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12/06/1974 | CANADA | N°[1975]_2_R.C.S._388

Canada | Hôpital Notre-Dame c. Patry, [1975] 2 R.C.S. 388 (12 juin 1974)


Cour suprême du Canada

Hôpital Notre-Dame c. Patry, [1975] 2 R.C.S. 388

Date: 1974-06-12

Hôpital Notre-Dame (Défenderesse) Appelante;

et

Armand Patry (Demandeur) Intimé.

1973: le 10 décembre; 1974: le 12 juin.

Présents: Le Juge en chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Pigeon et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], confirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel accueilli sans adjudication de dépens.
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br>L.P. de Grandpré, c.r., pour la défenderesse, appelante.

André Biron, c.r., pour le demandeur, intimé.

Le jugement ...

Cour suprême du Canada

Hôpital Notre-Dame c. Patry, [1975] 2 R.C.S. 388

Date: 1974-06-12

Hôpital Notre-Dame (Défenderesse) Appelante;

et

Armand Patry (Demandeur) Intimé.

1973: le 10 décembre; 1974: le 12 juin.

Présents: Le Juge en chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Pigeon et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], confirmant un jugement de la Cour supérieure. Appel accueilli sans adjudication de dépens.

L.P. de Grandpré, c.r., pour la défenderesse, appelante.

André Biron, c.r., pour le demandeur, intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE PIGEON — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt majoritaire de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé le jugement de la Cour supérieure accueillant l’action en dommages de l’intimé contre l’Hôpital. La responsabilité de l’institution a été admise à l’enquête et l’unique moyen soulevé dans toutes les cours est la prescription d’un an prévue à l’art. 2262 C.c., par. 2, quand il s’agit d’une action pour lésions ou blessures corporelles. Des notes de M. le Juge Taschereau, j’extrais l’exposé des faits tiré du mémoire de l’intimé en Cour d’appel.

En 1960, Dame Yvonne Marcoux, épouse de Armand Patry, se présentait à l’Hôpital Notre-Dame de Montréal pour obtenir, à la suite de la recommandation qui lui en avait été faite par son médecin, des traitements de radiothérapie.

Au cours d’un de ses traitements, Dame Patry a été brûlée. De 1960 à 1965, la demanderesse, Dame Patry, subit huit (8) opérations infructueuses sous anesthésie, opérations qui avaient pour but de tenter de remédier à la brûlure causée à la demanderesse.

A la fin de juin 1965, tous efforts de tenter de guérir la demanderesse de cette brûlure furent abandonnés. A la fin d’avril 1966, action était prise contre la défenderesse pour réclamer les dommages résultant de la radiodermite dont la demanderesse avait été victime.

[Page 390]

Dame Yvonne Marcoux, épouse de Armand Patry, décédait le 8 juillet 1967.

Il me paraît à propos de citer, comme ils se lisaient lors de l’institution de l’action, le par. 7 de l’art. 2260 et les art. 2261 et 2262 du Code civil:

2260. L’action se prescrit par cinq ans dans les cas suivants:

7. Pour les visites, soins, opérations et médicaments des médecins et chirurgiens et les services d’hôpitaux, à compter de chaque service ou fourniture….

2261. L’action se prescrit par deux ans dans les cas suivants:

1. Pour séduction et frais de gésine;

2. Pour dommages résultant de délits et quasi-délits, à défaut d’autres dispositions applicables;

3. Pour salaires des employés non réputés domestiques et dont l’engagement est pour une année ou plus.

4. Pour dépenses d’hôtellerie ou de pension.

2262. L’action se prescrit par un an dans les cas suivants:

1. Pour injures verbales ou écrites, à compter du jour où la connaissance en est parvenue à la partie offensée;

2. Pour lésions ou blessures corporelles, sauf les dispositions spécialement contenues en l’article 1056; et les cas réglés par des lois spéciales;

3. Pour gages des domestiques de maison ou de ferme; des commis de marchands et des autres employés dont l’engagement est à la journée, à la semaine, au mois ou pour moins d’une année.

