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22/12/1972 | CANADA | N°[1973]_R.C.S._281

Canada | Banque Provinciale du Canada c. Ogilvie, [1973] R.C.S. 281 (22 décembre 1972)


Cour suprême du Canada

Banque Provinciale du Canada c. Ogilvie, [1973] R.C.S. 281

Date: 1972-12-22

Banque Provinciale du Canada Appelante;

et

Nelson Ogilvie Intimé,

et

The Assessment Commissioner of the City of Ottawa Tierce Partie.

1972: les 21 et 22 novembre; 1972: le 22 décembre.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

Évaluation — Formule prescrite pour diviser l’évaluation d’une corpo

ration de façon à contribuer au soutien des écoles séparées — Preuve du chef comptable de l’appelante sur le nombre d’actionnaire...

Cour suprême du Canada

Banque Provinciale du Canada c. Ogilvie, [1973] R.C.S. 281

Date: 1972-12-22

Banque Provinciale du Canada Appelante;

et

Nelson Ogilvie Intimé,

et

The Assessment Commissioner of the City of Ottawa Tierce Partie.

1972: les 21 et 22 novembre; 1972: le 22 décembre.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

Évaluation — Formule prescrite pour diviser l’évaluation d’une corporation de façon à contribuer au soutien des écoles séparées — Preuve du chef comptable de l’appelante sur le nombre d’actionnaires catholiques basée sur déclarations sous serment des gérants de succursale — Appelante peu disposée à produire ces déclarations — Avis donné par l’appelante est-il suffisant selon l’art. 58 du Separate Schools Act, R.S.O. 1960, c.368.

La banque appelante a donné l’avis légal prescrit dans le Separate Schools Act, R.S.O. 1960, c. 368, demandant que 63 pour cent du montant de son évaluation, à Ottawa, soit réparti aux fins des écoles séparées. Le commissaire à l’évaluation n’a pas donné suite à cet avis. La cour de revision a rejeté l’appel interjeté par la banque. Le juge de la cour de comté a infirmé cette décision et ordonné que le montant de l’évaluation soit divisé en conformité de l’avis. A la suite d’un appel subséquent à l’Ontario Municipal Board, la décision du juge de la cour de comté a été confirmée. Un appel ayant été porté devant la Cour d’appel de l’Ontario; celle-ci a infirmé la décision de la commission municipale et ordonné que le rôle d’évaluation de la ville d’Ottawa soit modifié de façon à indiquer que la banque avait été évalué comme donnant son appui aux écoles publiques. La banque en a appelé à cette Cour.

La seule preuve présentée est le témoignage du chef comptable de la banque. Le juge de la cour de comté et la commission municipale ont décidé que par ce témoignage, la banque avait rempli son obligation relativement à la preuve. La Cour d’appel a été d’avis contraire.

D’après la preuve, 700,000 actions de la banque avaient été émises et étaient en circulation, dont

[Page 282]

443,472 étaient détenues par des catholiques. Il y avait en tout 4,505 actionnaires de la banque. Le directeur général de la banque a adressé des lettres aux gérants de succursale, au nombre de 180, leur demandant de se renseigner au sujet de la relation des actionnaires résidant dans leur district. Une liste des actionnaires a été jointe pour le bénéfice de chaque gérant. Leur travail terminé, ils ont fait rapport au directeur général et certifié les résultats par déclaration sous serment.

Arrêt: L’appel doit être accueilli, le Juge Laskin étant dissident.

Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall et Pigeon: Quant à la question que l’art. 58(3) du Separate Schools Act soulève relativement au fardeau de la preuve, la compagnie a l’obligation de montrer que son avis est exact. Cependant, la loi ne requiert pas que l’on s’assure du nombre exact d’actions détenues par les catholiques et tout ce qui est requis, c’est que la compagnie prouve qu’un nombre minimum d’actions sont détenues par des catholiques et que la proportion prescrite dans l’avis ne dépasse pas la proportion d’actions détenues que représente ce nombre.

L’appelante a fait une enquête suivant cette ligne de conduite; et l’appel ne devrait pas être décidé en se fondant sur le strict motif du refus du chef comptable de produire les déclarations sous serment des gérants de succursale. La production de ces déclarations sous serment pouvait uniquement avoir pour but de montrer ce qui était évident et incontesté — que la preuve sur laquelle on demandait à la cour de se fonder était du ouï-dire et qu’il ne fallait lui attribuer aucun poids. Le témoignage du chef comptable, sans les déclarations sous serment, est digne de foi et le juge de la cour de comté et la commission municipale l’ont bien apprécié et se sont fondés sur ce témoignage avec raison.

Le Juge Spence: Si l’avocat du commissaire à l’évaluation et du contribuable avait eu le désir et l’intention de contre-interroger sérieusement sur son témoignage le chef comptable en se servant des déclarations sous serment des gérants de succursale et par ce fait, d’essayer de rendre peu digne de foi la preuve reconnue comme étant une preuve par ouï‑dire, déposée par le chef comptable, cet avocat aurait eu le droit d’exercer ce droit et d’exiger la production desdites déclarations sous serment. Le dossier déposé auprès du juge de la cour de comté montre, toutefois, que le seul intérêt que visait l’avocat du commissaire

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à l’évaluation et du contribuable était de démontrer le prétendu caractère de ouï-dire de la preuve du comptable.

Le Juge Laskin, dissident: En admettant les résultats de l’enquête faite par la banque, on donne beaucoup de latitude quant à l’admission du ouï-dire, que justifie cependant l’art. 58, vu comme indicateur fourni par la loi. Mais si une telle preuve est admise, les documents mêmes dans lesquels elle a été recueillie et par lesquels elle a été confirmée doivent être produits.

[Distinction faite avec l’arrêt: Ford Motor Co. v. Board of Education of Windsor, [1938] O.R. 301, confirmé par [1939] R.C.S. 412 et infirmé par [1941] A.C. 453.]

