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01/10/1974 | CANADA | N°[1975]_2_R.C.S._866

Canada | Honan c. Gerhold et al., [1975] 2 R.C.S. 866 (1 octobre 1974)


Cour suprême du Canada

Honan c. Gerhold et al., [1975] 2 R.C.S. 866

Date: 1974-10-01

Kathleen Lorrain Honan, une mineure représentée par son représentant ad litem Kenneth Honan, et ledit Kenneth Honan (Demandeurs) Appelants;

et

Raymond Gerhold et Nita Sinclair, exécutrice testamentaire de feu Chester Doman (Défendeurs) Intimés;

et

London and Midland General Insurance Company Tierce partie.

1974: le 10 mai; 1974: le 1er octobre.

Présents: Les juges Martland, Judson, Spence, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’AP

PEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Honan c. Gerhold et al., [1975] 2 R.C.S. 866

Date: 1974-10-01

Kathleen Lorrain Honan, une mineure représentée par son représentant ad litem Kenneth Honan, et ledit Kenneth Honan (Demandeurs) Appelants;

et

Raymond Gerhold et Nita Sinclair, exécutrice testamentaire de feu Chester Doman (Défendeurs) Intimés;

et

London and Midland General Insurance Company Tierce partie.

1974: le 10 mai; 1974: le 1er octobre.

Présents: Les juges Martland, Judson, Spence, Dickson et Beetz.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1975] 2 R.C.S. 866 ?
Date de la décision : 01/10/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Véhicules automobiles - Responsabilité du propriétaire - Responsabilité du propriétaire enregistré - Qui était propriétaire selon la Common Law? - The Highway Traffic Act, R.S.O. 1970, c. 202, art. 132.

Dommages — Quantum — Révision de l’adjudication par la cour d’appel.

La demanderesse a réclamé des dommages-intérêts pour les blessures subies dans une collision entre une voiture conduite par elle et une conduite par feu Chester Doman. Le juge de première instance a conclu que l’accident s’était produit uniquement en raison de la négligence de Doman et a rendu jugement contre l’exécutrice testamentaire de celui-ci, mais il a rejeté l’action contre Gerhold, le propriétaire enregistré, au moment de l’accident, du véhicule conduit par Doman. Ce dernier avait été le véritable propriétaire de cette voiture ainsi que son propriétaire enregistré mais, craignant l’exécution d’un jugement pour pension alimentaire, il avait fait immatriculer la voiture au nom de Gerhold en complétant la partie relative au transfert sur le certificat d’immatriculation et en payant le montant de la taxe de vente imposée lors de l’immatriculation ainsi que les frais de l’immatriculation. Doman a continué à se servir de la voiture et à en avoir entièrement la garde mais Gerhold la fit

[Page 867]

assurer en vertu d’une police qu’il détenait et qui assurait déjà la couverture de deux autres voitures. La Cour d’appel confirma le jugement de première instance qui avait fixé à $35,000 les dommages généraux, à $5,244.75 les dommages spéciaux accordés à la demanderesse mineure, et à $12,643.42 le montant accordé à son père pour divers comptes, ainsi que le rejet de l’action contre Gerhold.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

La Cour d’appel a commis une erreur en concluant que Gerhold n’avait aucun droit de propriété que ce soit sur le véhicule. Doman a agi pour empêcher que sa voiture soit l’objet d’une saisie dans le cas d’exécution d’un jugement, ce qu’il ne pouvait faire qu’en transférant le droit de propriété sur la voiture. Doman avait l’intention de transférer sa voiture et il l’a effectivement fait. Gerhold, quant à lui, malgré le fait que Doman conservait la possession et la garde du véhicule, a affirmé son droit de propriété et de garde sur la voiture en l’inscrivant sous la couverture de sa police d’assurance, en faisant la demande d’immatriculation à maintes reprises, en vendant la voiture endommagée ainsi qu’en s’emparant du produit de la vente. Que le mot «propriétaire» de l’art. 105 (maintenant l’art. 132) du Highway Traffic Act R.S.O. 1960, c. 172 (maintenant R.S.O. 1970, c. 202.) soit interprété de façon à comprendre ou non le propriétaire enregistré, Gerhold avait selon la common law la propriété du véhicule et, par conséquent, était responsable en vertu de l’art. 105 de la Loi.

