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25/03/1975 | CANADA | N°[1976]_2_R.C.S._46

Canada | Trans-Canada Shoe Ltée. c. Travelers Indemnity Co., [1976] 2 R.C.S. 46 (25 mars 1975)


Cour suprême du Canada

Trans-Canada Shoe Ltée. c. Travelers Indemnity Co., [1976] 2 R.C.S. 46

Date: 1975-03-26

Trans-Canada Shoe Ltée et Roméo Lahaie (Défendeurs) Appelants;

et

The Travelers Indemnity Company (Demanderesse) Intimée.

1974: le 19 mars; 1975: le 26 mars.

Présents: Les juges Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du Banc de la Reine, province de Québec, confirmant un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi accueil

li quant à Roméo Lahaie seulement, les juges Ritchie et Dickson étant dissidents.

F. Mercier, c.r., pour les déf...

Cour suprême du Canada

Trans-Canada Shoe Ltée. c. Travelers Indemnity Co., [1976] 2 R.C.S. 46

Date: 1975-03-26

Trans-Canada Shoe Ltée et Roméo Lahaie (Défendeurs) Appelants;

et

The Travelers Indemnity Company (Demanderesse) Intimée.

1974: le 19 mars; 1975: le 26 mars.

Présents: Les juges Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du Banc de la Reine, province de Québec, confirmant un jugement de la Cour supérieure. Pourvoi accueilli quant à Roméo Lahaie seulement, les juges Ritchie et Dickson étant dissidents.

F. Mercier, c.r., pour les défendeurs, appelants.

Guy Pépin et R.L. Gouin, pour la demanderesse, intimée.

Le jugement des juges Judson, Pigeon et Beetz a été rendu par

LE JUGE PIGEON — Avec la dissidence de M. le juge Owen, l’arrêt de la Cour d’appel a confirmé le jugement de la Cour supérieure condamnant les appelants à indemniser l’intimée des conséquences d’un incendie survenu le 25 juillet 1964.

Trans-Canada Shoe Ltée était locataire d’un magasin au Centre d’achats de Trois-Rivières Ouest et Roméo Lahaie était le gérant de ce magasin. L’intimée est l’assureur d’un autre locataire et elle réclame par subrogation aux droits de celui-ci. Le sort de plusieurs autres réclamations semblables dépend de la décision finale sur celle-ci. L’action n’étant pas intentée par le locateur ou ses ayants droit, il est bien reconnu que la présomption de l’art. 1629 C.c. n’est pas applicable. La seule question en litige est de savoir si les faits prouvés en la présente cause étaient suffisants pour justifier la présomption de faute que les tribunaux du

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Québec en ont tirée. La cause de l’incendie n’a pas été établie et c’est uniquement sur une faute présumée que l’on a conclu à la responsabilité de Trans-Canada Shoe Ltée et de son gérant, sans que l’on n’ait d’aucune manière précisé en quoi consiste cette faute.

Voici comment le premier juge résume les faits pertinents et formule sa conclusion à la responsabilité.

Les faits pertinents soumis en preuve peuvent se résumer comme suit:

a) L’incendie a originé dans le local 28, soit celui occupé par la défenderesse principale; l’appel au Service des Incendies de la Ville de Trois-Rivières Ouest a été reçu vers 6.15 heures de l’après-midi, le 25 juillet 1964, un samedi;

b) Le local occupé par la défenderesse principale était construit depuis trois ans; les murs en blocs de béton avaient une surface de plâtre; le plancher était en béton, et le plafond, relié à une structure de métal, était recouvert de tuiles; le chauffage était à l’eau chaude et la bouilloire se trouvait à 400 pieds du local de la défenderesse principale; les fils électriques du type BX, étaient recouverts d’une gaine métallique, avec en plus des conduits rigides en acier; les disjoncteurs électriques rencontraient les exigences, quant à leur nombre et à leur capacité; après la construction, l’installation électrique fut approuvée par le Service d’Inspection du Ministère du Travail;