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], accueillant un appel d’une décision de l’Ontario Municipal Board qui avait rejeté un appel d’un jugement du Juge de la Cour de Comté Macdonald. Appel accueilli, le Juge Laskin étant dissident.

Lionel Choquette, c.r. et David Dehler, pour l’appelante.

E. Peter Newcombe, c.r., pour l’intimé.

Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall et Pigeon a été rendu par

LE JUGE JUDSON — La question qui se pose dans le présent appel est celle de savoir si la corporation appelante, la Banque Provinciale du Canada, a bien divisé le montant de son évaluation pour fins scolaires entre les écoles publiques et les écoles séparées. Elle a donné l’avis légal prescrit dans le Separate Schools Act, demandant que 63 pour cent du montant de son évaluation, à Ottawa, soit réparti aux fins des écoles séparées. Le commissaire à l’évaluation n’a pas donné suite à cet avis. La cour de revision a rejeté l’appel interjeté par la banque. Le juge de la cour de comté a infirmé cette décision et ordonné que le montant de l’évaluation soit divisé en conformité de l’avis. A la suite d’un appel subséquent à l’Ontario Municipal Board, (la commission municipale), la décision du juge de la cour de comté a été confir-

[Page 284]

mée. Un appel ayant été porté devant la Cour d’appel de l’Ontario, celle-ci a infirmé la décision de la commission municipale et ordonné que le rôle d’évaluation de la ville d’Ottawa soit modifié de façon à indiquer que la banque avait été évaluée comme donnant son appui aux écoles publiques. La banque interjette maintenant appel devant cette Cour.

La seule preuve présentée est le témoignage de Jean Machabee, chef comptable de la banque et registraire. Le juge de la cour de comté et la commission municipale ont décidé que par ce témoignage, la banque avait rempli son obligation relativement à la preuve. La Cour d’appel a été d’avis contraire.

D’après la preuve, 700,000 actions de la banque avaient été émises et étaient en circulation, dont 443,472 étaient détenues par des catholiques. Il y avait en tout 4,505 actionnaires de la banque. De toute évidence, les renseignements de ce genre doivent être recueillis par enquête. Le directeur général de la banque a adressé des lettres aux gérants de succursale, au nombre de 180, leur demandant de se renseigner au sujet de la religion des actionnaires résidant dans leur district. Une liste des actionnaires a été jointe pour le bénéfice de chaque gérant. Leur travail terminé, ils ont fait rapport au directeur général et certifié les résultats par déclaration sous serment.

Les paragraphes (1) et (3) de l’art. 58 du Separate Schools Act, R.S.O. 1960, c. 368, édictent ce qui suit:

[TRADUCTION] 58. (1) Par avis (formule 2) au greffier de toute municipalité dans laquelle se trouve une école séparée, une corporation peut demander que l’ensemble ou une partie des biens-fonds dont elle est propriétaire ou qu’elle occupe, ou, si elle n’est pas propriétaire, qu’elle loue, occupe, ou possède réellement, et l’ensemble ou une partie du montant de l’évaluation d’entreprise ou des autres évaluations de la corporation faites en vertu du Assessment Act, soient inscrits, imposés et cotisés aux fins de l’école séparée.

(3) A moins que tout le capital social ou toutes les actions soient détenus par des catholiques romains, la partie ou portion de ces biens-fonds, évaluation d’entreprise ou autres évaluations qui doit être ainsi impo-

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sée et cotisée ne doit pas représenter une proportion plus importante par rapport à l’ensemble de ces évaluations que le montant du capital social ou des actions ainsi détenus représente par rapport au montant global du capital social ou des actions.

Le paragraphe (3) soulève une question importante relativement au fardeau de la preuve. La compagnie est-elle obligée de montrer que son avis est exact ou est-ce la municipalité qui doit établir le contraire? Dans l’arrêt Ford Motor Company of Canada Limited v. Board of Education for the City of Windsor[2], le fardeau a été imposé à la municipalité en Cour d’appel de l’Ontario et en cette Cour[3]. Il a été décidé que selon la bonne interprétation à donner à la loi (art. 58, par. (3), précité), l’avis de la compagnie doit prévaloir à moins d’être écarté par une preuve selon laquelle les dispositions du paragraphe n’ont pas été respectées. Cette décision a été infirmée par le Conseil privé[4], qui a décidé que même si la compagnie avait agi de bonne foi, elle n’avait pas rempli son obligation relativement à la preuve, car il était reconnu que l’avis était fondé sur une supposition ou une estimation. Le Conseil privé a décidé que la loi ne requiert pas que l’on s’assure du nombre exact d’actions détenues par les catholiques et que tout ce qui est requis, c’est que la compagnie prouve qu’un nombre minimum d’actions sont détenues par des catholiques et que la proportion prescrite dans l’avis ne dépasse pas la proportion d’actions détenues que représente ce nombre.

Les faits de l’affaire dont nous sommes ici saisis diffèrent d’une façon importante de ceux de l’affaire Windsor. Nous sommes ici en présence d’une enquête élaborée et détaillée, menée par la compagnie au meilleur de ses moyens, en vue de s’assurer de la proportion d’actions détenues par des catholiques, tel que mentionné dans le paragraphe. On ne conteste pas et on ne saurait contester la bonne foi de la compagnie ou les moyens qu’elle a pris. Dans

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l’affaire Windsor, on avait affirmé pour le compte de la compagnie qu’elle n’était pas au courant et ne pouvait pas s’assurer du nombre d’actions détenues par des catholiques, qu’il était en réalité impossible de s’en assurer et que, de fait, les administrateurs n’avaient fait aucune enquête.

