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01/05/1972 | CANADA | N°[1974]_R.C.S._955

Canada | Kootenay & Elk Railway Co. c. Canadian Pacific Railway Co., [1974] R.C.S. 955 (1 mai 1972)


Cour suprême du Canada

Kootenay & Elk Railway Co. c. Canadian Pacific Railway Co., [1974] R.C.S. 955

Date: 1972-05-01

Kootenay and Elk Railway Company et Burlington Northern, Inc. Appelantes;

et

La Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifique Intimée;

et

Le Procureur-Général de la Province de la Colombie-Britannique, le Ministre de la Voirie et des Transports de la Province de l’Alberta et les Chemins de Fer Nationaux du Canada Intervenants.

1971: les 13, 14 et 15 octobre; 1972: le 1er mai.

Présents: Le Juge en chef

Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COMM...

Cour suprême du Canada

Kootenay & Elk Railway Co. c. Canadian Pacific Railway Co., [1974] R.C.S. 955

Date: 1972-05-01

Kootenay and Elk Railway Company et Burlington Northern, Inc. Appelantes;

et

La Compagnie du Chemin de Fer Canadien du Pacifique Intimée;

et

Le Procureur-Général de la Province de la Colombie-Britannique, le Ministre de la Voirie et des Transports de la Province de l’Alberta et les Chemins de Fer Nationaux du Canada Intervenants.

1971: les 13, 14 et 15 octobre; 1972: le 1er mai.

Présents: Le Juge en chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COMMISSION CANADIENNE DES TRANSPORTS

APPEL et APPEL INCIDENT à l’encontre d’une décision de la Commission canadienne des transports rejetant certaines requêtes faites par les appelantes. L’appel est accueilli en partie, le Juge en chef Fauteux et les Juges Judson, Hall et Pigeon étant dissidents. L’appel incident est rejeté, les Juge Hall et Spence étant dissidents en partie.

J.J. Robinette, c.r., J.G. Alley et W.G. Burke-Robertson, c.r., pour les appelantes.

A. Findlay, c.r., E.E. Saunders, c.r., et G.P. Millar, c.r., pour l’intimée.

A.W. Macdonald, c.r., et P.B. Tetro, pour le Procureur général de la Colombie-Britannique.

J.J. Frawley, c.r., pour le ministre de la Voirie et des Transports de l’Alberta.

Le jugement du Juge en chef Fauteux et des Juges Judson et Pigeon a été rendu par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — À mon avis, la Commission canadienne des transports n’a pas fait une erreur de droit en statuant que le traité ou arrangement entre Burlington Northern, Inc. et Kootenay and Elk Railway Company pour l’échange du trafic était interdit par le par. (1) de l’art. 156 de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234, et je ne vois pas l’utilité d’ajouter quoi que ce soit aux motifs rendus sur cette question par le vice-président de la Commission canadienne des transports et par le Juge Hall dans cette Cour.

En ce qui concerne les autres questions de droit soulevées lors de l’appel et de l’appel incident, je souscris aux motifs et à la conclusion de la Commission.

Je rejetterais l’appel et l’appel incident avec dépens.

Le jugement des Juges Abbott, Martland et Ritchie a été rendu par

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LE JUGE MARTLAND — Le présent appel est interjeté, sur autorisation, à rencontre d’une ordonnance de la Commission canadienne des transports qui a rejeté trois requêtes faites par les appelantes. L’autorisation d’appeler a été accordée relativement aux trois questions de droit suivantes:

[TRADUCTION] 1) La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur en ne statuant pas que le traité ou arrangement entre Burlington Northern, Inc. et Kootenay and Elk Railway Company pour l’échange du trafic est autorisé ou permis, notamment par les articles 315 et 319 de la Loi sur les chemins de fer?

(À l’époque de la demande, cette Loi se trouvait au chapitre 234, S.R.C. 1952. Elle se trouve maintenant au chapitre R-2, S.R.C. 1970. Dans les présents motifs, il sera fait référence aux numéros d’article de l’ancienne Loi, celle qui était en vigueur à l’époque où l’autorisation d’appeler a été accordée.)

2) La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur en statuant que le traité ou arrangement entre Burlington Northern, Inc. et Kootenay and Elk Railway Company pour l’échange de trafic est prohibé par le paragraphe (1) de l’article 156 de la Loi sur les chemins de fer?

L’autorisation d’interjeter un appel incident a aussi été accordée à l’intimée. Les questions de droit énoncées dans l’avis d’appel incident de l’intimée sont les suivantes:

[TRADUCTION] 1) La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur de droit quand elle a conclu que l’alinéa f) de l’article 1 de l’Acte de la Passe du Nid‑de‑Corbeau (60/61 Victoria, chapitre 5) donne à la Commission canadienne des transports les pouvoirs nécessaires pour accorder à une compagnie de chemin de fer à charte provinciale des droits de circulation sur la ligne du Nid-de-Corbeau du chemin de fer Canadien du Pacifique?

2) La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur de droit quand elle a conclu que, lorsqu’elle examine des requêtes faites en vertu de l’article 255 de la Loi sur les chemins de fer en vue du raccordement ou du croisement de voies ferrées et statue à leur sujet, elle ne doit s’occuper que de questions de sécurité et il ne lui appartient pas de tenir compte d’autres aspects d’intérêt public?

[Page 960]

3) La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur de droit quand elle n’a pas conclu que Kootenay and Elk Railway Company fait partie d’une entreprise extra-provinciale?

Les circonstances qui donnent lieu aux trois requêtes faites par les appelantes sont les suivantes: l’appelante Burlington Northern, Inc., ci-après appelée «Burlington», se propose de construire une ligne de chemin de fer au Montana, au nord de sa ligne principale, aux États‑Unis, sur une distance d’un peu plus de 9 milles jusqu’à la frontière États-Unis-Canada près de Roosville West, en Colombie-Britannique. L’appelante Kootenay and Elk Railway Company, ci-après appelée «Kootenay», se propose de construire une ligne de chemin de fer en Colombie-Britannique, en direction générale sud à partir de Line Creek, dans le district minier de Kootenay, jusqu’à la frontière à un point de raccordement avec la ligne projetée de Burlington.

On propose que cette ligne croise la ligne de la Compagnie du chemin de fer canadien du pacifique, ci-après appelée «P.-C», à Hosmer, ou que Kootenay obtienne les droits de circulation sur la ligne du P.-C. entre Elko et Natal. Les plans de construction prévoient que les lignes de Burlington et de Kootenay s’arrêtent à ¼ de pouce de la frontière. On propose que les trains de Burlington soient amenés par son personnel à un point situé au nord de la frontière, où ils seraient pris en charge par le personnel de Kootenay qui les ferait circuler sur la ligne de cette dernière jusqu’aux points de chargement du charbon. Le personnel de Kootenay retournerait avec les trains chargés de charbon au point où le personnel de Burlington prendrait la relève. Aucun employé de Kootenay ne ferait circuler les trains aux États-Unis ou ne franchirait la frontière.

La construction de ces deux lignes de chemin de fer a pour but de permettre l’acheminement du charbon extrait des mines de la Crow’s Nest Pass Coal Company Limited, ci-après appelée «Crow’s Nest», et de la Kaiser Resources Limited, ci-après appelée «Kaiser», via la ligne principale de Burlington, vers l’ouest à la côte du

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Pacifique et, ensuite, à Roberts Bank, en Colombie-Britannique, pour l’expédier au Japon.

Burlington est une compagnie qui a été constituée en vertu des lois de l’État du Delaware et qui a remplacé, par fusion, plusieurs compagnies de chemin de fer américaines dont quelques-unes avaient des intérêts dans l’exploitation de chemins de fer au Canada. Le chapitre 23 des Statuts du Canada de 1965 a autorisé la fusion en ce qui concerne les activités au Canada. Kootenay a été constituée le 4 mai 1966 en vertu des dispositions du Railway Act de la Colombie-Britannique, 1960 R.S.B.C. ch. 329. Elle doit servir à l’exploitation des mines de Crow’s Nest et Kaiser et non comme transporteur en commun. Il s’agit d’une filiale en propriété exclusive de Crow’s Nest. Elle a reçu les certificats requis en vertu des dispositions du Railway Act de la province de la Colombie-Britannique.

Le projet qui donne lieu aux requêtes des appelantes a pris naissance en 1965, après l’échec des négociations entre Crow’s Nest et le P.-C. en vue de l’établissement d’un tarif satisfaisant pour le transport du charbon de Crow’s Nest à la côte ouest. Par la suite, Kaiser a acheté à Crow’s Nest les mines de charbon en question et elle a réussi à négocier une entente avec le P.-C. La situation a changé quand Crow’s Nest a découvert du charbon dans d’autres territoires qu’elle détenait et quand Kaiser a découvert de nouvelles réserves sur ses propriétés. Le projet a ensuite été repris.

Les trois requêtes faites par les appelantes à la Commission canadienne des transports sont les suivantes:

La requête N° 1 est présentée en vue d’obtenir a) une ordonnance qui accorderait l’autorisation, en vertu de l’art. 255, actuellement l’art. 193(1), de la Loi sur les chemins de fer du Canada, de raccorder les lignes projetées et b) une ordonnance qui accorderait à Burlington l’autorisation de faire circuler ses trains sur la ligne de la Kootenay aux fins de permettre le libre échange de trains. La

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requête N° 2 est présentée en vue d’obtenir une ordonnance, également en vertu de l’art. 255, qui accorderait l’autorisation de croiser, au moyen d’un passage supérieur, la ligne du P.-C. entre Michel et Elko, à un point situé au nord de Hosmer. La requête N° 3 est présentée en vue d’obtenir des droits de circulation sur la ligne du P.-C. entre Natal et Elko et elle est présentée en vertu de l’article 1 f) du chapitre 5 des Statuts du Canada de 1897 (l’Acte de la Passe du Nid-de-Corbeau). La requête N° 2 était une solution de rechange à la requête N° 3 et les appelantes ont déclaré qu’elles retireraient la requête N° 2 si la requête N° 3 était accordée.

Le P.-C. s’est opposé aux requêtes.

L’article 255 de la Loi sur les chemins de fer, en vertu duquel les deux premières requêtes ont été présentées, prescrit ce qui suit:

255. (1) Aucune compagnie de chemin de fer, qu’elle relève par ailleurs de l’autorité législative du Parlement du Canada ou non, ne doit croiser ou raccorder ses lignes ou voies de chemin de fer avec celles d’une autre compagnie, et ses lignes ou voies ne doivent pas être croisées par celles d’une autre compagnie ni y être raccordées, avant que permission en ait été obtenue de la Commission, ainsi qu’il est prescrit ci-après.

(2) La compagnie qui demande pareille permission doit présenter à la Commission un plan et un profil du croisement ou du raccordement désiré, et les autres plans, dessins et devis descriptifs que la Commission peut en chaque cas, ou par règlement, exiger.

(3) La Commission peut, par ordonnance,

a) accorder pareille requête aux conditions qui lui paraissent convenables, relativement à la protection et à la sûreté;

b) changer les plans, profil, dessins et devis descriptifs ainsi soumis, et déterminer l’endroit et le mode de croisement ou de raccordement;

c) ordonner qu’une ligne ou une voie, ou qu’un faisceau de lignes ou de voies soit établie de façon à passer au-dessus ou au-dessous d’une autre ligne ou d’une autre voie ou d’un autre faisceau de lignes ou de voies;

d) ordonner que ces ouvrages, constructions, équipements, appareils et matériaux soient construits, établis, installés, entretenus, mis en service ou exploités, que des gardiens ou autres personnes

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soient employés, et que des mesures soient prises qui, dans les circonstances, paraissent à la Commission les plus propres à éloigner et à prévenir toute cause d’accidents, de blessures, de dégâts ou de dommages;

e) déterminer le montant des dommages et de l’indemnité, s’il en est, à payer pour tout immeuble ou terrain dont la compagnie a pris possession ou qui peut avoir souffert quelque préjudice par suite de la construction de ces ouvrages;

f) donner des instructions relatives à la surveillance de la construction des ouvrages; et

g) ordonner que lui soient soumis et que soient approuvés par elle, préalablement à la construction ou à l’installation, les plans détaillés, dessins et devis descriptifs des ouvrages, structures, équipements ou appareils nécessaires.

(4) Nul train ne peut être mis en service sur les lignes ou sur les rails de la compagnie requérante, par ces croisements ou raccordements, tant que la Commission n’a pas rendu une ordonnance qui autorise cette mise en service.

(5) La Commission ne doit rendre cette ordonnance mentionnée en dernier lieu que lorsqu’elle est convaincue que ses ordres et instructions ont été observés, ainsi que les dispositions du présent article.

Dans cet appel, il n’est pas contesté que Burlington est une compagnie de chemin de fer au sens de Fart. 255 (1) et que, en vertu de ce paragraphe, l’autorisation de la Commission est requise pour le raccordement des lignes de Burlington et de Kootenay.

Les conclusions de la Commission canadienne des transports peuvent se résumer brièvement comme suit: elle aurait accordé les requêtes si elle n’avait pas statué que l’art. 156 (1) (actuellement l’article 94 (1)) de la Loi sur les chemins de fer prohibait l’échange de trafic projeté. Les questions de droit soulevées par l’appel incident ont été décidées en faveur des appelantes.

Il s’agit d’abord de déterminer si la conclusion de la Commission quant au sens et à l’effet de l’art. 156 (1) est exacte. L’article 156 de la Loi prescrit ce qui suit:

156. (1) Les administrateurs de la compagnie peuvent à toute époque faire et conclure des traités ou arrangements, non incompatibles avec les disposi-

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tions de la présente loi ou de la loi spéciale, avec toute autre compagnie de transport qui fonctionne à titre de transporteur en commun, au Canada ou ailleurs, pour l’échange de trafic, et pour le partage et la répartition de taxes se rapportant à ce trafic.

(2) Les administrateurs peuvent aussi faire et conclure des traités ou arrangements, non incompatibles avec les dispositions de la présente loi ou de la loi spéciale, pour toute période ne dépassant pas vingt et une années

a) pour la circulation des trains d’une compagnie sur les voies d’une autre;

b) pour le partage et la répartition des taxes découlant de ce trafic;

c) en général, pour l’administration et le fonctionnement des chemins de fer, ou de l’un de ces chemins de fer ou d’une partie de chemin de fer, et de tous les chemins de fer qui s’y raccordent; et

d) pour prendre, soit par l’entremise d’un procureur, soit autrement, les dispositions nécessaires à la nomination d’un comité mixte, revêtu, pour mieux faire exécuter ces traités ou arrangements, des attributions et fonctions jugées nécessaires ou opportunes;

sous réserve du consentement des actionnaires, de la sanction du gouverneur en conseil sur recommandation de la Commission, de la demande faite en vue de cette recommandation, d’avis et de dépôt de cette demande, comme il est prévu ci-dessus à l’égard des traités de fusion. La publication des avis dans la Gazette du Canada suffit, et le double en original de cet acte de traité ou d’arrangement doit, après avoir été sanctionné, être déposé au bureau de la Commission.

(3) La Commission peut, nonobstant toute disposition du présent article, par ordonnance ou par règlement, dispenser la compagnie de l’obligation de se conformer à quelqu’une des conditions ci-dessus imposées à l’égard d’un traité ou arrangement de ce genre fait ou conclu par la compagnie relativement aux opérations usuelles et ordinaires de la compagnie, et lorsque la Commission juge que le consentement des actionnaires n’est pas nécessaire.

(4) La conclusion de ce traité ou arrangement, les dispositions y contenues, et l’approbation dont il est revêtu, ne sauraient restreindre, limiter ou atteindre les attributions que la présente loi confère à la Commission, ni soustraire les compagnies à l’obligation de se conformer aux dispositions de la présente loi.

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La Commission était d’avis que, comme l’art. 156 (1) ne permettait que les traités pour l’échange de trafic faits «avec toute autre compagnie de transport qui fonctionne à titre de transporteur en commun», il prohibait de faire un tel traité avec une compagnie de transport qui n’est pas un transporteur en commun, et que, comme Kootenay n’était pas un transporteur en commun, le traité entre Burlington et Kootenay était prohibé.

On a fait état de trois arrêts que l’avocat du P.-C. avait cités, Shrewsbury & Birmingham Railway Company v. North Western Railway Company[1]; Great Western Railway Company v. Grand Trunk Railway Company[2]; et Ashbury Railway Carriage and Iron Company v. Riche[3], comme mettant en lumière la thèse suivant laquelle il est implicitement interdit à une compagnie de conclure d’autres genres de contrat quand la loi lui a accordé des pouvoirs déterminés et le droit de passer certains genres de contrat.

Ces arrêts traitent de la doctrine de l’ultra vires et mettent en lumière le principe selon lequel une compagnie qui a été constituée par l’autorité législative ne peut en fait outrepasser les pouvoirs qui lui ont été expressément ou implicitement conférés par la loi ou l’acte de société qui l’a constituée. Burlington, une compagnie qui a été constituée dans l’État du Delaware, a été autorisée, notamment:

[TRADUCTION] 1. A se livrer au transport sous tous ses aspects, par chemin de fer, véhicule à moteur, pipe-line, eau, air ou par tout autre moyen de transport qui existe présentement ou qui sera inventé ou perfectionné à l’avenir.

12. A passer, faire ou exécuter des contrats de tout genre et description, avec toute personne, firme, association, corporation, compagnie par actions, syndicat, trust, personne morale ou tout autre corps constitué.

16. A occuper un ou plusieurs bureaux et à exercer toutes ses activités ou affaires, ou l’une ou l’autre d’entre elles, dans tout État, district, territoire ou

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possession des États-Unis et dans tout pays étranger, sous réserve de la loi applicable.

