La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/06/1973 | CANADA | N°[1974]_R.C.S._675

Canada | Canadian Motorways c. Laidlaw Motorways, [1974] R.C.S. 675 (29 juin 1973)


Cour ¸suprême du Canada

Canadian Motorways c. Laidlaw Motorways, [1974] R.C.S. 675

Date: 1973-06-29

Canadian Motorways Limited, Motorways Limited, Soo Security Motorways Limited, Motorways Van Lines Limited, Motorways (Ontario) Limited, Motorways (Quebec) Limited, Canadian Motorways Limited, Motorways (Central) Limited, Motorways (Maritimes) Limited, et Canadian Motorways Management Corporation Limited (Plaignants) Appelantes;

et

Laidlaw Motorways Limited (Defendeur) Intimée.

1973: le 28 février; 1973: le 29 juin.

Présents: Les Juges Judson

, Ritchie, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour ¸suprême du Canada

Canadian Motorways c. Laidlaw Motorways, [1974] R.C.S. 675

Date: 1973-06-29

Canadian Motorways Limited, Motorways Limited, Soo Security Motorways Limited, Motorways Van Lines Limited, Motorways (Ontario) Limited, Motorways (Quebec) Limited, Canadian Motorways Limited, Motorways (Central) Limited, Motorways (Maritimes) Limited, et Canadian Motorways Management Corporation Limited (Plaignants) Appelantes;

et

Laidlaw Motorways Limited (Defendeur) Intimée.

1973: le 28 février; 1973: le 29 juin.

Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être accueilli et la décision du ministre rétablie

Analyses

Compagnies - Nom corporatif - «Motorways» nom corporatif de groupe - Caractère descriptif - Probabilité d’induire en erreur - Changement de nom ordonné par le ministre - Révision judiciaire - Corporations Act, R.S.O. 1960, c. 71, art. 12.

Les appelantes forment un groupe de compagnies associées dont l’activité consiste dans le transport routier, et le mot «Motorways» figure bien en vue dans leurs noms respectifs, de même que dans leur publicité et sur leurs véhicules. L’intimée constituait un holding, bien qu’elle ait également des objets d’exploitation, mais à elle sont associées d’autres compagnies exploitantes qui exercent la même activité que les appelantes, offrant les mêmes services à des expéditeurs commerciaux dans la zone d’exploitation de l’appelante. L’intimée a obtenu des lettres patentes supplémentaires changeant son nom à «Laidlaw Motorways Limited» le 25 avril 1969. Auparavant le mot «Motorways» ne faisait pas partie de son nom corporatif.

Les appelantes ont invoqué l’art. 12, par. (2), du Corporations Act, R.S.O. 1960, c. 71, et se sont opposées par écrit auprès du ministre responsable à l’inclusion du mot «Motorways» dans le nom de l’intimée. A la suite d’une audition, le ministre a avisé l’intimée de son intention d’ordonner que son nom soit changé en un autre nom. L’intimée a demandé la révision de cette décision conformément à l’art. 12, par. (3), de la loi. Le juge qui a été saisi de l’affaire a annulé la décision du ministre pour le motif que le mot «Motorways» tombait dans la catégorie des mots génériques ou descriptifs, et qu’il ne pouvait donc pas

[Page 676]

y avoir de «ressemblance de nature à induire en erreur». Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel. Les appelantes ont interjeté appel, avec autorisation, devant cette Cour.

Arrêt (Les Juges Judson et Ritchie étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli et la décision du ministre rétablie.

Les Juges Spence et Laskin: L’article 12 confère un premier pouvoir discrétionnaire à l’autorité administrative d’accorder, de refuser ou d’ordonner un changement de nom corporatif. Une «révision» d’une décision administrative n’est pas une audition de novo. Le pouvoir de révision conféré par l’art. 12, par. (3) n’autorise pas à remplacer un avis administratif par un avis judiciaire pour le seul motif d’un désaccord avec la décision administrative. Il ne permet pas non plus à une cour de conclure différemment simplement à cause de la conclusion à laquelle elle est parvenue quant au poids de la preuve produite devant l’autorité administrative.

L’Administration, en exerçant son jugement sur la question de la probabilité d’induire en erreur, (soit qu’elle accorde un nom une première fois, soit qu’elle ordonne le changement d’un nom qu’elle estime susceptible d’objections), est en droit de procéder à un examen du passé et des activités d’une compagnie opposante qui soutient qu’un certain nom proposé ou donné à une autre compagnie est de nature à induire en erreur. De cet examen, il peut ressortir que le temps et la manière dont un nom corporatif a été utilisé ont imprimé à celui-ci une identité particulière, bien que ce nom corporatif consiste en des mots descriptifs, qui ne décrivent pas simplement l’activité de l’entreprise. Une compagnie opposante ne doit pas être en droit de réclamer un droit exclusif d’utiliser comme partie de son nom un mot descriptif qui identifie simplement son activité. On peut cependant estimer que d’autres mots descriptifs qui ne jouent pas ce rôle — et c’est le cas ici — méritent d’être protégés contre une utilisation par des compagnies concurrentes.

Le Juge Pigeon: Les principes régissant la révision de la décision de l’autorité administrative compétente par les tribunaux, en vertu d’un texte législatif, doivent être exactement les mêmes que dans le cas d’un appel prévu par la loi contre la décision de l’autorité administrative compétente rendue à l’égard d’une objection opposée à une marque de commerce pour le motif que son emploi «créerait de la confusion». La Cour doit considérer comme étant d’un grand poids la J conclusion de l’autorité administrative mais le droit I d’appel demeure absolu.