Toutefois, la compagnie présentement en cause a fait une enquête suivant la ligne de conduite proposée dans la décision du Conseil privé. Le juge de la cour de comté et la commission municipale ont décidé que l’enquête qui leur avait été décrite satisfaisait aux prescriptions de la loi. Devant ces deux tribunaux, on a contesté la preuve comme n’ayant aucune valeur probante étant donné qu’elle était fondée sur ce que «A» avait dit à «B» (le gérant local), ou sur ce dont «B» avait personnellement eu connaissance et avait communiqué à «C» (le chef comptable et registraire). Les deux tribunaux ont repoussé cet argument, ont apprécié la preuve et lui ont donné effet. S’ils ne l’avaient pas fait, ils se seraient trouvés à annuler les dispositions de la loi en ce qui concerne toutes les compagnies ayant un grand nombre d’actionnaires.

En Cour d’appel, on a de nouveau contesté les déclarations sous serment des gérants de succursale comme étant une preuve par ouï-dire. Mais la Cour n’a pas fondé ses motifs sur ce moyen. Elle a présumé, sans le décider, que les déclarations sous serment étaient recevables dans ces procédures-là. Elle a décidé que l’appel porté par la banque devait être rejeté parce que le chef comptable avait refusé de produire les déclarations sous serment, ce qui voulait dire que la preuve matérielle ou la meilleure preuve ne serait pas disponible et qu’il n’était pas possible d’examiner ou de vérifier l’exactitude des calculs à partir des listes.

A mon avis, le présent appel ne devrait pas être décidé en se fondant sur le strict motif du refus de produire les déclarations sous serment. En premier lieu, le dossier n’indique aucun refus de la sorte. La première observation formulée par l’avocat a été que le chef comptable résumait le résultat d’enquêtes faites par un grand

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nombre de personnes; il a demandé où se trouvaient les déclarations sous serment et si elles seraient produites. L’avocat de la banque a alors affirmé qu’il serait disposé à les produire, mais avec réticence à cause de l’attitude des actionnaires quant à la divulgation de leurs affaires. L’avocat de la municipalité et le juge se sont entretenus brièvement; puis l’avocat a dit:

[TRADUCTION] Tout ce que je désire faire, c’est de signaler à Votre Seigneurie que même si les déclarations sous serment étaient produites, elles seraient sujettes à objection, mais c’est là une autre question, car ce témoin ne fait que résumer.

Le juge a noté l’objection et a continué d’entendre le témoignage. Il est clair, d’après ses motifs, qu’il était satisfait de l’étendue de l’enquête et de la diligence avec laquelle elle avait été menée et reconnaissait la véracité des résultats, sans qu’il fût nécessaire de produire les déclarations sous serment.

Quant à moi, il est également clair que la production de ces déclarations sous serment pouvait uniquement avoir pour but de montrer ce qui était évident et incontesté — que la preuve sur laquelle on demandait à la Cour de se fonder était du ouï-dire et qu’il ne fallait lui attribuer aucun poids. A mon avis, le témoignage du chef comptable, sans les déclarations sous serment, est digne de foi et le juge de la cour de comté et la commission municipale l’ont bien apprécié et se sont fondés sur ce témoignage avec raison.

L’appel devrait être accueilli et les ordonnances rendues par le juge de la cour de comté et la commission municipale devraient être maintenues. Il devrait être ordonné que l’avis de l’appelante au greffier municipal de la ville d’Ottawa, daté du 20 avril 1960, est un avis approprié et suffisant selon l’art. 58 du Separate Schools Act, R.S.O. 1960, c. 368, et que le cotiseur était tenu de faire et déposer son rôle en divisant le montant de l’évaluation de l’appelante en conformité dudit avis.

L’appelante aura droit à ses dépens en cette Cour et en Cour d’appel.

LE JUGE SPENCE: — J’ai eu l’occasion de lire les motifs de jugement rédigés par M. le Juge

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Judson et M. le Juge Laskin. Mes collègues conviennent tous deux que, dans l’arrêt Windsor Board of Education v. Ford Motor Co. of Canada Ltd.[5], le Comité judiciaire a accepté le degré de preuve sur lequel reposait l’avis donné par la corporation et que Lord Atkin a décrit dans les termes suivants:

[TRADUCTION] A ce sujet, il faut se rappeler que nous sommes dans le domaine de la preuve juridique, laquelle requiert non pas la certitude, mais un degré de probabilité, à partir de faits avérés, qui permette au juge de déduire raisonnablement le fait en litige.

et qu’en l’espèce, la Banque provinciale du Canada a mené une enquête raisonnable. Par contre, selon M. le Juge Laskin, le défaut de la banque de produire les déclarations sous serment de ses directeurs dans lesquelles ces derniers décrivaient l’enquête qu’ils avaient faite sur la religion des actionnaires de la banque, et de divulguer les résultats de cette enquête, a empêché tout contre-interrogatoire du chef comptable qui a résumé les résultats de ces rapports et, par conséquent, a réduit la preuve de celui-ci à [TRADUCTION] «une absence totale de preuve», (je reprends simplement les termes employés dans l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario).

D’autre part, selon M. le Juge Judson, si on a demandé la production de ces déclarations sous serment, ce ne pouvait être que pour démontrer que la preuve sur laquelle on demandait à la Cour de se fonder était du ouï-dire et ne devait avoir aucun poids. La Banque provinciale avait évidemment reconnu qu’il s’agissait d’une preuve par ouï-dire, mais elle a allégué que cette preuve était néanmoins acceptable en regard du critère établi dans l’arrêt Windsor Board of Education v. Ford.

Si j’avais conclu que l’avocat du commissaire à l’évaluation municipale et du contribuable avait le désir et l’intention de contre-interroger sérieusement sur son témoignage le chef comptable de la banque en se servant de ces déclarations sous serment et par ce fait, d’essayer de rendre peu digne de foi la preuve reconnue

[Page 289]

comme étant une preuve par ouï-dire, déposée par le chef comptable, j’aurais été fortement d’avis que cet avocat avait le droit d’exercer ce droit et d’exiger la production desdites déclarations sous serment. J’ai toutefois étudié avec soin le dossier déposé auprès du savant juge de la cour de comté et j’en ai conclu que le seul intérêt que visait l’avocat du commissaire à l’évaluation et du contribuable était de démontrer le prétendu caractère de ouï‑dire de la preuve du comptable. S’étant précédemment opposé à la preuve du comptable pour le motif qu’elle n’était que du ouï-dire, l’avocat s’est adressé à la Cour comme suit:

[TRADUCTION] Me NEWCOMBE: Votre Seigneurie, voilà qui nous mène à l’objection. Je prétends que ce témoin ne fait que résumer à l’intention de Votre Seigneurie le résultat des enquêtes menées par un grand nombre de personnes, et où se trouvent les déclarations sous serment elles-mêmes — mon collègue va-t-il produire les déclarations sous serment?