Il ne fait donc aucun doute qu’elle a le pouvoir de conclure avec Kootenay le traité visant l’échange du trafic. La question est de savoir si, tout en ayant ce pouvoir, l’art. 156(1) lui interdit de conclure ce traité. Il ne s’agit pas ici du cas d’une compagnie de chemin de fer qui, en l’absence de pouvoirs conférés par l’art. 156(1), n’aurait aucun pouvoir de conclure un traité pour l’échange du trafic. Il s’agit ici d’une compagnie qui a ce pouvoir et qui n’a pas besoin de recourir à ce paragraphe.

D’après ses termes, l’art. 156 n’est pas une disposition prohibitive mais une disposition habilitante. A l’origine, cette disposition se trouvait à l’art. 48(1) du ch. 68 des Statuts du Canada, 31 Victoria, 1867-1868, et elle prévoyait ce qui suit:

48. Les directeurs de toute compagnie de chemin de fer pourront entrer en tout temps en arrangement avec toute autre compagnie, soit en Canada, soit ailleurs, pour le règlement et l’échange du trafic entre les chemins de fer de ces compagnies et le sien, et pour le transport du trafic par ces chemins de fer, respectivement, ou pour l’un de ces objets séparément, et pour la distribution et la répartition des péages, taux et charges se rattachant à ce trafic, et en général pour l’administration et le fonctionnement des chemins de fer ou de l’un deux, ou d’une section, et de tous chemins de fer qui s’y relient, pour un espace de temps n’excédant point vingt-et-un ans, et pourvoir, soit par l’entremise d’un procureur, soit autrement, à la nomination d’un comité ou de comités collectifs pour mieux mettre à exécution pareil arrangement, revêtus des pouvoirs et fonctions qui pourront être considérés nécessaires, sujet au consentement des deux tiers des actionnaires votant en personne ou par procureur.

Ce paragraphe conférait aux administrateurs d’une compagnie de chemin de fer le pouvoir de conclure certains genres de traité, tel que spécifié, sous réserve du consentement des deux tiers des actionnaires de la compagnie.

Cette disposition est apparue de nouveau à l’art. 60(1) du ch. 9, Statuts du Canada, 42 Victoria, 1879. En 1883, l’art. 60(1) a été modifié par l’art. 11, c. 24, Statuts du Canada, 46

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Victoria, 1883/4, qui exigeait, en plus du consentement des deux tiers des actionnaires, l’approbation du gouverneur en conseil. L’article, tel qu’il a été modifié, a formé l’art. 56(2) du ch. 109 des Statuts revisés du Canada de 1886.

En 1903, la revision de la Loi sur les chemins de fer a produit un changement important: chapitre 58, article 284. Tandis que jusque-là le pouvoir des administrateurs de conclure les genres de traité énumérés dans l’article avait été assujetti à l’approbation des deux tiers des actionnaires et, plus tard, comme on l’a fait remarquer, au consentement du gouverneur en conseil, les pouvoirs des administrateurs étaient maintenant énumérés dans deux paragraphes et les pouvoirs accordés dans le premier paragraphe n’étaient pas assujettis à cette approbation et à ce consentement. Ce changement a été repris au ch. 37 des Statuts revisés du Canada, 1906, dont l’art. 364 se lit comme suit:

364. Les directeurs peuvent en tout temps faire et conclure des conventions et des arrangements non incompatibles avec les dispositions de la présente loi ou de la loi spéciale avec toute autre compagnie, au Canada ou ailleurs, pour l’échange réciproque des transports entre leurs chemins de fer ou leurs bâtiments, et pour le partage et la répartition des taux se rapportant à ces transports.

2. Les directeurs peuvent aussi faire et conclure des conventions et arrangements non incompatibles avec les dispositions de la présente loi ou de la loi spéciale, —

a) pour la circulation des trains d’une des compagnies sur les voies d’une autre;

b) pour le partage et la répartition des taux se rapportant à ces transports;

c) en général pour l’administration et le fonctionnement des chemins de fer ou de quelqu’un d’eux, en totalité ou en partie, et de tous chemins de fer qui s’y raccordent, pour un espace de temps n’excédant pas vingt et un ans; et

d) pourvoir, soit par l’entremise d’un procureur, soit autrement, à la nomination d’un comité collectif, revêtu, pour mieux mettre à exécution ces conventions ou ces arrangements, des fonctions et pouvoirs jugés nécessaires ou opportuns;

sauf, toutefois, le consentement des actionnaires, la sanction du gouverneur en conseil sur recommandation de la Commission, la demande de cette recom-

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mandation, les avis et le dépôt de cette demande, comme s’il s’agissait de traités de fusion. Mais la publication des avis dans la Gazette du Canada suffit, et le double de cet acte de convention ou traité doit immédiatement après avoir reçu sa sanction, être déposé au bureau de la Commission.

Il convient de remarquer que l’exercice du pouvoir des administrateurs de conclure un traité pour l’échange du trafic n’était plus assujetti à l’obtention du consentement d’une majorité requise des actionnaires. Seuls les genres de traités décrits au par. (2) requéraient la sorte de consentement des actionnaires qui était nécessaire à l’égard des traités de fusion, c’est‑à‑dire, le vote des deux tiers des actionnaires à une assemblée où les actionnaires représentant au moins les deux tiers en valeur du capital social de la compagnie sont présents ou représentés par procureur.

Les Statuts revisés du Canada de 1927 et 1952 reprennent cet article, dont la forme est essentiellement la même. En 1967, la Loi nationale sur les transports a été adoptée (c. 69, Statuts du Canada, 14-15-16 Elizabeth II, 1966-67). L’article 1 déclare en partie «qu’un système économique, efficace et adéquat de transport utilisant au mieux tous les moyens de transport disponibles au prix de revient global le plus bas est essentiel à la protection des intérêts des usagers des moyens de transport et au maintien de la prospérité et du développement économique du Canada». Elle s’applique au transport par chemin de fer auquel s’applique la Loi sur les chemins de fer, au transport par air, par eau et par pipe-line pour denrées, et au transport par air, par une entreprise de transport par véhicule à moteur reliant une province à une ou à plus d’une autre ou s’étendant au-delà des limites d’une province.

C’est dans ce contexte que l’art. 39 a été adopté pour abroger l’art. 156(1) de la Loi sur les chemins de fer et pour le remplacer par le paragraphe actuel. Avant cette modification, le paragraphe visait un traité avec «toute autre compagnie, au Canada ou ailleurs, pour l’échange de trafic entre leurs chemins de fer ou

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leurs navires». Le paragraphe actuel vise un traité «avec toute autre compagnie de transport qui fonctionne à titre de transporteur en commun, au Canada ou ailleurs, pour l’échange de trafic». Ce changement a eu pour effet d’étendre le pouvoir absolu des administrateurs d’une compagnie de chemin de fer de conclure des traités pour l’échange du trafic en leur permettant de conclure ces traités avec toute compagnie de transport et non seulement avec une autre compagnie de chemin de fer, mais en précisant que cette compagnie de transport doit être un transporteur en commun.

La modification n’a rien changé au fait que les pouvoirs conférés par l’arty. 156(1) demeuraient des pouvoirs conférés aux administrateurs d’une compagnie de chemin de fer, que ces derniers pouvaient exercer sans recourir à l’approbation des actionnaires ou à la sanction du gouverneur en conseil. Je ne puis accepter la prétention selon laquelle cette disposition qui, d’après ses termes mêmes, confère aux administrateurs d’une compagnie de chemin de fer des pouvoirs déterminés, doit être interprétée comme une interdiction faite à la compagnie elle-même, comme étant distincte de ses administrateurs, de conclure un traité pour l’échange de trafic avec une autre compagnie de chemin de fer qui n’est pas un transporteur en commun, pourvu qu’elle possède les pouvoirs requis lui permettant de le faire.

Je ne crois pas que la modification apportée par l’art. 39 de la Loi nationale sur les transports ait eu pour but de produire une telle interdiction. Interprétée de cette façon, elle empêcherait le P.-C. ou les Chemins de fer nationaux du Canada de conclure un traité pour l’échange de trafic avec un chemin de fer d’exploitation des produits de forêts ou de mines mis en service en vertu des dispositions de l’art. 292 du Railway Act de la Colombie-Britannique.

L’intimée a prétendu que quand l’art. 156(1) parlait des administrateurs, il fallait l’interpréter comme signifiant la compagnie elle-même. A mon avis, cette allégation est difficile à accepter en tenant compte de l’historique de l’art. 156 et

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des dispositions qu’il a remplacées. Cet historique nous révèle clairement que la mention des administrateurs signifiait exactement ce qu’elle disait et elle n’était pas censée se rapporter à la compagnie elle-même.

En conférant des pouvoirs à une compagnie de chemin de fer ou en interdisant de faire certains actes, la Loi sur les chemins de fer a clairement fait mention de la compagnie elle‑même; par exemple, l’art. 137 qui traite du pouvoir d’hypothéquer ses biens, l’art. 147 qui traite du pouvoir d’emprunter, l’art. 150 qui traite du pouvoir de vendre les terres qu’elle a reçues de la Couronne, l’art. 164 qui traite des pouvoirs généraux de la compagnie, l’art. 149 qui interdit d’acheter des actions de chemin de fer, et les art. 192 et 195 qui interdisent de s’approprier des terres qui appartiennent à la Couronne ou aux Indiens sans le consentement du gouverneur en conseil.

Donc, à mon avis, il y a lieu de répondre par l’affirmative à la seconde question à l’égard de laquelle permission d’appeler a été accordée.

J’aborde maintenant la première question de droit soulevée dans cet appel, savoir, si le traité entre Burlington et Kootenay est autorisé ou permis en vertu des art. 315 et 319 (les art. 262 et 265 actuels) de la Loi sur les chemins de fer. Les appelantes ont prétendu, en réponse à la prétention de l’intimée que le par. (1) de l’art. 156 interdisait ce traité, qu’elles avaient en vertu de ces articles-là l’autorisation ou la permission requise. Si ce par. (1) n’interdit pas le traité, et c’est là mon avis, la réponse à cette question n’importe vraiment pas. Si l’art. 156(1) a pour effet d’interdire le traité, je suis d’avis que les art. 315 et 319 n’empêchent pas que cet article s’applique toujours aux appelantes.

Les parties pertinentes de ces articles se lisent comme suit:

315. (1) La compagnie doit, selon ses pouvoirs

a) fournir, au point de départ de son chemin de fer et au point de raccordement de son chemin de fer avec d’autres, et à tous les points d’arrêt établis à

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cette fin, des installations suffisantes et convenables pour la réception et le chargement des marchandises et effets présentés à la compagnie pour être transportés sur son chemin de fer;

(2) Ces installations complètes et convenables comprennent des facilités raisonnables pour le raccordement de voies latérales privées ou d’embranchements privés avec un chemin de fer possédé ou mis en service par la compagnie, et des facilités raisonnables pour la réception, l’expédition et la livraison des marchandises et effets entrant sur ces voies latérales et sur ces embranchements privés ou en débouchant, ainsi que le placement de wagons et leur traction dans un sens ou dans un autre sur ces voies latérales privées et sur ces embranchements privés.

319. (1) Toutes les compagnies de chemin de fer doivent, conformément à leurs pouvoirs respectifs, accorder aux particuliers et aux compagnies toutes les facilités raisonnables et convenables pour la réception, l’expédition et la livraison des marchandises à destination ou en provenance de leurs chemins de fer, et pour l’échange des transports entre leurs chemins de fer respectifs et la rentrée du matériel roulant.

(5) Les facilités raisonnables que toute compagnie de chemin de fer est tenue d’accorder, sous l’autorité du présent article, comprennent les facilités raisonnables pour le raccordement des voies de service privées ou des embranchements privés avec un chemin de fer possédé ou exploité par cette compagnie, et les facilités raisonnables pour la réception, l’expédition et la livraison du trafic qui entre sur ces voies de service ou sur ces embranchements privés, ou qui en vient.

Les dispositions sur lesquelles les appelantes s’appuient figurent dans les art. 315 (2) et 319 (5). Je ne considère pas la ligne Kootenay comme étant un embranchement privé au sens de ces deux paragraphes. Je suis d’accord avec l’opinion exprimée dans Coyne, Railway Law in Canada (1947), page 400, où l’auteur, après avoir signalé que la Loi ne contient aucune définition de «voies de service privées» ou d’«embranchements privés», ajoute qu’ils signifient sans doute des chemins de fer construits sans autorisation législative. Aucune autorisation semblable n’est requise pour permettre à

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quelqu’un de construire un chemin de fer sur son propre terrain.

La décision de la Commission traite de cette question comme suit:

Dans leurs plaidoiries, les avocats des requérantes n’ont pas nié le fait, qui est assez évident, qu’un échange de marchandises se ferait à la frontière, mais ils ont soutenu que les dispositions applicables dans le cas présent se trouvent aux articles 315 et 319 de la Loi sur les chemins de fer et non à l’article 156. Les articles 315 et 319 se rapportent tous les deux à l’obligation qu’ont les compagnies de prendre les dispositions nécessaires pour le transport des voyageurs et de marchandises et le paragraphe (5) de l’article 319 impose aux compagnies de chemin de fer l’obligation bien précise de fournir des «facilités raisonnables pour le raccordement des voies de service privées ou des embranchements privés avec un chemin de fer possédé ou exploité par cette compagnie et pour la réception, l’expédition et la livraison du trafic qui entre sur ces voies de service ou sur ces embranchements, ou qui en vient». Le fait est que, bien que M. Prentice affirme que la K. & E. est un prolongement de «son» installation (celle de la Crow’s Nest), le chemin de fer de la K. & E. n’est ni une voie de service privée ni un embranchement privé au sens juridique. En tout cas, aucune obligation statutaire que la B.N. pourrait avoir, en vertu de l’article 319, de desservir une voie de service privée ou un embranchement privé ne saurait obscurcir les réalités d’une situation dans laquelle la B.N. a été et continue d’être un participant volontaire et actif de tout le projet et dans laquelle elle a, comme l’a admis M. Downing, un arrangement avec la K. & E. Cet arrangement, à mon avis, concerne clairement l’échange de trafic avec la K. &E.

Je suis d’accord avec cette opinion et je répondrais non à la première question de droit soulevée dans cet appel.

Je dois maintenant traiter des trois questions de droit soulevées dans l’appel incident. La première concerne le sens et l’effet de l’Acte de la Passe du Nid-de-Corbeau (60/61 Victoria, c. 5, Statuts du Canada 1897-98). Il a été adopté le 29 juin 1897 et il a été intitulé «Acte autorisant une subvention pour un chemin de fer par la Passe du Nid-de-Corbeau». Il autorisait le gouverneur en conseil à donner au P.-C. une subvention pour aider à la construction d’un chemin

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de fer entre Lethbridge, dans le district de l’Alberta, et Nelson, dans la province de la Colombie-Britannique, en passant par la Passe du Nid-de-Corbeau, pourvu qu’il soit passé un contrat entre le gouvernement et le P.-C. contenant certaines stipulations, tel qu’il était prévu dans l’Acte. La stipulation relative à la question soulevée dans cet appel figure dans l’art. 1 f) de l’Acte qui prévoit ce qui suit:

f) Que le comité des chemins de fer du Conseil privé pourra accorder des droits de circulation sur ladite ligne de chemin de fer et tous ses embranchements et correspondances, ou sur aucune de leurs parties, et sur toutes les lignes de chemins de fer maintenant ou à l’avenir possédées ou affermées par la compagnie ou exploitées pour son compte, dans la Colombie-Britannique, au sud de la ligne-mère du chemin de fer de la compagnie, et l’usage nécessaire de ses voies, gares et terrains de gare, à toute autre compagnie faisant cette demande, à telles conditions que ce comité pourra établir et fixer, et selon les dispositions de l’Acte des chemins de fer ou de tous les autres actes généraux relatifs aux chemins de fer que le parlement pourra de temps à autre adopter; mais rien dans le présent ne sera censé impliquer que ces droits de circulation ne pourraient pas être ainsi accordés sans la disposition spéciale contenue au présent;

Le P.-C. prétend que les mots «toute autre compagnie» contenue dans cette disposition ont un sens restreint et doivent signifier une compagnie de chemin de fer qui relève de l’autorité législative du Parlement du Canada, et que Kootenay n’est pas visée par cette disposition car elle est une compagnie de chemin de fer à charte provinciale.

L’article 2 (28) de la Loi sur les chemins de fer définit une «loi spéciale», lorsque cette expression est employée relativement à un chemin de fer, comme signifiant toute loi en vertu de laquelle la compagnie est autorisée à construire ou à exploiter un chemin de fer, ou qui est édictée spécialement au sujet de ce chemin de fer. L’Acte en question a été adopté relativement à un chemin de fer à être construit par le P.-C. entre Lethbridge et Nelson.

L’article 3 b) de la Loi sur les chemins de fer prescrit ce qui suit:

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b) lorsque les dispositions de la présente loi et celles de quelque loi spéciale du Parlement du Canada se rapportent aux mêmes matières, les dispositions de la loi spéciale doivent être considérées comme l’emportant sur les dispositions de la présente loi, dans la mesure nécessaire pour donner effet à cette loi spéciale.

L’Acte de la Passe du Nid-de-Corbeau avait clairement pour but de donner au P.-C. une subvention tirée de fonds publics pour aider au développement des régions que desservirait la ligne de chemin de fer à être construite par le P.-C. Cet Acte ne contient aucune définition d’une «compagnie de chemin de fer», mais à la lumière de ce but et de l’emploi et l’expression «toute autre» relativement à «compagnie de chemin de fer», je ne puis interpréter ces termes comme excluant de l’article 1 f) une compagnie de chemin de fer constituée en Colombie-Britannique pour desservir la région déterminée dans ce paragraphe.