La Cour d’appel a refusé de modifier l’adjudication des dommages généraux pour le motif que le montant était si excessivement bas qu’il nécessitait une modification, cependant, dans les circonstances, le montant accordé était excessivement bas et un montant approprié et modéré pour les dommages généraux serait de l’ordre de $53,000, les dommages spéciaux et les dommages accordés au père demeurant tels qu’établis par le juge de première instance.

Arrêts mentionnés: Haberl v. Richardson, [1951] O.R. 302; Hayduk et autres c. Pidoborozny, [1972] R.C.S. 879; Gorman c. Hertz, [1966] R.C.S. 13; Nance v. British Columbia Railway Company Limited, [1951] A.C. 601.

POURVOI interjeté à rencontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] qui a rejeté un appel d’un jugement du juge Grant qui a accordé des dommages-intérêts contre le conducteur mais qui a rejeté l’action contre le propriétaire enregistré du véhicule automobile. Pourvoi accueilli.

[Page 868]

E.A. Cherniak, c.r. et R.R. Nicholson, pour les appelants.

C.S. Ritchie et J.R. O’Donnell, pour l’intimée Gerhold.

W. Bell, c.r. et T.W. Hainsworth, pour l’intimé Sinclair.

B. O’Brien, c.r. et D.H. Proudfoot, pour la tierce partie.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE SPENCE — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario prononcé le 1er décembre 1972. Ladite Cour, par cet arrêt, rejetait, sans adjucation de dépens, un appel d’un jugement du juge Grant rendu le 5 janvier 1972.

La demanderesse, appelante en cette Cour, a réclamé des dommages-intérêts pour les blessures subies dans une collision entre une voiture conduite par elle et une conduite par feu Chester Doman. Le savant juge de première instance a conclu que l’accident s’était produit uniquement en raison de la négligence de Doman et a rendu jugement contre l’exécutrice testamentaire de celui-ci qui était décédé après l’accident, la cause du décès étant sans rapport avec l’accident. Le savant juge a, cependant, rejeté l’action contre Raymond Gerhold qui était le propriétaire enregistré du véhicule automobile conduit, au moment de l’accident, par feu Chester Doman. Les dommages de la demanderesse, qui lorsque l’action a été intentée était mineure, ont été évalués au procès à $35,000 pour dommages généraux et $5,244.75 pour dommages spéciaux et ceux de son père, Kenneth Honan, à $12,643.42, pour divers comptes tels que frais d’hôpitaux, frais médicaux et autres débours.

L’action contre Raymond Gerhold était, évidemment, fondée sur les dispositions de l’art. 105 du Highway Traffic Act en vigueur au moment de l’accident. Cet article est devenu l’article 132 du c. 202 des statuts revisés de l’Ontario, 1970. Le paragraphe 1 se lit comme suit:

[TRADUCTION] 132. (1) Le propriétaire d’un véhicule automobile est responsable de toute perte ou dom-

[Page 869]

mage subi par une personne et attribuable à l’utilisation négligente du véhicule automobile sur un chemin public à moins que le véhicule automobile n’ait été, sans le consentement du propriétaire, en la possession d’une personne autre que le propriétaire ou son chauffeur, et le conducteur d’un véhicule automobile qui n’en est pas le propriétaire est responsable dans la même mesure que le propriétaire.

Le juge Grant a été d’avis que le mot «propriétaire» dans ce paragraphe ne signifie pas un propriétaire enregistré conformément aux dispositions du Highway Traffic Act mais plutôt le véritable propriétaire. Il a accepté de se guider sur des arrêts tels que Wynne v. Dalby[2], Corner v. Kowaluk[3], et Haberl v. Richardson[4], pour décider que la personne que l’article visait par le mot «propriétaire» était la personne qui avait le pouvoir (du maître) et le contrôle. L’appelante en cette Cour a interjeté appel de ce jugement-là à la Cour d’appel de l’Ontario et le juge d’appel Jessup a rédigé les motifs de la Cour d’appel. Au début de ses motifs, le savant juge d’appel a dit:

[TRADUCTION] A la fin de l’audition de l’appel la Cour a indiqué qu’elle n’était pas prête à considérer l’évaluation des dommages généraux comme une estimation complètement erronée des dommages subis par la demanderesse mineure mais qu’elle réservait son jugement sur la question de la responsabilité du défendeur Gerhold.

