce sens que celle-ci a droit de connaître les conséquences de l’accomplissement de la condition ou de sa renonciation à la date fixée pour son accomplissement afin de pouvoir, s’il est le vendeur, soit réclamer son argent, soit être libre de chercher un autre acheteur. Ce serait une erreur, selon moi, de conclure, du fait que les deux parties

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ont un intérêt dans l’accomplissement ou non d’une condition du contrat, qu’il ne peut pas y avoir de renonciation à cette condition au choix de la seule partie en faveur de qui la condition a été introduite. Certains des arguments présentés en l’espèce, surtout au cours de la nouvelle audition du pourvoi, n’ont pas indiqué cette distinction qui est, à mon sens, essentielle.

Si l’on compare les conditions pertinentes dans Turney c. Zhilka et celles en l’espèce, une autre distinction qui me semble essentielle ressort clairement. Le fait que l’accomplissement adéquat d’une condition dépende de la conduite ou de l’acte d’un tiers n’en fait pas, pour cette unique raison, une «véritable condition suspensive» à laquelle on ne peut pas renoncer. Ainsi, pour prendre un exemple simple, le fait qu’un acheteur pose comme condition de la signature du contrat qu’il puisse obtenir un prêt hypothécaire dans un délai déterminé ne l’empêche pas, à mon avis, de renoncer à la condition et de payer comptant, pourvu, bien sûr, qu’il choisisse de renoncer à la condition dans le délai fixé au contrat: voir Scott v. Rania[5]. Il n’y a pas de différence, en principe, entre la situation précédente et celle où l’obligation d’une partie contractante ne prend naissance qu’à la suite d’un acte d’un tiers, comme, par exemple, l’obligation de verser de l’argent sur présentation du certificat d’un architecte ou d’un ingénieur. Évidemment, le débiteur ne paiera sans doute pas tant que le certificat ne sera présenté, mais le fait qu’il puisse exiger sa présentation ne signifie pas qu’il ne pourrait pas renoncer à cette condition dont son obligation de payer dépend.

La situation est semblable dans le cas de vices de titre. Il n’y a pas de doute qu’un acheteur peut choisir d’accepter la propriété même si elle est touchée d’un vice de titre dont il pourrait exiger la correction: voir Bennett v. Fowler[6]. Comme le dit le juge Cardozo dans Catholic Foreign Mission Society of America v. Oussani[7], à la p. 8:

[TRADUCTION] …un acheteur dans cette situation n’est pas obligé de résilier le contrat. Il peut renoncer à la condition et accepter le titre malgré le vice. S’il le fait,

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le vendeur ne peut pas refuser la cession parce que l’on n’aurait pas pu obliger l’acheteur à renoncer.

Le lord juge Lopes, dans Hawksley v. Outram[8], à la p. 378, a exprimé il y a longtemps le même principe, quand il disait, au sujet de certaines clauses de non-concurrence dans un contrat de vente d’un fonds de commerce: [TRADUCTION] «il est parfaitement clair qu’il s’agit de stipulations prévues à l’avantage uniquement de l’acheteur; par conséquent, l’acheteur est libre de ne pas y donner suite et, s’il le fait, il nous importe peu de savoir s’il aurait pu exiger leur exécution».

Ce principe peut profiter à un vendeur aussi bien qu’à un acheteur. Morrell v. Studd & Millington[9], en constitue un exemple. On a statué dans cette affaire-là qu’un vendeur peut renoncer à une clause stipulant que le solde du prix d’achat doit être garanti d’une manière qu’il juge satisfaisante et qu’il peut intenter une action en exécution contre l’acheteur après avoir renoncé à cette clause qui n’était stipulée qu’à son avantage.

Dans des affaires de cette nature, qu’il s’agisse de l’acte ou de la conduite de l’une des parties ou de l’acte ou de la conduite d’un tiers, l’important est de savoir si cet acte ou cette conduite constitue une condition de l’obligation d’une seule des parties ou des deux. Si c’est l’obligation d’une seule partie, il n’y a pas de raison qui l’empêche d’offrir, d’exécuter sa propre obligation sans exiger l’accomplissement de la condition et de demander ensuite à l’autre partie sa prestation.

L’application de ce principe s’est parfois compliquée lorsqu’il s’agissait de décider non pas de l’exécution d’un contrat conclu mais de la conclusion du contrat. Fry on Specific Performance 6e éd. (1921), aux pp. 175 et 461, cite Lloyd v. Nowell[10], pour souligner cette différence. Ainsi, si une convention était sujette [TRADUCTION] «à la rédaction par mon avocat et à la signature d’un contrat en bonne et due forme», on ne peut pas dire que le vendeur pourrait renoncer à cette clause et faire un contrat unilatéralement. L’acheteur ne

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peut pas non plus le faire en vertu d’une clause semblable concernant la rédaction par son avocat, d’un contrat en bonne et due forme: voir Von Hatzfeldt-Wildenburg v. Alexander[11].

Selon mon interprétation, Turney c. Zhilka portait sur une condition ayant trait aux obligations des deux parties. Comme le dit le juge Judson, à la p. 583 de [1959] R.C.S., [TRADUCTION] «les obligations des deux parties, en vertu du contrat, dépendent d’un événement futur et incertain, dont l’accomplissement dépend entièrement de la volonté d’un tiers, le conseil municipal». (J’ai mis des mots en italiques.) Ce n’est que sur cette base que l’on peut dire, comme le juge Judson, qu’il s’agissait d’une «véritable condition suspensive», c’est-à-dire d’une condition extérieure aux obligations des deux parties dont le contrat n’imposait à aucune des parties l’accomiplissement qui aurait permis à l’une d’elles de prétendre que la condition était stipulée à son avantage et qu’elle pouvait y renoncer. Il ne faut pas en conclure qu’une condition comporte nécessairement l’action d’un tiers: voir, par exemple, Funke v. Paist[12] et Richardson v. Snipes[13] où l’on a statué que les approbations nécessaires du zonage constituaient des conditions liant l’acheteur seulement et que celui-ci pouvait donc y renoncer. Néanmoins, il est indubitable que, dans des situations particulières, dont Turney c. Zhilka nous fournit un exemple, une clause prévoyant l’approbation d’une modification du zonage ou de la destination d’un terrain peut être interprétée comme stipulée à l’avantage ou au profit mutuel des deux parties à un contrat de vente de terrain et, par conséquent, ne pas être susceptible de renonciation unilatérale. C’est la conclusion du récent arrêt anglais Heron Garage Properties Ltd. v. Moss[14]. Il y a un autre point en cette affaire-là qu’il faut examiner: la date de la signature dépend de l’obtention de l’approbation du plan ou du zonage, ce qui nous amène à demander si la clause à laquelle l’acheteur entendait renoncer est separable. Je reviendrai sur ce point plus loin dans ces motifs.