Je suis donc d’avis de répondre non à cette question.

La question suivante est de savoir si, en statuant sur une requête en vertu de l’art. 255 pour le raccordement ou le croisement de voies ferrées, la Commission doit tenir compte d’aspects d’intérêt public. L’intimée prétend essentiellement qu’il faut étudier la requête en vertu de cet article comme s’il s’agissait de savoir si cette requête doit être accordée du point de vue de la commodité et des besoins du public.

La réponse à cette question se trouve à l’art. 255 qui a déjà été cité en entier. Le paragraphe (1) de cet article interdit à toute compagnie de chemin de fer de croiser ou de raccorder ses lignes ou voies de chemin de fer avec celles d’une autre compagnie de chemin de fer à moins que permission en ait été obtenue de la Commission, «ainsi qu’il est prescrit ci-après». Le paragraphe (2) énumère les pièces que le requérant doit présenter à la Commission afin qu’il soit statué sur la requête, c’est-à-dire: un plan et un profil du croisement ou du raccordement désiré, et les autres plans, dessins et devis descriptifs que la Commission peut en chaque cas, ou par règlement, exiger.

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Aucune de ces pièces ne se rapporte à la praticabilité économique ou désidérabilité de la ligne de chemin de fer de la requérante.

Les pouvoirs de la Commission sur une telle requête sont énoncés au paragraphe (3). Elle peut accorder la requête «aux conditions qui lui paraissent convenables, relativement à la protection et à la sûreté». Elle peut changer les plans et déterminer l’endroit du croisement ou du raccordement. Elle peut ordonner que la ligne ou la voie soit établie de façon à passer au‑dessus ou au-dessous de l’autre ligne ou de l’autre voie. Elle peut ordonner que diverses mesures soient prises pour prévenir toute cause d’accidents, de blessures ou de dommages. Elle peut déterminer le montant des dommages et de l’indemnité pour tout terrain dont la compagnie a pris possession ou qui peut avoir souffert quelque préjudice par suite de la construction. Elle peut donner des instructions relatives à la surveillance de la construction et elle peut ordonner que lui soient soumis et que soient approuvés par elle, préalablement à la construction ou à l’installation, les plans détaillés, dessins et devis descriptifs des ouvrages, structures, équipements ou appareils nécessaires.

Aucune de ces matières ne se rapporte à la question de la commodité et des besoins du public. Quand une question de ce genre est destinée à être considérée par la Commission, la loi le déclare expressément. A titre d’exemple, mentionnons l’art. 185, sous l’intitulé «Embranchements»:

185. (1) Si la Commission constate que l’embranchement est nécessaire, dans l’intérêt public ou pour aider au développement du commerce, et si elle agrée le tracé de cet embranchement, des déclivités et des courbes, indiqués sur les plan, profil et livre de renvoi, elle peut autoriser par écrit la construction de l’embranchement en conformité de ces plan, profil et livre de renvoi, ou d’après les changements qu’elle juge à propos d’ordonner dans le tracé, les déclivités et les courbes.

L’article 188 (1) renferme un exemple semblable.

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Dans les circonstances, je suis d’accord avec l’avis de la majorité exprimé dans les motifs de la Commission dans les passages suivants:

Cet article 255 fait partie d’un groupe d’articles d’une section de la Loi sur les chemins de fer intitulée «Questions se rattachant à la construction» et qui traitent des salaires (247), des eaux navigables (248-251), des ponts, tunnels et autres constructions (252‑254), des croisements et raccordements avec d’autres chemins de fer (255-257), des croisements de voies publiques (258-270), des ouvrages de crainage et de génération, de mines et d’irrigation (271-274), des passages de fermes (275-276), des clôtures, barrières et garde-bestiaux (277), des barrières qui doivent être, tenues fermées (278). Dans beaucoup de ces matières la Commission a été investie de larges pouvoirs discrétionnaires en ce qui concerne les permissions à accorder et les conditions à fixer. Nulle part, cependant, à l’exception de l’article 253 (4), il n’est question de «l’intérêt public» en tant que tel. Dans la plupart des articles, il en est comme dans l’article 255, c’est-à-dire que le pouvoir discrétionnaire paraît être limité aux questions de sécurité.

Il est clair qu’au sens large utilisé dans ce passage la Commission a le devoir d’user de ses pouvoirs «dans l’intérêt du public». Cela ne signifie pas et ne peut signifier que la considération de l’intérêt public prise au sens large doive entrer dans toute affaire de la compétence de la Commission. Là où, de par ses fonctions, la Commission doit assurer la sécurité de la construction ou de l’exploitation d’un chemin de-fer, elle se sert de ses pouvoirs, «dans l’intérêt du public» et remplit pleinement ses devoirs lorsqu’elle émet des ordonnances et des directives qui, effectivement, assurent la sécurité. Elle outrepasserait par contre ses pouvoirs si, dans ces matières qui ne regardent que des principes et des techniques de sécurité, elle devait établir et prendre en considération d’autres critères et canons fondés sur l’intérêt public et exercer ses pouvoirs de réglementation d’une façon telle qu’il en résulterait un déni de froit ou une interdiction.

En conséquence, à titre de proposition générale et sous réserve de ce que j’aurai à dire sur l’applicabilité de l’article 156, je suis d’avis que, lorsque nous examinons des requêtes déposées au titre de l’article 255 pour un croisement ou un raccordement de voies ferrées, il serait abusif de réclamer la preuve qu’il serait nécessaire, dans l’intérêt du public, qu’il y ait

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ce croisement ou ce raccordement, et que la position des requérantes sur ce point est juste.

Je suis d’avis de répondre non à cette question.

Dans l’avis d’appel incident, la troisième question soulevée est formulée comme suit:

[TRADUCTION] La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur de droit quand elle n’a pas conclu que Kootenay and Elk Railway Company fait partie d’une entreprise extra-provinciale?

La prétention que le P.-C. a soumise à la Commission est énoncée dans les motifs de la Commission comme suit:

Dans son exposé sur cette question, l’avocat du P.-C, en s’appuyant sur l’alinéa a) du paragraphe 10 de l’article 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et sur les principes que «l’on ne peut pas faire indirectement ce qu’il est interdit de faire directement» (Madden c. Nelson et Fort Sheppard Railway Company, 1899 A.C. 626, aux pp. 627-8) et qu’«un argument spécieux ne peut pas être pris en considération» («a colourable device will not suffice») (Ladore c. Bennett., 1939 A.C. 468, à la page 482), soutient que le gouvernement de la Colombie-Britannique a outrepassé ses pouvoirs en constituant la K. & E., l’entreprise envisagée étant dans son essence et substance une entreprise qui dépasse les limites de la province.

L’avocat de l’intimée a exposé la question de la façon suivante:

[TRADUCTION] L’intimée a allégué devant la Commission que l’entreprise de la K. & E. n’était pas un ouvrage ou une entreprise d’une nature locale et qu’en vertu de l’article 92(10)a) de l’A.A.N.B., le Parlement du Canada avait compétence exclusive pour réglementer la construction et l’administration du chemin de fer de la K. & E. et dicter la charte et les pouvoirs de la compagnie. Cela étant, il a été allégué que la législature de la Colombie-Britannique ne possédait pas ce pouvoir. Subsidiairement, l’intimée a allégué que, même s’il était possible de dire que la création initiale de la compagnie par la province de la Colombie-Britannique n’outrepassait pas la compétence de la province en raison du but déclaré de la compagnie dans l’acte de société, néanmoins, la nature de l’entreprise, telle qu’elle s’est réalisée, indiquait clairement que l’entreprise n’était pas de nature locale et, par conséquent, la province n’avait pas la compétence d’accorder à la K. & E. l’autorisation de

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construire son chemin de fer ou de l’exploiter comme il avait été projeté.

L’article 92(10) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique prévoit ce qui suit:

92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir: —

10. Les travaux et entreprises d’une nature locale autres que ceux qui sont énumérés dans les catégories suivantes:

a) Lignes de bâteaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au-delà des limites de la province;

b) Lignes de bâteaux à vapeur entre la province et tout pays dépendant de l’empire britannique ou tout pays étranger;

c) Les travaux qui, bien qu’entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés par le parlement du Canada être pour l’avantage général du Canada, ou pour l’avantage de deux ou d’un plus grand nombre des provinces.

Les matières exclues par cet article sont soumises à la compétence fédérale en vertu de l’art. 91(29).

L’intimée a allégué que Kootenay était une entreprise qui dépassait les limites de la Colombie-Britannique et que, par conséquent, sa constitution en corporation allait au-deîà des pouvoirs de la législature de la Colombie-Britannique. Elle a fait une autre allégation, que la Commission a résumée et justement appréciée, selon moi, comme suit:

Il a été allégué que nous n’aurions pas à déterminer expressément que l’incorporation de la K. & E. est au delà des pouvoirs des autorités provinciales et qu’il nous suffirait, si nous sommes d’avis que l’entreprise présente en fait un caractère extra-provincial, de rejeter la requête au motif que la K. & E. n’a pas légalement le droit ou l’autorité de construire la ligne de chemin de fer projetée. Il me semble que cette proposition est plutôt une échappatoire: elle suggère en effet que nous déclarions implicitement la nullité de la constitution plutôt que nous la déclarions explicitement.

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Kootenay a été constituée par le dépôt et l’enregistrement d’un acte de société dont l’objet est «de fonder une entreprise de chemin de fer et de construire ou d’acquérier une ligne de chemin de fer de Natal à un point situé à trois milles à l’ouest de Roosville, immédiatement au nord de la frontière Canada-États-Unis, dans la province de la Colombie-Britannique».

Elle n’est pas une filiale de Burlington et elle n’est pas contrôlée par elle. Sa ligne de chemin de fer ne serait pas mise en service par Burlington. Elle aurait pour fonction de transporter à Burlington des chargements de charbon sur sa ligne, au nord de la frontière; à son tour, Burlington les prendrait et les transporterait sur ses lignes, en vue de leur livraison à leur destination finale sur la côte ouest de la Colombie-Britannique. Il s’avère exact, comme l’a souligné l’intimée, qu’elle n’aurait pas été constituée si ce n’avait été aux fins de remplir cette fonction.

Le premier point, qui d’ailleurs est clair, est que le chemin de fer de Kootenay ne relierait la province de la Colombie-Britannique à aucune autre province et qu’il ne s’étendrait pas hors des limites de la province. Dans l’affaire Montreal Street Railway Company c. The City of Montreal, le Juge Duff, alors juge puîné, a dit dans les motifs du jugement qu’il a rendus en cette Cour[4], après s’être reporté aux articles 92(10) et 91(29) de l’A.A.N.B.:

[TRADUCTION] Le pouvoir exclusif de légiférer relativement à un chemin de fer situé entièrement dans une province est, en vertu de ces dispositions, dévolu à la législature provinciale, à moins que cet ouvrage ne soit déclaré être à l’avantage général du Canada; dans ce dernier cas, c’est le parlement fédéral qui a le pouvoir exclusif de légiférer.

Cependant, l’intimée prétend que, bien que les ouvrages de Kootenay ne s’étendent pas au delà de la province, son entreprise n’est pas de nature locale. Mais, en déterminant le pouvoir de la législature de la Colombie-Britannique de légiférer en vue de la constitution de Kootenay en corporation, nous devons considérer la nature de l’entreprise qu’elle autorise. Les activités de l’entreprise en question doivent être

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exécutées entièrement dans la province. Je n’oublie pas le fait que son entreprise, une fois reliée à celle de Burlington, servira à transporter des marchandises de la Colombie‑Britannique aux États-Unis. Il se peut, comme la Commission le signale dans ses motifs, qu’une fois les deux lignes jointes, nous soyons en présence d’une seule entreprise de nature internationale. Mais, à mon avis, cette possibilité n’empêchait pas la législature de la Colombie-Britannique d’autoriser la création d’une compagnie en vue de la construction d’une ligne de chemin de fer entièrement située dans les limites de la province.

Dans Luscar Collieries, Limited v. McDonald[5], il s’agissait de décider si la Commission des chemins de fer fédérale pouvait rendre une ordonnance accordant des droits de circulation sur la ligne de l’appelante, un courte ligne construite pour le transport du charbon en Alberta de la mine de l’appelante à une autre ligne qui était embranchée à celle de la Canadian Northern Railway. Il a été statué que cela relevait de sa compétence parce que la ligne faisait partie d’un réseau de chemins de fer exploité en commun et reliant une province à une autre. Cependant, dans cette affaire-là, la décision a été fondée sur le fait que la ligne de Luscar était mise en service par C.N.R. A la p. 932 se trouve le passage suivant:

[TRADUCTION] Dans la présente affaire, considérant le mode d’exploitation du chemin de fer, Leurs Seigneuries sont d’avis qu’il s’agit en fait d’un chemin de fer reliant la province de l’Alberta avec d’autres provinces et, par conséquent, visé par l’article 92(10) a) de l’Acte de 1867. Il existe une liaison continue par chemin de fer entre ce point de l’embranchement Luscar qui est le plus éloigné du point de raccordement avec l’embranchement Mountain Park, et les régions du Canada situées à l’extérieur de la province d’Alberta. Si, en vertu des traités susmentionnés, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada devait cesser la mise en service de l’embranchement Luscar, il se peut que la question de savoir si, dans cette nouvelle situation, le chemin de fer n’est plus visé par l’article 92(10) a), devra être décidée, mais cette question ne se pose pas maintenant.

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Il convient de signaler que, dans cette affaire-là, la loi qui a autorisé la construction de la ligne Luscar avait été adoptée par la législature de l’Alberta et que cette loi autorisait aussi la compagnie Luscar à conclure un traité avec C.N.R. pour la mise en service de son chemin de fer. Il est clair que la ligne Luscar était destinée à aider à la mise en marché du charbon de Luscar à l’extérieur de la province. Dans cette affaire-là, il n’a pas été prétendu que la législature de l’Alberta ne pouvait adopter une telle disposition. Ce que l’arrêt a décidé c’est que, une fois que la ligne, en raison de sa mise en service, était devenue partie d’un réseau de chemin de fer inter-provincial, elle devenait assujettie à la réglementation fédérale.

On s’est reporté à l’affaire Luscar dans le jugement que cette Cour a rendu dans l’affaire British Columbia Electric Railway Company c. C.N.R.[6], qui avait trait à la compétence de la Commission des transports relativement à une courte ligne de chemin de fer qui était exploitée par une compagnie de chemin de fer non fédérale et qui était reliée à deux lignes de chemin de fer soumises à la compétence fédérale. Le Juge Smith, qui a prononcé les motifs de la majorité, a dit, p. 169:

[TRADUCTION] L’arrêt Luscar Collieries v. McDonald, [1927] A.C. 925, est cité au soutien de la compétence de la Commission dans la présente affaire. Dans cette affaire‑là, la compagnie appelante était propriétaire dans la province de l’Alberta d’une courte ligne de chemin de fer qui était embranchée à une ligne qui était elle-même un embranchement de Canadian Northern Railway dont le point de raccordement était situé dans la province. Les deux embranchements étaient mis en service par Canadian Northern Railway Company en vertu de traités, et le trafic pouvait passer sans interruption depuis la ligne de l’appelante jusque dans toute autre province desservie par le chemin de fer de cette compagnie.

Il a été statué que la Commission avait compétence sur les lignes de l’appelante, qui était construites en vertu de la loi provinciale, parce que la ligne faisait partie d’un réseau de chemins de fer continu exploité en commun par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et reliant une province à une autre.

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La décision repose expressément sur la façon dont le chemin de fer était mis en service par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en vertu des traités, et il est signalé que si cette compagnie devait cesser la mise en service de l’embranchement de l’appelante, alors pourrait devoir être décidée la question de savoir si, dans la nouvelle situation, cet embranchement n’est plus visé par l’article 92(10) a). Ainsi la question qui n’a pas été décidée est la question même qui est soulevée dans la présente affaire parce que la ligne Park n’est pas exploitée par la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et ne l’est pas non plus par l’appelante British Columbia Electric Railway Company, exploitante de Vancouver & Lulu Island Railway pour le compte de la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique.

Le simple fait que la ligne Central Park soit physiquement reliée a deux lignes de chemin de fer relevant de la compétence fédérale ne semblerait pas suffire en lui-même à placer la ligne Central Park, ou la partie de celle-ci qui relie les deux lignes fédérales, sous la compétence fédérale.

En résumé, je suis d’avis qu’une législature provinciale peut autoriser la construction d’une ligne de chemin de fer qui est entièrement située à l’intérieur des limites de la province. Le fait qu’un tel chemin de fer puisse par la suite, en raison de sa liaison avec un autre chemin de fer ou de sa mise en service, devenir soumis à la réglementation fédérale ne touche pas au pouvoir de la législature provinciale de le créer.

A mon avis, il y a lieu de répondre non à la troisième question de l’appel incident.

Ceci termine l’étude des questions de droit soulevées en appel et en appel incident. Après qu’ont été exposés, au nom des appelantes, de l’intimée et de l’intervenant, le procureur général de la Colombie-Britannique, les arguments invoqués par ces derniers relativement à ces matières, l’avocat de la Commission canadienne des transports a soulevé une question qui n’a pas été décidée par la Commission et à l’égard de laquelle aucune des parties à l’appel n’a tenté d’obtenir permission d’appeler. Dans son factum, qui a par la suite été produit à la demande de la Cour, il souligne que les appelantes avaient tenté d’obtenir de la Commission

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l’autorisation que Burlington fasse circuler ses trains sur la ligne de Kootenay aux fins d’effectuer le libre échange des trains des deux compagnies. Il fait aussi remarquer qu’au cours des plaidoiries devant la Commission, cette dernière avait soulevé la question relative au droit de Burlington de franchir la frontière et d’exercer ses activités au Canada sans se reporter à aucune loi spéciale ou disposition législative d’application générale.