Comme les crochets l’indiquent dans le texte original du Code, ces dispositions sont toutes de droit nouveau sauf le par. 7 de l’art. 2260 et le par. 1 de l’art. 2262. C’est la Législature qui a fixé le court délai d’un an pour ce qui fait l’objet du par. 2 de l’art. 2262 (29 Vict. c. 41, résolution 82), au lieu des cinq ans proposés par les codificateurs dans leur troisième rapport en ces termes:

103a. L’action civile pour injures corporelles, si le cas n’est pas autrement réglé par une loi spéciale, se prescrit par cinq ans. Celles pour séduction et pour

[Page 391]

frais de gésine se prescrivent par le même temps. Ces prescriptions sont absolues.

Dans la version française du Code on disait, comme dans ce texte-là, «pour injures corporelles». C’est par une loi de 1930 (chap. 98, art. 2) que l’on a substitué à cette expression celle de «lésions ou blessures corporelles». La version anglaise de ce paragraphe n’a jamais été modifiée. Notons aussi dès maintenant qu’en vertu de l’art. 2267, la créance est absolument éteinte dans les cas dont il s’agit et nulle action n’est recevable de sorte que, par l’effet de l’art. 2188, ce moyen n’a pas besoin d’être soulevé dans les pièces de plaidoirie.

Pour refuser d’appliquer la prescription d’un an, les cours du Québec ont dit qu’il s’agissait ici d’une responsabilité contractuelle et que le par. 2 de l’art. 2262 ne vise que la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle. Cette décision est fondée sur des arrêts antérieurs qu’il importe d’examiner. Le premier et le plus important, c’est Griffith c. Harwood[2]. La question ayant été soulevée par inscription en droit, le pourvoi à cette Cour a été cassé[3]. Dans cette affaire-là, Sir Alexandre Lacoste, juge en chef, a exposé les motifs de l’arrêt de la Cour d’appel dont toute la substance tient dans les trois alinéas que voici (aux pp. 306-307):

Les mots «injures corporelles,» qui se trouvent dans l’article 2262, ne s’appliquent, d’après leur sens littéral, qu’aux injures par action, comme les appellent les anciens auteurs, c’est-à-dire aux voies de fait causant des lésions corporelles, mais l’expression qui se trouve dans le texte anglais «bodily injuries» donne, d’après quelques uns, un tout autre sens à l’article et rend prescriptible par un an tout dommage résultant de lésions corporelles qu’elles proviennent d’un délit ou d’un quasi délit. C’est l’interprétation que la cour suprême a donnée à cet article dans la cause de Canadian Pacific Ry. Co. & Robinson (19 S.C.R., p. 324). Bien que ce jugement ait été renversé par le conseil privé, cependant, ce dernier a confirmé l’opinion de la cour suprême sur ce point. (H.L. & P.C., 1892, p. 486). Les commissaires qui ont préparé le code civil justifient, dans leur rapport, l’interprétation de la cour suprême, car ils semblent considérer

[Page 392]

comme «injures corporelles» les blessures résultant d’accidents qui arrivent aux employés des fabriques. Quoi qu’il en soit, nous n’avons pas à décider cette question, car nous sommes d’opinion que la faute imputée au médecin est contractuelle, et que l’article 2262 ne s’applique pas à la faute contractuelle…

Si la négligence ou l’inhabilité dans les services que le médecin est appelé à rendre constitue une faute contractuelle, il n’est responsable que de sa faute lourde au lieu de la faute légère et très légère dont chacun est responsable en matière de quasi délit, et c’est à tort qu’on appliquerait la règle des délits et quasi délits au lieu de celle des contrats. (Fromangeot, de la faute, pp. 89 et suiv., 240 et suiv.; 8 Huc, no. 419; Dalloz, Rép. vo. Responsabilité, 128 à 132; Supplément, 156 à 158).

Il ne me paraît pas douteux que, dans ce cas, l’art. 2262 ne s’applique pas. En droit civil, le mot injury est un délit ou quasi délit et un bodily injury doit se rapporter au délit ou au quasi délit. (Bouvier, Law Dict., vo. Injury in civil law.)