[Page 542]

Dans F.T. Developments Ltd. v. Sherman, supra, le juge Judson a de nouveau interprété une condition concernant une modification du zonage comme reliée aux obligations des deux parties. La condition était libellée comme suit:

[TRADUCTION] La présente offre est soumise à la condition suivante: l’acheteur doit obtenir la modification du zonage desdits terrains sur la base d’une zone M-5. Cette modification du zonage doit avoir lieu dans un délai de 6 mois de la date de l’acceptation de l’offre. Toutefois si le nouveau zonage est approuvé par la Municipalité du Canton de North York et s’il est présenté à la Commission municipale dans le délai de six mois, ce délai sera prorogé de 90 jours pour obtenir l’approbation de la Commission, si celle-ci n’a pas eu la possibilité d’accorder son approbation avant que le délai soit prorogé.

On remarque que la situation dans l’affaire F.T. Developments n’était pas la même que dans Turney c. Zhilka, car dans la première l’offre même de l’acheteur était soumise à la condition de l’obtention d’un nouveau zonage alors que dans la deuxième on avait un contrat conclu, dont l’exécution dépendait d’une certaine condition. La Cour n’a pas toutefois tenu compte de cette différence en examinant la question et, le juge en chef Cartwright n’a pas estimé nécessaire de décider si l’on pouvait renoncer unilatéralement à la condition, car, d’après les témoignages et les conclusions tirées des faits, aucune renonciation n’avait été annoncée avant le délai fixé pour la conclusion de l’accord.

Personnellement, je ne verrais pas d’affinité entre la condition dans F.T. Developments et celle dans Turney c. Zhilka et encore moins entre la condition dans Turney c. Zhilka et celle dans O’Reilly, supra. Dans cette dernière affaire, un acheteur avait accepté d’acheter le lot 7 d’un certain terrain et le contrat contenait la condition selon laquelle il devait, avant une date déterminée, pouvoir acquérir d’un tiers le lot 8 suivant des modalités qui lui conviennent. Ayant à décider s’il s’agissait d’une condition stipulée à l’avantage de l’acheteur seulement et à laquelle celui-ci pouvait renoncer, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué affirmativement, infirmant la décision du juge de première instance. Cette Cour, à nouveau par la voix du juge Judson, a décidé que

[Page 543]

Turney c. Zhilka et F.T. Developments régissaient le point en litige. A son avis, pour citer ses paroles, [TRADUCTION] «le vendeur, en ce pourvoi, n’avait pas de contrat exécutoire sans l’accomplissement de la condition. L’acheteur non plus.» Bref, on a statué que la clause relative à l’achat du lot 8 constituait une condition obligatoire tant pour le vendeur que pour l’acheteur. Je ne peux interpréter ainsi cette clause qui, textuellement, semble si clairement reliée à l’obligation de l’acheteur, n’impose rien au vendeur et n’est d’aucun intérêt pour lui. Cette condition n’est stipulée, selon moi, qu’en faveur de l’acheteur seulement qui pouvait y renoncer en intentant une action en exécution contre le vendeur. Le but de la condition était de servir à l’acheteur de moyen de défense contre le vendeur, si elle n’était pas accomplie, et non vice versa.

Je ne vois pas comment, si les conditions en l’espèce et dans l’affaire O’Reilly ne sont pas des exemples de conditions auxquelles peut renoncer la partie qui doit les accomplir, il puisse y avoir des cas où l’on puisse légalement effectuer une renonciation, sauf stipulation expresse en ce sens dans le contrat de vente. Cela constitue, sans aucun doute, une méthode recommandable, mais le droit des contrats n’est plus, depuis longtemps, subordonné à l’énoncé précis de tous les effets des clauses contractuelles.

En ce qui concerne le droit de renoncer à une stipulation que l’on estime en faveur d’une seule partie, l’examen de la jurisprudence en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis nous révèle que l’on applique indifféremment le même principe aux stipulations qui demandent l’action d’un tiers et à celles qui n’exigent que l’intervention de la partie adverse. Bien sûr, une partie ne peut intenter contre la partie adverse une action en exécution d’une obligation conditionnelle en se fondant sur son propre défaut de remplir la condition à moins que l’on puisse dire que le défaut ne vise qu’une simple promesse et non pas la condition; mais, même s’il s’agit d’une condition qu’une partie est obligée d’accomplir à l’avantage de la partie adverse, cette dernière peut choisir l’exécution du contrat plutôt que la rescision pour violation de la condition.

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D’une certaine façon, l’on nous montre en l’espèce le revers de la médaille parce que, si la clause visée n’est stipulée qu’à l’avantage d’une partie qui décide d’y renoncer, rien ne l’empêche alors d’exiger que l’autre partie exécute son obligation, pourvu que la condition à laquelle elle a renoncé ne soit pas reliée à d’autres clauses qui ne peuvent faire l’objet de renonciation unilatérale. Toutefois, ce que l’on a déjà observé démontre que le défaut d’accomplissement d’une condition n’implique pas nécessairement qu’il n’y a pas de contrat exécutoire, puisque la partie qui a respecté ses engagements peut choisir d’y donner suite. Ceci s’applique également à un point soulevé en l’espèce que je vais maintenant examiner.

L’avocat des vendeurs intimés a allégué que les stipulations mêmes du contrat de vente établissent une distinction entre les clauses auxquelles l’acheteur peut renoncer et celles auxquelles il ne peut pas. Cet argument fait allusion à la clause numérotée 2 dans ces motifs, laquelle prévoit que si l’une des conditions mentionnées n’est pas respectée, [TRADUCTION] «l’acheteur aura le choix de déclarer la présente convention nulle et de nul effet». Par opposition, la condition relative au plan d’aménagement, celle qui constitue le point décisif de ce pourvoi, numérotée 1 dans ces motifs, conclut que [TRADUCTION] «si ces conditions ne sont pas respectées… le contrat de vente est nul et de nul effet». Dans cette dernière, l’annulation ne relève pas expressément du choix de l’acheteur.