[Page 677]

Si le mot «Motorways» était descriptif de l’activité poursuivie par les appelantes ou d’articles dont elles font commerce, les décisions des Cours d’instance inférieure seraient bien fondées. Cependant, «motorways» ne décrit pas un mode de transport, mais un genre particulier de routes que, dans ce pays, on appelle le plus souvent autoroutes, voies rapides ou autostrades. En appuyant comme elles le font sur le mot «motorways» et en minimisant tous les autres éléments du nom corporatif de chacune, les appelantes ont créé une situation dans laquelle aucun trait distinctif dans un nom corporatif qui renferme «motorways» ne peut vraiment être considéré comme prévenant effectivement la probabilité de créer de la confusion ou d’induire en erreur. Si le mot ainsi employé était réellement descriptif de l’activité, du produit ou du service, on ne devrait pas permettre aux appelantes de la monopoliser ainsi. Cependant, vu qu’il est simplement descriptif d’une chose qui n’a pas de rapport essentiel avec leur activité, cela n’est pas une objection.

Les Juges Judson et Ritchie, dissidents: les Cours d’instance inférieure ont eu raison de conclure que le nom de l’intimée n’était pas si semblable aux noms des appelantes que son utilisation «serait de nature à induire en erreur» au sens de l’art. 12, par. (1) al. a) du Corporations Act. Le mot «motorways» se veut un terme descriptif et l’est puisqu’il décrit comment celui qui en fait usage rend ses services, soit, sur les grandes routes en véhicule automobile. Son caractère descriptif, lorsqu’il fait partie du nom d’une compagnie, n’est pas restreint à la route elle-même.

[Arrêts mentionnés: Re C C Chemicals Ltd., [1967] 2 O.R. 248; Re Cole’s Sporting Goods Ltd. and C. Cole & Co. Ltd. and Coles Book Stores Ltd., [1965] 2 O.R. 243.]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] rejetant l’appel d’un jugement du Juge Hartt, qui avait infirmé la décision du ministre des Affaires financières et commerciales obligeant la compagnie intimée à changer son nom. Le pourvoi est accueilli, les Juges Judson et Ritchie étant dissidents.

S.G.M. Grange, c.r., pour les appelantes.

J.J. Robinette, c.r., pour l’intimée.

Le jugement des Juges Judson et Ritchie a été rendu par

[Page 678]

LE JUGE JUDSON (dissident) — La question en litige dans le présent pourvoi est de savoir si le nom «Laidlaw Motorways Limited» est si semblable aux noms des appelantes que son utilisation «serait de nature à induire en erreur» au sens de l’art. 12, par. 1, al. a) de la loi dite Corporations Act, R.S.O. 1960, c. 71.

Le juge de première instance et la Cour d’appel à l’unanimité ont conclu qu’il n’y avait pas une telle similitude ou probabilité d’induire en erreur. À mon avis, ils ont eu raison de conclure ainsi. Comme l’ont dit les deux Cours, le mot «motorways» est une combinaison de deux mots anglais simples et bien connus. Il se veut un terme descriptif et il l’est puisqu’il décrit comment celui qui en fait usage rend ses services, soit, sur les grandes routes en véhicule automobile. Son caractère descriptif, lorsqu’il fait partie du nom d’une compagnie, n’est pas restreint à la route elle-même.

J’adopterais les motifs rendus dans les Cours ontariennes et rejetterais le pourvoi avec dépens.

Le jugement des Juges Spence et Laskin a été rendu par

LE JUGE LASKIN — Cet appel, interjeté avec l’autorisation de cette Cour, met en jeu des questions de droit et d’application qui découlent de l’al. a) du par. (1) de l’art. 12 et des par. (2) et (3) du même article dans le Corporations Act, R.S.O. 1960, c. 71, dispositions qui sont devenues l’al a) du par. (1) de l’art. 13 et les par. (2) et (3) du même article à R.S.O. 1970, c. 89. Les I dispositions citées, autant qu’elles ont trait au litige, sont libellées comme suit:

[TRADUCTION] 12. (1) Une compagnie ne doit passe voir attribuer un nom,

a) qui est identique ou semblable à celui d’une compagnie, association, société, personne physique ou entreprise connue si l’emploi de ce nom est de nature à induire en erreur, sauf si la compagnie, l’association, la société, la personne physique ou la personne signifie par écrit son consentement à ce que son nom soit accordé en tout ou en partie…

(2) Si une compagnie, par inadvertance ou autrement, s’est vu ou se voit attribuer un nom qui est

[Page 679]

susceptible d’objections, le lieutenant-gouverneur, après en avoir dûment averti la compagnie, peut ordonner l’émission de lettres patentes supplémentaires changeant le nom de la compagnie en un autre.

(3) Une personne qui s’estime lésée par suite de l’attribution d’un nom en vertu du paragraphe (1) ou par suite du changement ou du refus de changer un nom en vertu du paragraphe (2), peut, après avoir donné un avis d’au moins sept jours au Ministre et aux autres personnes que la cour peut désigner, s’adresser à la cour pour faire réviser la question, et la cour peut rendre une ordonnance changeant le nom de la compagnie en un nom qu’elle considère approprié ou peut rejeter la demande.