En définitive, l’unique motif retenu tient dans le dernier alinéa. Si l’on regarde l’ouvrage cité (15e éd. 1884) à l’endroit indiqué, on lit:

[TRADUCTION] En droit civil. Un délit commis par mépris ou outrage envers quelqu’un, par quoi il est malicieusement porté atteinte à sa personne, sa dignité ou sa réputation; Voet, Com. ad Pand. 47, t. 10, no 1.

Ce texte est à peu près identique à celui que l’on trouve dans les éditions antérieures à la rédaction du Code. Ainsi, dans celle de 1848, on lit:

[TRADUCTION] INJURE, en droit civil, au sens technique du mot, c’est un délit commis par mépris ou outrage envers quelqu’un, par quoi il est malicieusement porté atteinte à sa personne, sa dignité ou sa réputation. Voet, Com. ad Pand. lib. 47 t. 10, no 1.

Ce qui est important c’est que, dans cet ouvrage, on voit au mot «civil law» que cette expression y désigne le droit romain. Dans l’édition de 1884, on lit:

[TRADUCTION] Droit civil. Cette expression est généralement employée pour désigner le droit romain, jus civile Romanorum.

D’ailleurs, l’ouvrage cité au mot «injury» démontre qu’il s’agit bien du droit romain. En effet, le titre du livre de Voet est Commentarius

[Page 393]

ad Pandectas. Le début du texte auquel Bouvier renvoie est comme suit:

[TRADUCTION] 1. Tout comme la loi est susceptible d’interprétations diverses (1. pen. et ult. ff. de justifiâ et Jure.) ainsi le sens du mot Injure n’est pas toujours le même. (Princ. Inst. h.t.) Ici le mot Injure est employé pour désigner l’Opprobre (l’Ignominie), souvent défini comme une offense aux bonnes moeurs, quoiqu’il semble plus juste de dire que c’est un outrage à un homme libre, par lequel on porte atteinte à sa personne, son honneur ou sa réputation.

Il faut noter que la Cour supérieure et la Cour de Revision avaient restreint l’application de l’art. 2262, par. 2, à l’injure du droit romain: Caron c. Abbott[4], Morissette c. Catudal[5]. Ces décisions étaient d’ailleurs invoquées par l’intimé dans Griffith c. Harwood, comme on le voit à la p. 305 de 9 B.R.

Or, il est indubitable que ce sens particulier du mot «injuria» en droit romain n’était pas, à l’époque de la rédaction du Code civil, le sens ordinaire ni du mot «injuries», ni du mot «injures». Voici ce qu’on lit dans l’édition de 1848 de Bouvier’s Law Dictionary au début du long article consacré au mot «injury»:

[TRADUCTION] INJURE, un délit.

2.- Les injures sont publiques ou privées; et elles touchent la personne, les biens mobiliers, ou les biens immobiliers.

3.-1. Elles touchent la personne de façon absolue ou relative; les injures absolues sont l’intimidation et les menaces, les voies de fait, les coups et blessures, la mutilation; les injures à la santé, par nuisance ou faute médicale; celles qui touchent la réputation sont la diffamation verbale, la diffamation écrite, et les poursuites pénales malicieuses; et celles qui touchent la liberté individuelle sont la détention illégale et les poursuites pénales malicieuses.

On notera que l’auteur mentionne «medical malpractices». Si l’on consulte les ouvrages français, on lira dans Dareau, Traité des Injures, 1785, T.I. pp. 172-178 sous le titre Des Injures par action:

L’impéritie, l’ignorance n’excusent point de dommages-intérêts: ainsi, un Médecin, un Chirurgien, un

[Page 394]

Apothicaire, une Sage-femme, sont tenus des fautes qui caractérisent l’ignorance; ils sont coupables de s’être ingérés dans l’exercice des parties d’un art au-dessus de leur capacité: quoique la bonne foi puisse les mettre à l’abri des autres peines qui sont au pouvoir de la Justice, cependant, comme le préjudice est toujours égal pour celui qui souffre, soit qu’il y ait bonne foi ou non, les dommages-intérêts n’en sont pas moins dus…