L’avocat de la banque a alors dit qu’il était peu disposé à produire les déclarations sous serment parce qu’il ne voulait pas révéler des détails que savaient à titre confidentiel la banque et ses directeurs ni l’identité des différents actionnaires ainsi que les valeurs qu’ils détenaient, mais il a commencé son exposé comme suit: [TRADUCTION] «Votre Seigneurie, je serais disposé à produire les déclarations sous serment, mais». En d’autres termes, il n’a pas catégoriquement refusé de produire les déclarations sous serment et l’avocat du commissaire à l’évaluation et du contribuable, à la déclaration du savant juge de première instance:

[TRADUCTION] Il est surprenant, Me Newcombe, que vous disiez être prêt à admettre une preuve sous forme de déclaration sous serment.

a répondu:

[TRADUCTION] Me NEWCOMBE: Tout ce que je dis, Votre Seigneurie, c’est — je ne dis pas que j’admettrais une preuve sous forme de déclarations sous serment, mais on est allé plus loin que cela car ce témoin résume les faits en se fondant sur la preuve sous forme de déclaration sous serment, faits dont il n’a aucune connaissance, et j’étais sur le point de soulever la question de la recevabilité des déclarations sous serment.

[Page 290]

et il a enchaîné:

[TRADUCTION] Me NEWCOMBE: Tout ce que je désire faire, c’est de signaler à Votre Seigneurie que même si les déclarations sous serment étaient produites, elles seraient sujettes à objection, mais c’est là une autre question, car ce témoin ne fait que résumer.

Il a ainsi indiqué clairement qu’il continuait à plaider l’irrecevabilité de la preuve par ouï-dire, que la déclaration sous serment ait été produite ou non.

J’ai étudié le reste du dossier déposé auprès du savant juge de la Cour de comté et je suis convaincu que l’avocat du commissaire à l’évaluation et du contribuable a maintenu cette position au cours de toutes les plaidoiries.

A propos de la production de documents qui révéleraient l’identité des actionnaires, le savant juge de première instance a dit plus tard:

[TRADUCTION] Il ne servirait à rien d’obtenir seulement une liste de ces actionnaires et d’essayer de la vérifier. La seule liste qui serait utile serait celle que la Banque lui fournirait des actionnaires qui, selon elle, sont catholiques romains.

Me NEWCOMBE: Cela simplifierait la tâche.

LE PRÉSIDENT: Il s’agit essentiellement de savoir si une telle obligation existe, quand elle est contestée.

Et l’avocat a apporté une réponse très révélatrice:

[TRADUCTION] Je ne poursuivrai pas ce point si vous convenez avec moi que cette preuve est entièrement du ouï-dire.

J’en suis donc venu à la conclusion que dans les circonstances particulières de l’espèce, le commissaire à l’évaluation et le contribuable ne peuvent maintenant exiger la production des déclarations sous serment des directeurs de banque.

A l’instar de mon collègue le Juge Judson, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens en cette Cour et en Cour d’appel.

LE JUGE LASKIN (dissident) — Nous devons en cette cause déterminer si la banque appelante a satisfait aux prescriptions législatives de l’art. 58 du Separate Schools Act, R.S.O. 1960,

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c. 368 (maintenant l’art. 64 de R.S.O. 1970, c. 430) en divisant son évaluation aux fins scolaires de façon à contribuer au soutien des écoles séparées de la ville d’Ottawa. La législature a prescrit une formule à suivre pour diviser ainsi l’évaluation, en des termes généraux qui permettent, d’un côté, une division unilatérale et quasi inattaquable de l’évaluation par la corporation ou qui imposent, d’un autre côté, un obstacle presque insurmontable à une corporation qui a un grand nombre d’actionnaires dispersés. Aucun de ces extrêmes ne me paraît être conforme à l’esprit de la législation et il incombe par conséquent aux tribunaux d’établir des normes d’observation de la loi propres à permettre une application raisonnable.

La question a été débattue dans le passé, dans une affaire dont avait été saisie cette Cour et dont avait été saisi ensuite le Conseil privé, lequel était alors notre dernière juridiction d’appel. L’arrêt Windsor Board of Education v. Ford Motor Co. of Canada Ltd.[6], inf. l’arrêt [1939] R.C.S. 412, lequel confirmait l’arrêt [1938] O.R. 301, a été rendu en vertu des mêmes dispositions législatives que celles qui sont présentement en cause; ces dispositions, pour autant qu’elles s’appliquent, se lisent comme suit:

[TRADUCTION] 58. (1) Par avis (formule 2) au greffier de toute municipalité dans laquelle se trouve une école séparée, une corporation peut demander que l’ensemble ou une partie des biens-fonds dont elle est propriétaire ou qu’elle occupe, ou, si elle n’est pas propriétaire, qu’elle loue, occupe, ou possède réellement, et l’ensemble ou une partie du montant de l’évaluation d’entreprise ou des autres évaluations de la corporation faites en vertu du Assessment Act, soient inscrits, imposés et cotisés aux fins de l’école séparée.

(2) Le cotiseur inscrira alors la corporation au rôle d’évaluation comme contribuant aux écoles séparées relativement aux biens-fonds et à l’évaluation d’entreprise ou aux autres évaluations indiqués dans l’avis, et les inscriptions appropriées seront faites dans la colonne réservée aux impôts des écoles séparées, et la partie des biens-fonds et de l’évaluation d’entreprise ou des autres évaluations ainsi indiqués sera

[Page 292]

imposée en conséquence aux fins des écoles séparées et non aux fins des écoles publiques, mais les autres biens-fonds ainsi que la partie restante, s’il y a lieu, de l’évaluation d’entreprise ou des autres évaluations de la corporation seront inscrits séparément et imposés aux fins des écoles publiques.