Le juge d’appel Jessup a fait l’étude des dispositions de l’art. 105 et de plusieurs autres articles du Highway Traffic Act alors en vigueur et a dit qu’il souscrivait à l’opinion du juge Grant que les articles n’exigent pas que le mot «propriétaire» dans l’art. 105 (maintenant l’art. 132) soit interprété comme désignant le propriétaire enregistré. Recherchant le critère approprié selon lequel on pourrait déterminer qui était le propriétaire selon le sens de l’art. 105, le savant juge d’appel a examiné la décision de cette Cour dans Hayduk et al. c. Pidoborozny et al.[5] Cette décision a été rendue le 1er mai 1972, c.-à-d., après le jugement du juge Grant et avant

[Page 870]

que la cause ne soit entendue par la Cour d’appel. En concluant ses motifs, le juge d’appel Jessup a déclaré:

[TRADUCTION] A mon avis l’arrêt Haberl v. Richardson (supra) ne peut se tenir avec l’arrêt Hayduk (supra) et ceci semble clairement être l’opinion exprimée par le juge Laskin dans les motifs concordants qu’il a rédigés dans l’affaire Hayduk (supra). Par conséquent je suis d’avis qu’un propriétaire enregistré qui a un droit de propriété quelconque afférent au véhicule encourt une responsabilité subsidiaire en vertu de la loi ontarienne pour l’utilisation négligente de ce véhicule même si c’est un autre qui a le pouvoir et le contrôle. En l’espèce, cependant, le défendeur Gerhold n’avait aucun droit de propriété que ce soit dans le véhicule immatriculé à son nom. Je crois que la Cour peut prendre connaissance d’office de ce que la formule de demande de transfert incluse dans le certificat d’immatriculation de véhicule émis dans cette province, ne contient pas de termes de transport ou de cession propres à transporter au cessionnaire, lors de la signature, un droit de propriété dans le véhicule mentionné au certificat.

A mon avis il sera suffisant pour décider le pourvoi d’examiner la conclusion énoncée dans cet alinéa et particulièrement d’approfondir la question à savoir si Gerhold «n’avait aucun droit de propriété que ce soit dans le véhicule immatriculé à son nom». Cette étude exige une revue plutôt minutieuse des faits dont aucun n’est contesté et qui ont tous été relevés par le savant juge de première instance.

Feu Chester Doman s’était porté acquéreur en 1965 d’une Ford Galaxie qu’il avait d’abord mise au nom d’une certain Géraldine Squires avec qui il faisait vie commune. En novembre 1965, à la suite d’une dispute avec Mme Squires, il fit transférer le véhicule à son propre nom. Il semblerait que l’épouse de feu Chester Doman avait contre lui un jugement pour pension alimentaire et qu’elle menaçait d’exécuter ledit jugement par voie de saisie sur ses biens, y compris la voiture Ford Galaxie 1965. Le savant juge de première instance a déclaré qu’en 1965 Doman est venu voir Gerhold et a demandé à ce dernier s’il permettrait que le véhicule soit immatriculé à son nom. Je suis d’avis qu’il y a erreur dans l’enonciation de cette date produite au procès car la pièce 19 est un

[Page 871]

transfert d’immatriculation pour l’année 1966, ce qui démontre que le transfert de Doman à Gerhold a eu lieu au cours de cette année-là. La date réelle n’est pas importante. Ce qui s’est produit c’est que Doman s’est rendu en voiture à la demeure de Gerhold, l’a fait sortir en klaxonant, lui a expliqué qu’il craignait que son épouse saisisse sa voiture et a demandé à Gerhold d’accepter d’immatriculer la voiture à son nom. Doman compléta, sur le certificat d’immatriculation émis par le ministère, la partie relative au transfert et paya à Gerhold le montant de la taxe de vente qui serait imposée lors de l’immatriculation du véhicule sous le nom de Gerhold, ainsi que les frais de l’immatriculation. Doman estima la valeur du véhicule à $1,000. Ensuite Gerhold se présenta au bureau local d’immatriculation des véhicules automobiles, remit la formule de transfert remplie ainsi que le montant pour la taxe de vente et le coût du transfert et on lui émit un certificat de transfert de voiture pour l’année 1966, maintenant la pièce 19. Doman a continué à se servir de la voiture et à en avoir entièrement le contrôle mais Gerhold, même avant que le transfert ait été fait à son nom, avait avisé ses courtiers d’assurance et le véhicule désigné par son numéro de série a été immatriculé comme assuré en vertu d’une police détenue par Gerhold avec London and Midland General Insurance Company et qui assurait déjà la couverture de deux autres voitures. L’année suivante, en 1967, Doman fit une demande pour renouveler l’immatriculation au nom de Gerhold et signa le nom de Gerhold sur la formule de demande sans aucune autorisation de ce dernier. Gerhold fit valoir sa désapprobation de ce geste et insista qu’il devait signer lui‑même les formules de ce genre de sorte qu’en 1968 et de nouveau en 1969 Gerhold lui‑même se rendit au bureau local avec le certificat d’immatriculation du véhicule pour l’année courante et il signa lui-même la demande d’émission de renouvellement annuel du certificat.