Je ferai deux commentaires sur les arguments précédents. Premièrement, la clause numéro 2, relative aux services d’aqueduc et d’égouts et à la protection de l’acheteur contre l’imposition de charges et de contributions, n’exigeait aucune mesure ou initiative de la part de l’acheteur qui aurait eu le droit de s’opposer à l’exécution du contrat par les vendeurs si les conditions stipulées comme telles n’avaient pas été remplies, même si le contrat ne l’indiquait pas expressément. En outre, l’existence d’une clause de renonciation n’imposait pas plus directement à l’acheteur l’obligation de remplir les conditions que l’absence de pareille clause ne l’aurait fait. Bref, en l’espèce, la clause de renonciation soulignait simplement que les clauses en question étaient stipulées à l’avan-

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tage de l’acheteur; et, pour répéter ici une observation faite précédemment, l’acheteur pouvait exiger leur exécution s’il le voulait et les vendeurs ne pouvaient pas invoquer comme moyen de défense pour refuser d’exécuter leur obligation le fait que la renonciation ne pouvait être imposée à l’acheteur.

Le deuxième commentaire touche la clause relative au plan d’aménagement et à la conclusion selon laquelle le contrat est nul et de nul effet (sans accorder d’option à l’une ou l’autre partie) [TRADUCTION] «si ces conditions ne sont pas respectées». Je souscris à la thèse énoncée par Corbin on Contracts, Vol. 3A, à la p. 517, selon laquelle une clause stipulant que le contrat sera nul et de nul effet [TRADUCTION] «signifie rarement ce qu’elle semble dire» et «elle signifie en général que l’obligation de l’une des parties dépend de (l’exécution) par l’autre partie de son obligation tel que convenu»; autrement le contrat se trouverait en fait à accorder une option à la partie qui doit exécuter l’obligation, alors que c’est son défaut qui rend le contrat nul et de nul effet. Toutefois, cette thèse n’empêche pas une partie qui a droit d’exiger l’exécution de cette obligation d’y renoncer si elle n’est stipulée qu’à son avantage. En l’espèce, cette théorie nous incite à examiner à quelles conditions se rattache la clause prévoyant la nullité. A mon avis, c’est aux conditions qui ont trait au délai accordé pour la fin des auditions devant la Commission municipale et les conditions connexes fixant des délais, toutes reliées aux clauses relatives au plan d’aménagement. Si on peut renoncer à ces dernières, on peut aussi faire de même à l’égard des clauses fixant des délais lesquelles, par conséquent, ne font pas obstacle au droit de l’acheteur d’exiger des vendeurs l’exécution de leur obligation.

Dans Maynard v. Goode[15], on soutenait devant la Haute Cour d’Australie qu’une clause d’un contrat de vente de terrain stipulant la condition que le gouvernement consente à différer le paiement d’une rente constituait une «véritable condition suspensive» parce qu’elle était stipulée à l’avantage des deux parties contractantes. Même s’il s’agissait

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du fait d’un tiers, le gouvernement, la Haute Cour a conclu, comme le juge de première instance, que l’acheteur pouvait renoncer à cette condition parce qu’elle était stipulée à son seul avantage. Le juge Hutchison de la Cour suprême de Nouvelle-Zélande a examiné très longuement la question dans Donaldson v. Tracy[16], en fonction d’une distinction établie par l’avocat entre une «pure» condition (autrement dit une «véritable condition suspensive»), qui dépend du fait d’un tiers, et les clauses qui constituent simplement des promesses ou des engagements. Le litige provenait de l’acceptation d’une offre d’achat d’un hôtel et du fonds de commerce. L’acheteur stipulait dans son offre que la Commission des permis devait approuver la cession et qu’elle ne devait pas recommander l’émission de permis pour d’autres débits de boissons dans un rayon de deux milles. La Commission a approuvé en fait l’émission d’un permis dans le secteur, mais l’acheteur a voulu renoncer à cette clause et il a intenté une action en exécution quand le vendeur a prétendu que le contrat n’était plus exécutoire. L’acheteur a obtenu gain de cause.

Deux points ressortent de cette décision et, bien qu’ils aient déjà été exposés, ils méritent d’être répétés. Premièrement, selon les termes du tribunal, à la p. 691:

[TRADUCTION] Quand une condition n’est pas respectée, je pense qu’en principe il importe peu que ce soit imputable au fait d’une partie ou d’un tiers, quand il s’agit de décider si l’autre partie peut renoncer à la condition parce qu’elle est stipulée à son seul avantage.

Deuxièmement, la preuve des circonstances entourant l’affaire peut révéler qu’une condition n’est stipulée qu’à l’avantage de la partie qui veut y renoncer. Le juge Hutchison estimait que textuellement la clause litigieuse était stipulée à l’avantage de l’acheteur, conclusion étayée par l’observation que le vendeur ne subirait aucun préjudice si cette condition n’était pas incorporée au contrat.

La jurisprudence américaine a abordé la question de la même manière et elle a abouti à des résultats semblables. Je peux d’abord mentionner 17A Corpus Juris Secundum, aux pp. 688 à 690, où l’on établit un rapport entre la situation d’une

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partie qui peut renoncer à des droits qu’elle peut exiger et qui peut également choisir de ne pas se prévaloir du défaut de la partie adverse. On trouvera une série d’arrêts à l’appui du droit de renonciation à une clause qui prévoit l’approbation d’une modification de zonage dans American Law Reports Annotated, 76 ALR 2d 1204. Je ne donnerai les détails que d’un seul arrêt américain moderne, Godfrey Co. v. Crawford[17] parce qu’il porte aussi sur l’argument relatif à la nullité, déjà examiné dans ces motifs.