Les appelantes forment un groupe de compagnies associées dont l’activité consiste dans le transport routier, et le mot «Motorways» figure bien en vue dans leurs noms respectifs, de même que dans leur publicité et sur leurs véhicules. C’est en 1930 que la première compagnie du groupe a été constituée en corporation, sous le régime de la législation fédérale, sous le nom de Motorways Limited. Cette première compagnie cessa toute activité en 1954 lorsque l’entreprise fut acquise par Hill Motorways Limited dont le nom a été changé pour celui de Canadian Motorways Limited en 1956. Cette dernière, une compagnie constituée en corporation sous le régime de la loi fédérale, constitue maintenant le holding du groupe Motorways en activité qui comprend les compagnies suivantes: Soo Security Motorways Limited, constituée sous le régime de la loi fédérale en 1942; Motorways Van Lines Limited, constituée sous le régime de la loi fédérale en 1949; Motorways (Ontario) Limited, constituée sous le régime de la Loi de l’Ontario en 1953, et Motorways (Quebec) Limited, constituée sous le régime de la loi du Québec en 1954. Le groupe comprend, semble-t-il, trois autres compagnies, mais celles-ci ne sont plus en activité. C’est un fait incontestable que depuis quarante ans maintenant, et jusqu’au moment où se sont produits les événements qui ont donné lieu au procès le mot «Motorways» est utilisé seulement par ce groupe associé, dans l’entreprise de transport routier que les compagnies exploitent dans tout le Canada.

[Page 680]

La compagnie intimée Laidlaw Motorways Limited était connue, avant la délivrance de lettres patentes supplémentaires le 25 avril 1969, sous le nom de Laidlaw Motor Leasing Limited, une compagnie de l’Ontario qui est le produit de la fusion, intervenue le 27 avril 1966, de Hepburn Transport Company Limited et Laidlaw Motor Sales Limited. Elle constitue, à l’heure actuelle, un holding, bien qu’elle ait également des objets d’exploitation, mais à elle sont associées d’autres compagnies exploitantes, par exemple Laidlaw Transport Limited, qui exerce la même activité que les appelantes, offre les mêmes services à des expéditeurs commerciaux dans la zone d’exploitation des appelantes. Le changement de nom en celui de Laidlaw Motorways Limited a été effectué en prévision d’une offre publique d’actions annoncée dans un prospectus daté du 21 mai 1969. Les actions sont cotées à la bourse de Toronto.

Le 16 mai 1969, les appelantes ont invoqué l’art. 12, par. (2), du Corporations Act, et se sont opposées par écrit auprès du ministre responsable à l’inclusion du mot «Motorways» dans le changement de nom de l’intimée. Le Ministre a institué la tenue d’une audition devant le directeur des compagnies de son ministère, au cours de laquelle on a fait entendre des témoignages au nom des parties en cause, lesquelles étaient représentées par leurs avocats. Était également présent le conseiller juridique principal de la direction, M.C.R.B. Salter, qui en était aussi le sous-directeur, et qui, avec le directeur, a présidé à l’audition. C’est lui qui a résumé les débats et la preuve dans un rapport remis au Ministre, dans lequel le paragraphe final était rédigé comme suit:

[TRADUCTION] Les dossiers du ministère révèlent qu’on n’a pas tenu compte du nom de l’opposante à l’époque où l’intimée s’est vu attribuer son nom actuel. Je suis d’avis que ce nom n’a été accordé que par inadvertance et que le ministère n’aurait pas agi de la sorte s’il avait connu le nom corporatif de l’opposante ainsi que la manière et l’historique de son emploi. L’émission de lettres patentes supplémentaires aux fins de changer le nom de Laidlaw Motorways Limited en un autre nom est, par conséquent, recommandée.

[Page 681]

Le Ministre a donné suite à cette recommandation et, par une lettre du 12 juin 1970, il a fait connaître son intention de faire en sorte que le nom de Laidlaw Motorways Limited soit changé en un autre nom. La compagnie intimée a demandé la révision de cette décision conformément à l’art. 12, par. (3), du Corporations Act. Le Juge Hartt, qui a été saisi de l’affaire, a annulé la décision du Ministre pour le seul motif que le mot “Motorways” tombait dans la catégorie des mots génériques ou descriptifs, et qu’il ne pouvait donc pas y avoir de «ressemblance de nature à induire en erreur». Il a également conclu qu’avec les années le mot «en était venu incontestablement à être identifié avec l’opposante», mais il était d’avis que cette doctrine du sens secondaire, bien qu’applicable à des cas de marchandises qui passent pour celles d’un autre, «n’est pas per se adaptable à des questions soulevées en vertu de l’art. 12»; au contraire, les critères énoncés par le Juge d’appel Kelly dans Re C C Chemicals Ltd.[2], régissaient la situation.

Le Juge d’appel Schroeder a confirmé en appel le jugement du Juge Hartt, dans des motifs exposés au nom de la Cour d’appel; il a également conclu que les principes applicables étaient ceux qui avaient été énoncés dans Re C C Chemicals, (précité). Il a déclaré à propos de cet arrêt:

[TRADUCTION] On y déclare que le véritable critère consiste à établir si les noms des deux compagnies, placés l’un à côté de l’autre, apparaissent soit de manière visuelle soit de manière orale comme des noms identiques ou semblables au point que la ressemblance des noms induirait probablement, et non de façon simplement possible, en erreur.

On souligne en outre que le critère applicable n’en est pas un que l’on appliquerait dans une affaire de marchandises qui passent pour celles d’un autre ou dans une action pour usurpation d’une marque de commerce…les compagnies en présence ne viennent devant le Ministre et la Cour que parce que la loi les autorise à soumettre et faire décider la question de la confusion de noms en conformité de l’intérêt public.