Les choses continuèrent ainsi jusqu’à la date de l’accident.

[Page 872]

Doman a été grièvement blessé dans l’accident. La sûreté provinciale de l’Ontario, durant son enquête, communiqua avec Gerhold et celui-ci déclara à la police que Doman conduisait le véhicule avec sa permission à lui, Gerhold, en tant que propriétaire. Ce fut Gerhold qui ordonna le transfert de la voiture chez un démolisseur d’automobiles. Gerhold a eu deux conversations, une personnellement et une autre simplement par téléphone, avec Doman après l’accident à l’égard de ce qui devrait être fait de la voiture. Lors de la première conversation, selon le témoignage de Gerhold, Doman a exprimé le désir de faire réparer la voiture mais lui, Gerhold, était d’avis que le coût des réparations dépasserait la valeur de la voiture. Au cours de la seconde conversation, Doman mentionna seulement [TRADUCTION] «qu’est-ce que nous devrions faire?» Après la mort de Doman, Gerhold a vendu la voiture à une entreprise locale de démolition d’automobiles pour $141. Un chèque a été émis payable à Gerhold et lui a été remis. Il a encaissé le chèque et en a utilisé le produit à ses propres fins.

Dans la défense produite originairement, Gerhold s’en est tenu à la même version qu’il avait donnée à la police et c’est seulement après que ses propres avocats, et non pas l’avocat de la tierce partie qui s’était occupée du litige jusqu’alors, eurent découvert les faits dont je viens juste de faire la narration, qu’une défense amendée a été produite. Voilà les circonstances, racontées brièvement, sur lesquelles le juge d’appel Jessup s’est fondé pour conclure que [TRADUCTION] «en l’espèce cependant, le défendeur Gerhold n’a aucun droit de propriété que ce soit dans le véhicule immatriculé à son nom».

Avec tout le respect pour le savant juge d’appel, je n’en suis pas convaincu. Ce qui a incité Chester Doman à agir, c’était empêcher que sa voiture soit l’objet d’une saisie, dans le cas d’exécution par son épouse du jugement que celle-ci avait contre lui. Cela ne pouvait pas s’accomplir sans qu’il transfère la voiture. Par conséquent, il effectua le transfert qui a transmis à Gerhold le droit de propriété légal suivant

[Page 873]

la Common Law et c’était là exactement le but recherché. La formule de demande d’immatriculation pour un transfert contient, à mon avis, certains mots qui indiquent qu’il y a eu un transport. Cette formule apparaît à la pièce 19 et on doit remarquer qu’elle est signée à la fois par le cédant et le cessionnaire et qu’elle contient les mots: [TRADUCTION] «Je, par la présente, donne avis du changement de propriété du véhicule décrit ci-après et fais une demande de transfert du certificat d’immatriculation». Évidemment, dans les circonstances, feu Chester Doman a continué à avoir la possession exclusive de la voiture et à l’avoir sous son pouvoir et contrôle. Cela faisait partie de l’arrangement. En fait, on retrouve la notion de pouvoir et contrôle exclusif à la fois dans Haberl v. Richardson et Hayduk c. Pidoborozny. Malgré ceci cependant, Gerhold a agi en propriétaire en plusieurs occasions importantes. D’abord, il a inscrit la voiture sous la couverture de sa police d’assurance, et ce faisant il certifiait à la compagnie d’assurance que la voiture était à lui. Deuxièmement, il a fait la demande d’immatriculation, d’abord en 1966 et de nouveau en 1968 et 1969, et il a montré fortement sa désapprobation lorsque Doman l’avait fait en son nom en 1967. Enfin, et à mon avis c’est là le point le plus important, il a vendu la voiture endommagée et a utilisé le produit de la vente à ses propres fins sans de toute évidence avoir l’intention d’en rendre compte à la succession de feu Chester Doman. Ce dernier geste ne peut être compatible qu’avec une affirmation de son droit de propriété sur la voiture.