Dans son factum, l’avocat ajoute ensuite ce qui suit:

[TRADUCTION] Puisque l’appelante Burlington Northern en appelle à la Cour sur la question de l’interprétation juste de l’article 156(1), la Commission est d’avis que cette Cour peut juger bon de décider si la loi accorde à Burlington Northern le droit de faire circuler des trains au Canada à la frontière.

A mon avis, il n’est pas souhaitable que la Cour traite d’une question de droit soulevée de cette façon. En vertu des dispositions de l’art. 53 de la Loi sur les chemins de fer, cette Cour a juridiction sur un appel d’une décision de la Commission si la permission d’appeler a été obtenue. L’appel doit porter sur une question de droit ou une question de compétence. A mon avis, ceci signifie une question de droit à l’égard de laquelle l’appelant allègue une erreur de la part de la Commission. Je n’interprète pas cet article comme donnant à cette Cour le pouvoir, de son propre chef, de décider une question de droit sur laquelle la Commission ne s’est pas prononcée.

En définitive, je suis d’avis d’accueillir l’appel sur la deuxième question de droit à l’égard de laquelle permission d’appeler a été accordée et je suis d’avis de rejeter l’appel incident. Les appelantes ont droit aux dépens de l’appel incident. Je suis d’avis de transmettre à la Commission l’opinion certifiée suivante: que le traité ou arrangement entre les appelantes pour l’échange du trafic n’est pas interdit par l’art. 156(1) de la Loi sur les chemins de fer et que la Commission a bien décidé les autres questions de droit soulevées en appel et en appel incident.

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LE JUGE HALL (dissident) — Les questions de droit à l’égard desquelles permission d’appeler a été accordée sont exposées dans les motifs de mon collègue le Juge Martland. Mes vues sur quelques-unes des questions fondamentales soulevées dans cette controverse difficile étant différentes, je crois qu’il est nécessaire de traiter ça et là au cours des présents motifs de certains événements ou éléments nouveaux dont quelques-uns sont de nature historique et qui ont une grande portée sur les réponses à apporter aux questions posées dans l’appel et dans l’appel incident.

Au début des années 1960, l’industrie japonaise a proposé d’acheter de grandes quantités de charbon extrait des mines de la région de Sparwood en Colombie-Britannique. Sparwood est située sur l’embranchement du Nid-de-Corbeau appartenant à l’intimée, la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique (ci-après appelé le P.-C). Lorsque les discussion ont été entamées au sujet de la vente et du transport de charbon de Sparwood au Japon, l’embranchement du Nid-de-Corbeau du P.-C. constituait la seule ligne de chemin de fer directe sur laquelle le charbon pouvait être acheminé sur la côte du Pacifique.

Kaiser Resources Limited (ci-après appelée «Kaiser») a été la première exportatrice à passer des contrats définitifs avec les industriels japonais pour la vente et la livraison de quelque 2,000,000 de tonnes de charbon par année. Kaiser et le P.-C. ont négocié un tarif pour le transport du charbon de Sparwood au port en eau profonde de Roberts Bank en Colombie-Britannique, que le gouvernement du Canada construisait alors à grands frais. Le port de Roberts Bank était aménagé de façon à permettre la manutention de marchandises en vrac comme le charbon en question, que l’on déchargeait de trains-bloc. Ces trains-bloc étaient conçus et construits pour le P.-C. afin de permettre, pendant qu’ils étaient en mouvement, un chargement continu à la source ainsi qu’un déchargement continu dans les cargos qui transporteraient le charbon au Japon. Il s’agissait d’un nouveau projet et les aménagements

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portuaires à Roberts Bank ont été adaptés et agencés à cette fin. Aucun autre port sur la côte ouest n’offrait les mêmes services.

Après de longues discussions entre Kaiser et le P.-C, ils ont convenu d’un tarif dans une entente datée du 14 octobre 1968.

Pendant ce temps, Crow’s Nest Industries Limited, une actionnaire de Kaiser Steel Corporation, la compagnie mère de Kaiser, s’adonnait à d’autres travaux de prospection qui ont conduit à la découverte d’importants gisements de charbon à Line Creek, au nord de Sparwood. Après cette découverte, Crow’s Nest Industries Limited et Kaiser ont toutes deux tenté de passer d’autres contrats avec les industriels japonais, l’approvisionnement en charbon devant provenir des régions de Sparwood et de Line Creek.

En 1965, alors que les négociations avec le P.-C. étaient en cours, Crow’s Nest Industries Limited a saisi Great Northern Railway Company (ci-après appelée «Great Northern»), qui exploitait aux États-Unis une ligne de chemin de fer transcontinentale dont le tracé suivait généralement la frontière internationale, d’un projet visant à concurrencer le P.-C. dans le transport du charbon par la construction d’une voie ferrée à partir de Line Creek jusqu’à la ligne principale de Great Northern à Eureka ou dans ces environs, dans le nord du Montana. Cette proposition est demeurée au stade de projet jusqu’à ce que Crow’s Nest Industries Limited s’assure d’un marché au Japon pour 3,000,000 de tonnes supplémentaires de charbon par année.

En mai 1966, Kootenay and Elk Railway Company (ci-après appelée «Kootenay») avait été constituée en corporation en vertu des dispositions du Railway Act de la Colombie‑Britannique, c. 329, R.S.B.C. 1960, comme chemin de fer au sens de cette Loi. C’était le premier geste dans l’élaboration du projet par lequel on envisageait une autre route pour le transport du charbon à Roberts Bank. Vu la passation de contrats assurant une exportation annuelle plus considérable, soit 5,000,000 de tonnes, Kootenay a continué ses entretiens avec Burlington

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Northern Inc. (ci-après appelé «Burlington») pour élaborer le plan de l’autre route. Kootenay avait été constituée pour voir à la participation canadienne du projet international et elle servait à cette fin en tant que corporation exécutante. Le caractère international de l’ensemble du projet était déterminé avant que ne soit présenté la demande de constitution de Kootenay en corporation. Un des promoteurs de la constitution en corporation était Thomas F. Gleed, président du conseil d’administration de Crow’s Nest Industries Limited et un membre du conseil d’administration de plusieurs filiales et sociétés affiliées de Kaiser Steel Corporation. Les entretiens précités avaient pour objet un plan selon lequel le charbon extrait des mines de Sparwood et de Line Creek serait transporté vers le sud en traversant la frontière internationale, et ensuite sur les lignes de Burlington aux États-Unis jusqu’à un point situé près de Roberts Bank, qui est immédiatement au nord de la frontière internationale. A Roberts Bank, les trains devaient être manœuvrés au moyen de ce que l’on a appelé un système de transfert ou d’aiguillage. Le plan envisageait la création et la construction d’un service de chemin de fer en Colombie-Britannique en direction nord de la frontière jusqu’aux mines. Kootenay a été conçue pour assurer ce service. Elle a été constituée comme filiale possédée en propriété exclusive de Crow’s Nest Industries Limited et elle l’est demeurée. Elle ne devait pas être un transporteur en commun.

Burlington est une compagnie de chemin de fer constituée en vertu des lois de l’État du Delaware et elle a remplacé par une série de fusions plusieurs compagnies de chemins de fer américaines, y compris Great Northern. Les fusions ont été autorisées, du moins en ce qui concerne les activités au Canada, par le chapitre 23 des Statuts du Canada de 1965. Le préambule du chapitre 23, en mentionnant Great Northern, qui fusionne avec Burlington, dit, en partie, «elle est soumise, en ce qui concerne son activité au Canada, à toutes les obligations d’une compagnie de chemin de fer assujettie à l’autorité législative du Parlement;».

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Ce n’était pas la première fois que du charbon était extrait dans la région de Sparwood-Fernie et transporté aux États-Unis. En 1901, Great Northern, compagnie remplacée par Burlington, était propriétaire d’une ligne de chemin de fer de Rexford au Montana à Newgate en Colombie-Britannique (Newgate étant situé dans la même région que Roosville West) qui se raccordait avec un chemin de fer appelé Crow’s Nest Southern Railway Company, lequel allait de Newgate à Fernie. Fernie est situé sur la ligne du Nid-de-Corbeau du P.-C. entre Elko et Sparwood. Cependant, selon le témoignage de R.W. Downing, vu la diminution dans la demande du charbon, cette compagnie a converti son activité dans la région de Sparwood‑Fernie par l’acquisition de droits de circulation sur la ligne du P.-C. et, par la suite, de droits de circulation à l’est de Elko; finalement, en 1936, la ligne de Rexford à Elko a été abandonnée. A cette époque-là, la demande d’abandon devait être approuvée par la Commission des chemins de fer du Canada; l’abandon a donc été approuvé par l’ordonnance No. 53515 de la Commission des chemins de fer, datée du 2 octobre 1936 et rapportée dans le vol. 26, Judgments of Railway Commissioners Canada, p. 274:

[TRADUCTION] Après audition de l’affaire aux audiences de la Commission tenue à Fernie, en Colombie-Britannique, le 19 septembre 1936, en présence des avocats de Crow’s Nest Southern Railway Company, de la province de la Colombie-Britannique, de la ville de Fernie, et de Western Pine Lumber Company, Limited, et après audition de la preuve produite et des allégations,

IL EST ORDONNÉ: Qu’il soit donné à Crow’s Nest Southern Railway Company (Great Northern Railway Company) permission de mettre fin à l’exploitation de ladite ligne de chemin de fer entre Fernie et Newgate, en Colombie-Britannique, et cette permission est par les présentes donnée sous réserve des conditions suivantes, savoir:

a) Les voies ferrées, traverses, constructions, ponts et clôtures de ladite ligne de chemin de fer ne seront pas enlevés pour une période d’un an à compter de la date de l’ordonnance; et

b) L’ordonnance est fondée sur l’entente entre les parties que la ligne de Great Northern Railway Company allant de Newgate, dans la province de la

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Colombie-Britannique, à Rexford, dans l’État du Montana, ne sera pas démantelée avant l’expiration de ladite année à compter de la date de l’ordonnance.

Il est important de noter que, bien que Crow’s Nest Southern Railway Company ait été constituée par une loi spéciale de la province de la Colombie-Britannique (chapitre 73, S.B.C. 1901), elle devait obtenir l’approbation de la Commission des chemins de fer du Canada pour abandonner son activité.

Ainsi, le projet du raccordement de la ligne transcontinentale de Burlington avec les mines de charbon de la région de Sparwood signifiait la réapparition de la ligne qui avait été exploitée 30 à 60 ans auparavant mais abandonnée et dont les rails avaient été enlevés quand cette ligne a cessé d’être rentable. Vu les contrats de vente de charbon aux Japonais, le climat était devenu propice à l’activité que Burlington pouvait consacrer à ce qui semblait être un contrat avantageux pour le transport de grandes quantités de charbon sur la côte ouest. Burlington a proposé d’utiliser les trains-bloc dans le transport du charbon, un système identique à celui qui avait été mis au point par le P.-C, parce que les installations de déchargement à Roberts Bank exigeaient que le charbon soit déchargé de cette façon.

Trois requêtes ont été présentées à la Commission canadienne des transports (ci-après appelée la «Commission») comme suit:

[TRADUCTION] 1. Par les présentes, Great Northern Railway Company (compagnie remplacée par Burlington) et Kootenay and Elk Railway Company demandent au Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports que soit rendue une ordonnance leur accordant l’autorisation, en vertu de l’article 255 de la Loi sur les chemins de fer et de tout autre article de ladite Loi pouvant s’appliquer, de raccorder leurs voies ferrées respectives à la frontière de la province de la Colombie‑Britannique et de l’État du Montana, un des états des États-Unis d’Amérique, à Roosville West, ou près de ladite frontière; ainsi qu’une ordonnance accordant à Great Northern Railway Company l’autorisation d’exploiter ses trains sur les lignes ou voies de la requérante Kootenay and Elk Railway Company aux fins

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d’effectuer le libre échange des trains de Kootenay and Elk Railway Company et de Great Northern Railway Company. Dossier imp. sur app., p. l.

2. Par les présentes, Kootenay and Elk Railway Company demande au Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports que soit rendue une ordonnance lui accordant l’autorisation, en vertu de l’art. 255 de la Loi sur les chemins de fer, de croiser la ligne de la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique entre Michel et Elko dans la province de la Colombie-Britannique, à un point au nord de Hosmer sur la ligne de chemin de fer de la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique comme il est indiqué sur le plan ci-joint, désigné comme étant la pièce «A». D. Imp. sur app., p. 32.

3. Par les présentes, Kootenay and Elk Railway Company demande au Comité des transports par chemin de fer de la Commission canadienne des transports que soit rendue une ordonnance lui accordant, en vertu de l’article 1 f) de la Loi sur la Passe du Nid-de-Corbeau, Statuts du Canada 60/61, Victoria, chapitre 5, des droits de circulation sur la ligne de chemin de fer de la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique entre Natal, dans la province de la Colombie-Britannique, et Elko, dans la province de la Colombie-Britannique, aux conditions que cet honorable Comité jugera justes et souhaitables eu égard à l’intérêt du public et à tous autres intérêts appropriés. Dossier imp. sur app. p. 36.

Comme on le verra, la requête N° 2 est une solution de rechange à la requête N° 3 et si la requête N° 3 devait être accordée, alors la requête N° 2 ne serait plus requise et serait abandonnée. Le P.-C. s’est opposé à toutes les trois requêtes.

Kootenay n’existe pas présentement comme ligne de chemin de fer, et il en est de même pour le prolongement projeté de la ligne de Burlington à partir de sa ligne principale jusqu’à la frontière internationale. Il s’agit là de projets qui pourraient voir le jour ou non dépendant de l’obtention de l’approbation de la Commission qui leur accorderait l’autorisation de raccorder la ligne projetée de Kootenay avec le prolongement de celle de Burlington à la frontière. Les requêtes visant le croisement et les droits de circulation sur la ligne du P.-C. sont nécessairement subsidiaires à l’objectif premier qui consiste à obtenir l’approbation de raccorder les

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deux lignes aux fins d’effectuer l’échange du trafic à la frontière.

Le succès du plan d’ensemble de Burlington et de Kootenay était subordonné à l’obtention de l’autorisation de raccorder Burlington et Kootenay à la frontière et d’effectuer l’échange des trains des deux lignes au nord de la frontière. A moins que l’autorisation de raccorder les deux chemins de fer et que l’approbation du traité relatif à l’échange ne se réalisent, il est clair qu’aucune construction ne serait faite ni au nord ni au sud de la frontière. A ce jour, les plans n’existent que sur papier. Burlington n’a pas encore présenté une requête en bonne et due forme à la Interstate Commerce Commission des États-Unis en vue d’obtenir la permission de construire le prolongement jusqu’à la frontière internationale. Dans son témoignage, M. Downing a semblé supposer que cette approbation serait consécutive à l’approbation du traité d’échange par la Commission canadienne. Il a dit à ce sujet:

[TRADUCTION] Q. VOUS avez dit aussi, M. Downing, que le Conseil d’administration de Burlington Northern avait autorisé la compagnie à demander à la Inter-State Commerce Commission la permission de construire une partie du tracé conduisant à Eureka, est-ce exact?

R. C’est exact.

Q. Où en sont les travaux?

R. Ils n’ont pas encore débuté. La construction projetée s’étend sur environ 9½ milles, alors, du point de vue de la construction, le problème est relativement mineur, et nos avocats nous ont assuré que l’obtention de cette permission serait relativement facile, ou disons qu’elle peut être obtenue assez rapidement, par conséquent, nous ne présentons pas de requête avant que les procédures au Canada n’aient progressé.

Tous ces faits révèlent le caractère international du projet de raccorder Burlington et Kootenay et s’opposent à toute proposition selon laquelle Kootenay était destinée dès le tout début à être un chemin de fer entièrement intra-provincial. Le témoignage de Leighton, un ingénieur-conseil chargé par Crow’s Nest Industries de s’occuper de la question de l’ingénierie pour Koote-

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nay, est révélateur quant aux fins du projet de Kootenay. Leighton, témoignant au nom des appelantes, a été interrogé et il a répondu comme suit:

[TRADUCTION] Q. D’après ce que vous savez du projet, M. Leighton, si le hasard faisait que Burlington Northern n’obtenait pas la permission de la Interstate Commerce Commission de construire jusqu’à la frontière, le chemin de fer de la Kootenay and Elk serait-il construit quand même?

R. Il pourrait être construit, mais il ne servirait à rien.

Il est donc clair que le caractère international du projet était déterminé avant que ne soit présentée la demande de constitution de Kootenay en corporation comme chemin de fer provincial. L’essence du projet est que la ligne de la Kootenay s’arrêterait à un quart de pouce de la frontière, côté nord, et l’embranchement de la Burlington s’arrêterait à un quart de pouce de la frontière, côté sud, de manière que les trains pourraient circuler d’une ligne à l’autre comme si les lignes étaient effectivement et physiquement raccordées. Kootenay ne devait posséder aucun matériel roulant ou équipement. Le tout appartiendrait à Burlington. Les équipes de Burlington devaient amener les trains-bloc vers le nord et leur faire passer la frontière et, ensuite, les équipes de Kootenay conduiraient les trains aux mines dans la région de Sparwood. L’échange d’équipes devait se faire au Canada et il était entendu que ces trains-bloc de Burlington qui devaient mesurer presque un mille de longueur seraient amenés vides au Canada, puis ensuite conduits à Sparwood par les équipes de Kootenay, chargés et ramenés au point d’échange au nord de la frontière. M. Robinette a admis que les équipes de Burlington feraient circuler les trains de Burlington sur une distance de près de deux milles au Canada sur les rails de Kootenay. Rien au dossier n’indique que Burlington a l’approbation ou l’autorisation d’exercer ainsi son activité au Canada. Seule la Commission peut accorder l’approbation ou l’autorisation d’exploiter sur les rails de Kootenay au Canada.