Évidemment, le mot «injure» n’a plus cours dans ce sens-là en français et c’est sûrement ce qui a déterminé la Législature à le remplacer en 1930 par «lésions ou blessures», à la suggestion de M. le Juge en chef Anglin qui a dit dans Regent Taxi and Transport Co. c. Congrégation des Petits Frères de Marie[6], à la p. 674:

[TRADUCTION]… les mots «for bodily injuries» du texte anglais sont rendus très improprement dans le texte français par les mots «pour injures corporelles», par lesquels on veut dire, sans aucun doute, «pour lésions ou blessures corporelles». Même si cela n’est présentement d’aucune importance, il n’est peut-être pas hors de propos de suggérer une intervention législative à l’égard de la version française des articles 2262.2 et 1056 du Code civil, précités.

On ne saurait voir là une consécration législative de l’interprétation donnée à cette disposition dans Griffith c. Harwood. Le nouveau texte français démontre, au contraire, que, dans le texte anglais, le sens du mot «injuries» n’est pas celui du droit romain, ce qui est conforme à la règle que les lois s’interprètent selon le sens usuel des mots. Il y a plus. La décision de cette Cour a fait l’objet d’un appel au Conseil Privé[7] et celui-ci statuant uniquement sur la prescription a dit à la p. 302:

[TRADUCTION] Les mots du par. (2) de l’art. 2262 «for bodily injuries» ne preuvent, selon Leurs Seigneuries, être interprétés littéralement. Il n’y a pas d’action pour lésions ou blessures corporelles au sens littéral de ces mots. Une personne intente une action pour son salaire, mais elle n’intente pas d’action pour des lésions ou blessures corporelles; elle intente une action pour recouvrer des dommages qu’elle a subis par suite de lésions ou blessures corporelles causées par une faute. Le par. (2) de l’art. 2262 doit par conséquent se lire comme s’il visait une action inten-

[Page 395]

tée pour dommages subis par suite de lésions ou blessures corporelles causées par une faute. Cette interprétation pourrait encore (si les mots «for bodily injuries» étaient isolés) permettre de penser que la seule action visée par le par. (2) de l’art. 2262 est l’action intentée pour des dommages qu’a subis par suite de lésions ou blessures corporelles causées par une faute celui qui s’est porté demandeur dans l’action. Mais cette théorie est, de l’avis de Leurs Seigneuries, rendue insoutenable par les mots qui suivent — savoir, «sauf les dispositions spécialement contenues en l’art. 1056». Ce renvoi à l’art. 1056 ne peut avoir pour but que de préciser que le délai d’un an spécifié à l’art. 1056 prévaudra sur le délai d’un an spécifié à l’art. 2262, montrant ainsi que dans l’esprit des codificateurs les mots «actions for bodily injuries» à l’art. 2262 comprennent, par eux-mêmes, une action où le demandeur n’est pas celui qui a subi les lésions ou blessures corporelles.

D’où il suit que l’action en l’espèce étant intentée par la communauté pour des dommages qu’elle a subis par suite des lésions ou blessures corporelles causées au frère par une faute, est une «action for bodily injuries» au sens du par. (2) de l’art. 2262 et «se prescrit par un an» en vertu de cet article.

En partant de là, faut-il dire que «the wrongful infliction of bodily injuries» doit s’entendre uniquement de blessures causées par une faute délictuelle ou quasi-délictuelle? Si l’on se reporte à l’étude que cette Cour a faite du sens de «wrongful» dans McLean c. Pettigrew[8], on ne voit rien qui puisse justifier une telle distinction. L’intimé invoque ce que M. le Juge Taschereau a dit dans Canadian Pacific Railway Company c. Robinson[9], à la p. 324. Mais, si on lit tout l’alinéa, y compris ce qui se trouve à la p. 325, et non pas seulement la première phrase, on constate que le texte est entièrement à l’effet contraire:

[TRADUCTION] Or, lorsque l’art. 2262 décrète que les actions pour «injures corporelles» sont prescrites par un an, cela veut dire toutes les actions pour «injures corporelles» intentées sous le régime de l’art. 1053, sous réserve, bien entendu, de la restriction contenue dans l’article lui-même: «sauf les dispositions spécialement contenues en l’art. 1056; et les cas réglés par des lois spéciales». L’intimée, pour étayer sa prétention que la prescription de deux ans de l’art.