J’en suis par conséquent venu à la conclusion que le pourvoi devrait être accueilli à partir du principe que, que le mot «propriétaire» de l’art. 105 (maintenant l’art. 132) du Highway Traffic Act soit interprété de façon à inclure ou non le, propriétaire enregistré, Gerhold avait selon la Common Law la propriété du véhicule qui a été impliqué dans l’accident et par conséquent Gerhold est responsable en vertu des dispositions dudit art. 105 du Highway Traffic Act.

[Page 874]

Comme conclusion, l’intimé Gerhold doit être tenu, conjointement avec l’intimée Nita Sinclair, responsable envers les appelants.

Je passe maintenant au pourvoi des appelants à l’égard du montant des dommages-intérêts. Comme je l’ai mentionné, le savant juge de première instance a alloué $35,000 en dommages-intérêts spéciaux et les appelants ont prétendu devant la Cour d’appel de l’Ontario et maintenant devant cette Cour que ce montant était excessivement bas. J’ai déjà mentionné comment la Cour d’appel de l’Ontario avait décidé la question du montant des dommages.

Cette Cour, dans l’arrêt Gorman c. Hertz[6], a adopté la déclaration bien connue faite par le vicomte Simon dans Nance v. British Columbia Electric Railway Company Limited[7], à la p. 613, à savoir, que la Cour d’appel, en décidant si elle est fondée à modifier les conclusions d’une cour de première instance relativement au montant des dommages-intérêts, doit respecter le principe qu’elle n’est pas autorisée à remplacer le montant alloué par une cour d’instance inférieure par un montant calculé par elle simplement parce qu’elle aurait elle‑même accordé un montant différent si elle avait jugé l’affaire en première instance, et qu’avant que la cour d’appel puisse intervenir à bon droit, elle doit être convaincue soit que le juge, en évaluant les dommages, a appliqué un principe juridique erroné ou, si tel n’est pas le cas, que le montant des dommages est ou bien si excessivement bas ou si excessivement élevé qu’une telle estimation des dommages doit de ce fait être entièrement erronée. Cette déclaration a été adoptée par cette Cour dans plusieurs arrêts antérieurs et postérieurs à l’arrêt Gorman v. Hertz.

Le savant juge de première instance a fait un examen méticuleux de la réclamation de l’appelante. Il a cité la liste des blessures subies dans l’accident par la demanderesse Kathleen Honan, comme suit:

[TRADUCTION] a) une fracture du fémur gauche;

[Page 875]

b) une fracture ouverte à la mi-diaphyse des deux os de la jambe droite, le tibia et le péroné;

c) des entailles profondes et des ecchymoses sur les deux genoux ainsi que des fractures des deux rotules;

d) une fracture du bassin;

e) des fractures au niveau des métatarsiens du pied droit;

f) près du tiers d’une de ses dents arrières a été arraché et quatre dents situées à l’avant, supérieures et inférieures, ont été sérieusement ébréchées ce qui a nécessité un polissage par un dentiste;

g) elle a eu aussi des ecchymoses nombreuses à la tête, au corps et aux membres. Elle a subi un choc grave et a perdu une grande quantité de sang.

Le savant juge de première instance a continué:

Elle a été conduite à l’Hôpital Victoria où elle a été sous les soins du Dr William George Jamieson, un spécialiste en chirurgie. Le fémur gauche a été placé en traction avec une pesée et la jambe droite fut mise dans un long plâtre de Paris pour réduire les fractures du tibia et du péroné. La rotule du genoux droit a été enlevée. Le 24 juin on procéda à l’enlèvement du plâtre de la jambe droite et le 27 juin on retira la jambe gauche de l’appareil de traction pour la recouvrir ensuite de bandages spicas, à partir de la taille jusqu’aux pieds. Ces bandages n’ont pas été enlevés avant le 30 juin. Jusqu’à cette date elle était demeurée immobile.