c) Suivant l’expert de la demanderesse, Guy Perreault, ingénieur conseil, qui depuis 4 ou 5 ans, se spécialise dans la recherche des causes d’incendie, les facteurs dits «autonomes» doivent être éliminés pour expliquer le sinistre dont il s’agit; les facteurs autonomes se rattachent à la construction elle-même, ainsi qu’aux installations d’électricité, de plomberie et de chauffage et de climatisation; ces installations, qui étaient adéquates et dataient de trois ans, n’avaient pas assez d’usure pour être détériorées et, depuis le début de l’occupation de l’immeuble, elles ne s’étaient pas avérées défectueuses; d’après l’ingénieur Perreault, on ne peut retenir non plus, comme cause de l’incendie, le facteur de la combustion spontanée, puisqu’il n’y avait pas dans l’établissement de la défenderesse de matières volatiles, qui auraient pu être génératrices d’une combustion spontanée, compte tenu de tous les éléments voulus pour la produire; comme conclusion, l’expert ne voit que le facteur humain pour expliquer la cause de l’incendie; la preuve d’expertise offerte par la demanderesse n’a pas été contredite par les défendeurs principaux;

[Page 49]

d) Le défendeur, Roméo Lahaie, qui était le gérant de la défenderesse principale la journée de l’incendie fut le dernier employé à quitter les lieux vers 5.40 heures de l’après-midi, soit une vingtaine de minutes avant l’heure normale de la fermeture; il était à l’époque un gros fumeur; avant son départ du local, il a vérifié les cendriers, verrouillé les portes et éteint des lumières; après son départ, il a consommé deux petites bouteilles de bière; revenu sur les lieux, peu après sept heures, il a semblé en état de boisson, d’après le témoignage de Léo-Paul Désilets, agent de police de la Ville de Trois-Rivières Ouest; cependant, suivant les témoignages de J.A. Mongrain, Léo-Paul Pépin et Réal Vincent, Lahaie était plutôt dans un état de grande surexcitation.

En tenant compte de l’ensemble des faits ci-dessus relatés, le Tribunal croit véritablement que l’incendie, qui a originé au local de la défenderesse, et qui a été signalé au Service des Incendies de la Ville de Trois-Rivières Ouest, à 6.15 p.m., soit environ une vingtaine de minutes après que le défendeur Lahaie eût quitté et fermé le local, ne peut être relié qu’à un facteur humain, soit à une négligence de Lahaie de ne pas s’être assuré, entre autres choses, que les mégots de cigarettes, qui pouvaient se trouver ici ou là dans le local, étaient bien éteints; pour sa part, le défendeur Lahaie a reconnu qu’il était un gros fumeur à l’époque, ajoutant qu’il avait vérifié les cendriers avant de quitter les lieux; cette dernière affirmation de Lahaie ne suffit pas pour infirmer la forte preuve de présomptions graves, précises et concordantes, soumise par la demanderesse.

Après avoir cité cette conclusion, M. le juge Owen, dissident en Cour d’appel, dit:

[TRADUCTION] A mon avis, la demanderesse (Travelers) ne s’est pas déchargée du fardeau de prouver, par preuve indirecte, que des négligences de Lahaie ont été à l’origine de l’incendie. Il y a, d’une part, le témoignage non contredit de Lahaie qui prétend avoir vérifié les cendriers et éteint les lumières avant de quitter les lieux. Il y a, d’autre part, le témoignage de l’expert Perreault qui a déclaré que seul un facteur humain peut expliquer l’incendie car celui-ci ne peut être relié à aucune défectuosité de l’édifice. Il y a également le fait que Lahaie était un gros fumeur et qu’il a été le dernier à quitter les lieux environ trente-cinq minutes avant que l’incendie ne soit signalé. Cependant, en l’absence de preuve que l’incendie a été causé par des mégots de cigarettes mal éteints, il y a une marge entre conclure qu’un facteur humain est à l’origine de l’incendie et déduire que cet incendie a été causé par l’imprudence de Lahaie qui ne se serait pas assuré, avant son départ, que tous les

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mégots de cigarettes étaient éteints. A mon avis, on ne peut tirer de ces faits des présomptions «graves, précises et concordantes» voulant que la négligence de Lahaie ait été à l’origine de l’incendie.