[Page 396]

2261 aurait été la seule applicable à une action intentée par Flynn, a fondé son argument sur la version française de l’art. 2262. Les mots injures corporelles» de cet article, dit-elle, ne s’appliquent pas à un quasi-délit, mais uniquement à un délit. Il n’y a pas de doute que le mot «injures» à cet égard, est généralement compris comme signifiant une injure par voie de fait ou un délit; cependant, Dareau (Des Injures, 55), sous le titre «Injures par action», traite des dommages causés par la négligence d’un cocher, ou par une intervention chirurgicale maladroite, et un arrêt de nos propres tribunaux, Wood c. McCallum (3 Rev. de Leg. 360), a employé l’expression «action d’injures» à l’égard d’une arrestation malicieuse. Un autre arrêt, Smith c. Binet (1 Rev. de Leg. 504) énonce: «Le contenu d’une lettre confidentielle ne peut faire l’objet d’une action d’injures». Même en droit romain «Quelquefois, le mot injure signifie dommage», selon Thevenot-Dessaules (Dict. du Digeste, vo. injures).

Il s’agissait d’une poursuite intentée en vertu de l’art. 1056 C.c. par le veuve d’un ouvrier décédé à la suite d’un accident. Celui-ci avait survécu plus d’un an aux blessures qui avaient causé sa mort et on soutenait que parce qu’il n’avait pas intenté une poursuite dans ce délai‑là, le droit d’action de sa veuve était prescrit. Dans le contexte de cette cause-là, il n’était pas question d’autre chose que de responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle. On aurait donc tort de voir dans la première phrase l’intention d’exclure la responsabilité contractuelle. Il n’en était pas question, M. le Juge Taschereau était uniquement préoccupé de rejeter la distinction que l’intimée prétendait faire entre les blessures qui étaient des «injures» et celles qui n’en étaient pas en invoquant le droit romain (voir p. 301). La suite du texte démontre que l’auteur était tellement loin de songer à exclure la responsabilité contractuelle, qu’il a mentionné parmi les injures corporelles qui pouvaient être visées par le texte, les dommages causés par une opération chirurgicale maladroite, se fondant sur ce que dit Dareau. On voit par là que l’arrêt Griffith c. Harwood, en se basant sur le sens du mot injure en droit romain, est allé véritablement à l’encontre de l’interprétation donnée par cette Cour à l’art. 2262, par. 2, dans l’affaire Robinson. Sa décision a été infirmée par le Conseil Privé qui a

[Page 397]

jugé la prescription de l’art. 1056 seule applicable[10]. Cependant, on a pris soin de dire que l’on ne doutait pas du bien-fondé de l’avis exprimé sur l’application de l’art. 2262, par. 2, au droit d’action de la victime. Même si cet avis n’a pas une valeur de précédent décisif, ce n’est pas moins une opinion à considérer à l’encontre de l’arrêt Griffith.

Que dire maintenant du passage suivant des notes de M. le Juge Mignault dans Regent Taxi and Transport (à la p. 679):

En effet, sur cette question de prescription, tout dépend du fondement juridique de l’action. Si nous étions en présence de la violation d’un contrat, c’est-à-dire de la faute contractuelle, je crois que l’article 2262 C.C., que l’appelante invoque, serait sans application. Mais j’ai dit qu’il n’y a pas eu de contrat entre les parties en litige. Le frère blessé n’a rien payé pour son passage et l’intimée n’a rien déboursé pour son transport. Il n’en est pas moins certain qu’on ne peut se prononcer sur la question de prescription que lorsqu’on sera fixé sur la nature du recours que peut exercer l’intimée dans les circonstances dévoilées par la preuve.