[Page 682]

Le Juge d’appel Schroeder était d’avis que le mot “Motorways” était, sinon a proprement parler un mot générique, certainement un mot descriptif des lieux et manière de l’exploitation de l’entreprise des compagnies appelantes. À son avis, «il [n’existe] aucune probabilité d’induire en erreur l’esprit du public, selon le critère visuel et auditif, lorsque les noms “Canadian Motorways Limited” et “Laidlaw Motorways Limited” sont placés l’un à côté de l’autre».

L’affaire C C Chemicals a eu pour origine une objection que Construction Chemicals Ltd., compagnie constituée le 12 novembre 1958, avait opposée à l’utilisation du nom C C Chemicals Ltd. par une compagnie constituée le 23 mars 1961 qui se livrait à la même activité. La directive du secrétaire provincial qui exigeait un changement de nom fut confirmée par le Juge Stewart, mais cette décision fut infirmée en appel en application du critère exposé par le Juge d’appel Kelly, critère que le Juge d’appel Schroeder a cité et appliqué dans la présente affaire. Je ne pense pas qu’un critère qui repose sur la probabilité de confusion d’une compagnie avec une autre épuise l’application de l’art. 12, de même que le pouvoir du lieutenant-gouverneur, sur la recommandation du Ministre responsable, d’ordonner un changement de nom. A mon avis, la probabilité d’une confusion quant à l’association d’une compagnie avec une autre compagnie tombe également dans le champ d’application de l’art. 12, et les autorités désignées peuvent en tenir compte sous le régime de l’art. 12.

Le Juge d’appel Kelly a fait la revue du passé de l’art. 12 de l’Ontario Corporations Act dans Re C C Chemicals, (précité). Deux choses essentielles ressortent de cet examen; d’abord, la disposition de la loi de l’Ontario, contrairement à son modèle au Royaume-Uni, attribue à la Cour l’autorité légale de «réviser la question»; et ensuite, le champ de révision que possède la Cour n’est soumis à aucune limitation expresse. En exerçant son pouvoir de révision dans l’affaire C C Chemicals, le Juge d’appel Kelly a entrepris d’expliquer la signification de l’expression clé de l’art. 12, par. (1), interdisant

[Page 683]

l’attribution d’un nom qui est «identique ou semblable à celui d’une compagnie connue…si l’emploi de ce nom est de nature à induire en erreur». Il a considéré qu’il s’agissait là d’une prohibition destinée à empêcher, dans l’intérêt public, la probabilité d’induire en erreur, mais qu’il fallait évaluer cet intérêt suivant que [TRADUCTION] «la ressemblance (était) telle qu’elle pouvait amener une personne ayant un intérêt à traiter, ou un motif de traiter, avec «A», à traiter avec «B» avec la conviction qu’elle traitait avec «A».» Il a poursuivi son explication en déclarant:

[TRADUCTION] Si c’est là le critère, comme je le pense, la probabilité d’induire en erreur doit être appréciée en se référant à l’effet que les mots dans le nom auront sur les personnes ou sur la catégorie de personnes avec lesquelles l’opposant cherche à avoir des relations commerciales, c’est-à-dire ses clients ou ses clients éventuels.

La Cour, dans l’exercice du pouvoir de révision que lui confère l’art. 12, par. (3), est incontestablement autorisée à examiner la signification et l’application de la norme légale fixée par le par. (1) de l’art. 12. Il y a, cependant, la question préalable de l’étendue du pouvoir de révision qui a été accordé. La «révision» n’est pas une audition de novo, elle se rattache ici à une décision administrative antérieure. Je ne considère pas que le pouvoir de révision autorise à remplacer un avis administratif par un avis judiciaire pour le seul motif d’un désaccord avec la décision administrative. Je ne considère pas non plus qu’il permet à une cour de conclure différemment simplement à cause de la conclusion à laquelle elle est parvenue quant au poids de la preuve produite devant l’autorité administrative.

A mon avis, l’art. 12 confère un premier pouvoir discrétionnaire à l’autorité administrative, et, à cet égard, je me rallie à l’opinion du Juge d’appel Schroeder dans Re Cole’s Sporting Goods Ltd. and C. Cole & Co. Ltd and Cole’s Book Stores Ltd.[3], aux pp. 249-250, qu’il a exprimée en ces termes:

[Page 684]

[TRADUCTION] Un examen des autres dispositions du Corporations Act, telles par exemple celles des articles 3, 4, 5, 7, 8 et 325, indique clairement que lorsque le secrétaire provincial, exerçant les pouvoirs du lieutenant-gouverneur, accorde des lettres patentes par lesquelles des personnes désignées sont constituées en personne morale sous un nom donné, il exerce des pouvoirs exécutifs ou ministériels d’un caractère discrétionnaire, et qu’il conserve à tous les instants le droit et le pouvoir d’accorder ou de ne pas accorder un nom quelconque ou, s’il a accordé un nom à une compagnie, le pouvoir de l’annuler, de le changer ou de le modifier si, à son avis, l’intérêt public l’exige. Il n’est pas lié par des normes fixes et son action est fondée sur des considérations de ligne de conduite et de commodité publique.