L’affaire concernait l’acceptation de l’offre d’un achat qui devait être conclu avant le premier mars 1963. Le contrat stipulait que les vendeurs et les propriétaires d’immeubles adjacents devaient se joindre à l’acheteur pour requérir du conseil municipal une modification du zonage afin de permettre la réalisation d’un certain projet, la requête devant être présentée au plus tard le 3 janvier 1963, [TRADUCTION] «et si la requête pour la modification du zonage était rejetée ou ne pouvait pas être décidée au plus tard le premier mars 1963… la présente offre d’achat sera nulle et de nul effet et toute somme versée en vertu de celle-ci sera remise à l’acheteur». Avant le premier mars 1963, l’acheteur a avisé les vendeurs qu’il renonçait à la condition et qu’il était prêt à signer le contrat à la date prévue. En confirmant le rejet de la fin de nonrecevoir opposée à l’action de l’acheteur, la Cour a fait quelques observations que je reproduis et que je fais miennes (aux pp. 497-8):

[TRADUCTION] Nous souscrivons à la prétention des défendeurs selon laquelle la clause du contrat, à savoir qu’il serait nul et de nul effet si la modification du zonage n’était pas achevée le premier mars, est manifestement stipulée autant pour la protection des vendeurs que celle de l’acheteuse. Elle protège l’acheteuse, parce que si la modification du zonage n’est pas effectuée, elle n’a plus de responsabilité en vertu du contrat et elle peut recouvrer tous les versements faits sur le prix d’achat. Elle protège aussi les vendeurs, qui, en pareil cas, n’ont plus de responsabilité en vertu du contrat et peuvent à leur gré vendre immédiatement les biens-fonds à quelqu’un d’autre. Sans cette clause, les vendeurs verraient leur propriété grevée pour une longue période de temps si un tribunal statuait que le délai pour effectuer la modification du zonage n’était pas une condition essen-

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tielle. Si, à l’expiration du délai, l’acheteuse ne remplissait pas ses engagements, les vendeurs pourraient avoir perdu dans l’intervalle une occasion de vendre à meilleur prix à quelqu’un d’autre…

Toutefois, le fait que l’on statue que cette clause particulière est désignée autant à l’avantage des vendeurs que de l’acheteuse n’empêche pas en soi l’acheteuse de renoncer, avant le premier mars 1963, à la condition selon laquelle la modification du zonage doit être terminée le premier mars 1963. Cela est dû au fait que dans la déclaration amendée on prétend que la modification du zonage visait à protéger l’acheteuse et qu’en vertu de la règle générale une partie contractante peut renoncer à une condition stipulée à son avantage…

En permettant à l’acheteuse de renoncer à la condition relative à la modification du zonage, pourvu que cette renonciation survienne avant l’expiration du délai prévu, soit le premier mars 1963, on ne diminue pas la protection accordée aux vendeurs par la clause du contrat qui stipule que si la modification du zonage n’est pas terminée à cette date le contrat est nul et de nul effet. La renonciation dans les limites du délai a le même effet qu’une modification du zonage complétée en ce qui concerne les droits des vendeurs. Dans les deux cas, l’acheteuse est absolument obligée de payer le solde du prix d’achat à la date de signature du contrat le premier mars 1963. L’intérêt que peuvent avoir les vendeurs ne réside pas dans la question de savoir si la modification du zonage est effectivement terminée, mais plutôt dans celle de savoir si, le premier mars 1963, (1) l’acheteuse est absolument obligée de payer immédiatement le solde du prix d’achat ou si (2) l’obligation est éteinte et s’ils sont immédiatement libres de vendre à quelqu’un d’autre.

Pour ces motifs, nous estimons que l’acheteuse, la demanderesse, avait le. droit de renoncer, avant le premier mars 1963, à la clause du contrat stipulant que la modification du zonage devait être terminée à cette date. Ce faisant, nous ne croyons pas avoir procédé à une nouvelle rédaction ou à une révision de la convention des parties, mais simplement appliqué le principe établi selon lequel une partie peut renoncer à une clause introduite à son avantage dans un contrat. Les vendeurs, les défendeurs, prétendent que cette interprétation portera atteinte à leurs droits, parce qu’ils se sont fondés, à leur détriment, sur cette clause, pour convenir de vendre à la compagnie défenderesse à la condition qu’aucune modification du zonage ne survienne avant le premier mars 1963. Cet argument trouve sa réponse dans le fait que la clause du contrat sur laquelle les défendeurs

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prétendent s’être fondés était toujours susceptible d’être interprétée par les tribunaux comme nous l’avons fait. Ils ont agi à leurs risques et périls en ce faisant, sans se protéger contre une telle éventualité.

L’argument le plus convaincant présenté par les défendeurs porte sur le fait que le contrat entre la demanderesse et les défendeurs, parties audit contrat, autorisait expressément la demanderesse à renoncer aux vices de titre, mais qu’il ne contient rien sur le droit de renoncer à la condition exigeant que la modification du zonage demandée soit terminée. Dans une affaire difficile à trancher, où deux interprétations font osciller également les deux plateaux de la balance, cela pourrait bien constituer le facteur décisif dans la décision du tribunal. Toutefois, nous ne croyons pas qu’en l’espèce, l’affaire soit difficile à ce point. Les défendeurs n’ont réussi à démontrer d’aucune façon comment l’interprétation adoptée par cette Cour aurait diminué le moindrement leur protection à titre de vendeurs.

L’un des passages cités ci-dessus touche la question à laquelle j’ai fait allusion précédemment, sans l’examiner, lorsque j’ai mentionné l’arrêt Heron Garage Properties Ltd. v. Moss, à savoir l’effet sur une renonciation projetée de la relation avec la date d’échéance pour l’accomplissement de la condition à laquelle on désire renoncer. Dans Godfrey Co. v. Crawford, on avait fixé une date, c’est-à-dire le premier mars 1963, pour l’obtention de l’approbation de la modification du zonage et pour la signature. Dans l’affaire Heron Garage, le vendeur avait conservé un terrain adjacent sur lequel il entendait exploiter un commerce (la vente d’automobiles) relié à un certain point au commerce que l’acheteuse entendait exploiter (un poste d’essence) et la clause relative à la date de la signature fixait celle-ci à un mois civil après la réception par l’acheteuse de l’approbation inconditionnelle de ses plans, ou à un mois civil après le consentement par l’acheteuse de modifier ses plans conformément à l’approbation conditionnelle (ce qu’elle devait faire dans un délai de 28 jours), mais dans un cas comme dans l’autre, le contrat ne pouvait pas être signé avant le premier janvier 1973. Dans l’affaire Heron Garage, le juge, après avoir statué que la condition relative aux plans était stipulée à l’avantage des deux parties et que par conséquent l’acheteuse seule ne pouvait y renoncer, estima aussi que le lien entre cette condition et la date de signature empêchait la renoncia-

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tion, parce que celle-ci aurait laissé la date de signature indéterminée.