Il n’y a là évidemment qu’un obiter dictum, la question de la faute contractuelle ne se posait pas en l’instance. La suggestion qu’il pourrait y avoir responsabilité contractuelle si le transport de la victime s’était fait moyennant rémunération a de quoi surprendre. Toute la jurisprudence rejette la théorie de la responsabilité contractuelle du voiturier dans le transport de personnes. D’ailleurs, M. le Juge Mignault a dit dans Ross c. Dunstall, Ross c. Emery[11], à la p. 422:

[TRADUCTION] Le moyen de prescription soulevé par l’appelant n’a pas été établi, car la prescription ne peut certainement pas courir avant que la blessure ait été subie et ces actions ont été signifiées dans l’année qui a suivi l’accident. S’il s’agissait d’une action rédhibitoire en annulation de la vente, l’objection que l’intimé Emery a eu la carabine en sa possession pendant trois ans sans s’en servir serait possiblement fatale. Mais, à mon avis, son action peut, nonobstant les relations contractuelles entre les parties, reposer autant sur l’article 1053 que sur les articles 1527, 1528 C.C. L’article 1053 est appliqué tous les jours

[Page 398]

au cas de passagers blessés en voyageant par chemin de fer, bien qu’un contrat soit intervenu entre les passagers et la compagnie de chemin de fer pour le transport. Et je ne puis admettre la proposition générale que là où les relations entre les parties sont contractuelles, il ne peut exister en même temps un recours délictuel en faveur de l’une d’elles. Tout dépend des circonstances de chaque cas.

De toute façon, pour justifier une distinction entre la faute contractuelle et la faute délictuelle comme cause d’action découlant de lésions ou blessures corporelles, il faudrait trouver dans le texte de l’art. 2262, par. 2, C.c., une indication quelconque de la volonté du législateur en ce sens. La règle c’est que l’on ne doit pas distinguer là où la loi ne distingue pas. Ainsi, la Cour d’appel du Québec vient de décider (Canadian Youth Hostels Assn. c. Bennet),[12] qu’il n’y a pas lieu de faire de distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle quant au procès par jury que l’art. 332 du Code de procédure civile de 1965 accorde dans les termes suivants:

332. Peuvent être instruites devant un juge et un jury, si le montant réclamé excède cinq mille dollars:

a) l’action en responsabilité pour dommages à la personne;

b) l’action fondée sur l’article 1056 du Code civil; et

c) l’action en réparation du dommage causé à un bien corporel, si elle résulte d’un délit ou d’un quasi-délit.

Si l’action en responsabilité pour dommages à la personne comprend la responsabilité contractuelle, pourquoi en serait-il autrement de l’action pour lésions ou blessures corporelles? La seule base de distinction qui ait été proposée dans la jurisprudence est celle qui a été retenue dans Griffith c. Harwood et l’on a vu pourquoi cette base était à rejeter.

Le texte mentionne comme exceptions, outre l’art. 1056, les cas réglés par des lois spéciales. Le Conseil Privé ayant, dans Regent Taxi, donné une grande importance à la mention de l’art. 1056, il m’a paru à propos de rechercher ce que pouvaient être les lois spéciales dont il

[Page 399]

est question lors de la rédaction du Code civil. Les seuls textes que j’ai trouvés dans les lois publiques sont l’art. 83 de L’Acte des chemins de fer (S.R.C. 1859, chap. 66), l’art. 74 de la Loi des compagnies pour le flottage du bois (S.R.C. 1859, chap. 68) et l’art. 56 de l’Acte concernant les compagnies à fonds social pour la construction de chemins et de certains autres travaux (S.R.B.C. 1860, chap. 70). Je n’y ai trouvé aucune indication utile. Les dispositions spéciales qui ont établi une courte prescription pour certaines réclamations contre les grandes villes et d’autres municipalités sont toutes subséquentes à la rédaction du Code civil. Celles de la Loi des cités et villes ont fait l’objet d’un arrêt de cette Cour, La Ville de Louiseville c. Triangle Lumber Co.[13] On a jugé que, vu les mots par suite d’un accident, le texte ne s’appliquait pas aux réclamations de dommages résultant de l’inexécution d’un contrat. Comme on ne trouve rien de tel à l’art. 2262, par. 2, le principe de cet arrêt ne me paraît pas susceptible d’application en la présente cause.