Il semble que le Juge d’appel Kelly, dans l’arrêt Re C C Chemicals, (précité), ait adopté une opinion plus stricte sur cette question en favorisant une intervention plus large des tribunaux. Il a déclaré, aux pp. 255-256 de [1967] 2 O.R.:

[TRADUCTION] J’admets avec le Juge Schatz que le domaine d’application de cette procédure n’est pas limité à la question de savoir si le secrétaire provincial a exercé un pouvoir discrétionnaire conformément à un principe de droit approprié: la Cour a le pouvoir d’examiner toute la preuve d’après laquelle le secrétaire provincial a le droit d’agir, et de décider si cette preuve justifiait la décision du secrétaire provincial; mais j’irai plus loin que ne semble avoir été le Juge Schatz et j’affirmerai qu’à mon avis la preuve d’après laquelle le secrétaire provincial avait le droit d’agir était celle qui existait, bien que pas nécessairement au su du secrétaire provincial, quand celui-ci a accordé le nom contesté lors de la constitution en corporation de la compagnie à laquelle le nom a été attribué.

C’est un fait que l’art. 12 ne prescrit aucune audition administrative dans les cas d’objections à l’attribution ou à l’octroi antérieur d’un nom corporatif, mais une pratique s’est créée de permettre une audition lorsqu’on allègue qu’un nom attribué est susceptible d’objection. Dans un tel cas, il est parfaitement normal pour la cour qui siège en révision d’examiner le dossier de l’audition afin de voir si une directive ordonnant le changement d’un nom ou une décision refusant d’ordonner un changement de nom a été fondée sur des motifs qui ont une relation raisonnable avec la norme légale ou repose sur de tels

[Page 685]

motifs. Je remarque ici que le Business Corporations Act, R.S.O. 1970, c. 53, récemment adopté, prévoit à l’art. 8, par. (2), qu’une compagnie régie par cette loi-là a droit à une chance d’être entendue avant qu’une ordonnance aux fins de changer son nom puisse être rendue; et en vertu de l’art. 268, par. (1), un appel peut être directement interjeté devant la Cour d’appel.

Dans d’autres ressorts où l’octroi ou la possession d’un nom corporatif est régi par une norme de probabilité d’induire en erreur ou de ressemblance trompeuse, et où les tribunaux possèdent une autorité légale ou autre de reviser les décisions administratives relatives aux noms corporatifs, les tribunaux ont été réticents à s’ingérer dans l’exercice raisonnable du pouvoir discrétionnaire de l’Administration: voir Berdelle v. Carpentier[4]; Cranford v. Jordan[5]. Des affaires telles que celles-là doivent être considérées comme distinctes de celles où un recours privé relativement à un nom corporatif contesté est introduit en vertu de la Common Law ou de l’equity. Celles-ci n’ont qu’un rapport très marginal avec les questions soulevées par l’art. 12.

Les appelantes ont soutenu que les tribunaux d’instance inférieure n’avaient pas considéré la véritable question que soulèvent les faits de la présente affaire en regard de l’art. 12. Leur avocat a soutenu que lorsque des compagnies exercent la même activité dans la même région et que l’une d’elles change son nom pour y inclure un mot utilisé dans le nom de l’autre, le public sera vraisemblablement porté à les considérer comme des compagnies associées entre elles, en tant que membres d’un groupe, alors qu’en fait une telle association n’existe pas. Il a en outre soutenu que si l’on devait appliquer le critère du «mot générique ou descriptif» comme dans les affaires de marchandises passant pour celles d’un autre, on devrait employer le critère entier, et donc, le sens secondaire acquis par un mot descriptif devrait être protégé. Il n’a cependent pas prétendu que ce critère est applicable en vertu de l’art. 12. Quoi qu’il en soit, son point

[Page 686]

de vue était que le mot «Motorways» ne constitue pas un mot générique ou descriptif relativement à l’entreprise des appelantes; qu’il est largement compris au Royaume-Uni comme désignant des autoroutes et n’est pas un mot d’usage courant sur ce continent.

En outre, l’avocat des appelantes a soutenu que le Ministre avait décidé suivant une recommandation motivée, dans l’exercice d’un pouvoir conféré par un texte législatif, et que les tribunaux n’ont pas à intervenir trop rapidement dans ce qui constitue essentiellement une question de jugement ou d’opinion, et non une question de fait.

L’avocat de l’intimée a prétendu qu’il fallait tenir compte du nom en entier pour décider s’il y avait probabilité d’induire en erreur et qu’à cet égard le critère n’est pas différent de celui qui est appliqué dans des affaires de marchandises passant pour celles d’un autre. Il a souligné que dans la présente affaire un seul mot est en cause, lequel, a-t-il soutenu, est un mot descriptif combinant deux mots anglais simples qui sont, eux aussi, descriptifs; il a ajouté que la réunion du nom propre «Laidlaw» au mot «Motorways» rendait improbable que ce nom soit de nature à induire en erreur.

A mon avis, le point de départ normal dans le cas d’une révision prévue par l’art. 12 est la reconnaissance du pouvoir discrétionnaire appartenant à l’autorité administrative qui accorde, refuse ou ordonne un changement de nom corporatif. Dans l’exercice de ce pouvoir, le critère proposé dans l’affaire C C Chemicals pourrait être invoqué selon les circonstances. Je ne pense pas, cependant, que le critère puisse être le même dans tous les cas, même en supposant que son application ne soulève aucun problème. Une décision administrative dans un cas particulier peut reposer sur d’autres considérations qui se rattachent raisonnablement aux prescriptions de l’art. 12.