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La Commission était disposée à accorder l’autorisation demandée, mais elle a conclu:

[TRADUCTION] a) Qu’elle ne pouvait accorder l’autorisation en vertu des art. 315 et 319 de la Loi sur les chemins de fer, la décision de la Commission sur cette question étant la suivante:

Dans leur plaidoirie, les avocats des requérantes n’ont pas nié le fait, qui est assez évident, qu’un échange de marchandises se ferait à la frontière, mais ils ont soutenu que les dispositions applicables dans le cas présent se trouvent aux articles 315 et 319 de la Loi sur les chemins de fer et non à l’article 156. Les articles 315 et 319 se rapportent tous les deux à l’obligation qu’ont les compagnies de prendre les dispositions nécessaires pour le transport des voyageurs et de marchandises et le paragraphe (5) de l’article 319 impose aux compagnies de chemin de fer l’obligation bien précise de fournir des «facilités raisonnables pour le raccordement des voies de service privées ou des embranchements privés avec un chemin de fer possédé ou exploité par cette compagnie et pour la réception, l’expédition et la livraison du trafic qui entre sur ces voies de service ou sur ces embranchements, ou qui en vient». Le fait est que, bien que M. Prentice affirme que la K. & E. est un prolongement de «son» installation (celle de la Crow’s Nest), le chemin de fer de la K. & E. n’est ni une voie de service privée ni un embranchement privé au sens juridique. En tout cas, aucune obligation statutaire que la B.N. pourrait avoir, en vertu de l’article 319, de desservir une voie de service privée ou un embranchement privé ne saurait obscurcir les réalités d’une situation dans laquelle la B.N. a été et continue d’être un participant volontaire et actif de tout le projet et dans laquelle elle a, comme l’a dit M. Downing, un arrangement avec la K. & E. Cet arrangement, à mon avis, concerne clairement l’échange de trafic avec la K. &E.

b) Qu’elle n’avait pas le pouvoir d’accorder la requête qui demandait le raccordement de Burlington et Kootenay en vue de l’échange du trafic et du partage et de la répartition des taxes se rapportant à ce trafic, déclarant:

Avant que soit passée la Loi nationale sur les transports, en 1967, l’article 156(1) autorisait les compagnies de chemin de fer à conclure des traités ou arrangements pour l’échange de trafic entre elles uniquement. La modification que la loi apporte à l’article 156 découle d’une préoccupation nouvelle du Parlement qui ressort partout dans la loi, sur les

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aspects multimodaux du transport, et c’est évidemment par suite de cette préoccupation que l’expression «compagnie de chemin de fer» a été remplacée par «compagnie de transport». En même temps, toutefois, alors que l’autorisation était élargie, une restriction a été introduite par l’adjonction des mots «qui fonctionne à titre de transporteur en commun». En agissant de cette façon, le Parlement a exprimé sa volonté précise d’exclure les transporteurs privés de l’activité visée au paragraphe (1) de l’article 156.

Les requérantes nient que l’article 156 contienne une interdiction et disent qu’en tout cas la charte constitutive de la B.N. lui donne le pouvoir de passer des contrats de tout genre avec n’importe quelle sorte de personne ou de compagnie — un pouvoir qui l’accompagne lorsqu’elle pénètre au Canada. L’avocat s’appuie en particulier sur la cause Campbell c. Northern Railway Company (26 Grant’s Chancery Reports 522). A mon avis il n’est pas nécessaire de se poser la question de savoir s’il est dans les pouvoirs de la B.N., aux termes de sa charte constitutive, de conclure des arrangements avec la K. & E. pour l’échange de trafic du moment qu’une loi canadienne lui interdit d’agir. A mon avis, l’interprétation correcte du paragraphe (1) de l’article 156 est que ce texte interdit à toute compagnie ferroviaire assujettie à la Loi sur les chemins de fer de conclure un traité ou un arrangement avec un transporteur non public aux fins indiquées dans cet article, et, par conséquent, la B.N., qui est soumise à la Loi sur les chemins de fer, ne peut conclure aucun desdits traités ou arrangements avec la K. & E.

L’article 156(1) auquel on se réfère se lit comme suit:

156. (1) Les administrateurs de la compagnie peuvent à toute époque faire et conclure des traités ou arrangements, non incompatibles avec les dispositions de la présente loi ou de la loi spéciale, avec toute autre compagnie de transport qui fonctionne à titre de transporteur en commun au Canada ou ailleurs, pour l’échange de trafic, et pour le partage ou la répartition de taxes se rapportant à ce trafic.

La Commission canadienne des transports est un organisme établi en vertu de la Loi nationale sur les transports, 1966-67, c. 69, et, en vertu de l’art. 6(2), la Commission est une cour d’archives et ses pouvoirs et devoirs sont énumérés dans l’art. 21 qui se lit comme suit:

21. Il incombe à la Commission d’exercer les fonctions qui lui sont dévolues par la présente Loi, par la

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Loi sur les chemins de fer, la Loi sur l’aéronautique et la Loi sur les transports en vue de coordonner et d’harmoniser les opérations de tous les transporteurs qui font des transports par chemin de fer, par eau, par aéronef, des transports s’étendant sur plus d’une province par véhicule à moteur et par pipe-line pour denrées; et la Commission doit donner à la présente loi, à la Loi sur les chemins de fer, à la Loi sur l’aéronautique et à la Loi sur les transports l’interprétation équitable la plus apte à réaliser cette fin.

La Loi créant la Commission nationale des transports énonce comme suit, à l’art. 3, la politique nationale des transports:

3. Il est par les présentes déclaré qu’un système économique, efficace et adéquat de transport utilisant au mieux tous les moyens de transport disponibles au prix de revient global le plus bas est essentiel à la protection des intérêts des usagers des moyens de transport et au maintien de la prospérité et du développement économique du Canada, et la façon la plus sûre de parvenir à ces objectifs est vraisemblablement de rendre tous les moyens de transport capables de soutenir la concurrence dans des conditions qui assureront, compte tenu de la politique nationale et des exigences juridiques et constitutionnelles,

a) que la réglementation de tous les moyens de transport ne sera pas de nature à restreindre la capacité de l’un deux de faire librement concurrence à tous les autres moyens de transport;

b) que chaque moyen de transport supporte, autant que possible, une juste part du prix de revient réel des ressources, des facilités et des services fournis à ce moyen de transport grâce aux deniers publics;

c) que chaque moyen de transport soit, autant que possible, indemnisé pour les ressources, les facilités et les services qu’il est tenu de fournir à titre de service public commandé; et

d) que chaque moyen de transport achemine, autant que possible, le trafic à destination ou en provenance de tout point au Canada à des prix et à des conditions qui ne constituent pas

(i) un désavantage déloyal à l’égard de ce trafic plus marqué que celui qui est inhérent à l’endroit desservi ou au volume de ce trafic, à l’ampleur de l’opération qui y est reliée ou au type du trafic ou du service en cause, ou

(ii) un obstacle excessif à l’échange des denrées entre des points au Canada ou un découragement déraisonnable du développement des industries primaires ou secondaires ou dû commerce d’ex-

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portation dans toute région du Canada ou en provenant, ou du mouvement de denrées passant par des ports canadiens;

et la présente loi est édictée en conformité et pour la réalisation de ces objectifs dans toute la mesure où ils sont du domaine des questions relevant de la compétence du Parlement en matière de transport.

En vertu de l’art. 4, la Loi est déclarée s’appliquer au transport par chemin de fer auquel s’applique la Loi sur les chemins de fer. En vertu de l’art. 53 de la Loi sur les chemins de fer, les décisions de la Commission sont susceptibles d’appel à la Cour suprême du Canada sur une question de droit ou une question de compétence, quand une autorisation à cet effet a été obtenue d’un juge de ladite Cour.

Puisqu’elle est une cour d’archives créée par une loi et qu’elle doit, en vertu de la Loi nationale sur les transports, donner à la Loi sur les chemins de fer l’interprétation qui servira le mieux la réalisation de la politique nationale de transport mentionnée à l’art. 3 (précité), la Commission ne possède que les pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi et elle ne peut exercer une compétence qui outrepasse ces pouvoirs. En conséquence, il me paraît que cet appel doit être décidé non pas en fonction de l’étude et de l’examen des pouvoirs de Burlington et de Kootenay en tant que compagnies mais en fonction de la compétence de la Commission pour approuver l’échange projeté.

En supposant que Burlington et Kootenay possèdent toutes les deux, en tant que compagnies, le pouvoir de passer un traité pour l’échange du trafic et pour le partage et la répartition des taxes se rapportant à ce trafic, la question à décider, relativement à la requête n°. 1, est de savoir si la Commission possédait ou possède l’autorité requise pour approuver ce traité.

On a reconnu qu’un tel traité doit être approuvé par la Commission et il s’ensuit, à mon avis, que toute approbation demandée ou obtenue doit être une approbation d’un traité que la Commission a le pouvoir et l’autorité d’approuver. L’approbation ne peut venir automatiquemnet. L’approbation donnée par la

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Commission à l’égard d’une chose qu’elle n’est pas autorisée à approuver serait nulle.

En conséquence, quand l’art. 156 (1) dit que tout traité pour l’échange du trafic et pour le partage et la répartition des taxes doit être conclu entre deux transporteurs en commun, la première question que la Commission doit se demander, une fois saisie de la demande d’approbation d’un tel traité, est la suivante: «S’agit-il d’un traité entre deux transporteurs en commun?» Et si la réponse à cette question est «non» comme il se doit en l’espèce, comment la Commission peut-elle alors donner son approbation? Ce geste serait illégal et constituerait une erreur de droit à l’égard de laquelle un appel pourrait être interjeté à cette Cour.

Ainsi, la question à décider devient académique si la Cour choisit de fonder son jugement sur un examen et une détermination des pouvoirs des deux compagnies ou sur l’historique de l’art. 156 (1) lorsque cet article, tel qu’il a été modifié en 1967, énonce clairement qu’il doit s’agir d’un traité entre deux compagnies qui fonctionnent à titre de transporteurs en commun. La véritable question est la suivante: la Commission avait-elle le pouvoir de donner l’approbation demandée une fois qu’il eut été admis que Kootenay n’était pas un transporteur en commun et qu’elle n’avait pas l’intention de le devenir et que Burlington, en exerçant son activité au nord de la frontière, devenait carrément assujettie aux dispositions de la Loi sur les chemins de fer et au contrôle de la Commission?

En conséquence, je répondrais non aux questions n°l et n° 2 posées dans l’appel principal.

Ces motifs seraient suffisants pour décider l’appel mais, comme un avis contraire a été exprimé, je dois maintenant aborder les questions soulevées lors de l’appel incident et exposées par mon collègue le Juge Martland dans ses motifs. Je suis d’accord avec lui que les réponses aux questions n° 1 et n° 2 devraient être non. Je conclus que la réponse à la question n° 3 devrait être oui pour les motifs suivants:

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Il ne fait aucun doute que Burlington se propose d’exercer une activité au Canada sur une distance d’environ deux milles et la pièce 20 l’indique très clairement en montrant une voie ferrée double commençant à un aiguillage placé à 700 pieds au nord de la frontière internationale et se prolongeant sur une distance de quelque 8,000 pieds en direction nord. Cet aménagement à deux voies est conçu afin de permettre au train-bloc vide se dirigeant vers le nord de rencontrer le train-bloc chargé se dirigeant vers le sud, les équipes de Kootenay remettant le train chargé aux équipes de Burligton et reprenant aux équipes de Burligton le train vide.

Il est indiscutable qu’il s’agissait là du projet qui avait été proposé quand on a conçu l’idée de créer une compagnie de chemin de fer en vertu des lois de la Colombie-Britannique. Ceux qui étaient chargés du projet n’ont jamais songé à faire de Kootenay une entreprise qui serait entièrement à l’intérieur de la province et dont les opérations commenceraient et se termineraient en Colombie-Britannique. Elle a été conçue comme partie d’une entreprise internationale par laquelle le charbon extrait de la région de Sparwood pouvait être acheminé sans interruption de l’autre côté de la frontière internationale, et elle était destinée à servir comme telle, car on n’aurait jamais eu l’idée de ne transporter le charbon qu’à la frontière et de le décharger là.

Personne ne met en doute la compétence de la province de la Colombie-Britannique en matière de constitution en corporation d’un chemin de fer destiné à être exploité entièrement à l’intérieur des limites de la province mais il est également clair que la province n’a pas le pouvoir de constituer en corporation un chemin de fer qui est conçu et créé dès le début comme une entreprise de nature internationale.

Ainsi, au moment de la présentation de la demande de constitution de Kootenay en corporation comme filiale possédée en propriété exclusive par Crow’s Nest Industries, les responsables de la demande de constitution savaient qu’ils demandaient la création d’une entreprise internationale, fait qui n’a pourtant

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pas été déclaré au registraire des compagnies de la province de la Colombie-Britannique. Il convient de remarquer que, dans l’acte de société de «The Kootenay and Elk Railway Company» daté du 26 avril 1966, le seul objet déclaré est contenu dans le paragraphe 3 qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] La Compagnie est constituée dans le but de fonder une entreprise de chemin de fer et de construire ou d’acquérir une ligne de chemin de fer de Natal à un point situé à 3 milles à l’ouest de Roosville, immédiatement au nord de la frontière Canada-États-Unis, dans la province de la Colombie-Britannique.

Ainsi déclaré, le véritable objet de la compagnie a été dissimulé et faussement présenté au registraire quand, le 4 mai 1966, il a délivré le certificat de constitution en corporation en vertu du Railway Act de la province de la Colombie-Britannique. Il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle un chemin de fer de compétence provinciale a été constitué de bonne foi à des fins intra-provinciales, mais d’un chemin de fer qui a été constitué dans le seul but de faire partie intégrante, dès sa création, de l’entreprise internationale susmentionnée. À cet égard, la présente affaire se distingue des affaires où il s’agissait d’entreprises qui, à l’origine, étaient véritablement provinciales, comme c’était le cas dans Luscar Collieries, Limited v. McDonald[7].

Tout au long des plaidoiries, il est devenu évident que la Cour était saisie d’une situation totalement fausse présentée selon une terminologie et une argumentation légalistes ayant trait aux pouvoirs de compagnie afin de masquer la réalité du projet. Dans les circonstances, je ne puis discuter des arguments et des distinctions d’ordre juridique qui ont été apportés pour montrer comme entreprise de compétence provinciale une entreprise qui était en fait et qui est toujours un subterfuge pour permettre à Burlington de participer à ce qui semble être une opération lucrative, tant que subsistera le contrat d’exportation de charbon, qui ne nécessite qu’une dépense de capital limitée car si, comme

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il est demandé, Kootenay peut obtenir des droits de circulation sur la ligne du Nid-de-Corbeau du P.-C, elle épargnerait environ $15,000,-000 en dépense de capital. Kootenay n’aurait même pas à dépenser un dollar pour le matériel roulant. La plus grande partie de l’assiette de la voie abandonnée dans les années 1930 pourrait être réaménagée pour supporter les rails sur les parties de voie qui ne longent pas la ligne du P.-C.

D’après la preuve, le projet prévoyait que le charbon livré à Burlington au nord de la frontière serait transporté aux États-Unis jusqu’à ce que l’on appelle le centre de transbordement à la frontière, à Roberts Bank, pour être déchargé en se servant des installations du port nouvellement construit là. Je ne vois aucune disposition ou arrangement selon lequel Burlington continuerait nécessairement d’utiliser les installations de Roberts Bank si les requêtes demandées étaient accordées. Rien dans le dossier ne m’indique que Burlington serait empêchée d’utiliser ou de créer un autre port dans l’État de Washington pour le chargement de ce produit canadien à destination du Japon. En fait, dans son témoignage, R.W. Downing, le vice-président administratif de Burlington, déclare que [TRADUCTION] «les discussions ont d’abord porté sur l’utilisation des services d’un port américain pour acheminer le charbon», mais, par la suite, il a été décidé d’utiliser Roberts Bank car c’était le seul port aménagé pour recevoir les trains-bloc.

Je crois qu’il incombait à la Commission, mis à part l’application de l’article 156 (1), d’examiner la question de la politique en la matière et la validité de la constitution de Kootenay en compagnie de chemin de fer avant d’accorder ou de rejeter la requête en vertu de l’art 255. La Loi nationale sur les transports oblige la Commission à étudier tout ce qui est en cause dans la requête. Dans toute cette affaire, la question de la bonne foi aurait dû être de la plus haute importance pour la Commission. Elle ne peut oublier l’historique de l’ancienne ligne que la compagnie remplacée par Burlington possédait dans la Elk Valley, et l’abandon de cette ligne

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quand l’exportation du charbon aux États-Unis a cessé dans cette région. Étant une cour d’archives, la Commission n’a pas été établie pour signer machinalement les traités entre compagnies dont une, comme Kootenay, a été illégalement constituée compagnie de chemin de fer à charte provinciale. Le droit de construire et d’exploiter une entreprise de chemin de fer internationale ne peut être conféré que par les autorités fédérales.