Afin de ne rien omettre, il convient de mentionner qu’en 1936, la Cour de Cassation a décidé d’admettre la théorie de la responsabilité contractuelle du chirurgien pour sa faute professionnelle[14] avec la conséquence que la prescription trentenaire est seule applicable. Il est inutile d’examiner les critiques formulées contre cet arrêt. En France, la courte prescription de l’action civile en matière délictuelle est établie par les dispositions du Code d’Instruction criminelle (art. 635 à 640). La distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle se trouve donc à s’imposer quant à la prescription. Cet état de la législation est totalement différent de celui qui existe au Québec où toute la matière de la prescription des actions civiles est traitée dans le Code civil au titre de la Prescription.

Voyons maintenant la jurisprudence québecoise subséquente à Griffith c. Harwood. On y

[Page 400]

trouve d’abord l’arrêt de la Cour d’appel dans X c. Dame Rajotte.[15] La faute du chirurgien consistait à avoir oublié une compresse dans l’abdomen de la patiente lors d’une opération faite le 8 novembre 1932. L’arrêt constate que ce ne fut que vers la mi-mars 1934 que la demanderesse commença à en ressentir des douleurs, que l’action a été intentée le 18 juin 1934 et que, par conséquent, aucune prescription n’était acquise à cette date. On voit que le tribunal n’a fait que suivre la règle posée dans Ross c. Dunstall quant au point de départ de la prescription, sans toucher à l’interprétation de l’art. 2262 par. 2 C.c. De même dans G. c. C[16] où il s’agissait d’une pince hémostatique oubliée dans l’abdomen du demandeur, la présence n’en a été décelée que moins d’un an avant l’institution de l’action et le demandeur n’en avait pas antérieurement ressenti de douleurs.C’est donc obiter que M. le Juge Casey y a exprimé l’avis que parce qu’il s’agissait d’une responsabilité contractuelle, la prescription de trente ans était seule applicable. Dans la présente cause, M. le Juge Casey a conclu son opinion dissidente en disant:

[TRADUCTION] Sur cette question restreinte, notre jurisprudence est loin d’être satisfaisante. Dans ces circonstances il m’est permis de ne pas en tenir compte et de statuer d’après les textes que je considère très clairs.

Pour ces motifs, j’appliquerais à l’espèce présente les dispositions de l’art. 2262-2 C.C. et j’accueillerais l’appel.

Cette observation me semble tout à fait juste en regard de ce que l’on vient de voir. Pour être complet, il suffit de mentionner que l’on trouve dans les recueils de jurisprudence, en outre des arrêts de la Cour d’appel ci-dessus mentionnés, deux jugements de la Cour supérieure: Munro c. Pauly[17], St-Hilaire c. S.[18] Le premier applique la prescription d’un an, le second décide le contraire en se fondant sur G. c. C.

[Page 401]

On est donc bien loin de se trouver en présence d’une jurisprudence constante comme celle dont il s’agissait dans Village de la Malbaie c. Boulianne[19]. De plus, ce dont M. le Juge Rinfret y a fait état à la p. 389, c’est du fait que «Pendant que la jurisprudence et la pratique de la province de Québec s’affirmaient ainsi avec persistance, le Code municipal a été complètement refondu en 1916.» Ici, rien de tel ne s’est produit et il me paraît nécessaire de dire, avec respect, que rien ne permet de considérer de la même manière qu’une refonte complète, le fait que le législateur n’a pas jugé à propos de modifer le texte.

Je conclus que le droit d’action était prescrit lorsque la poursuite a été intentée. En conséquence, il y a lieu d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel ainsi que le jugement de la Cour supéreure et de rejeter l’action. Prenant en considération toutes les circonstances, il n’y aura pas d’adjudication de dépens.

Appel accueilli; pas d’adjudication de dépens.

Procureurs de la défenderesse, appelante: Tansey, de Grandpré, Bergeron, Lavery, O’Donnell & Clark, Montréal.

Procureurs du demandeur, intimé: Biron & Jutras, Drummondville.

[1] [1972] C.A. 579.