En l’espèce, cette difficulté n’existe pas une fois que l’on a statué comme, à mon avis, on doit le faire, qu’à sa lecture la condition relative au plan d’aménagement n’était stipulée qu’à l’avantage de l’acheteur. Puisque l’acheteur pouvait payer comptant et qu’il a offert de le faire, il s’ensuit qu’à la suite de la renonciation à la condition, la signature devait avoir lieu dans un délai raisonnable après le refus d’approuver le plan d’aménagement, délai indiqué par les soixante jours mentionnés dans la condition relative à la date de signature. En fait, en l’espèce, la question ne touchait aucunement la date de la signature puisque l’acheteur était prêt et disposé à signer, en renonçant à toutes les conditions, sauf quant au titre, dans les soixante jours suivant le 30 septembre 1968, date fixée par le contrat pour la fin des auditions devant la Commission municipale de l’Ontario.

Comme j’ai eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le juge Dickson avant de rédiger les miens, je soulignerai deux points de divergence. Je n’estime pas que la renonciation implique la rédaction d’une nouvelle convention, pas plus que je ne considère la fin de non‑recevoir opposée par une partie à l’exécution d’une clause d’une convention comme une nouvelle rédaction de celle-ci. Une partie qui a droit à une série d’avantages en vertu d’une convention n’établit pas une nouvelle convention, désavantageuse pour l’autre partie, en renonçant à certains de ces avantages. Deuxièmement, j’estime que le vendeur ne subit aucun dommage ou préjudice du fait qu’il peut ignorer jusqu’à la date de signature si le contrat sera exécuté conformément à ses clauses initiales ou s’il y aura une renonciation qui permettra à l’acheteur soit de se libérer de son obligation soit d’exiger du vendeur qu’il exécute la sienne.

En définitive, tout en reconnaissant le bienfondé de l’arrêt Turney c. Zhilka, je n’estime pas qu’il empêche d’en arriver à une conclusion contraire en l’espèce et, par conséquent, j’accueillerais le pourvoi, infirmerais les décisions des cours d’instance inférieure et accorderais à l’acheteur l’exécution même du contrat avec les dépens dans toutes les cours.

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Le jugement des juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE DICKSON — Ce pourvoi soulève une fois de plus la question de savoir si une partie à un contrat peut renoncer à une condition du contrat pour le motif qu’elle n’était stipulée qu’à son avantage et ensuite intenter une action en exécution même de l’obligation. La question a été soumise à cette Cour dans Turney c. Zhilka[18], et dans deux affaires postérieures, F.T. Developments Limited c. Sherman et al.[19], et O’Reilly c. Marketers Diversified Inc.[20] Dans l’affaire Turney, le défendeur alléguait que l’acheteur n’avait pas respecté la condition suivante du contrat:

[TRADUCTION] A la condition que la propriété puisse être annexée au village de Streetsville et que le conseil municipal approuve un plan de lotissement.

Aucune des parties contractantes ne s’était engagée à satisfaire à la condition ni réservée le droit d’y renoncer. L’acheteur a fait quelques démarches auprès du conseil municipal mais sans grand succès. A la suite d’une mésentente entre les parties, l’acheteur a prétendu renoncer à la condition en disant qu’elle était séparable et stipulée à son avantage. Il a intenté une action en exécution même du contrat. Le juge Judson, rendant le jugement de cette Cour, a dit qu’un contractant peut renoncer à un avantage promis ou ne pas exiger de l’autre l’exécution d’une partie de l’obligation qui n’est stipulée qu’à son avantage et est séparable du reste du contrat, mais que dans Turney il n’y avait aucun droit auquel on pouvait renoncer. Suit ensuite le passage que l’on a souvent mentionné (à la p. 583):

[TRADUCTION] Les obligations des deux parties, en vertu du contrat, dépendent d’un événement futur et incertain, dont la réalisation dépend entièrement de la volonté d’un tiers, le conseil municipal. Il s’agit d’une véritable condition suspensive, une condition extérieure dont dépend l’existence de l’obligation. Jusqu’à l’arrivée de l’événement, aucune des parties n’a droit à l’exécution de l’obligation. Les parties n’ont pas promis que l’événement se réaliserait. Sa:ns cette promesse, il ne peut pas y avoir d’inexécution de contrat tant que

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l’événement n’est pas arrivé. L’acheteur désire maintenant obliger le vendeur à respecter sa promesse de vente même si la condition ne s’est pas réalisée et cela dans son seul intérêt. Il ne s’agit pas d’un cas de renonciation à un droit, mais plutôt d’une tentative par une partie, sans le consentement de l’autre partie, de rédiger un nouveau contrat. On a souvent dit de la renonciation que c’était un terme juridique embarrassant et incertain, mais il présuppose au moins l’existence d’un droit auquel on peut renoncer.

On a appliqué et étendu cette théorie dans les affaires postérieures que j’ai mentionnées.

En l’espèce, il s’agit d’une convention datée du 10 février 1967, pour la vente de 17.669 acres de terrain dans la ville de Stoney Creek (Ontario) moyennant $350,000 payables comme suit: $5,000 à titre de dépôt, $70,000 à la signature et le solde de $275,000 garanti par une hypothèque en faveur des vendeurs. La convention stipulait:

[TRADUCTION] L’acheteur doit mettre au point son plan d’aménagement et être prêt à le présenter à ladite Ville de Stoney Creek (et obtenir de celle-ci la fixation d’une date pour la présentation) dans un délai de quatre mois de l’acceptation de la présente offre.

Suit ensuite ce paragraphe plutôt long, mais important:

[TRADUCTION] Si les vendeurs acceptent la présente offre, le contrat de vente sera sujet à la condition suivante: obtenir de la Commission municipale de l’Ontario et de la ville de Stoney Creek les approbations nécessaires du plan d’aménagement et des modifications projetées au zonage ainsi que celle, si nécessaire, du Comité de révision ou de la Commission de planification. L’acheteur doit, à ses frais, préparer les requêtes, les comparutions et tout ce qui se rapporte à ces approbations, mais il peut le faire au nom des vendeurs. Les vendeurs s’engagent à accorder à l’acheteur toute l’aide et la coopération requises et à signer tous les documents et faire toutes les démarches nécessaires (sans frais pour l’acheteur) pour lui aider à obtenir les approbations et inscriptions dont il a besoin. Les parties conviennent que les procédures de requête et d’audition devant la Commission municipale de l’Ontario doivent être terminées au plus tard le 30 septembre 1968 (même si à cette date la décision n’a pas été rendue). Toutefois, si une opposition hors du pouvoir de l’acheteur provoque quelque ajournement, ledit délai sera prorogé jusqu’au 31 janvier 1969, au plus tard. Il est en outre convenu que l’acheteur doit, dans un délai de deux mois après l’obtention de toutes les approbations municipales, obtenir la fixa-

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tion d’une date pour une audition devant la Commission municipale de l’Ontario. Si ces conditions ne sont pas respectées, nonobstant toute stipulation aux présentes, le contrat de vente est nul et de nul effet et la somme déposée sera remise à l’acheteur.