(3) A moins que tout le capital social ou toutes les actions soient détenus par des catholiques romains, la partie ou portion de ces biens-fonds, évaluation d’entreprise ou autres évaluations qui doit être ainsi imposée et cotisée ne doit pas représenter une proportion plus importante par rapport à l’ensemble de ces évaluations que le montant du capital social ou des actions ainsi détenus représente par rapport au motant global du capital social ou des actions.

(4) Un avis donné en conformité d’une résolution des administrateurs est suffisant et demeurera en vigueur, et l’on pourra se fonder sur pareil avis, jusqu’à ce qu’il soit retiré, modifié ou annulé par avis donné ultérieurement en conformité d’une résolution de la corporation ou de ses administrateurs.

Dans l’affaire Windsor Board of Education, la portion de son évaluation que la compagnie avait affectée au soutien des écoles séparées avait été établie par ladite compagnie à partir d’une simple supposition ou estimation. En décidant que cela ne satisfaisait pas à l’obligation qui incombait à la compagnie d’établir l’existence d’au moins un nombre minimum d’actionnaires catholiques romains et d’établir que la proportion prescrite par l’avis ne dépassait pas la proportion d’actions détenues que représentait ce nombre, le Conseil privé a dit ceci à l’égard de la question de la preuve (à la p. 462):

[TRADUCTION] La disposition actuelle, telle qu’elle existe depuis 1913, prescrit que la division requise en faveur des écoles séparées ne doit pas représenter une proportion plus grande que celle que représentent les actions appartenant aux catholiques romains par rapport à l’ensemble du capital social. Il est vrai que la division prévue par la loi doit être représentée par un pourcentage donné, et que le nombre minimum doit être vérifié de façon à s’assurer que la division prévue pour la loi ne va pas au-delà, mais en vertu du présent code, il n’est d’aucune façon obligatoire que le nombre minimum représente le nombre exact d’actionnaires catholiques romains. Le total peut être beaucoup plus élevé. Tout ce qu’il faut, c’est que l’on établisse que le nombre minimum représente fidèlement un certain nombre d’actions détenues par des

[Page 293]

catholiques romains. La compagnie n’est pas obligée de diviser son évaluation jusqu’à concurrence d’un nombre bien établi. Elle peut décider de donner moins que le nombre établi, et, sans connaître les nombres exacts, elle peut être en mesure de savoir et, si on le lui demande, de prouver que le nombre minimum est au moins x et que le pourcentage affecté aux écoles séparées ne dépasse pas x. Nous ne voyons pas pourquoi il serait difficile de déterminer ce nombre minimum. Il se peut que l’on sache que certaines actions appartiennent à des catholiques romains. Ces actions au moins, constituent une partie du pourcentage désiré. Il se peut aussi qu’il y ait des faits dont on peut raisonnablement déduire qu’un certain nombre d’actions détenues, outre le nombre réellement connu, appartiennent à des catholiques romains; par exemple, après avoir établi un pourcentage de 5%, il peut être facile d’étayer la conclusion que, de toute façon, il y en a, mettons, cinq pour cent de plus. A ce sujet, il faut se rappeler que nous sommes dans le domaine de la preuve juridique, laquelle requiert non pas la certitude, mais un degré de probabilité, à partir de faits avérés, qui permette au juge de déduire raisonnablement le fait en litige.

Avant 1913, une compagnie qui voulait diviser ses évaluations entre les écoles publiques et les écoles séparées devait voir à ce que le montant de son évaluation destiné aux écoles séparées représente le même pourcentage de l’évaluation totale que le nombre d’actions détenues par des catholiques romains représentait par rapport au montant total des actions émises. La modification de cette formule rigide n’a pas relevé la compagnie de l’obligation de démontrer qu’elle avait rempli les conditions d’une exception légale.

En espèce, le dossier démontre que le 20 avril 1960, le conseil d’administration de la banque appelante a passé une résolution prévoyant que ses évaluations scolaires à Ottawa seraient divisées de façon que 63 pour cent aille aux écoles séparées et 37 pour cent aux écoles publiques. Cette résolution a été incorporée dans un avis de même date au greffier de la ville d’Ottawa, et l’avis a été remis le jour suivant au commissaire à l’évaluation de la ville. La corporation ne disposait pas, à l’époque, de données de vérification établissant que le pourcentage désigné de ses évaluations ne représentait pas un pourcen-

[Page 294]

tage plus élevé de l’ensemble des évaluations que le pourcentage que représentait le chiffre des actions détenues par des catholiques romains par rapport à l’ensemble des actions émises.

Le commissaire à l’évaluation a refusé de donner suite à l’avis et la banque a par la suite pris des dispositions en vue d’obtenir la vérification de la répartition qu’elle avait faite. A cet effet, elle a dressé une liste des actionnaires au 1er juin 1960, indiquant les actions détenues par chacun, et envoyé à chacun de ses 180 directeurs de succursale les parties de cette liste visant les actionnaires de leur district, accompagnées d’une lettre datée du 8 août 1960. La lettre demandait au directeur d’indiquer, soit à sa connaissance, soit d’après le résultat d’enquêtes, lesquels, parmi les actionnaires mentionnés sur la liste (à l’exclusion des corporations actionnaires et des actions détenues par des courtiers) étaient catholiques romains, et à quelle paroisse ils appartenaient. Chaque directeur de succursale devait renvoyer la liste portant ses indications, et une déclaration sous serment à l’appui.