A mon avis, M. le juge Owen a parfaitement raison d’affirmer que la preuve faite ne permet pas de conclure à une faute présumée du gérant de l’établissement. Il ne peut pas suffire de démontrer que celui qu’on veut tenir responsable a été le dernier sur les lieux et que l’incendie est survenu peu de temps après son départ. Cela voudrait dire que l’on tient pour certain qu’un homme soigneux ne manque pas de déceler toute cause d’incendie pui peut exister. On dit bien que le foyer de l’incendie était dans l’arrière-boutique où le public n’avait pas accès. Cependant, il y avait d’autres employés qui n’ont quitté les lieux que peu de temps avant le gérant. En faissant état de ce que ce dernier était un gros fumeur, on insinue qu’il aurait fort bien pu jeter un mégot de cigarette mal éteint au milieu de matières combustibles, car ce ne sont évidemment pas des mégots dans les cendriers qui ont causé l’incendie. Alors, pourquoi serait-ce nécessairement Lahaie qui aurait commis cette erreur et non pas l’un des autres employés? En réponse à cette question, l’avocat de l’intimée a répondu que cela ne ferait aucune différence quant à la responsabilité de Trans-Canada Shoe Ltée. C’est exact, mais cela fait une différence bien importante quant à Roméo Lahaie.

Dans un cas analogue où il s’agissait également d’un magasin de chaussures, M. le juge Hartt, de la Cour suprême de l’Ontario, ne trouvant pas la preuve suffisante pour établir avec une certitude raisonnable la cause de l’incendie, a retenu la responsabilité du locataire mais non celle des employés (Cummer-Yonge Investments Limited v. Agnew-Surpass Shoe Stores Limited)[1]. Il y a eu appel de ce jugement[2] et pourvoi à cette Cour mais le litige ne porte plus sur cette question de responsabilité.

Pour ce qui est de Trans-Canada Shoe Ltée, les seuls éléments importants de la preuve faite contre elle peuvent se résumer comme suit.

[Page 51]

Après avoir vainement tenté de faire produire le dossier de la Commission des incendies, on a fait verser au dossier les plans et devis de la construction. Ensuite, un inspecteur électricien qui a visité les lieux six jours après l’incendie a déposé un rapport où Ton lit, ce qui est aussi la substance de son témoignage:

1. — Cette installation demande une réfection générale presque au complet.

2. — Constation: (sic)

Entrée de service de 200 ampères à 110/220 volts, normale. Panneau de distribution avec breakers tous normaux à 15 ampères chaque.

3. — Mise à terre (ground) normale.

4. — Pour ce qui regarde le filage et les sorties, c’est trop endommagé par l’incendie pour faire des constations (sic) et émettre une opinion sur l’origine de l’incendie.

Après cela, la demanderesse a interrogé comme son témoin l’appelant Roméo Lahaie qui a affirmé avoir fermé le magasin en le quittant à 6 h. moins 20 et a admis être un gros fumeur. Ensuite, on a fait témoigner le chef du service des incendies qui a déclaré:

Lorsqu’on a pénétré pour pouvoir constater — il faut dire que, au tout début il était quasiment impossible par la fumée dense enduite de suie, on a pu constater que l’incendie, le foyer de l’incendie principal, se situait à l’arrière du magasin.

Enfin, on a fait comparaître un ingénieur qui n’a jamais fait d’expertise sur l’incendie dont il s’agit et n’avait rien vu avant le jour du procès. Sans autres renseignements que les témoignages et les pièces, il a conclu:

Mais dans les conditions présentes, n’ayant assisté à rien après, tout ce que je peux vous dire c’est que j’élimine les causes autonomes pour ne laisser que les causes humaines, mais je ne peux pas aller plus loin.