(J’ai mis des mots en italique.)

Par ce paragraphe le contrat de vente est assujetti à l’approbation (i) du plan d’aménagement; (ii) des modifications projetées au zonage, par (a) la Commission municipale de l’Ontario, (b) la Ville de Stoney Creek et (c) le Comité de révision ou la Commission de planification. Il stipule expressément que le contrat est nul et de nul effet si les procédures devant la Commission municipale de l’Ontario ne sont pas terminées avant le 30 septembre 1968.

La convention contient également le paragraphe suivant:

[TRADUCTION] Si les vendeurs acceptent la présente offre, le contrat de vente sera soumis aux conditions suivantes:

(a) que soient installés sur lesdits terrains les services d’aqueduc et d’égouts capables de répondre aux besoins commerciaux et résidentiels prévus au plan d’aménagement de l’acheteur, conformément aux dispositions du règlement de zonage.

(b) qu’aucune charge pour les installations ne grève les terrains, sauf celles existant au moment de l’acceptation de la présente entente.

(c) que la ville de Stoney Creek n’exige pas d’autre contribution que le cinq pour cent (5%) habituel du terrain qui est réservé pour des fins d’utilité publique.

Si l’une des conditions mentionnées n’est pas respectée, l’acheteur aura le choix de déclarer la présente convention nulle et de nul effet et d’obtenir la remise de son dépôt, ou d’accepter les modifications et de poursuivre l’exécution de la convention.

On remarque que le dernier paragraphe cité donne à l’acheteur le choix de déclarer la convention nulle et de nul effet si les conditions qui y sont mentionnées ne sont pas respectées, alors que le paragraphe cité auparavant ne contient pas cette option et stipule que le défaut de respecter les conditions spécifiées antérieurement rend le contrat nul et de nul effet.

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Le seul autre paragraphe que je citerai se lit comme suit:

[TRADUCTION] Il est convenu que l’acheteur n’aura pas à apporter de modifications à son plan d’aménagement projeté si l’approbation nécessaire de toutes les personnes, ministères ou organismes n’est pas obtenue. Si le plan d’aménagement projeté soumis par l’acheteur n’est pas approuvé par toutes les personnes, ministères et organismes, ladite convention sera nulle et de nul effet et le dépôt sera aussitôt remis à l’acheteur. Toutefois, l’acheteur peut, à son choix, apporter toute modification nécessaire pour satisfaire les exigences de ces personnes, ministères ou organismes. L’acheteur doit aviser les vendeurs, s’il décide de se prévaloir de cette option, dans un délai de quarante-cinq jours après avoir été informé du refus de l’approbation.

Ce paragraphe accorde à l’acheteur le droit d’apporter ou non, à son gré, des modifications à son plan d’aménagement projeté; sous cette réserve, il indique à nouveau que la convention sera nulle et de nul effet si le plan d’aménagement projeté n’obtient pas toutes les approbations nécessaires.

Le plan d’aménagement a une portée sur deux autres éléments importants de la convention: (i) la convention prévoit l’octroi de mainlevées partielles d’hypothèque; toute mainlevée partielle doit viser tous les terrains compris dans une des parcelles indiquées au plan d’aménagement; (ii) la date de la signature du contrat de vente de même que la date de prise de possession est fixée par la convention à soixante jours après la date de l’approbation du plan projeté par la Commission municipale de l’Ontario.

L’acheteur voulait construire un ensemble d’immeubles résidentiels sur le terrain en question. Toutefois, cela demandait une modification du règlement de zonage de la ville de Stoney Creek de façon à obtenir un changement des catégories R1, C3 et 01 à la catégorie «RM5». L’obligation de préparer les requêtes et de faire toutes les autres démarches relatives à l’obtention des modifications nécessaires du zonage incombait à l’acheteur, bien que les vendeurs aient accepté de fournir toute l’aide et la coopération nécessaires à l’acheteur à cette fin. L’acheteur a agi avec une diligence raisonnable et les vendeurs ont coopéré. Au cours d’une période de plusieurs mois, quinze plans diffé-

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rents et une série de requêtes ont été soumis à la ville de Stoney Creek, mais rien n’avançait bien vite, à cause, du moins en partie, de l’implantation projetée d’un ensemble d’immeubles résidentiels dans un quartier de maisons unifamiliales. A la date limite, le 30 septembre 1968, on avait fait peu de progrès véritable. Les autorités municipales responsables de la planification examinaient les requêtes d’une manière ordonnée mais apathique. La requête et son audition devant la Commission municipale n’étaient aucunement imminentes. Le jour où l’audition aurait dû être terminée, le 30 septembre 1968, l’acheteur, dans une tentative de dernière minute pour maintenir la convention en vigueur, a signifié aux vendeurs un document par lequel il déclarait son intention de renoncer à toutes les conditions de la convention, sauf celle ayant trait au titre, et il offrait de signer l’acte de vente dans un délai de soixante jours à compter du 30 septembre 1968, conformément aux autres termes de la convention. Le 1er octobre, les vendeurs ont répondu que, puisque la condition stipulant que les procédures de requête et d’audition devant la Commission municipale devaient être terminées avant le 30 septembre n’avait pas été remplie, le contrat de vente était par conséquent nul et de nul effet. Un échange de lettres s’ensuivit entre les procureurs des parties. L’acheteur offrit le prix de vente au complet à la signature plutôt que de consentir une hypothèque aux vendeurs, si ceux-ci le désiraient, mais ces derniers demeurèrent intraitables. Les tribunaux furent donc saisis de l’affaire et, après l’échange des conclusions entre les parties, la cause fut mise en état par l’allégation de l’acheteur selon laquelle, s’il y avait eu défaut de remplir les conditions, celles-ci n’avaient été ajoutées à la convention qu’à son avantage et il avait renoncé à son droit d’en exiger l’accomplissement.