Le chef comptable et registraire de la banque, Jean Machabee, a témoigné qu’il avait compilé les réponses reçues des directeurs de banque et que selon ces réponses, sur 700,000 actions émises, 443,472 étaient détenues par des catholiques romains. Cette proportion représente un pourcentage de 63.35, ce qui est légèrement au-dessus du chiffre requis par la loi. Machabee a déclaré que les enquêtes faites par les directeurs de succursale ne visaient pas la totalité des actions. En tout, il y avait, le 1er juin 1960, 4,505 actionnaires. Quelque 115,000 actions n’avaient pas été affectées à l’un quelconque des directeurs de succursale, étant donné qu’elles étaient détenues par des personnes se trouvant à l’extérieur de tout district de succursale, mais environ 5,000 de ces actions ont été comprises dans le calcul parce qu’elles étaient détenues par des personnes connues du personnel du siège social de la banque. Il a déclaré en plus que 100,000 actions avaient été désignées dans les réponses des directeurs de succursale comme faisant l’objet de certains doutes.

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La preuve testimoniale apportée par Machabee, une copie de la lettre du 8 août 1960 et un imprimé non signé de la déclaration sous serment des directeurs de banque constituent la seule preuve faite par la banque pour établir le chiffre de répartition de 63 pour cent mentionné dans sa résolution et dans l’avis subséquent donné à la ville. La preuve testimoniale était, bien entendu, du ouï-dire et constituait en fait du ouï-dire sur du ouï-dire. A la suite de l’appel interjeté par la banque au juge de la Cour de comté à l’encontre de la décision dévaforable de la cour de revision, le juge P.J. MacDonald, de la Cour de comté, a statué que la banque a mené une enquête raisonnable sur la religion de ses actionnaires et avait satisfait à la prescription de la loi; décider que la preuve devait être fournie directement par le témoignage des actionnaires eux-mêmes aurait eu pour effet de rendre la mise en œuvre de la loi impossible dans le cas d’une compagnie ayant un grand nombre d’actionnaires. Il n’était également pas pratique, d’après lui, d’appeler à témoigner chacun des directeurs de succursale. Il a conclu, par conséquent, que la banque avait satisfait à l’obligation qui lui incombait.

La commission municipale de l’Ontario a repris cette conclusion lors de l’appel subséquent interjeté devant elle, en notant cependant que la ville pouvait obtenir la production de la liste des actionnaires et faire témoigner oralement la personne responsable de l’avis donné en vertu de l’art. 58, par. (1), du Separate Schools Act. La Cour d’appel de l’Ontario n’a pas été de cet avis et a décidé (je cite) que [TRADUCTION] «la banque intimée n’a pas présenté, eu égard aux circonstances de l’espèce, de preuve satisfaisant à l’obligation qui lui incombait d’établir que 63% des actions émises appartenaient à des catholiques romains».

Ce qui a préoccupé la Cour d’appel et l’a poussée à déclarer que la preuve testimoniale de Machabee ne suffisait pas à établir qu’on s’était conformé à l’art. 58 de la Loi, c’est le refus de la banque de produire les déclarations sous serment et les réponses des divers directeurs de succursale accompagnant ces déclarations. Sans

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dire que la preuve testimoniale et les déclarations sous serment confirmant la véracité des réponses seraient des preuves acceptables, la Cour d’appel est partie de l’hypothèse qu’il s’agissait de preuves recevables lorsqu’elle a déclaré que la décision à rendre en l’instance dépendait d’un principe plus fondamental que la nature de la preuve recevable dans les procédures. Les passages suivants de ses motifs font voir de quel principe il s’agit:

[TRADUCTION] Pour des motifs injustifiés en droit ou en logique, l’avocat de la banque intimée a refusé de produire les déclarations sous serment à partir desquelles le chef comptable a fait ses calculs et il a fait clairement entendre que même si le savant juge de la Cour de comté ordonnait que les déclarations sous serment soient produites, sa cliente n’obéirait pas à cet ordre. En conséquence, l’appelante s’est vu enlever le droit à la production de ces déclarations sous serment aux fins de l’interrogatoire; le droit de vérifier l’exactitude des calculs faits à partir des déclarations sous serment et le droit d’interroger contradictoirement le témoin pour démontrer qu’il y avait eu erreur dans les calculs ou de discréditer son témoignage.

De même, en raison de la position prise par l’avocat de la banque intimée, le savant juge de la Cour de comté n’a pas eu à sa disposition la preuve «matérielle» ou la «meilleure» preuve que la banque intimée avait alors en sa possession relativement au nombre d’actions appartenant à des catholiques romains.

L’appel interjeté au juge de la Cour de comté en l’espèce comportait un véritable litige entre les parties, ou entre ceux qu’elles représentaient, savoir, le fardeau fiscal à répartir entre les contribuables qui supportent les écoles séparées et les contribuables qui supportent les écoles publiques. Le Assessment Act prévoit à l’art. 75, par. 8, que [TRADUCTION] «lors de la séance de la Cour, le juge entend les appels…»

L’art. 77 énumère les pouvoirs du juge siégeant en appel de la cour de revision et indique à quel genre d’audition il faut procéder lorsque des questions de fait se présentent. Il est ainsi conçu:

[TRADUCTION] «77. (1) Dans toutes procédures intentées devant le juge de la Cour de comté en vertu ou aux fins de la présente loi, le juge possède tous les pouvoirs requis pour contraindre toutes les parties à être présentes et à témoigner sous serment, qu’elles soient réclamantes ou aient soulevé une objection ou soient l’objet d’une objection,

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ainsi que toute autre personne que ce soit, et pour faire produire des registres, écrits, rôles et documents, et faire exécuter ses ordonnances, décisions et jugements, qui lui appartiennent ou pourraient être exercés par lui dans la Cour de comté.

(2) L’audition de l’appel par le juge de la Cour de comté doit, lorsque des questions de fait se présentent, équivaloir à un nouveau procès, et l’une ou l’autre des parties peut présenter une preuve additionnelle en plus de celle qui a été entendue par la cour de revision, sous réserve de toute ordonnance quant aux dépens ou à l’ajournement que le juge estime juste.»