Bien qu’il soit utile de considérer l’effet d’un nom contesté sur le public avec lequel les compagnies traitent ou seraient susceptibles de traiter, ce n’est pas, d’une manière générale, en se

[Page 687]

fondant sur des preuves et des témoignages que cet effet sera évalué, étant donné qu’habituellement, la question de la probabilité d’induire en erreur se pose au début de l’existence que connaît la compagnie sous le nom contesté. L’Administration doit donc faire preuve de jugement relativement à cette question, et elle est en droit, dans l’exercice de ce jugement (soit qu’elle accorde un nom une première fois, soit qu’elle ordonne le changement d’un nom qu’elle estime susceptible d’objections), de procéder à un examen du passé et des activités d’une compagnie opposante qui soutient qu’un certain nom proposé ou donné à une autre compagnie est de nature à induire en erreur. De cet examen, il peut ressortir que le temps et la manière dont un nom corporatif a été utilisé ont imprimé à celui-ci une identité particulière, bien que ce nom corporatif consiste en des mots descriptifs, qui ne décrivent pas simplement l’activité de l’entreprise, ou en contienne.

Je souscris volontiers à l’argument suivant lequel une compagnie opposante ne doit pas être en droit de réclamer un droit exclusif d’utiliser comme partie de son nom un mot descriptif qui identifie simplement son activité. On peut cependant estimer que d’autres mots descriptifs qui ne jouent pas ce rôle — et c’est le cas ici — méritent d’être protégés contre une utilisation par des compagnies concurrentes.

On n’a pas exprimé l’avis, dans la présente affaire, que les fonctionnaires chargés de l’audition auraient négligé un quelconque fait important ou omis de se conformer à la norme légale. On n’a démontré aucune erreur de principe relativement à cette norme si ce n’est par renvoi au critère posé dans l’affaire C C Chemicals. Pour les motifs déjà indiqués, je ne suis pas d’accord que ce critère-là régit le règlement de la présente affaire.

On a affirmé devant cette Cour qu’exiger un changement de nom aujourd’hui pourrait être un coup dur, du fait surtout que des actions et obligations ont été émises sous le nom existant. Cela n’occupe pas une plus grande place maintenant qu’au moment où la question a été soumise

[Page 688]

aux fonctionnaires chargés de l’audition relative à l’objection des appelantes, ou qu’au moment où le Ministre en était saisi.

Je suis par conséquent d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer l’ordonnance de la Cour d’appel et du Juge Hartt, et de rétablir la décision du Ministre. Vu les circonstances, je suis d’avis d’attribuer aux appelantes leurs dépens en cette Cour mais je ne rendrais aucune autre ordonnance quant aux dépens.

Avant que de terminer sur cette affaire, je dois mentionner une demande présentée à cette Cour par l’avocat du ministre de la consommation et des relations commerciales de l’Ontario aux fins d’intervenir dans l’appel et faire des observations ne se limitant pas à la compétence mais portant sur le fond du litige. La demande d’autorisation d’intervenir devant cette Cour a été refusée. Le Ministre est l’autorité responsable de l’application de l’art. 12, et c’est la décision du Ministre qui était directement en litige en l’espèce présente.

LE JUGE PIGEON — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement de mon collègue le Juge Laskin. Je suis pleinement d’accord avec ses conclusions mais désire faire les observations suivantes.

A mon avis, sur une demande de changement de nom invoquant la probabilité d’induire en erreur, les principes régissant la révision de la décision de l’autorité administrative compétente par les tribunaux, en vertu d’un texte législatif, doivent être exactement les mêmes que dans le cas d’un appel prévu par la loi contre la décision de l’autorité administrative compétente rendue à l’égard d’une objection opposée à une marque de commerce pour le motif que son emploi «créerait de la confusion». Ces principes ont été énoncés récemment par cette Cour dans l’affaire Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corpn.[6] On y a dit (à la p. 200):

[TRADUCTION]… la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion doit être considérée comme étant

[Page 689]

d’un grand poids et la conclusion d’un fonctionnaire qui au cours de son travail quotidien doit rendre des décisions sur ce point et sur d’autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère, mais, comme l’a dit M. le Juge Thorson, alors président de la Cour de l’Échiquier, dans l’affaire Freed and Freed Limited c. Le Registraire des marques de commerce et un autre ([1950] R.C.E. 431, à la p. 437):

[TRADUCTION]… la confiance dans la décision du registraire à l’effet que deux marques sont semblables au point de créer de la confusion ne peut aller jusqu’à affranchir le juge qui entend un appel de cette décision de l’obligation de décider la question en tenant dûment compte des circonstances de l’affaire.

Je ne puis voir de différence importante entre le droit absolu d’appeler à une cour et le droit tout aussi absolu de s’adresser à une cour «pour un nouvel examen de la question». Il y a complète similitude entre l’interdiction d’une marque de commerce dont l’emploi «créerait de la confusion» et la prohibition d’un nom corporatif dont l’emploi «serait de nature à induire en erreur». De même, la nature de la tâche du registraire des marques de commerce en décidant si une marque est susceptible d’objections pour ce motif est essentiellement identique à celle du Ministre appelé à décider, en vertu de The Corporations Act, si le nom d’une compagnie est susceptible d’objection parce que son emploi «serait de nature à induire en erreur». Il me paraît donc qu’il n’y a pas lieu de juger le présent litige d’après le poids de la décision soumise à un nouvel examen, mais par l’étude de son bien-fondé comme dans le cas d’un appel de la décision d’un juge, en se rappelant toujours que puisqu’il s’agit d’un juge spécialiste possédant une expérience particulière de la question en jeu, il faut attribuer à ses conclusions une valeur spéciale.