Le juge Thompson, en première instance, a tiré les conclusions suivantes:

[TRADUCTION] Il est indubitable que les conditions du contrat relatives aux modifications du zonage, y compris les approbations requises par la loi, étaient des conditions suspensives d’après les modalités mêmes de l’acte et les termes utilisés par les parties révèlent que telle était leur intention.

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Les obligations des deux parties en vertu de ce contrat dépendent d’un événement futur et incertain, les modifications du règlement de zonage, dont la réalisation dépend entièrement de la volonté de tiers, le conseil municipal, la Commission de planification, le Ministre et la Commission municipale. Il s’agit d’une véritable condition suspensive — une condition ou des conditions extérieures dont dépend l’existence même de ces obligations.

Le juge a examiné l’arrêt Turney c. Zhilka et a conclu:

[TRADUCTION] Je ne vois pas de différence réelle entre la condition en cette affaire-là et celles en l’espèce et je dois donc statuer que le demandeur n’a pas le droit de renoncer aux conditions en question sans le consentement des défendeurs ni de donner effet au contrat amputé des conditions.

L’action a été rejetée avec dépens et l’acheteur a interjeté appel.

Il ressort de l’arrêt rendu par la Cour d’appel que celle-ci a examiné surtout la portée de la clause suivante:

[TRADUCTION] Toutefois, l’acheteur peut, à son choix, apporter toute modification nécessaire pour satisfaire les exigences des personnes, ministères ou organismes.

Le juge d’appel Schroeder a dit à ce sujet:

[TRADUCTION] On prétend au nom de l’appelant qu’il faut donner à la clause précitée qui stipule le droit de modifier sa demande de temps à autre, le sens selon lequel elle lui donne le droit de retirer complètement sa demande et, l’interprétant dans son sens le plus large, le droit de renoncer, à son choix, à l’exécution des dites conditions.

Mon collègue, le juge Brooke, et moi ne sommes pas d’accord avec cette prétention. A notre point de vue, les vendeurs et l’acheteur avaient en vue une modification des règlements du zonage des terrains en question et, selon la juste interprétation des termes de la convention, les conditions précitées constituaient de véritables conditions suspensives dont le défaut d’accomplissement rendait la convention nulle et de nul effet. A notre avis, on ne peut faire de distinction entre le cas en l’espèce et l’affaire Turney c. Zhilka (supra).

Le juge d’appel Jessup, dissident, a déclaré:

[TRADUCTION] A mon avis, ce droit illimité de modifier inclut nécessairement le droit de ne pas exiger de

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nouveau zonage du terrain, en d’autres termes, la soumission totale aux exigences des personnes, ministères et organismes concernés. Pour ce motif, j’accueillerais l’appel comme je l’ai dit.

Je partage l’avis de la majorité de la Cour d’appel. Premièrement, le droit de modifier est restreint [TRADUCTION] «aux modifications nécessaires pour satisfaire aux exigences» des autorités responsables de la planification; il ne s’agit, à mon avis, que d’un droit de modifier, de corriger ou d’améliorer le plan pour répondre aux exigences des autorités. Deuxièmement, il est à remarquer que le droit de modifier ne vise que le plan d’aménagement et que l’on ne parle pas de modifier la proposition pour obtenir un nouveau zonage.

On a argué que les stipulations de la convention relatives au plan d’aménagement projeté et aux modifications du zonage étaient assez vagues pour donner à l’acheteur la possibilité de les respecter en déposant, n’importe quel plan et en acceptant le zonage existant et que, de toute façon, les vendeurs n’avaient pas de véritable intérêt dans le plan d’aménagement ni dans le zonage qui seraient acceptés. C’est exact dans une certaine mesure, mais cela ne tient pas compte de la réalité; c’est parler de ce qui aurait pu arriver et non pas de ce qui est arrivé. Comme l’a souligné le juge de première instance, des négociations et des discussions prolongées entre les parties ont porté sur la destination des terrains achetés. Les plans de l’acheteur prévoyaient au début six immeubles résidentiels de neuf étages ou cinq immeubles résidentiels de douze étages, logeant quelque trois mille personnes. On a modifié les plans plus tard pour prévoir quatre immeubles résidentiels comprenant 780 appartements. Ce projet faisait l’objet d’études par le conseil municipal et par divers responsables de la voirie, du génie et par d’autres autorités lorsque le délai a expiré le 30 septembre 1968. Le projet est resté à l’étude jusqu’à son retrait par l’appelant dans une lettre datée du 8 novembre 1968. Les témoignages révèlent de manière indubitable que l’acheteur a préparé sérieusement des plans pour un important projet domiciliaire et en a recherché assidûment l’approbation. L’approbation, un événement futur et incertain, dépendait entièrement de la volonté de tiers, la ville de Stoney Creek, la Commission de

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planification, le Ministre et la Commission de l’Ontario. L’encadrement des faits en l’espèce peut différer dans certains détails de Turney c. Zhilka et ressembler plus peut-être aux deux affaires postérieures que cette Cour a eut à décider; dans F.T. Developments Limited c. Sherman et al., supra, l’offre dépendait de l’obtention par l’acheteur d’un nouveau zonage dans une catégorie précise (M-5). Toutefois, je ne pense pas que l’on puisse sérieusement mettre en doute que le principe général exposé dans Turney c. Zhilka s’applique en l’espèce.

L’avocat de l’appelant a demandé à la Cour de réexaminer la règle posée par Turney c. Zhilka si elle estimait que cet arrêt faisait jurisprudence. L’avocat a cité plusieurs arrêts américains et anglais qui appuient la thèse générale selon laquelle une partie contractante peut renoncer à une condition stipulée à son avantage. Malgré l’appui qu’obtient ailleurs cette thèse, je suis d’avis, pour plusieurs raisons, qu’il ne faut pas déroger à la règle exposée dans Turney c. Zhilka. Premièrement, la distinction faite dans Turney c. Zhilka entre (i) le droit manifeste de A de renoncer au défaut de B de remplir une condition separable stipulée à l’avantage de A et (ii) la tentative de A de renoncer à son propre défaut ou au défaut de C, de qui dépend l’exécution dont découle l’obligation, c’est-à-dire la véritable condition suspensive, me semble, respectueusement, valable. Deuxièmement, lorsque des parties, avec l’aide de conseillers juridiques, font un contrat soumis à des conditions suspensives explicites et y stipulent expressément que, si une ou plusieurs des conditions ne sont pas remplies, le contrat sera nul, le tribunal foule aux pieds la convention en y introduisant une clause implicite accordant à l’acheteur le droit de renoncer à leur exécution. En l’espèce, les conditions relatives aux exigences concernant l’aqueduc et les égouts stipulaient que l’acheteur pouvait y renoncer à son gré, mais les conditions relatives au plan d’aménagement et au zonage ne le stipulaient pas; si la Cour donnait la même portée à ces conditions diverses, elle rédigerait effectivement une nouvelle convention. Troisièmement, si on donne à l’acheteur la possibilité d’invo-