Je mentionne ces questions pour deux raisons. D’abord, le cotiseur lui-même, dont la fonction est purement administrative et devant qui il n’y a aucun débat, doit préparer le rôle d’évaluation après une «enquête raisonnable… conformément à la meilleure information disponible», art. 20, par. (1). Je ne voudrais d’aucune façon laisser croire que le savant juge de la Cour de comté n’a pas procédé à une enquête diligente dans la mesure où il était autorisé à ce faire, mais la banque intimée a refusé, et de façon très délibérée, de lui soumettre la meilleure preuve dont elle disposait de façon immédiate. Ce refus de l’intimée a privé le juge de la Cour de comté du type de renseignements auquel même le cotiseur aurait droit.

Deuxièmement, les attributions et obligations du juge de la Cour de comté sont de caractère judiciaire. Il doit décider des questions de fait lors d’un procès, (art. 77 ci‑dessus). La ligne de conduite suivie par la banque intimée, si elle était autorisée, aurait pour effet d’usurper cette fonction et de reléguer le juge de la Cour de comté au rang de simple approbateur des calculs du témoin lorsqu’il ne met pas la crédibilité de celui-ci en doute. Le refus de la banque intimée de produire les déclarations sous serment sur lesquelles le chef comptable s’est basé dans son témoignage, a eu pour effet de détruire la valeur probante de ce témoignage au point d’en faire une absence de preuve. En toute déférence pour le savant juge de la Cour de comté et la commission municipale, ce témoignage aurait dû être considéré comme n’étant pas une preuve.

La question de la production des déclarations sous serment a surgi durant les procédures entamées devant le juge de la Cour de comté et a été reprise lors des procédures devant la commission municipale, laquelle a consenti à considérer les témoignages faits devant le juge de la Cour

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de comté comme constituant le procès-verbal de déposition aux fins de la décision à rendre. On s’est opposé au témoignage de Machabee pour le motif que celui-ci n’était qu’un résumé des réponses envoyées par les directeurs de succursale, d’autant plus que les déclarations sous serment n’avaient pas été produites non plus. Lorsque l’avocat de la banque a déclaré qu’il ne produirait pas les déclarations sous serment vu que les relations entre le siège social et les directeurs de succursale étaient de nature confidentielle, tout comme l’étaient les relations entre la banque et ses actionnaires, il a cherché par là à convertir en privilège juridique une considération d’ordre purement interne. Cette prétention, comme l’a noté la Cour d’appel, est indéfendable.

L’avocat de la banque appelante et l’avocat des intimés se sont tous deux placés dans des positions intenables à cet égard. Le premier, tout en reconnaissant que le témoignage de Machabee était du ouï-dire — et, en fait, du ouï-dire sur du ouï-dire — a refusé d’étayer ce témoignage de documents à sa disposition. L’avocat des intimés, lui, s’est opposé au témoignage par ouï-dire, et pourtant il a voulu que l’on produise les déclarations sous serment et les réponses, même si ces documents n’en étaient pas moins du ouï-dire, et n’en étaient pas moins sujets à objection pour ce motif. Le débat des avocats sur les questions de la production et de la recevabilité des déclarations sous serment et des réponses y annexées n’a aucun effet, cependant, sur l’obligation de l’appelante de faire au moins une preuve prima facie. Indépendamment, donc, de la question de savoir si la position de l’intimée est logique, les cours doivent décider si la preuve effectivement présentée constitue une base suffisante pour pouvoir satisfaire à la prescription de l’art. 58.

Il est manifeste que dans le cas de corporations ayant un grand nombre d’actionnaires, la preuve de l’observation de l’art. 58 serait pratiquement impossible à faire si l’on n’admettait pas de preuve par ouï-dire. On ne peut imposer à une corporation de fardeau plus lourd, pour que l’autorisation de diviser les évaluations en

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faveur des écoles séparées soit réalisable, que celui de l’obliger à user de modes raisonnables d’enquête aux fins de vérifier la religion catholique romaine de ses actionnaires. Si, toutefois, on décide d’autoriser cette dérogation aux modes de preuve strictement judiciaires, ce doit être à la condition que toutes les données relatives au mode d’enquête choisi soient mises à la disposition du tribunal ou de la cour saisie de la contestation de la répartition effectuée par une corporation.

Sur ce point de l’affaire, je souscris à la conclusion de la Cour d’appel de l’Ontario. A mon avis, le refus de produire la documentation disponible à l’appui du résumé oral fait par Machabee, constitue un refus de respecter le mode d’enquête même qu’avait choisi la banque. Les déclarations sous serment et les réponses faisaient partie intégrante de l’enquête et constituaient la seule preuve acceptable de deux choses: premièrement, que les chiffres fournis par Machabee étaient exacts d’après les réponses fournies par les directeurs de succursale; et, deuxièmement, que l’enquête avait effectivement été conduite suivant les prescriptions de la banque, c’est-à-dire que les 180 directeurs de succursale s’étaient acquittés de la tâche qu’on leur avait confiée. La production de ces documents aux fins de démontrer la bonne marche et les résultats de l’enquête ne signifierait pas que les directeurs de succursale ou les actionnaires devraient être appelés à témoigner.