Le 17 juillet elle a été transportée par ambulance chez elle à Toronto où elle dû garder le lit. Le 12 septembre elle est retournée à l’Hôpital Victoria où les examens radiographiques ont montré que sa jambe gauche n’était pas encore guérie. On enleva les fils de fer mais on garda les bandages spicas sur la jambe droite.

Elle est demeurée à l’hôpital jusqu’au 12 octobre, où elle se soumit à des traitements intensifs de physiothérapie afin de restaurer ses muscles et plier ses genoux. Elle laissa le lit pour la première fois le 29 septembre. Sa jambe droite est demeurée bandée jusqu’au 12 octobre.

Lorsqu’elle a quitté l’hôpital, elle était capable de se déplacer à l’aide de béquilles. Elle retourna à la maison où elle demeura jusqu’au 3 décembre, jour où elle retourna à l’hôpital pour faire enlever le bandage de sa jambe droite. A cette occasion, elle est restée à l’hôpital jusqu’au 17 décembre, prenant d’autres traitements physiothérapiques. Elle tenta de toutes les

[Page 876]

façons, en faisant des exercices à la maison, de restaurer les muscles de ses jambes et à la fin de janvier elle marchait en se servant de cannes.

Plus tôt au cours de ce mois-là, sur les conseils de son médecin, elle s’était rendue par avion en Floride afin que le soleil et la chaleur accélèrent sa guérison. Elle est revenue en voiture avec ses parents le 10 janvier 1970. A la fin du mois, elle n’avait plus besoin de cannes. Elle avait été une bonne étudiante au Teacher’s College, à tel point qu’on lui accorda son diplôme et qu’elle ne fut pas obligée d’y retourner pour continuer son stage.

Vers le 1er février, elle a commencé à enseigner une journée par semaine et elle augmenta graduellement de sorte qu’au mois de mai elle consacrait tout son temps à l’enseignement. Au mois de septembre de cette année-là, elle a commencé à enseigner en classe de 5e et depuis elle a continuellement gardé cet emploi. La fracture du pelvis qui avait été déplacé très légèrement a guéri de façon satisfaisante sans traitement particulier. Durant quelque deux mois après l’accident elle a souffert de double vision, ce qui n’a pas subsisté par la suite.

Il y a une inclinaison évidente vers l’extérieur gauche du fémur gauche, tel que le montre la pièce 10. La seule façon d’y remédier serait de briser encore la jambe et de la replacer. Il y a aussi un racourcissement de la jambe gauche d’environ un demi à deux tiers de pouce. Ceci est corrigé jusqu’à un certain point par une semelle épaisse placée dans son soulier. La jambe droite a bien guéri mais l’os sous le genou demeure sensible. Elle ressent quelque raideur à la hanche gauche. Elle marche en boitant visiblement et jusqu’à un certain point sa démarche ressemble à un dandinement.

Si elle conserve la même position durant un certain temps, soit assise ou debout, elle ressent des douleurs dans les jambes. Lorsqu’elle se réveille le matin elle se sent engourdie tant qu’elle ne commence pas à circuler. Elle ne peut mouvoir ses deux genoux à son gré, son genou gauche étant le plus touché. Elle ressent des malaises et des douleurs dans la région des articulations des genoux et si elle essaye de s’agenouiller elle a de la difficulté à le faire à cause de la sensibilité de ses genoux.

Elle peut faire la plupart des mouvements vers l’arrière sans malaise apparent. C’est en se penchant par en arrière que d’ordinaire elle ramasse un objet par terre. Lorsqu’elle tente de s’accroupir elle ne peut compléter son mouvement qu’à cinquante pour cent. L’extension de son genou gauche est parfaite mais si elle le plie à approximativement dix degrés au-delà

[Page 877]

d’un angle droit, le genoux semble alors presque se heurter à un obstacle mécanique.

L’extension ou la contraction du genoux gauche produit une crépitation. Il existe une hyperesthésie le long de la cicatrice située sur la partie inférieure du genou gauche. Cette cicatrice mesure environ huit pouces de long. Elle a aussi une cicatrice à l’endroit où le système de traction a été attaché au tibia gauche et une cicatrice légèrement plus petite du côté opposé de la jambe. Du côté gauche, les mouvements de sa cheville sont satisfaisants.