L’unique argument que l’avocat des appelants ait fait valoir à l’audition à l’encontre de la validité de la conclusion de l’expert, c’est que le témoignage de l’inspecteur électricien n’avait pas vraiment éliminé l’électricité comme «cause autonome» possible de l’incendie. En effet, cet inspecteur n’avait pas pu examiner la plus grande partie de l’installation électrique, c’est‑à-dire les fils et les

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appareils. On en est donc resté tout simplement avec la preuve constituée par les plans d’après lesquels cette installation devait présenter toutes les garanties de sécurité et l’opinion de l’expert à l’effet que les appareils installés étaient «fool-proof». Je suis bien loin d’être convaincu qu’une telle preuve suffise pour permettre de conclure à la responsabilité du locataire pour un incendie survenu dans les lieux loués lorsque la présomption de l’art. 1629 C.c. ne joue pas. Cependant, je ne crois pas pouvoir dire que l’on a commis une erreur manifeste alors que j’en vois une à l’égard de Roméo Lahaie. Le témoignage de l’expert ne faisant qu’éliminer les causes autonomes ne permettait aucunement de conclure que la «cause humaine» c’était lui plutôt qu’un autre employé. A l’égard de Trans-Canada Shoe Ltée, la situation en cette Cour me paraît essentiellement la même que celle du locataire dans Landels c. Christie[3].

Je conclus donc qu’il y a lieu d’accueillir le pourvoi uniquement aux fins de rejeter l’action à l’égard du défendeur Roméo Lahaie, avec dépens en Cour supérieure seulement vu qu’en appel et en cette Cour il était représenté par les procureurs de Trans-Canada Shoe Ltée; pour le surplus, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens contre cette dernière.

Le jugement des juges Ritchie et Dickson a été rendu par

LE JUGE DICKSON (dissident) — Par la présente poursuite, une compagnie d’assurances cherche à recouvrer du propriétaire d’un magasin où un incendie a pris naissance le montant qu’elle a déboursé en indemnités relativement aux dommages que cet incendie a causés aux propriétaires des magasins adjacents. Au procès, la compagnie d’assurances a cité deux experts qui ont énuméré les causes possibles de l’incendie, pour ensuite les éliminer une à une, ne retenant que l’erreur humaine. La compagnie a alors cherché à prouver que le défendeur Lahaie, le gérant du magasin la journée de l’incendie, avait commis cette erreur. La preuve a démontré que: (i) Lahaie a été le dernier employé à quitter les lieux vers 17 h 40, soit environ trente-cinq minutes avant que l’incen-

[Page 53]

die soit signalé; (ii) Lahaie était un gros fumeur; (iii) il avait deux cendriers sur le comptoir et un sur son bureau à l’arrière du magasin; (iv) il semblerait que l’incendie ait pris naissance à l’arrière du magasin dans un endroit où le public n’avait pas accès; on y entreposait les souliers et on y entassait également des boîtes en carton, du papier d’emballage et d’autres objets semblables avant de les mettre au rebut; (v) lorsque Lahaie est revenu sur les lieux vers 19 h 00, il semblait, selon un témoin, en état d’ébriété et surexcité. La preuve favorable à Lahaie est la suivante: (i) sa vérification des cendriers avant de quitter les lieux; son témoignage sous ce rapport n’est pas clair et permet simplement de déduire qu’il avait l’habitude de vérifier les cendriers avant d’éteindre les lumières et de verrouiller les portes; (ii) Perreault, un des experts, n’avait pas visité les lieux de l’incendie; son expertise se fondait uniquement sur les plans de la construction et sur ses discussions avec d’autres témoins. Après avoir examiné toute la preuve, le juge du procès a conclu que Lahaie avait causé l’incendie. La Cour d’appel de la province de Québec a majoritairement confirmé cette conclusion. Le juge dissident en Cour d’appel, le juge Owen, aurait rejeté l’action intentée contre Lahaie et contre l’employeur de ce dernier.