L’autorité législative de constituer en corporation un chemin de fer de nature internationale est dévolue au Parlement. Le paragraphe 10 a) de l’art. 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique prévoit que les travaux et entreprises d’une nature locale autres que les:

a. Lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux., télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d’autres provinces, ou s’étendant au-delà des limites de la province; (j’ai mis des mots en italique)

relèveront de la compétence des provinces. Le corollaire est que les lignes de chemin de fer et entreprises s’étendant au-delà des limites de la province doivent relever de la compétence législative du Parlement; en d’autres termes, il faut considérer les matières énumérées à l’alinéa a) susmentionné comme si elles étaient des catégories énumérées à l’art. 91 et relevaient de la compétence exclusive du Parlement fédéral. A ce sujet, dans Attorney General of Ontario v. Winner[8], Lord Porter a dit, à la p. 568:

[TRADUCTION] Il est maintenant reconnu d’une manière certaine que ces dispositions ont pour effet de laisser aux provinces la compétence sur les travaux et entreprises d’une nature locale mais de donner au Parlement fédéral la même compétence sur les matières exceptées énumérées dans les alinéas a), b) et c) comme si les exceptions avaient expressément constitué une des catégories de sujets qui lui était assignées en vertu de l’article 91.

et, à la p. 582, il a dit:

[TRADUCTION] En arrivant à cette conclusion, il ne faut pas supposer que Leurs Seigneuries ont attribué une validité quelconque à la prétention selon laquelle un transporteur qui est essentiellement un transpor-

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teur interne peut se soustraire à la compétence provinciale en amorçant ses activités à quelques milles de l’autre côté de la frontière. Un tel subterfuge ne lui serait pas profitable. La question est de savoir s’il existe véritablement et effectivement une activité interne qui se prolonge de l’autre côté de la frontière de façon à permettre au propriétaire de se soustraire à la compétence provinciale ou si l’activité est essentiellement de nature interprovinciale. Tout comme la question de savoir s’il existe une entreprise raccordée dépend de toutes les circonstances de l’espèce, de même, la question de savoir s’il s’agit d’une entreprise de nature locale simulée se déguisant en une entreprise raccordée doit aussi dépendre des faits de chaque affaire et de la détermination de l’essence et de la substance de la loi ou du règlement. (J’ai mis des mots en italique.)

En se reportant aux tentatives de désigner une entreprise de compétence fédérale comme étant une entreprise de compétence provinciale, Lord Atkin avait raison de dire dans Ladore v. Bennett[9], à la p. 482:

[TRADUCTION] Il n’est pas nécessaire de répéter ce que les cours canadiennes et la Commission ont dit à plusieurs reprises, que les cours s’appliqueront à découvrir et à annuler tout acte qui violerait des restrictions d’ordre constitutionnel sous prétexte de demeurer à l’intérieur des limites fixées par la loi.

Kootenay, en tant qu’entreprise de chemin de fer faisant partie d’un projet international, est une «matière» exceptée et elle est pleinement assujettie à la compétence et à la réglementation fédérale.

En traitant du même sujet, Lord Watson a dit dans Canadian Pacific Railway v. Corporation of Parish of Notre Dame de Bonsecours[10], à la p. 372:

[TRADUCTION] …le Parlement du Canada possède, selon l’avis de Leurs Seigneuries, le pouvoir exclusif de réglementer la construction, la réparation et la transformation du chemin de fer, ainsi que son administration, et il peut également dicter la charte et les pouvoirs de la compagnie; (J’ai mis un mot en italique)

Le juge Duff (alors juge puîné) a supprimé décisivement tout doute à ce sujet dans l’arrêt

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Reference re Waters and Water Powers[11], à la p. 213:

[TRADUCTION] En légiférant sur les chemins de fer qui s’étendent à l’extérieur des limites provinciales, a-t-on statué, il revient en propre à l’autorité fédérale de déterminer le tracé du chemin de fer et d’autoriser la construction et la mise en service du chemin de fer le long de ce tracé…

Il s’ensuit qu’aucune autorité provinciale ne peut autoriser le tracé d’un chemin de fer interprovincial ou international ou sa construction. Il en résulté que Kootenay n’est pas une compagnie de chemin de fer (même sur papier) au sens de l’art. 2(3) a) de la Loi sur les chemins de fer, ni une compagnie au sens de l’art. 156(1) de la Loi sur les chemins de fer, car elle ne tient pas le pouvoir de construire ou d’exploiter un chemin de fer de la seule autorité législative qui aurait pu lui donner ce pouvoir, à savoir, le Parlement du Canada. Ce pouvoir ne pouvait émaner de la législature de la province de la Colombie-Britannique.

Il s’ensuit, par conséquent, que les ordonnances du ministre des transports commerciaux de la Colombie-Britannique:

1. Approuvant le tracé de la future Kootenay and Elk Railway Company, en date du 15 juin 1967;

2. Approuvant le prolongement de la ligne de Kootenay de Sparwood à Line Creek, en date du 6 novembre 1969;

3. Approuvant le raccordement de Kootenay et de Great Northern Railway à la frontière internationale près de Roosville West, en Colombie-Britannique

sont nulles et non avenues.

L’ensemble du projet m’apparaît être le cas classique d’un conglomérat étranger qui agit de concert avec des compagnies canadiennes ayant des activités connexes pour manipuler l’entreprise de telle façon qu’il en résulte une exportation des emplois canadiens. La Commission était certainement fondée à considérer et à peser cette question. Rien au dossier n’indique que le P.-C. ne peut, faute d’équipement ou de personnel, transporter tout le charbon de la

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région de Sparwood à Roberts Bank pour exécuter les contrats japonais actuels et futurs et il convient de noter que Burlington entend demander le même tarif que le P.-C.

Il reste une autre question à considérer. L’avocat de la Commission a été présent tout au long de l’audition de l’appel et à la fin des plaidoiries exposées au nom des parties et des intervenants, il a saisi la Cour d’une question qui n’avait pas été discutée au cours des plaidoiries. Il n’avait pas produit de factum mais il a reçu l’autorisation d’en produire un qui exposait les points que la Commission désirait porter à l’attention de la Cour. Les autres parties à l’appel et les intervenants ont été autorisés à répondre à tout factum qui serait produit au nom de la Commission. Les appelantes et l’intimée on répondu.

Le factum produit au nom de la Commission énonce en partie ce qui suit:

[TRADUCTION] 2. Les prétentions que je soumets au nom de la Commission portent sur la requête n° 1, c’est-à-dire la requête conjointe en vue d’obtenir

«a) une ordonnance en vertu de l’article 255 de la Loi sur les chemins de fer (1952 S.R.C. ch. 234) qui accorderait à Burlington Northern Inc. et Kootenay and Elk Railway l’autorisation de raccorder leurs lignes de chemin de fer projetées à un point situé sur la frontière Canada-États-Unis près de Roosville West dans la province de la Colombie-Britannique, et

b) une ordonnance qui accorderait à Burlington Northern Inc. l’autorisation de faire circuler ses trains sur les lignes de Kootenay and Elk Company sur une distance de 9,905 pieds dans la province de la Colombie-Britannique aux fins d’effectuer le libre échange des trains.»

La Commission ne conteste pas les faits présentés à la Cour par les parties.

4. A l’audition de la requête susmentionnée, la Commission a posé à l’avocat de l’appelante Burlington Northern Inc. une question qui visait le droit de Burlington Northern de faire entrer ses trains au Canada au point frontalier en question (Vol. 5, p. 1169, ligne 37, jusqu’à la p. 1170, ligne 27). (J’ai mis des mots en italique)

5. La décision de la Commission sur cette question parle par elle-même. Elle a refusé d’accorder la

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requête pour un autre motif savoir, que Burlington Northern ne pouvait conclure le traité avec Kootenay and Elk, qui n’est pas un transporteur en commun, selon l’article 156(1) de la Loi sur les chemins de fer.

6. Puisque l’appelante Burlington Northern en appelle à la Cour sur la question de l’interprétation juste de l’article 156(1), la Commission est d’avis que cette Cour peut juger bon de décider si la loi accorde à Burlington Northern le droit de faire circuler des trains au Canada à la frontière. (J’ai mis des mots en italique.)

7. Sur ce point, on m’a demandé d’attirer l’attention de la Cour sur les dispositions suivantes de la Loi sur les chemins de fer, de même que sur l’article 3 de la loi spéciale de Burlington Northern Inc., 1965, Statuts du Canada, chapitre 23:

a) Les définitions des termes «compagnies», article 2(4), en particulier l’alinéa a); «chemin de fer», article 2(21); «loi spéciale», article 2(28); «l’entreprise», article 2(35). Il faut remarquer que chacune de ces définitions se rapporte à l’expression «autorisée à contruire ou à exploiter» et que la compagnie a besoin de cette autorisation relativement à un chemin de fer;

b) l’article 3, en particulier l’alinéa b);

c) les articles 5 et 6, en particulier 6(1)b);

d) l’article 152, qui s’applique à l’achat d’un chemin de fer par une personne qui n’a pas le pouvoir, de par sa charte, de l’exploiter. On peut déduire de cet article que personne ne peut exploiter un chemin de fer sans y être autorisé par loi spéciale, sauf dans les circonstances particulières qu’énonce l’article;

e) l’article 170, en particulier le paragraphe (2), qui prescrit qu’une requête adressée à la Commission en vue d’obtenir l’approbation du plan indiquant le tracé général du chemin de fer qui doit être construit, doit mentionner la loi spéciale qui autorise la construction du chemin de fer;

f) l’article 279, qui prévoit que l’autorisation de la Commission doit être obtenue avant l’ouverture du chemin de fer à la circulation des trains. C’est en vertu de cet article que les compagnies de chemin de fer de compétence fédérale obtiennent l’autorisation de la Commission d’exploiter une nouvelle ligne de chemin de fer et d’exiger des taxes. Avant l’obtention de cette autorisation, la compagnie de chemin de fer ne peut exiger de taxes pour le transport tel que le définit l’article 2(32) de la Loi sur les chemins de fer;

g) l’article 280, qui prévoit que la Commission a le pouvoir d’ordonner à une compagnie de chemin de

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fer, sujette à l’autorité législative du Parlement du Canada, d’ouvrir son chemin de fer ou toute partie du chemin de fer au trafic. S’il n’y a pas, à un point donné, de chemin de fer tel que celui que définit l’article 2(21) de la Loi sur les chemins de fer, la question suivante se pose: Comment la Commission peut-elle rendre une ordonnance en vertu de l’article 280 de la Loi sur les chemins de fer?;

h) l’article 315, qui prévoit qu’une compagnie doit recevoir, transporter et livrer les marchandises et effets «selon ses pouvoirs» (voir le paragraphe (1), 1ère ligne); la Commission ne pourrait ordonner à un chemin de fer de compétence fédérale d’exécuter un devoir imposé par cet article que si la Commission était convaincue que cette compagnie refusait d’exécuter un devoir que la compagnie était autorisée à exercer par loi spéciale.

Mon collègue le Juge Martland, en traitant des allégations contenues dans le factum de la Commission, conclut que l’art. 53 de la Loi sur les chemins de fer n’autorise pas cette Cour à décider, de son propre chef, de statuer sur une question de droit à l’égard de laquelle la Commission n’a exprimé aucun avis. En toute déférence, je suis d’avis que la question no 3 énoncée dans l’appel incident et qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] (3) La Commission Canadienne des Transports a-t-elle fait une erreur de droit quand elle n’a pas conclu que Kootenay and Elk Railway Company fait partie d’une entreprise extra-provinciale?

est suffisamment large pour englober l’allégation que Burlington n’a pas le pouvoir de faire entrer ses trains au Canada au point frontalier en question, de même que la question additionnelle de savoir si Burlington a le pouvoir légal de faire circuler ses trains au Canada au nord du point frontalier.

Il semble qu’il serait futile que cette Cour décide que la Commission a fait une erreur, ou n’a pas fait une erreur, dans son interprétation de l’art. 156(1), si, de toute façon, Kootenay fait partie d’une entreprise extra-provinciale, n’a pas obtenu l’autorisation de construire ou d’exploiter un chemin de fer et est illégalement constituée en tant que compagnie intra‑provinciale, ou si Burlington n’a pas le pouvoir de faire circuler

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des trains au Canada sur la ligne de Kootenay (si elle est construite) au nord de la frontière internationale.

En toute déférence, il ne s’agit pas d’un cas où la Cour décide, de son propre chef, de statuer sur une question de droit à l’égard de - laquelle la Commission n’a exprimé aucun avis. L’appel à cette Cour est prévu par l’art. 53 de la Loi sur les chemins de fer, par. (5):

(5) Lors de l’audition d’un appel, la Cour peut déduire toutes les conclusions qui ne sont pas incompatibles avec les faits formellement établis devant la Commission, et qui sont nécessaires pour déterminer la question de compétence ou de droit, suivant le cas; puis, elle transmet son opinion certifiée à la Commission, qui doit alors rendre une ordonnance conforme à cette opinion.

et en particulier par le par. (6), qui se lit comme suit:

(6) La Commission a le droit d’être entendue par procureur ou autrement, lors de la plaidoirie sur un appel de cette nature.

Puisque la Commission peut exercer sans restriction son droit d’être entendue lors d’un appel, il me semble que la Cour ne peut refuser de tenir compte des questions sérieuses soulevées dans le factum de la Commission. Je ne crois pas que l’on puisse ne pas tenir compte de questions aussi importantes que celles-ci. L’article 53(5) précité indique que la Cour peut déduire toutes les conclusions qui ne sont pas incompatibles avec les faits formellement établis devant la Commission, et qui sont nécessaires pour déterminer la question de compétence ou de droit, suivant le cas. Si cette Cour conclut que les questions soulevées par la Commission dans son factum ne doivent pas être décidées en cet appel, elles devraient, je crois, être renvoyées à la Commission et décidées par elle avant que la Commission n’agisse en vertu de l’opinion que cette Cour pourrait exprimer sur la question de savoir si, oui ou non, l’article 156(1) de la Loi sur les chemins de fer interdit le traité pour l’échange du trafic, et je rendrais une ordonnance en conséquence.

Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens et j’accueillerais l’appel incident relati-

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vement à la question n° 3 avec dépens. L’intimée devrait avoir droit à ses dépens dans l’appel et dans l’appel incident. Aucuns dépens ne seront adjugés quant aux intervenants et quant à la Commission.

LE JUGE SPENCE (dissident en partie) — J’ai eu l’occasion de lire et d’étudier les motifs de M. le Juge Martland, ainsi que ceux de M. le Juge Hall. Je conclus que je souscris respectueusement à l’avis exprimé par M. le Juge Martland quant à l’application du par. (1) de l’art. 156 de la Loi sur les chemins de fer, maintenant le par. (1) de l’art. 94, 1970, c. R-2-2. Par conséquent, comme le Juge Martland, je répondrais par l’affirmative à la seconde des deux questions à l’égard desquelles permission d’appeler a été accordée.

Pour les motifs donnés par le Juge Martland, ma réponse à la première question à l’égard de laquelle permission d’appeler a été accordée serait non.

Je suis cependant d’avis que le Juge Hall est arrivé à une conclusion exacte quant à la troisième question posée dans l’appel incident; cette question se lit comme suit:

[TRADUCTION] (3) La commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur de droit quant elle n’a pas conclu que Kootenay and Elk Railway Company fait partie d’une entreprise extra-provinciale?

Ma réponse à cette question serait oui. Il devrait être répondu non aux question n° 1 et n° 2 posées lors de l’appel incident.

Comme je crois que les parties n’auront que partiellement gain de cause, je n’adjugerais aucuns dépens.

LE JUGE LASKIN — Ayant eu l’avantage de lire les motifs de mon collègue le Juge Martland, je désire exprimer mon avis sur deux questions seulement, une soulevée en appel et l’autre en appel incident. Je commencerai par la dernière.

Quant à l’appel incident du Pacifique-Canadien, je n’ajouterai rien aux commentaires du Juge Martland sur les deux premières questions

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et je suis d’accord avec ses réponses à leur sujet. La troisième, telle qu’elle est formulée, en cache une autre qui, pour décider la question dans son ensemble, est apparue au cours des plaidoiries comme primordiale: la création de Kootenay and Elk Railway Company a-t-elle été constitutionnelle si la compagnie devait effectivement faire «partie d’une entreprise de chemin de fer extra-provinciale», pour employer les derniers mots de la question n° 3?

L’essence des allégations du Pacifique-Canadien sur cet aspect de la question est que si, à la date de la constitution en corporation, le seul but était de lancer la compagnie de chemin de fer dans des activités extra-provinciales, au sens de la première exception prévue à l’art. 92(10) a) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, la province n’avait pas le pouvoir constitutionnel d’effectuer la constitution en corporation. Le Pacifique-Canadien a reconnu, du moins aux fins de la discussion en l’espèce, qu’une compagnie de chemin de fer constituée par une province pouvait être légalement créée et se livrer au commerce du transport extra‑provincial sans que sa charte soit frappée de déchéance. Cependant, il a prétendu que la situation était différente en l’espèce; que, à vrai dire, le commerce du transport extra‑provincial avait été prévu dès la création de la compagnie à charte provinciale. De là vient que des questions de fait autant que des questions de droit doivent être considérées.