Dans ses «motifs de recommandation», le directeur-adjoint de la direction des compagnies dit:

[TRADUCTION] Le mot «motorways» figure comme suit à l’édition intégrale des dictionnaires Random House et Webster auxquels s’est reporté l’avocat:

[Page 690]

[TRADUCTION] «Motorway — n. Angl. — une route pour véhicules automobiles; sp: autoroute».

Cet article figure aux éditions intégrales de ces dictionnaires publiées au milieu des années ‘60 et j’ai été incapable de trouver le mot «motorway» dans aucune édition antérieure. De même, une recherche faite dans un certain nombre d’éditions abrégées de dictionnaires d’usage courant au Canada ne révèle aucun article pour le mot «motorway»; autant que je sache, ce mot n’est pas, non plus, employé comme terme générique ou descriptif dans notre pays. Les synonymes dans l’usage populaire semblent plutôt être «expressway», «thruway» ou «freeway» (autoroute, autostrade). Il s’ensuit alors que «motorway» n’est pas un terme générique ou descriptif en usage au Canada.

Quoi qu’il en soit, il est bon de signaler qu’une décision de la Chambre des Lords dans l’affaire Reddaway v. Banham [1896] A.C. 199 a statué qu’un terme descriptif peut très bien acquérir par l’usage un sens secondaire qui distingue la source du produit et qui a le droit d’être protégé; ce principe fut approuvé dans l’affaire Cellular Clothing précitée.

A mon avis le mot «motorways» qu’a employé l’opposante dans les noms corporatifs de son groupe de compagnies n’est pas un terme générique ou descriptif mais il est plutôt de la catégorie d’un terme forgé.

A mon avis, c’est à bon droit que les cours d’instance inférieure ont été en désaccord avec ces observations. On ne peut pas à juste titre placer un mot anglais dans la catégorie des mots forgés pour le motif qu’il n’est pas usité comme terme générique ou descriptif en notre pays. Nous l’avons dit récemment dans Home Juice Co, et al. c. Orange Maison Ltée[7], le français et l’anglais sont des langues internationales, il faut les considérer dans leur totalité et non pas sous l’aspect particulier du seul vocabulaire ayant cours au pays.

Je doute sérieusement qu’il convienne jamais d’accepter qu’un mot descriptif puisse acquérir un sens secondaire, de manière à influer sur l’application des dispositions de The Corporations Act concernant les noms dont l’emploi «serait de nature à induire en erreur». Sur ce point, il y a une différence sensible entre The Corporations Act et la Loi sur les marques de

[Page 691]

commerce dans laquelle se trouvent des dispositions précises concernant le caractère distinctif acquis par un long usage. A cet égard, je cite les passages suivants du jugement de la Cour d’appel du Royaume-Uni dans l’affaire Office Cleaning Services, Ltd. v. Westminster Office Cleaning Association[8], aux pp. 270, 271:

[TRADUCTION]...les principes qui régissent ce que nous pouvons appeler les cas ordinaires de marchandises qui passent pour celles d’un autre, où la question est de déterminer si un nom commercial ou une désignation commerciale ou une désignation d’une catégorie particulière de marchandises ou la présentation d’une catégorie particulière de marchandises est de nature à induire en erreur ou ne l’est pas, sont, à tout prendre, extrêmement analogues à ceux qu’il faut considérer sous le régime de l’art. 17 de The Companies Act, 1929, pour décider si un nom commercial est de nature à induire en erreur compte tenu de l’existence d’un nom similaire dans le registre des compagnies. Le fondement du droit d’injonction contre l’utilisation d’un nom similaire est le principe que personne n’a droit de présenter son entreprise ou sa marchandise comme étant l’entreprise ou la marchandise d’un autre, quels que soient les moyens employés pour atteindre ce résultat, peu importe que cela soit intentionnel ou non; mais une distinction a toujours été et doit toujours être faite entre les cas où le nom commercial ou la partie de ce nom qui est en cause consiste en un mot ou des mots d’usage courant qui sont descriptifs de l’activité poursuivie ou de l’article qui fait l’objet du commerce, et les cas où le ou les mots incriminés ont le caractère de mots de fantaisie et n’ont primordialement aucun rapport avec semblable activité ou article mais seulement avec la personne qui poursuit l’activité ou fait le commerce de l’article; voir les motifs du Juge Parker dans British Vacuum Cleaner Co., Ltd. v. New Vacuum Cleaner Co., Ltd. [1907] 2 Ch. 312, à la p. 321. Bien entendu, si l’on peut établir que le ou les mots descriptifs ont acquis dans le public ou dans une classe du public appelée à traiter avec l’entreprise ou la marchandise en cause, un sens subsidiaire ou secondaire dénotant ou connotant l’entreprise ou l’origine de l’article, la personne qui demande une injonction contre l’utilisation du mot ou des mots peut obtenir le redressement qu’elle recherche. Cela, je pense, est clairement établi par les décisions rendues dans des affaires comme Reddaway v. Banham [1896] A.C. 199, et Cellular Clothing Co. v. Maxton [1899] A.C. 326, mais c’est

[Page 692]

un fait extrêmement difficile à prouver, comme l’a signalé LORD SHAND dans l’arrêt Cellular précité, où il a dit, à la p. 340, en se reportant à l’arrêt Reddaway v. Banham:

[TRADUCTION] De cet arrêt je dirai seulement qu’il fait indubitablement voir que, lorsqu’un nom descriptif a été employé, il est possible de prouver que son utilisation est devenue si générale, je dirais même si universelle, qu’un sens secondaire lui a été donné, conférant par là à la personne qui l’a ainsi employé un droit à son usage exclusif ou, en tout cas, à un usage tel que les autres sont tenus d’y ajouter un trait distinctif. Mais je reconnais avoir toujours pensé, et je pense encore, qu’il devrait être rendu presque impossible d’obtenir le droit exclusif à l’emploi d’un mot ou terme d’usage courant dans notre langue et qui n’est que descriptif — et, vraiment, si ce n’était de la décision rendue dans l’affaire Reddaway, je dirais que cela devrait être rendu tout à fait impossible.