Le genou droit n’a pas de rotule et encore il existe une hypersensibilité au niveau de l’incision chirurgicale. Ce genou n’a pas de difficulté d’extension et il se plie presque complètement, manquant quelque quinze degrés pour parvenir à une flexion complète. Il subsiste cependant une certaine instabilité au niveau des ligaments de ce genou, tant des ligaments cruciformes que des ligaments collatéraux. La petite blessure causée par la perforation à la jonction de la partie inférieure et du tiers moyen du tibia droit lui cause une sensibilité très marquée à cet endroit. Le dessus de son pied droit la fait quelque peu souffrir.

L’incapacité relative à son genou gauche est permanente et d’après le Dr Cameron celle-ci s’aggravera jusqu’à un certain point et elle aura de la difficulté à monter des escaliers. Elle montre au genou des signes d’arthrite post-traumatique dont l’intensité, selon le médecin, augmentera avec le temps. Elle a une incapacité permanente du genou droit en ce sens que la flexion ne peut se faire complètement et cette condition ne s’améliorera probablement pas. Elle souffre de parasthésie aux deux genoux. Ceci demeurera et sera pour elle une source d’ennuis. L’endroit où le tibia droit a été fracturé demeure très sensible. Les cicatrices au-dessous de chacun des genoux, telles qu’elles apparaissent à la pièce 9, sont grandes, décolorées et très visibles. Celles-ci pourraient être améliorées par chirurgie plastique. Il y a aussi une cicatrice déprimée sur l’avant du tibia droit ainsi que deux cicatrices à l’endroit où les fils de traction avaient été appliqués au tibia gauche. Toutes ces cicatrices sont très visibles et sont pour elle une cause de réels soucis.

Elle a dû endurer des douleurs très pénibles au cours de son hospitalisation et de sa convalescence. Elle prend encore des médicaments pour soulager la douleur. Sa capacité de pratiquer des sports auxquels normalement elle pourrait prendre plaisir est restreinte. Elle est très consciente de son incapacité et de son préjudice esthétique. Elle sera appelée à subir

[Page 878]

d’autres frais médicaux et hospitaliers si elle se soumet à des opérations futures afin d’améliorer l’apparence de ses cicatrices ou l’inclinaison de sa jambe.

Après une telle analyse extrêmement détaillée des blessures de l’appelante, de leur traitement, des résultats du traitement, de l’état de l’appelante à l’époque et des pronostics, le savant juge de première instance a conclu de la façon la plus brève:

J’établirais ses dommages généraux à $35,000. Sa perte de revenu, les dommages à ses vêtements et à la voiture forment un total de $5,244.75. Son père, Kenneth Honan, a payé des comptes d’hôpitaux et de médecins et fait d’autres débours, pour une somme totale de $12,643.42.

Le juge d’appel Jessup, en donnant les motifs de jugement de la Cour d’appel, a dit:

[TRADUCTION] A la fin de l’audition de l’appel la Cour a indiqué qu’elle n’était pas prête à considérer l’évaluation des dommages généraux comme une estimation complètement erronée des dommages subis par la demanderesse mineure mais qu’elle réservait son jugement sur la question de la responsabilité du défendeur Gerhold.

L’avocat de l’appelante a devant cette Cour avancé de façon très convaincante que le montant accordé pour les dommages généraux par le juge de première instance était si excessivement bas qu’il nécessitait une modification par la Cour d’appel et qu’il était du devoir de cette Cour en vertu des dispositions de l’art. 47 de la Loi sur la Cour suprême d’augmenter à la somme que la Cour d’appel aurait dû allouer le montant accordé.

Je crois qu’on doit noter que le savant juge de première instance a conclu dans ses motifs de jugement que l’intimé Gerhold n’était pas responsable envers les demandeurs pour les dommages. Nita Sinclair, à titre d’exécutrice testamentaire de Chester Doman, était représentée en première instance, en Cour d’appel et en cette Cour mais elle n’a ni témoigné elle-même, ni fait entendre de témoins. Tout au long des procédures son avocat a adopté la position que Gerhold devrait être tenu conjointement responsable. La preuve présentée en première instance indiquerait que feu Chester Doman avait obtenu

[Page 879]

que soient réduits à zéro les paiements de pension alimentaire qu’il devait faire à son épouse en vertu du jugement intervenu dans la demande d’aliments introduite par cette dernière. La seule assurance responsabilité couvrant la voiture semble être celle qui est détenue en vertu de la police souscrite en faveur de Gerhold auprès de la tierce partie que j’ai déjà mentionnée.