Kootenay and Elk Railway Company (ci-après appelée K. & E.) a été constituée en vertu du Railway Act, R.S.B.C. 1960, c. 329, qui, à l’art. 8(1), prévoit la formation d’une compagnie [TRADUCTION] «dans le but de fonder une entreprise et de construire ou d’acquérir une ligne de chemin de fer entre tous points nommément désignés situés entièrement dans la province». L’acte de société de K. & E., certifié, ce qui a entraîné l’octroi de la personnalité juridique, le 4 mai 1966, avait pour objet [TRADUCTION] «de fonder une entreprise de chemin de fer et de construire ou d’acquérir une ligne de chemin de fer de Natal à un point situé à trois milles à l’ouest de Roosville, immédiatement au nord de la frontière Canada‑États-Unis, dans la province

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de la Colombie-Britannique». Les certificats requis ont été délivrés relativement aux pouvoirs d’emprunt de la compagnie, à son capital-actions, au nombre de ses administrateurs et au tracé de son chemin de fer projeté. L’approbation du tracé a été certifiée la première fois le 15 juin 1967. Un certificat daté du 6 novembre 1969 a approuvé une modification au plan du chemin de fer, laquelle prévoyait un prolongement de seize milles vers le nord de Sparwood à Line Creek. Le 30 janvier 1970, on a autorisé la construction d’un passage supérieur à un croisement avec la voie ferrée du Pacifique-Canadien près de Hosmer dans la province. Le même jour, on a certifié l’approbation d’un raccordement avec Great Northern Railway (compagnie remplacée par Burlington Northern, Inc.) à West Roosville dans la province, c’est-à-dire à la frontière internationale. Toutes ces approbations émanaient de l’autorité provinciale.

K. & E. a pour la première fois invoqué la compétence de la Commission canadienne des transports dans une requête datée du 18 novembre 1969 et présentée par elle seule, en vue d’obtenir l’autorisation de croiser la voie ferrée du Pacifique-Canadien à Hosmer au moyen d’un passage supérieur. Deux autres requêtes ont suivi le 21 novembre 1969, une par K. & E. en vue d’obtenir les droits de circulation sur la ligne de la Passe du Nid-de-Corbeau du Pacifique-Canadien et l’autre, une requête conjointe, par K. & E. et Great Northern, en vue d’obtenir le raccordement à la frontière internationale. Relativement à cette dernière requête, Great Northern a aussi présenté une requête en vue d’obtenir l’autorisation de faire circuler ses trains sur la ligne de chemin de fer projetée de K. & E. Lorsque la requête a été entendue, Great Northern avait fusionné avec d’autres compagnies de chemin de fer aux États-Unis pour former Burlington Northern, Inc. (ci-après appelée B.N.).

K. & E. se proposait de construire une ligne de chemin de fer de 79 milles environ devant se terminer à un quart de pouce de la frontière Canada-États-Unis. On prévoyait des droits de circulation sur la ligne de la Passe du Nid-de-

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Corbeau du Pacifique-Canadien sur une distance de 39 milles, de Elko à Natal, en Colombie‑Britannique. En vertu de son arrangement avec K. & E., B.N. devait construire une ligne de chemin de fer de neuf milles de Eureka, dans l’État du Montana (où passait sa ligne principale), jusqu’à un quart de pouce de la frontière, à l’endroit où se terminerait la ligne projetée de K. & E. K. & E. n’aurait aucun matériel roulant; B.N. devait fournir les trains que son personnel amènerait au Canada et ferait prendre en charge par le personnel de la K. & E. à un endroit qu’on dit situé à quelque 700 pieds au nord de la frontière mais qui doit être situé au-delà de ce point si, comme il a été allégué, le personnel de K. & E. ne doit pas entrer aux États-Unis. Ce dernier devait faire revenir les trains de B.N. des mines de charbon et les remettre à la charge du personnel de B.N. au nord de la frontière.

À mon avis, le fait que les deux lignes de chemin de fer ne se raccorderaient pas, ne revêt aucune importance, du point de vue constitutionnel, tant à l’égard de la position du Pacifique‑Canadien qu’à l’égard de celle de K. & E. et du procureur général de la Colombie‑Britannique relativement au statut de corporation de K. & E. À l’audition devant cette Cour, il a été allégué, mais non contesté, qu’un espacement d’un demi-pouce dans les rails à la frontière n’aurait aucun effet sur la circulation des trains sur les voies ferrées respectives. Je souscris à l’allégation du Pacifique-Canadien que la séparation d’un demi‑pouce entre les rails de K. & E. et de B.N. ne milite pas contre l’existence d’une entreprise extra-provinciale si elle devait autrement être une entreprise de cette nature. Je souscris également aux allégations de K. & E. et du procureur général de la Colombie‑Britannique que le statut de corporation ou l’existence de K. & E. n’est pas touché par l’arrangement entre K. & E. et B.N. visant les voies ferrées et la circulation des trains. Cette conclusion décide la troisième question de l’appel incident d’une façon qui est contraire à la prétention que le Pacifique-Canadien avait formulée à ce sujet; c’est pourquoi je désire exposer complètement ce qui motive ma conclusion.

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Le projet de chemin de fer de K. & E. a été inspiré par le développement, au Japon, d’un marché pour le charbon extrait dans la région de Sparwood, en Colombie-Britannique, et par la création d’un port pour marchandises en vrac à Roberts Bank sur le littoral, d’où le charbon serait transporté au Japon. Peu importe le plan de transport envisagé, le fait essentiel est que le projet avait pour but d’acheminer au Japon le charbon de la région minière de Kootenay. Que le charbon soit acheminé au port sur la ligne du Nid-de-Corbeau du Pacifique-Canadien en Colombie-Britannique ou sur les trains circulant sur la ligne projetée de K. & E. et sur celle de B.N. à la frontière et, ensuite, sur la ligne principale de B.N. vers l’ouest à Roberts Bank, les opérations de transport relèveraient, dans l’un ou l’autre cas, exclusivement de la compétence législative fédérale. D’une part, il s’agirait d’opérations impliquant les services de transport d’une entreprise de chemin de fer interprovinciale reconnue comme telle et, d’autre part, il s’agirait d’opérations s’étendant à l’extérieur des limites de la province. Au soutien des propositions énoncées ci-dessus, il suffit de se reporter au jugement de cette Cour dans La Reine du chef de la province de l’Ontario c. La Commission des transports[12], et à l’arrêt Toronto v. Bell Telephone Co.[13]

La présente affaire ne demande pas que l’on décide la question de savoir si K. & E. exercerait une entreprise extra-provinciale si elle construisait une ligne de chemin de fer entièrement située en Colombie-Britannique jusqu’à Roberts Bank, d’où le charbon serait expédié par mer au Japon.

Considérant les faits tels qu’ils se présentent, la question d’ordre constitutionnel quant à la validité de la constitution en corporation de K. & E. porte essentiellement, à mon avis, sur l’effet de l’art. 92(11) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, en vertu duquel la province peut légiférer sur «l’incorporation des compagnies pour des objets provinciaux». Nous ne posons pas la question de la validité d’une loi

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fédérale prescrivant la création, par charte fédérale, de toute compagnie qui se propose d’exercer une entreprise de chemin de fer extra-provinciale. Il n’existe aucune loi fédérale semblable et, par conséquent, il faut tout au plus mettre en parallèle l’étendue des pouvoirs provinciaux en vertu de l’art. 92(11) et celle des pouvoirs non exercés de l’autorité fédérale en vertu de l’exception contenue à l’art. 92(10)a) de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.

L’arrêt C.P.R. c. Notre-Dame de Bonsecours[14], ne touche pas à la question en litige en l’espèce. Il contient un passage, à la p. 372, qui pourrait être considéré comme confirmant le pouvoir qu’a l’autorité fédérale de réglementer la création de compagnies ayant pour but d’exploiter des réseaux de chemin de fer extra-provinciaux, mais ce passage ne va pas jusqu’à affirmer qu’en l’absence d’une loi fédérale à cet effet, le pouvoir des provinces de constituer en corporation est aboli si une compagnie se propose de conclure des ententes qui l’engageront dans des opérations de transport extra-provinciales.

Les décisions en matière constitutionnelle relatives aux pouvoirs de constituer en corporation en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique font une distinction entre la compétence de constituer en corporation et de réglementer une compagnie en tant que compagnie et la compétence de réglementer les activités commerciales que peut exercer une compagnie. Cette distinction a été faite en particulier dans le cas de compagnies qui ont été constituées par l’autorité fédérale et qui exercent des activités qui sont sujettes au pouvoir de réglementation des provinces. Le pouvoir de constituer en corporation qu’a l’autorité fédérale, lequel est un exemple du caractère résiduaire de l’art. 91 del l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, existe comme complément nécessaire au pouvoir conféré aux provinces par l’art. 92(11). Le fait que les pouvoirs fédéral et provincial de constituer en corporation résident dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique indépendamment de pouvoirs précis quant aux diverses activités que

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l’on peut prévoir que les compagnies exerceront, est une considération importante dans ma conclusion que le simple pouvoir non exercé de l’autorité fédérale relativement aux entreprises de transport extra-provinciales n’est pas nécessairement un obstacle à la constitution en corporation par la province d’une compagnie de chemin de fer et n’est pas non plus un obstacle en l’espèce.

L’acte de société en vertu duquel K. & E. a été constituée reflète deux restrictions aux pouvoirs des provinces de constituer en corporation en vertu de l’art. 92(11); K. & E. a été dotée de pouvoirs qu’elle ne pouvait exercer que dans la province (la restriction quant au territoire) et qui se rapportaient à des matières relevant de la compétence législative de la province (la restriction quant aux objets). Cela est, au moins, conforme à la portée de l’art. 92(11) et point n’est besoin de considérer s’il va encore plus loin.

De plus, la constitution de la compagnie ne comportait aucune restriction au pouvoir de K. & E. de conclure des ententes en vue d’initiatives comportant action conjointe ou coopération avec d’autres compagnies de transport, que celles-ci relèvent du Parlement fédéral ou d’un pays étranger. En fait, l’approbation donnée par le gouvernement de la province au raccordement projeté avec B.N. à la frontière comme le prescrit l’art. 152 du Railway Act, R.S.B.C. 1960, c. 329, établit ce fait hors de tout doute. Le Conseil Privé a traité de cette question même dans l’arrêt Bonanza Creek Gold Mining Co. Ltd. v. The King[15], en rejetant la prétention selon laquelle l’art. 92(11) n’autoriserait pas la création valide d’une compagnie par acte de société dotée du pouvoir de se livrer à des opérations extra-provinciales. Le vicomte Haldane a appuyé le rejet de cette prétention en ces termes (pp. 584 et 585):

[TRADUCTION] Les mots «lois relatives à l’incorporation des compagnies pour des objets provinciaux» n’empêchent pas la province de maintenir le pouvoir de l’Exécutif de constituer par charte de façon à conférer des pouvoirs généraux analogues à ceux d’une personne physique. Ils ne semblent pas davan-

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tage empêcher la province de légiférer dans le but de créer, par une loi ou en vertu d’une loi, une corporation dotée de ces pouvoirs généraux. L’effet véritable de la lettre de cet article est d’empêcher l’octroi à une telle corporation, soit par une mesure législative ou par un acte de l’Exécutif selon la répartition de l’autorité législative, de pouvoirs et droits relatifs à des objets qui ne relèvent pas de la province, tout en ne touchant pas à la capacité de cette corporation, si elle a été validement constituée par ailleurs, d’accepter ces pouvoirs et droits s’ils lui sont accordés ab extra. De l’avis de Leurs Seigneuries c’est dans ce sens plus étroit seulement qu’il faut interpréter la restriction concernant les objets provinciaux.

Par conséquent, j’en conclus que K. & E. a été [TRADUCTION] «validement constituée», même si ses arrangements avec B.N. l’entraînent dans une entreprise extra-provinciale et l’assujettissent à cet égard à la compétence de la Commission canadienne des transports.

En ce qui a trait à l’appel principal, je souscris à l’avis du Juge Martland sur la question n° 1. C’est la question n° 2, ayant trait à l’art. 156(1) de la Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234, tel que remplacé par le c. 69, 1966-67 (Can.), art. 39, qui me porte à faire les commentaires suivants.

L’article 156(1) se lit comme suit:

Les administrateurs de la compagnie peuvent à toute époque faire et conclure des traités ou arrangements, non incompatibles avec les dispositions de la présente loi ou de la loi spéciale, avec toute autre compagnie de transport qui fonctionne à titre de transporteur en commun au Canada ou ailleurs, pour l’échange de trafic et pour le partage et la répartition de taxes se rapportant à ce trafic.

Le Juge Martland en fait l’historique complet dans ses motifs et je remarque en particulier que le texte antérieur a été aussi bien élargi que restreint dans sa nouvelle version précitée. Il a été élargi en autorisant des traités spécifiés avec toute autre compagnie de transport, ce qui comprenait des entreprises de transport autres que les chemins de fer. Il a été restreint en limitant cette autorisation aux traités conclus avec des compagnies de transport qui fonctionnent à titre de transporteurs en commun. K. & E., comme

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l’a conclu la Commission, n’est pas un transporteur en commun; il a été reconnu que B.N. en est un.

Le problème soulevé par l’art. 156(1) est un problème qui me paraît se trouver dans d’autres articles de la Loi sur les chemins de fer. La question est de savoir si l’art. 156(1) est une disposition de «compagnie» ou une disposition de «réglementation»; en d’autres termes, il s’agit de savoir si l’art. 156(1) a trait aux pouvoirs d’une compagnie de chemin de fer, à ce que peut faire une telle compagnie en tant que corporation, ou s’il a pour but de réglementer les activités d’une compagnie de chemin de fer comme le fait, par exemple, l’art. 255 en ce qui concerne les croisements et les raccordements. Évidemment, dans un sens large, l’art. 156(1), envisagé du point de vue de son application, peut aussi bien être considéré comme une disposition de réglementation que comme une disposition qui accorde des pouvoirs à une compagnie; mais, à mon avis, cette remarque ne détruit pas la distinction que je veux faire.

Cette distinction renferme trois points importants. En les exprimant, je suis d’avis de considérer la mention des «administrateurs de la compagnie» à l’art. 156(1) comme une mention de la compagnie elle-même. Premièrement, si l’art. 156(1) vise les pouvoirs que peut exercer une compagnie de chemin de fer, on peut l’interpréter à bon droit comme étant attributif de pouvoirs dans la mesure où la compagnie ne jouit pas déjà du pouvoir accordé; pourvu aussi qu’il n’y ait pas incompatibilité avec la Loi sur les chemins de fer, ou avec la loi ou l’acte en vertu desquels la compagnie est constituée en corporation. Deuxièmement, en tant que simple disposition attributive ou habilitante qui vise les pouvoirs de corporation, il n’y aurait aucune nécessité de tenter d’obtenir l’autorisation de la Commission canadienne des transports aux fins de conclure un traité du genre prévu à l’art. 156(1). L’application du traité est évidemment autre chose: interviennent alors les pouvoirs que possède la Commission en matière de réglementation.

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Troisièmement, la Loi sur les chemins de fer, dans ses dispositions relatives aux définitions, à l’interprétation de la Loi et à son application, fait la distinction entre les pouvoirs de corporation et le droit de réglementer. Ainsi, l’expression «Loi spéciale» est définie à Fart. 2(28) comme signifiant, lorsque cette expression est employée relativement à un chemin de fer, «toute loi en vertu de laquelle la compagnie est autorisée à construire ou à exploiter un chemin de fer» (et le terme «compagnie» est défini à l’art. 2(4) comme signifiant, lorsqu’un autre sens n’est pas indiqué explicitement ou implicitement, «compagnie de chemin de fer»). En vertu de l’art. 3 a), «sauf dispositions contraires de la présente loi, cette dernière doit s’interpréter comme étant incorporée à la loi spéciale». L’article 5 se lit comme suit:

Sous réserve des dispositions ci-incluses, la présente loi s’applique à toutes les personnes, les compagnies de chemin de fer et à tous les chemins de fer, qui relèvent de l’autorité législative du Parlement du Canada, constitués en corporations ou autorisés, soit dans le passé, soit à l’avenir, et de quelque manière que ce soit, sauf les chemins de fer de l’État…

En comparant les art. 164(1) e) et 255 de la Loi sur les chemins de fer, nous trouvons une autre indication de la distinction que je veux faire. L’article 164 est intitulé «Pouvoirs généraux», et le paragraphe (1) e) prévoit que «sous réserve des dispositions de la présente loi et de la loi spéciale, la compagnie, pour les fins de son entreprise, peut… croiser un chemin de fer, ou raccorder son propre chemin de fer à un autre chemin de fer, sur quelque point de son tracé…». L’article 255 interdit tout croisement ou raccordement sans l’autorisation de la Commission.

Selon l’avis que j’ai exprimé, K. & E. relève de l’autorité législative du Parlement du Canada quant aux matières en litige dans cet appel. B.N. serait également soumise à cette autorité quant à toute activité au Canada. Ainsi, la Loi sur les chemins de fer, leur serait applicable, les assujettissant à l’autorité de la Commission canadienne des transports. Je ne vois rien dans la Loi sur les chemins defer, qui exige que K. & E. ou B.N. soient constituées de nouveau ou autre-

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ment déclarées compagnies de chemin de fer en vertu d’une loi fédérale comme condition de leur assujettissement aux pouvoirs de réglementation et de surveillance de la Commission canadienne des transports. Donc, si l’art. 156(1) vise simplement les pouvoirs d’une compagnie de chemin de fer en tant que compagnie, la question pertinente est simplement de savoir si K. & E. ou B.N., ou les deux, doivent s’y appuyer afin de conclure l’arrangement projeté, ou si leur acte constitutif leur confère les pouvoirs requis à cette fin, et, dans ce dernier cas, s’il existe une loi fédérale interne qui restreint les pouvoirs qu’une compagnie non canadienne ou sans charte fédérale peut exercer en tentant de poursuivre des activités qui relèvent du pouvoir de réglementation fédéral.