(J’ai mis des mots en italique).

Si le mot «motorways» était descriptif de l’activité poursuivie par les appelantes ou d’articles dont elles font commerce, comme c’était le cas dans Re C C Chemicals[9], je serais d’accord avec les cours d’instance inférieure. Cependant, avec respect pour ceux qui sont d’avis contraire, il me paraît que «motorways» ne décrit pas un mode de transport, mais un genre particulier de routes que, dans ce pays, on appelle le plus souvent autoroutes, voies rapides ou autostrades (expressways, throughways ou freeways). Les appelantes, bien entendu, n’utilisent pas exclusivement ces routes-là, pas plus que toute autre entreprise de camionage sur grandes distances.

Il me semble donc que la situation ici est essentiellement différente de celle qui se présentait dans la cause Chemicals. Dans cette affaire-là, la compagnie opposante, à l’instar d’Office Cleaning Services Ltd., avait choisi de se constituer en société sous un nom purement descriptif de son activité, soit Construction Chemicals Limited. C’est à bon droit que la Cour a conclu (à la p. 262) (traduction) «qu’il faut susciter le plus de difficultés possibles à celui qui cherche à adopter ou à employer

[Page 693]

exclusivement comme lui appartenant en propre, un terme simplement descriptif». Toutefois, je ne crois pas que cela puisse s’appliquer au delà du point où le mot est réellement descriptif de l’activité poursuivie ou du produit qui fait l’objet du commerce. Ici, le mot est simplement descriptif de routes très désirables, qui sont utilisées le plus possible mais non exclusivement et, par conséquent, n’ont pas d’association directe avec l’activité des appelantes. Ce mot les identifie parce qu’elles l’ont adopté, non pas parce qu’il est devenu plus descriptif de leurs opérations que de celles de leurs concurrents. Dans ces conditions, il ne me paraît pas abusif de leur donner virtuellement le monopole de son emploi dans le nom commercial d’une entreprise de camionnage sur grandes distances.

A mon avis, le Ministre pouvait à bon droit, en décidant l’objection relative au nom de l’intimée, tenir compte du fait que les appelantes ont établi un groupe considérable de compagnies sous une même direction, identifié comme tel par le mot «motorways» dans le nom corporatif de chaque membre du groupe. En appuyant comme elles le font sur le mot «motorways» et en minimisant tous les autres éléments du nom corporatif de chacune, elles ont créé une situation dans laquelle aucun trait distinctif dans un nom corporatif qui renferme «motorways» ne peut vraiment être considéré comme prévenant effectivement la probabilité de créer de la confusion ou d’induire en erreur. Si le mot ainsi employé était réellement descriptif de l’activité, du produit ou du service, j’éprouverais une répugnance extrême à permettre aux demanderesses de le monopoliser ainsi. Cependant, vu qu’il est simplement descriptif d’une chose qui n’a pas de rapport essentiel avec leur activité, cela ne me paraît pas réellement une objection.

Je signale aussi, en considérant l’affaire sous l’angle de l’équité, que si la décision du Ministre était infirmée, il pourrait bien s’ensuivre que les appelantes se verraient effectivement privées de la possibilité de continuer à promouvoir leur entreprise collective par l’emploi du seul mot «motorways» comme description commode de leur groupe. Une telle conséquence serait

[Page 694]

incomparablement plus grave que les inconvénients que l’intimée aura à subir du fait d’un changement forcé de nom. Du côté de l’intimée, c’est un risque qu’elle a pris en demandant l’enregistrement de son nom actuel dans ces circonstances-là. De l’autre côté, les appelantes ont depuis longtemps établi leur nom corporatif de groupe ou de famille en se fondant sur une pratique qui avait reçu une certaine sanction officielle et, à mon avis, elles subiraient un vrai coup dur si on les empêchait de continuer à l’employer ainsi.

Appel accueilli avec dépens en cette Cour, les Juges JUDSON et RITCHIE étant dissidents.

Procureurs des appelantes: McMillan, Binch, Toronto.

Procureurs de l’intimée: McCarthy & McCarthy, Toronto.

[1][1972] 1 O.R. 266, 22 D.L.R. (3d) 654.

[1967] 2 O.R. 248, 63 D.L.R. (2d) 203.

[1965] 2 O.R. 243.

(1957), 143 N.E. 2d 53 (I11.).

(1936), 61 P 2d 45 (Calif.).

[1969] R.C.S. 192.

[1970] R.C.S. 942.

[1944] 2 All E.R. 269.

[1967] 2 O.R. 248.


Parties
Demandeurs : Canadian Motorways
Défendeurs : Laidlaw Motorways

Références :
Proposition de citation de la décision: Canadian Motorways c. Laidlaw Motorways, [1974] R.C.S. 675 (29 juin 1973)


Origine de la décision
Date de la décision : 29/06/1973
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1974] R.C.S. 675 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1973-06-29;.1974..r.c.s..675 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award