Je suis disposé en l’espèce, bien que non sans quelque hésitation, à approuver la méthode d’enquête choisie par la banque. Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une méthode qui peut également convenir aux corporations qui ne sont pas des banques; les succursales de banque, selon le système en vigueur au Canada, favorisent la création et le maintien de contacts locaux. Une autre méthode, plus appropriée aux corporations commerciales ayant un grand nombre d’actionnaires dispersés, serait de demander aux actionnaires, lorsqu’on leur envoie quelque chose par le courrier, d’indiquer leur religion, au moyen, peut-être même, d’une déclaration. On pourrait également poser la même question au

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cessionnaire, à chaque transfert d’actions, de façon à permettre à une corporation qui veut se prévaloir de l’art. 58, de tenir ces renseignements à jour. Une autre méthode serait de se fonder sur un échantillon des actionnaires, et de demander ce renseignement à ceux qui constituent le groupe choisi. Le groupe lui-même pourrait être choisi en fonction du lieu et des actions détenues et devrait être suffisamment important pour donner aux résultats un caractère concluant. Par ailleurs, certains membres du groupe choisi pourraient être appelés à témoigner aux fins de démontrer non seulement l’exactitude des renseignements du sondage, mais aussi la nature de l’enquête. On a aussi considéré la possibilité d’examiner les rôles d’évaluation, mais cela ne pourrait se faire, si tant est qu’une telle chose peut se faire, que dans un nombre limité de cas. Évidemment, on pourrait résoudre la difficulté au moyen d’une disposition législative. On l’a fait dans d’autres situations où les règles du ouï-dire et les exceptions qu’elles comportent n’ont pas permis de régler les difficultés que présentait la preuve.

En l’absence d’une loi, un tribunal doit se reporter aux principes de la nécessité et de la véracité, lesquels, selon Wigmore, sont les fondements des exceptions reconnues aux règles du ouï-dire. Il y a une certaine analogie entre la difficulté de preuve que soulève l’art. 58 et la présentation de résultats d’enquêtes ou de sondages d’opinion publique dans un nombre de plus en plus important de causes américaines. Bien qu’il soit vrai que les enquêtes ont généralement été faites en matière de violation de marque de commerce et de concurrence déloyale ou de cas où on a fait passer un produit pour un autre, les arrêts américains reflètent une conception de la recevabilité qui nous est utile ici: voir Note, 66 Harv. L. Rev. 498 (1953). L’arrêt Zippo Manufacturing Co. v. Rogers Imports Inc.[7] en est un exemple. Il s’agissait d’une affaire où on alléguait la concurrence déloyale de la défenderesse pour imitation d’un briquet fabriqué par la demanderesse. La

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preuve des enquêtes faites auprès des consommateurs a été offerte et admise, la demanderesse ayant cherché à démontrer par ces enquêtes la possibilité de confusion quant à l’origine du produit. Pour recevoir la preuve par dérogation à la règle du ouï-dire, la Cour a souligné l’élément de nécessité et l’élément, particulièrement important en la présente espèce, de la véracité. A cet égard, la Cour a déclaré, entre autres, à la p. 684:

[TRADUCTION] Le deuxième élément de cette conception est la garantie de véracité fournie par les circonstances en vertu desquelles la déclaration extra-judiciaire a été faite. Une étape logique de cette enquête est de voir quels dangers du ouï-dire sont présents. En ce qui concerne ces sondages, il n’y a aucun danger de souvenir inexact; le danger de perception erronée est négligeable parce que les personnes appelées à répondre n’ont à examiner que deux ou trois briquets au plus; le danger de compte rendu inexact est également négligeable puisque les réponses demandées sont simples. Le seul danger appréciable est que la personne ne soit pas sincère. Mais ce danger est minimisé par les circonstances de ce sondage, ou de tout autre sondage d’opinion publique semblable où on a recours à l’échantillonnage scientifique, parce que ceux qui sont interrogés sur des choses dans lesquelles ils n’ont aucun intérêt n’ont aucune raison de fausser leurs sentiments. Bien que la procédure par échantillonnage soit une importante garantie de véracité, pour autant que la sincérité de la personne qui répond est en cause, d’autres techniques d’enquête sont une importante garantie de véracité à d’autres égards. Si les questions sont malhonnêtement rédigées de façon à suggérer des réponses favorables à la partie qui commandite l’enquête, l’élément de véracité du sondage est absent. On aboutirait au même résultat si les interviewers posaient des questions loyales mais tendancieuses. Ainsi, la méthodologie de l’enquête influe directement sur la véracité, comme elle influe sur la nécessité.

Les considérations qui ont été examinées dans l’affaire Zippo sont à la base de l’hésitation que j’ai exprimée quant à l’acceptabilité de la méthode d’enquête utilisée dans la présente cause. Il se peut qu’en acceptant cette méthode, ainsi que les obligations de divulgation et de production des documents de l’enquête, j’adopte quand même une conception très large de l’élément de véracité. Mais je l’accepte en la présente cause en raison des rapports étroits qui

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existent entre les directeurs de succursale et leur localité, rapports qui leur permettent des contacts personnels étendus, et aussi parce que ces directeurs de succursale étaient chargés d’une tâche dans laquelle ils n’avaient aucun intérêt personnel et qui faisait simplement partie de leurs fonctions.

Il est évident qu’en admettant les résultats de l’enquête faite par la banque, on donne beaucoup de latitude quant à l’admission du ouï-dire, que justifie cependant l’art. 58, vu comme indicateur fourni par la loi. Mais, je le répète, si une telle preuve est admise, les documents mêmes dans lesquels elle a été recueillie et par lesquels elle a été confirmée doivent être produits.

En conséquence, je rejetterais l’appel avec dépens.

Appel accueilli avec dépens, LE JUGE LASKIN étant dissident.

Procureurs de l’appelante: Vincent, Addy & Bonneau, Ottawa.

Procureurs de l’intimé Nelson Ogilvie: Gowling, MacTavish, Osborne & Henderson, Ottawa.

Procureur de la tierce partie: Donald Hambling, Ottawa.

[1] [1964] 2 O.R. 685, 46 D.L.R. (2d) 352.

[2] [1938] O.R. 301.

[3] [1939] R.C.S. 412.

[4] [1941] A.C. 453.

[5] [1941] A.C. 453.

[6] [1941] A.C. 453

[7] (1963), 216 F. Supp. 670.


Synthèse
Référence neutre : [1973] R.C.S. 281 ?
Date de la décision : 22/12/1972

Parties
Demandeurs : Banque Provinciale du Canada
Défendeurs : Ogilvie
Proposition de citation de la décision: Banque Provinciale du Canada c. Ogilvie, [1973] R.C.S. 281 (22 décembre 1972)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1972-12-22;.1973..r.c.s..281 ?
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