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quer les conditions suspensives ou d’y renoncer selon son intérêt, cela peut avoir comme conséquence de donner à l’acheteur une option d’achat sans qu’il n’ait rien déboursé; si la valeur de la propriété augmente l’acheteur renonce aux conditions et demande l’exécution même de l’obligation, mais si la valeur de la propriété décroît l’acheteur exige l’accomplissement des conditions et la convention devient nulle et de nul effet conformément à ses modalités. Il est juste de dire que cette possibilité de choisir à l’encontre des vendeurs ne se présente pas dans chaque cas. Les modifications du zonage ou autres éventualités, faisant l’objet de la condition suspensive, peuvent être approuvées ou autrement réalisées dans le cadre de l’achat. L’acheteur ne pourra manquer volontairement à ses obligations en vue de rendre le contrat nul. Cependant, même lorsque, comme en l’espèce, il n’est pas question de mauvaise foi, les approbations peuvent ne pas être accordées dans le délai prescrit et les vendeurs, dont toute opération relative aux terrains a été bloquée pendant vingt mois, peuvent se trouver dans la situation de ne pas savoir avant l’échéance si l’acheteur renoncera ou non aux conditions et si la vente sera conclue. Si ce que l’on a appelé une convention d’achat et de vente est en réalité une option, l’acheteur bénéficiera de l’augmentation de la valeur des terrains pendant les mois intermédiaires, mais si la convention est conclue conformément à ses clauses, les vendeurs en profiteront. Je ne conçois pas que l’acheteur subisse d’injustice si les stipulations du contrat prévalent, mais les vendeurs seront peut-être victimes d’injustice si elles ne prévalent pas. Quatrièmement, l’application de la règle de Turney c. Zhilka peut éviter de trancher deux questions susceptibles de soulever des difficultés: (i) la condition suspensive est-elle stipulée à l’avantage de l’acheteur seulement ou à l’avantage des deux parties? (ii) les conditions suspensives sont-elles séparables du reste de l’entente? Je suis porté à penser qu’en l’espèce, elles ne le sont pas. Finalement, la règle de Turney c. Zhilka est en vigueur depuis 1959 et elle a été appliquée à maintes reprises. Pour conserver au droit son caractère de certitude et de prévisibilité, la règle doit être maintenue, à moins que l’on ne démontre

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la nécessité de la modifier. Si à l’occasion les parties conviennent de ne pas appliquer la règle, on peut facilement le stipuler dans la convention. Par exemple, dans les affaires Genern Investments Ltd. v. Back et al.[21] et Dennis v. Evans[22], il s’agissait de cas où le contrat stipulait expressément que la partie en faveur de qui une condition avait été introduite pouvait y renoncer.

L’avocat de l’appelant a cité l’arrêt Beauchamp et al. c. Beauchamp et al.[23], pourvoi rejeté par cette Cour. Dans Beauchamp, l’entente prévoyait la vente de certains biens-fonds pour la somme de $15,500 payable comme suit: $500 à titre de dépôt et $15,000 comptant à la signature. La vente était soumise à la condition selon laquelle les acheteurs devaient être en mesure, dans un délai de quinze jours, d’obtenir une première hypothèque de $10,000 et une deuxième hypothèque de $2,500. Dans le délai de quinze jours, les acheteurs ont réussi à obtenir une première hypothèque de $12,000 et ils ont avisé les vendeurs qu’ils avaient rempli la condition et qu’ils signeraient le contrat [TRADUCTION] «selon l’entente». Les vendeurs ont refusé de signer, parce que l’on n’avait pas respecté rigoureusement la condition suspensive, mais cette opinion était insoutenable. La condition visait clairement à donner aux acheteurs la possibilité de trouver l’argent nécessaire pour parfaire la somme à verser; ils ont réussi et en ont avisé les vendeurs dans le délai prescrit. Il était sans importance que les fonds dont avaient besoin les acheteurs proviennent d’une première hypothèque de $12,000 plutôt que d’une première hypothèque de $10,000 et d’une deuxième hypothèque de $2,500. A mon avis, il faut considérer que dans cette affaire, la condition suspensive avait été remplie et non qu’on y avait renoncé.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Pourvoi accueilli avec dépens, le JUGE EN CHEF LASKIN et le JUGE SPENCE étant dissidents.

Procureur de l’appelant: Levinter, Whitelaw, Dryden, Bliss and Hart, Toronto.

Procureur des intimés: White & Swaye, Hamilton.

[1] [1973] 2 O.R. 176.

[2] [1959] R.C.S. 578.

[3] [1969] R.C.S. 203.

[4] [1969] R.C.S. 741.

[5] [1966] N.Z.L.R. 527.

[6] (1840), 2 Beav. 302.

[7] (1915), 215 N.Y. I.

[8] [1892] 3 Ch. 359.

[9] [1913] 2 Ch. 648.

[10] [1895] 2 Ch. 744.

[11] [1912] 1 Ch. 284.

[12] (1947), 52 A. 2d 655 (Pa.).

[13] (1959), 330 S.W. 2d 381 (Tenn.).

[14] [1974] 1 All E.R. 421.

[15] (1926), 37C.L.R. 529.

[16] [1951] N.Z.L.R. 684.

[17] (1964), 126 N.W. 2d 495 (Wisc.).

[18] [1959] R.C.S. 578.

[19] [1969] R.C.S. 203.

[20] [1969] R.C.S. 741.

[21] [1969] 1 O.R. 694.

[22] [1972] 1. O.R. 585.

[23] [1973] 2 O.R. 43, appel rejeté [1974] R.C.S. v.


Parties
Demandeurs : Barnett
Défendeurs : Harrison
Proposition de citation de la décision: Barnett c. Harrison, [1976] 2 R.C.S. 531 (20 mai 1975)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-05-20;.1976..2.r.c.s..531 ?
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