Les questions présentement en litige devant nous concernent les conclusions sur les faits et les déductions à partir de ces dernières. Les cours d’instance inférieure ont conclu de façon concordante contre Lahaie et contre son employeur en sa qualité de patron, et je suis d’avis qu’aucune erreur palpable ou manifeste n’a été prouvée ou n’est évidente de façon à justifier une intervention de cette Cour. Dans Sénésac c. The Central Vermont Railway Company[4], dans une action en dommages-intérêts intentée contre une compagnie de chemin de fer pour la perte de biens occasionnée par un incendie qui aurait été causé par des étincelles qui provenaient de la locomotive ou de la boîte chaude d’un train en marche, la Cour a décidé, à la p. 646:

[TRADUCTION] La règle suivie par le Conseil privé et par cette Cour a été de ne pas modifier les jugements

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dont l’appel ne porte que sur de simples questions de faits, sauf s’il y a clairement préjudice ou erreur.

Ce principe a été réitéré dans La compagnie de chemin de fer du Grand-Tronc du Canada c. Rainville[5], soit une autre action intentée contre une compagnie de chemin de fer relativement à un incendie qui aurait été causé par des étincelles qui provenaient d’une locomotive de la compagnie. Dans ces deux décisions, aucune preuve directe n’a pu être établie quant à la cause de l’incendie et les conclusions concordantes des cours d’instance inférieure, en faveur de la compagnie de chemin de fer défenderesse dans Sénésac et à l’encontre de la compagnie de chemin de fer défenderesse dans Rainville, n’ont pas été modifiées par cette Cour. Ce principe a été appliqué à plusieurs reprises: The Dominion Fish Company c. Isbester[6], à la p. 638, [TRADUCTION] «…l’appelante doit mettre le doigt sur l’erreur commise par le juge du procès… .”; Weller c. The McDonald-McMillan Company[7], à la p. 87, la Cour n’interviendra que lorsqu’elle sera convaincue que [TRADUCTION] «la conclusion tirée est complètement erronée»; Landels c. Christie[8]; Labadie c. McMillan[9]. La Cour n’infirmera pas les décisions des cours d’instance inférieure même si la preuve sur laquelle elles ont fondé leurs conclusions sur les faits peut sembler faible: George Matthews Company c. Bouchard[10]. Et dans Swyrd c. Tulloch[11], le juge en chef Rinfret a dit, à la p. 200:

[TRADUCTION] La Division d’appel a confirmé le jugement du juge de première instance. Il y a, par conséquent, conclusions concordantes sur les faits et la règle invariable, que cette Cour a toujours suivie, s’applique.

Voir également Levy v. Manley[12].

Il est vrai que certaines causes anciennes n’ont pas établi de distinctions entre une conclusion sur des faits précis, ce que l’on qualifie parfois de perception des faits, et une conclusion sur des faits

[Page 55]

qui n’est réellement qu’une déduction à partir de faits ayant déjà fait l’objet de conclusions précises, ce que l’on qualifie parfois d’appréciation des faits: voir Benmax c. Austin Motor Company Ltd.[13], et l’article du professeur Goodhart intitulé «Appeals on Questions of Fact» et publié à (1955) L.Q.R. 402. Il est également vrai qu’en l’espèce, notre tâche consiste essentiellement à apprécier les faits. Néanmoins, sauf exception, je suis d’avis que la seconde cour d’appel ne devrait pas intervenir lorsque le tribunal de première instance et la première cour d’appel en sont venus à des conclusions identiques dans l’exercice de leurs fonctions de perception et d’appréciation des faits. En l’espèce, la preuve permettait au juge du procès de conclure que Lahaie était responsable de l’incendie, et puique les cours du Québec en sont venues à des conclusions concordantes, je suis d’avis que ce pourvoi devrait être rejeté. J’ajouterais seulement que si j’avais été enclin à exonérer Lahaie de toute responsabilité, j’aurais également exonéré son employeur car en l’absence de responsabilité du fait des actes de Lahaie, je ne vois rien au dossier qui permette de retenir la responsabilité de la compagnie.

Je rejetterais donc le pourvoi avec dépens.

Pourvoi accueilli en partie, les JUGES RITCHIE et DICKSON étant dissidents.

Procureurs des défendeurs, appelants: Stikeman, Elliott, Tamaki, Mercier et Robb, Montréal.

Procureurs de la demanderesse, intimée: Lajoie, Gouin, Desaulniers & Lajoie, Trois-Rivières.