On peut également faire remarquer que les dispositions de l’art. 22 du Motor Vehicle Accident Claims Act, modifié par l’art. 2 du c. 73 des statuts de l’Ontario, 1968-69, dictent qu’à l’égard des demandes de paiement faites au fonds pour des accidents s’étant produits entre le 1er octobre 1962 et le 1er septembre 1969, lesdits paiements seront limités à un montant maximum de $35,000. L’accident qui a donné naissance à la présente action s’est produit le 28 mars 1969.

L’appelante est une jeune fille qui, au moment de l’accident, était âgée de moins de 21 ans et célibataire. Elle était étudiante au Teachers College de London et devait obtenir son diplôme dans deux mois. La preuve montre qu’elle était une jeune fille des plus séduisante et active dans les sports, y inclus les quilles, le curling et le tennis. Par suite de l’accident, elle a subi des dommages graves tant du point de vue de ses mouvements que du point de vue de son apparence. Ces graves dommages ont été décrits dans les motifs de jugement du juge de première instance dont j’ai cité de longs extraits. L’appelante a continué sa carrière d’institutrice dans une école primaire ce qui l’obligera à se tenir debout durant de longues périodes et aussi l’amènera à changer fréquemment de la position assise à la position debout. La preuve montre que ces mouvements la feront souffrir. Peutêtre encore plus important est le fait, très bien établi par la preuve, que cette jeune fille portera maintenant, pour le reste de ses jours, de très mauvaises cicatrices aux deux jambes, et ces cicatrices ne s’amélioreront pas pour la peine. En plus de porter des cicatrices, ses jambes visiblement ne se meuvent pas normalement, de sorte que lorsqu’elle marche, sa démarche est

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des plus gauche et disgracieuse. L’institutrice doit constamment faire face dans sa classe à de jeunes élèves. Ces enfants sont, je le craies, plutôt sans gêne dans les remarques et commentaires qu’ils font entre eux sur les aspects inhabituels de l’apparence de leur professeur, et on peut facilement comprendre le profond embarrassement de l’appelante qui doit se déplacer de façon si gauche dans la classe devant ses élèves.

De plus, même dans notre atmosphère d’indépendance actuelle, les jeunes filles attachent encore quelque valeur aux perspectives du mariage, et les perspectives de mariage d’une jeune fille dont les jambes portent de laides cicatrices et dont la démarche est gauche subissent un très sérieux préjudice.

Lorsque je prends en considération ces facteurs, en plus de la douleur et des souffrances de l’appelante durant sa longue période de guérison, elle a été un an au complet sans pouvoir marcher, j’en arrive à la conclusion que $35,000 en dommages-intérêts généraux est un chiffre excessivement bas et je suis d’avis qu’un montant approprié et modéré pour les dommages généraux serait de l’ordre de $53,000.

Par conséquent, j’accueillerais le pourvoi contre les deux intimés et je rendrais jugement en faveur de l’appelante comme suit.

A l’appelante Kathleen Lorrain Honan $58,244.75 et à l’appelante Kenneth Honan $12,643.42, avec intérêt à compter de la date du jugement de première instance. Les appelants ont droit à leur dépens contre les deux intimés en toutes les cours. Je ne ferais pas d’adjucation de dépens en faveur ou contre la tierce partie, London and Midland General Insurance Company.

Appel accueilli avec dépens.

Procureurs des appelants: Lerner & Associates, London.

Procureurs de l’intimé, Raymond Gerhold: Siskind, Taggart and Company, London.

Procureurs de l’intimée, Nita Sinclair: Poole, Bell & Porter, London.

[1] [1973] 2 O.R. 341.

[2] (1913), 30 O.L.R. 67.

[3] [1938] O.R. 655.

[4] [1951] O.R. 302.

[5] [1972] R.C.S. 879.

[6] [1966] R.C.S. 13.

[7] [1951] A.C. 601.


Parties
Demandeurs : Honan
Défendeurs : Gerhold et al.
Proposition de citation de la décision: Honan c. Gerhold et al., [1975] 2 R.C.S. 866 (1 octobre 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-10-01;.1975..2.r.c.s..866 ?
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