[2] (1900), 9 B.R. 299.

[3] (1900), 2 R.P. 505.

[4] (1887) M.L.R., 3 C.S. 375.

[5] (1897), 16 R.L. 486.

[6] [1929] R.C.S. 650.

[7] [1932] A.C. 295.

[8] [1945] R.C.S. 62.

[9] (1891), 19 R.C.S. 292.

[10] [1892] A.C. 481.

[11] (1921), 62 R.C.S. 393.

[12] [1973] C.A. 1090.

[13] [1951] R.C.S. 516.

[14] D.P. 1936. 1.88.

[15] (1938), 64 B.R. 484, infirmé [1940] R.C.S. 203.

[16] [1960] B.R. 161.

[17] [1956] R.L. 359.

[18] [1966] C.S. 249.

[19] [1932] R.C.S. 374.


Synthèse
Référence neutre : [1975] 2 R.C.S. 388 ?
Date de la décision : 12/06/1974
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli

Analyses

Prescription - Lésions ou blessures corporelles - Faute professionnelle - Brûlure par radiations - Code civil, art. 2262.2.

L’épouse de l’intimé Patry a été brûlée au cours d’un traitement de radiothérapie en 1960. Les huit opérations qu’elle a par la suite subies pour remédier à la brûlure entre 1960 et juin 1965 se sont avérées infructueuses. Une action a été prise contre l’appelante en avril 1966 et celle-ci a admis sa responsabilité au procès. Mme Patry est décédée en 1967. La Cour d’appel a confirmé le jugement de la Cour supérieure accueillant l’action. D’où le pourvoi à cette Cour basé sur la prescription de l’art. 2262.2 du Code civil.

Arrêt: Le pourvoi doit être accueilli.

Pour justifier une distinction entre la faute contractuelle et la faute délictuelle comme cause d’action découlant de lésions ou blessures corporelles, il faudrait trouver dans le texte de l’art 2262.2. du Code civil une indication quelconque de la volonté du législateur en ce sens. La règle est que l’on ne doit pas distinguer là où la loi ne distingue pas. La Cour d’appel du Québec a décidé dans Canadian Youth Hostels Assn. c. Bennet, [1973] C.A. 1090, qu’il n’y a pas lieu de faire de distinction entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle quant au procès par jury sous l’art. 332 du Code de procédure civile de 1965. Dans les circonstances, il est permis de ne pas tenir compte de la jurisprudence et de statuer d’après le texte. En vertu de l’art. 2262.2 du Code civil qui s’applique à l’espèce présente, le droit d’action était prescrit lorsque la poursuite a été intenté.

Arrêts mentionnés: Griffith c. Harwood (1900), 9 B.R. 299, appel à C.S.C. cassé 2 R.P. 505; Caron c. Abbott (1887), M.L.R. 3 C.S. 375; Morissette c. Latudal (1897), 16 R.L. 486; Regent Taxi and Transport c. Congrégation des Petits Frères de Marie, [1929] R.C.S. 650, [1932] A.C. 295; McLean c. Pettigrew, [1945] R.C.S. 62; Canadian Pacific Railway

[Page 389]

Company c. Robinson (1891), 19 R.C.S. 292, [1892] A.C. 481; Ross c. Dunstall, Ross c. Emery (1921), 62 R.C.S. 393; Canadian Youth Hostels Assn. c. Bennet, [1973] C.A. 1090; La Ville de Louiseville c. Triangle Lumber Co., [1951] R.C.S. 516; X c. Dame Rajotte, [1940] R.C.S. 203 infirmant (1938), 64 B.R. 484; G. c. C., [1960] B.R. 161; Munro c. Pauly, [1956] R.L. 359; St-Hilaire c. S., [1966] C.S. 249; Village de la Malbaie c. Boulianne, [1932] R.C.S. 374.


Parties
Demandeurs : Hôpital Notre-Dame
Défendeurs : Patry
Proposition de citation de la décision: Hôpital Notre-Dame c. Patry, [1975] 2 R.C.S. 388 (12 juin 1974)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-06-12;.1975..2.r.c.s..388 ?
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