[1] [1970] I.L.R. 1-380.

[2] [1972]2 O.R. 341.

[3] [1923] R.C.S. 39.

[4] (1896), 26 R.C.S. 641.

[5] (1898), 29 R.C.S. 201.

[6] (1910), 43 R.C.S. 637.

[7] (1910), 43 R.C.S. 85.

[8] [1923] R.C.S. 39.

[9] [1926] 3 D.L.R. 655.

[10] (1898), 28 R.C.S. 580.

[11] [1954] R.C.S. 199.

[12] (1974), 47 D.L.R. (3d) 67.

[13] [1955] 2 W.L.R. 418.


Synthèse
Référence neutre : [1976] 2 R.C.S. 46 ?
Date de la décision : 25/03/1975
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli quant à roméo lahaie seulement

Analyses

Faute - Incendie dans magasin loué - Cause non établie - Facteur humain retenu par cours inférieures - Preuve justifiant responsabilité du locataire mais non du gérant.

L’appelante, Trans-Canada Shoe Ltée était locataire d’un magasin endommagé par un incendie. La cause de cet incendie n’a pas été établie. Seul le facteur humain a été retenu et c’est uniquement sur une faute présumée mais non précisée que les cours inférieures ont conclu à la responsabilité de Trans-Canada Shoe Ltée et de son gérant, Roméo Lahaie qui ont été condamnés à indemniser l’intimée pour les indemnités qu’elle a dû débourser relativement aux dommages causés à un autre locataire par cet incendie. D’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt (les juges Ritchie et Dickson, dissidents): Le pourvoi doit être accueilli quant à Roméo Lahaie seulement.

Les juges Judson, Pigeon et Beetz: La preuve faite ne permet pas de conclure à une faute présumée du gérant. Il ne peut pas suffire de démontrer qu’il a été le dernier sur les lieux et que l’incendie est survenu peu de temps après son départ. On dit bien que le foyer de l’incendie était dans l’arrière-boutique où le public n’avait pas accès mais il y avait d’autres employés qui ont quitté les lieux peu de temps avant le gérant. En faisant état de ce que ce dernier était un gros fumeur, on insinue qu’il aurait pu jeter un mégot de cigarette mal éteint au milieu de matières combustibles. Pourquoi serait-ce nécessairement lui qui aurait commis cette erreur et non pas l’un des autres employés?

Quant à Trans-Canada Shoe Ltée, on est resté avec la preuve constituée par les plans d’après lesquels l’installation électrique devait présenter toutes les garanties de sécurité et l’opinion d’un expert à l’effet que les appareils installés étaient «fool-proof». Une telle preuve n’est pas suffisante pour permettre de conclure à la responsabilité du locataire pour un incendie survenu dans les

[Page 47]

lieux loués lorsque la présomption de l’art. 1629 du Code civil ne joue pas. Cependant on ne peut pas dire que les cours inférieures ont commis une erreur manifeste comme dans le cas du gérant.

Les juges Ritchie et Dickson, dissidents: Les cours d’instance inférieure ont conclu de façon concordante contre Lahaie et contre son employeur en sa qualité de patron. Aucune erreur palpable ou manifeste n’a été prouvée ou n’est évidente de façon à justifier une intervention de cette Cour. Cependant, s’il y avait lieu d’exonérer Lahaie de toute responsabilité, il faudrait également exonérer son employeur car en l’absence de responsabilité du fait des actes de Lahaie, il n’y aurait rien au dossier qui permettrait de retenir la responsabilité de la compagnie.

[Arrêts mentionnés: Cummer-Yonge Investments Limited v. Agnew-Surpass Shoe Stores Limited, [1972] 2 O.R. 341; Landels c. Christie, [1923] R.C.S. 39.]


Parties
Demandeurs : Trans-Canada Shoe Ltée.
Défendeurs : Travelers Indemnity Co.
Proposition de citation de la décision: Trans-Canada Shoe Ltée. c. Travelers Indemnity Co., [1976] 2 R.C.S. 46 (25 mars 1975)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-03-25;.1976..2.r.c.s..46 ?
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