Je me rallie à l’opinion suivante qui est exprimée dans l’ouvrage Modem Company Law de Gower (3e éd., 1969), aux pp. 670-671, et qui est applicable en l’espèce (en interprétant les mentions de la loi anglaise comme étant relative à la loi canadienne):

[TRADUCTION] …la question de savoir si une compagnie existe ou non en tant que corps constitué dépend, suivant le droit anglais, de la loi du lieu où elle aurait été constituée en corporation… Nous avons même appliqué une loi étrangère qui substituait une nouvelle compagnie à titre de successeur universel d’une autre.

Il est aussi généralement reconnu que le droit anglais traitera la question de savoir si les opérations d’une compagnie sont au delà de ses pouvoirs comme étant une question régie par la loi du lieu de la constitution en corporation. Cela est sans doute vrai en général. Mais, au sens strict, il semble que sa capacité soit limitée à la fois par sa charte, interprétée à la lumière de la loi du pays de la constitution en corporation, et par la loi qui régit l’opération en question.

Ce dernier énoncé est pertinent en l’espèce en ce qui a trait aux dispositions de réglementation de la Loi sur les chemins de fer.

Dans ses motifs, mon collègue Martland s’est reporté aux pouvoirs conférés à B.N. par la loi du lieu de sa constitution en corporation, et l’étendue de ces pouvoirs justifie l’arrangement projeté avec K. & E. Quant à K. & E., j’ai déjà

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mentionné le fait qu’elle avait obtenu l’approbation expresse de la province pour se raccorder à la ligne de B.N. à la frontière, et que ses pouvoirs ne l’empêchaient pas de conclure des ententes en vue d’initiatives comportant action conjointe ou coopération avec d’autres compagnies de transport. Elles avaient donc toutes deux le pouvoir de contracter entre elles, et il ne reste plus que la question de leur assujettissement à la Loi sur les chemins de fer et aux restrictions qui, dans cette dernière Loi, touchent leur arrangement.

Je reviens maintenant à la nature de l’art. 156(1). Les appelantes ont allégué que, même s’il fallait interpréter l’art. 156(1) comme étant implicitement prohibitif dans le cas d’un transporteur privé, il ne s’appliquait pas en l’espèce parce que le traité visant l’échange du trafic entre B.N. et K. & E. ne prévoyait pas un partage des taxes exigées par B.N. On a allégué que la mention de l’échange du trafic et du partage et de la répartition de taxes devait être interprétée d’une façon conjonctive. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de décider cette question en l’espèce; mais, s’il est vrai que l’interprétation conjonctive s’impose, je crois que l’arrangement projeté en l’espèce respecte les dispositions conjonctives. L’arrangement entre les parties stipulait un taux limite de $3.81 la tonne: B.N. a convenu d’accepter $3.31, ce qui laissait 50 cents la tonne à K. & E. L’appellation donnée à ce «fractionnement» (split) n’est pas aussi importante que ce qu’il représente en réalité. La Commission canadienne des transports l’a considéré comme un partage et une répartition de taxes et je suis du même avis.

Cependant, cela n’est pas déterminant à rencontre des appelantes. Ma conclusion est que l’art. 156(1) est une disposition légale habilitante relative aux compagnies qui ajoute, le cas échéant, mais n’enlève rien, aux pouvoirs de corporation que possèdent les compagnies de chemin de fer assujetties, de par leurs opérations réelles ou projetées, au pouvoir de réglementation fédéral et, par le fait même, à la Loi sur les chemins de fer. Je m’explique.

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L’article 156(1) se trouve au milieu d’une série d’articles, commençant par l’art. 73 qui traite de la constitution en corporation, structure interne et gestion des compagnies de chemin de fer et des pouvoirs qui leur sont conférés. La plupart de ces articles, et certainement la plupart de ceux compris entre les art. 73 et 147 inclusivement, sont des dispositions qui portent sur la constitution en corporation par l’autorité fédérale et elles ne peuvent être comprises que dans ce contexte. Par exemple, l’art. 78, qui traite de la première assemblée des actionnaires; l’art. 79, concernant une augmentation du capital social; l’art. 96, qui traite de la souscription d’actions du capital social d’une compagnie de chemin de fer par les municipalités; l’art. 100, concernant l’avis d’appels de versement; l’art. 107, concernant l’avis d’assemblées générales des actionnaires; l’art. 115, concernant l’éligibilité des administrateurs; et les art. 139 et 140, concernant le dépôt d’actes hypothèque.

Rien n’indique expressément que les dispositions des art. 73 à 147, et de quelques-uns parmi ceux qui viennent après, soient impératives pour les compagnies à charte étrangère ou provinciale dont les activités peuvent les assujettir au pouvoir de réglementation de l’autorité fédérale. En effet, le Parlement a indiqué (comme dans l’art. 136 concernant l’émission et la disposition de valeurs par une compagnie de chemin de fer à charte provinciale) que quand les dispositions de la Loi sur les chemins de fer ont pour but de s’appliquer aux compagnies de chemin de fer autres que celles constituées par l’autorité fédérale, la Loi le précise expressément. J’ai déjà mentionné les art. 164(1) e) et 255 pour montrer aussi que la Loi sur les chemins de fer fait la distinction entre les pouvoirs de compagnie et le pouvoir de réglementation. D’autres dispositions qui font ressortir cette distinction sont les art. 164(1) k) et 266; l’art. 164(1) m) et les art. 271 et 272.

Je ne dis pas que la distinction entre les pouvoirs de corporation et les pouvoirs de réglementation dans la Loi sur les chemins de fer est toujours claire. La distinction existe, bien qu’il y

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ait aussi interaction entre les deux. Considérons, par exemple, l’historique des art. 164(1) e) et 255, qui concerne aussi l’art. 156(1). L’article 164(1) e) tire son origine des Statuts de 1851 (Can.), c. 51, lequel chapitre énumère, à l’art. 9, certains pouvoirs des compagnies de chemin de fer en plus des pouvoirs globalement conférés à l’art. 8; ce dernier article forme maintenant l’art. 73 de la Loi sur les chemins de fer.

L’article 9 énumère quinze pouvoirs et le quinzième confère le droit de «croiser ou traverser tout autre chemin de fer, et joindre et unir le chemin de fer à tout autre chemin de fer à tout point de son tracé…». En 1858, en vertu d’une loi modificative, il a été prévu à l’art. 2, c. 4, des Statuts de 1858 (Can.), qu’aucune compagnie de chemin de fer ne se prévaudra du quinzième pouvoir contenu dans l’art. 9 de la Loi de 1851 sans adresser une demande à cet effet au bureau des commissaires des chemins de fer, constitué en vertu d’une autre loi, pour l’approbation du mode de croisement, de jonction ou d’intersection projeté. L’origine de l’art. 156(1) se trouve dans les mots suivants du même art. 2 de la Loi de 1858: «Il sera loisible aux directeurs de toute compagnie de chemin de fer d’entrer… en arrangement avec toute autre compagnie… pour le règlement et l’échange de trafic… et pour la distribution et les répartitions des péages, taux et charges, se rattachant à ce trafic…».

Le pouvoir conféré aux compagnies de chemin de fer de «croiser ou traverser tout autre chemin de fer et joindre» le chemin de fer à tout autre chemin de fer avec l’approbation de la commission gouvernementale a été repris dans l’Acte des chemins de fer, S.R.C. 1886, c. 109, où ces matières sont comprises dans l’art. 6(13) et (14) sous l’intitulé général «Pouvoirs». Dans l’Acte des chemins de fer de 1888, adopté par 1888 (Can.), c. 29, le pouvoir de la compagnie de croiser, traverser et joindre est devenu l’art. 90 f) et la disposition de réglementation visant l’approbation a été retranchée pour former l’art. 173. Ce retranchement a subsisté jusqu’à aujourd’hui, ce qui dénote la distinction sur laquelle j’ai insisté.

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Je ne mets pas en doute le pouvoir du Parlement d’exiger soit une constitution en corporation par l’autorité fédérale, soit l’assujettissement aux prescriptions fédérales relatives à l’organisation, à la structure et aux pouvoirs des compagnies, dans le cas de compagnies qui se livrent ou qui ont l’intention de se livrer à des opérations ferroviaires qui relèvent du pouvoir législatif fédéral. Cet aspect n’a manifestement pas été considéré dans la Loi sur les chemins de fer; et, exception faite des situations où la Commission ou le gouverneur en conseil sont appelés à jouer un rôle dans la Loi sur les chemins de fer (par exemple, aux art. 153 et 156(2) et (3)), je ne considère pas les dispositions facultatives relatives à la constitution en corporation, à la structure et aux pouvoirs des compagnies de chemin de fer comme excluant les pouvoirs dont jouissent les compagnies qui ne sont pas à charte fédérale. Les restrictions applicables aux pouvoirs que peuvent exercer les compagnies de chemin de fer étrangères ou à charte provinciale en vertu de leurs lois ou chartes constitutives doivent être clairement indiquées dans la Loi sur les chemins de fer pour qu’il y ait lieu de les appliquer. Cette situation diffère complètement du droit de réglementation qui peut être exercé en vertu de la Loi sur les chemins de fer relativement aux compagnies qui détiennent des pouvoirs qu’elles tentent d’exercer.

On ne met pas en doute en l’espèce le droit de réglementer qu’a la Commission quant à l’exécution des arrangements intervenus entre K. & E. et B.N.; et, dès qu’on a conclu que les pouvoirs des compagnies respectives permettent de tels arrangements, ce droit-là peut être librement exercé. C’est le cas en l’espèce.

En définitive, je suis d’avis de répondre aux questions soulevées en appel et en appel incident de la même façon que mon collègue Martland; je souscris à la façon dont il réglerait l’appel et l’appel incident, de même qu’aux conclusions auxquelles il est arrivé quant aux questions soulevées par l’avocat de la Commission, qui est intervenue en vertu de l’art. 53(6) de la Loi sur les chemins de fer.

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Appel accueilli en partie, le JUGE EN CHEF FAUTEUX et les JUGES JUDSON, HALL et PIGEON étant dissidents, et appel incident rejeté, les JUGES HALL et SPENCE étant dissidents en partie, avec dépens.

Procureur des appelantes: W.G. Burke-Robertson, Ottawa.

Procureur de l’intimée: G.P. Miller, Montréal.

Procureur du Procureur général de la Colombie-Britannique: Alistair Macdonald, Ottawa.

Procureur du Ministre de la Voirie et du Transport de l’Alberta: J.J. Frawley, Ottawa.

Procureur des Chemins de Fer Nationaux du Canada: H.J.G. Pye, Montréal.

[1] (1857), 6 H.L.C. 114.

[2] (1864), 24 U.C.Q.B. 107.

[3] (1875), L.R. 7 H.L. 653.

[4] (1910), 43 R.C.S. 197, à p. 227.

[5] [1927] A.C. 925.

[6] [1932] R.C.S. 161.

[7] [1927] A.C. 925.

[8] [1954] A.C. 541.

[9] [1939] A.C. 468.

[10] [1899] A.C. 367.

[11] [1929] R.C.S. 200.

[12] [1968] R.C.S. 118.

[13] [1905] A.C. 52.

[14] [1899] A.C. 367.

[15] [1916] 1 A.C. 566.


Synthèse
Référence neutre : [1974] R.C.S. 955 ?
Date de la décision : 01/05/1972
Sens de l'arrêt : (le juge en chef fauteux et les juges judson, hall et pigeon étant dissidents)

Analyses

Chemins de fer - Ligne d’une compagnie de chemin de fer à charte provinciale et ligne d’une compagnie américaine devant s’arrêter toutes deux à de pouce de la frontière - Arrangement pour l’échange du trafic - Requêtes faites à la Commission canadienne des transports rejetées - Appel - Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234, art. 156(1), 315 et 319 - Acte de la Passe du Nid-de-Corbeau, 1897 (Can.), c. 5, art. 1(f).

Appel - La Commission canadienne des transports ne s’est pas prononcée sur une question de droit - La Cour suprême du Canada a-t-elle juridiction en l’espèce - Loi sur les chemins de fer, S.R.C. 1952, c. 234, art. 53.

L’appelante, Burlington Northern, Inc., une compagnie constituée en vertu des lois de l’État du Delaware, se proposait de construire une ligne de chemin de fer, au Montana, au nord de sa ligne principale, aux États-Unis, sur une distance d’un peu plus de neuf milles jusqu’à la frontière États-Unis — Canada près de Roosville West, en Colombie-Britannique. L’appelante Kootenay and Elk Railway Co., se proposait de construire une ligne de chemin de fer en Colombie-Britannique, en direction générale sud à partir de Line Creek, dans le district minier de Kootenay, jusqu’à la frontière à un point de raccordement avec la ligne projetée de Burlington. L’appelante Kootenay, qui avait été constituée en vertu des dispositions du Railway Act de la Colombie-Britannique et

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devait servir à l’exploitation des mines de la Crow’s Nest Pass Coal Co. Ltd. et de la Kaiser Resources Ltd. et non comme transporteur en commun, était une filiale en propriété exclusive de Crow’s Nest.

On avait proposé que la ligne construite par Kootenay croise les lignes de la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique à Hosmer, ou que Kootenay obtienne les droits de circulation sur la ligne du P.-C. entre Elko et Natal. Les plans de construction prévoyaient que les lignes de Burlington et de Kootenay s’arrêteraient à ¼ de pouce de la frontière. On proposait que les trains de Burlington soient amenés par son personnel à un point situé au nord de la frontière, où ils seraient pris en charge par le personnel de Kootenay qui les ferait circuler sur la ligne de cette dernière jusqu’aux points de chargement du charbon. Le personnel de Kootenay retournerait avec les trains chargés de charbon au point où le personnel de Burlington prendrait la relève. Aucun employé de Kootenay ne ferait circuler les trains aux États-Unis ou ne franchirait la frontière.

La construction de ces deux lignes de chemin de fer avait pour but de permettre l’acheminement du charbon des mines de la Crow’s Nest et de la Kaiser vers l’ouest via la ligne principale de Burlington, jusqu’à la côte du Pacifique et, ensuite jusqu’à Roberts Bank, en Colombie-Britannique, pour l’expédier au Japon.

Des requêtes ont été faites par les appelantes à la Commission canadienne des transports en vue d’obtenir: (1) a) une ordonnance qui accorderait l’autorisation de raccorder les lignes projetées et b) une ordonnance qui accorderait à Burlington l’autorisation de faire circuler ses trains sur la ligne de Kootenay aux fins de permettre le libre échange des trains; (2) une ordonnance qui accorderait l’autorisation de croiser, au moyen d’un passage supérieur, la ligne du P.-C. entre Michel et Elko, à un point situé au nord de Hosmer; et (3) des droits de circulation sur la ligne du P.-C. entre Natal et Elko. La requête n° 2 était une solution de rechange à la requête n° 3 et les appelantes ont déclaré qu’elles retireraient la requête n° 2 si la requête n° 3 était accordée.

Les trois requêtes ont été rejetées et les appelantes ont obtenu l’autorisation d’en appeler à cette Cour. L’autorisation d’interjeter un appel incident a aussi été accordée à l’intimée, la Compagnie du chemin de fer Canadien du Pacifique.

Arrêt: (Le Juge en chef Fauteux et les Juges Judson, Hall et Pigeon étant dissidents): L’appel doit

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être accueilli en partie. (Les Juges Hall et Spence étant dissidents en partie): L’appel incident doit être rejeté.

L’opinion de la Cour sur les questions soulevées en appel sur autorisation a été la suivante:

Q. (1). La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur en ne statuant pas que le traité ou arrangement entre Burlington et Kootenay pour l’échange du trafic est autorisé ou permis, notamment par les art. 315 et 319 de la Loi sur les chemins de fer (c. 234, S.R.C. 1952)?

R. Non.

Q. (2). La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur en statuant que le traité ou arrangement entre Burlington et Kootenay pour l’échange du trafic est prohibé par le par. (1) de l’art. 156 de la Loi sur les chemins de fer, précitée?

R. Oui. Le Juge en chef Fauteux et les Juges Judson, Hall et Pigeon étant dissidents.

L’opinion de la Cour sur les questions soulevées sur autorisation dans l’appel incident a été la suivante:

Q. (1) La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur de droit quand elle a conclu que l’al, (f) de l’art. l de l’Acte de la Passe du Nid-de-Corbeau, 1897 (Can.), c. 5, donne à la Commission canadienne des transports les pouvoirs nécessaires pour accorder à une compagnie de chemin de fer à charte provinciale des droits de circulation sur la ligne du Nid-de-Corbeau du Chemin de fer Canadien du Pacifique?

R. Non.

Q. (2). La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur de droit quand elle a conclu que, lorsqu’elle examine des requêtes faites en vertu de l’art. 255 de la Loi sur les chemins de fer, précitée, en vue du raccordement ou du croisement de voies ferrées et statue à leur sujet, elle ne doit s’occuper que de questions de sécurité et il ne lui appartient pas de tenir compte d’autres aspects d’intérêt public?

R. Non.

Q. (3). La Commission canadienne des transports a-t-elle fait une erreur de droit quand elle n’a pas conclu que Kootenay fait partie d’une entreprise extraprovinciale?

R. Non. Les Juges Hall et Spence étant dissidents.

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Quant aux questions soulevées dans le factum produit par la Commission, le Juge Hall les lui renverrait pour qu’elle en décide avant d’agir sur la réponse donnée par les présentes à l’égard du par. (1) de l’art. 156 de la Loi sur les chemins de fer, précitée.


Parties
Demandeurs : Kootenay & Elk Railway Co.
Défendeurs : Canadian Pacific Railway Co.
Proposition de citation de la décision: Kootenay & Elk Railway Co. c. Canadian Pacific Railway Co., [1974] R.C.S. 955 (1 mai 1972)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1972-05-01;.1974..r.c.s..955 ?
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