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28/04/1970 | CANADA | N°[1970]_R.C.S._894

Canada | Wheatley c. Provincial Bank of Canada, [1970] R.C.S. 894 (28 avril 1970)


Cour Suprême du Canada

Wheatley c. Provincial Bank of Canada, [1970] R.C.S. 894

Date: 1970-04-28

Woodrow Wheatley (Demandeur) Appelant;

et

La Banque Provinciale du Canada (Défenderesse) Intimée.

1969: les 9 et 12 mai; 1970: le 28 avril.

Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Abbott, Judson, Ritchie et Spence.

EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD, EN BANC

APPEL d’un jugement de la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard, en banc, accueillant un appel d’un jugement du Juge Bell. Appel re

jeté, le Juge en Chef Cartwright et le Juge Spence étant dissidents.

[Page 896]

Gordon P. Killeen, pour le demandeur,...

Cour Suprême du Canada

Wheatley c. Provincial Bank of Canada, [1970] R.C.S. 894

Date: 1970-04-28

Woodrow Wheatley (Demandeur) Appelant;

et

La Banque Provinciale du Canada (Défenderesse) Intimée.

1969: les 9 et 12 mai; 1970: le 28 avril.

Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Abbott, Judson, Ritchie et Spence.

EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD, EN BANC

APPEL d’un jugement de la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard, en banc, accueillant un appel d’un jugement du Juge Bell. Appel rejeté, le Juge en Chef Cartwright et le Juge Spence étant dissidents.

[Page 896]

Gordon P. Killeen, pour le demandeur, appelant.

Charles R. McQuaid, pour la défenderesse, intimée.

Le jugement du Juge en Chef Cartwright et du Juge Spence a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident) — Il s’agit d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard, en banc, rendu le 24 janvier 1968, qui faisait droit à l’appel d’un jugement rendu le 21 décembre 1966, par le Juge Bell, de la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard. Dans son jugement en première instance, le Juge Bell avait accordé au présent appelant, à titre de dommages, la somme de $20,378, et en avait ordonné la réduction à $18,978 si une certaine police d’assurance sur la vie de l’appelant était rétrocédée. La Cour siégeant en appel, par un jugement majoritaire, a réduit les dommages accordés au présent appelant à $1,486.47, avec intérêt. Ces jugements ont autorisé la compensation avec un jugement par défaut contre l’appelant en faveur de l’intimé, qu’on a dit être pour la somme de $7,000.

L’appelant a été cultivateur et bûcheron et il a exploité, à l’occasion, diverses entreprises commerciales. Vers la fin de 1962, il apprenait d’une connaissance qu’Inter-Can Trading Limited, une société ayant son siège social à Toronto (Ontario), était intéressée à acheter des produits forestiers au Canada pour les expédier en Europe. Il s’est donc rendu au Nouveau‑Brunswick pour s’entretenir avec un nommé lan Herold, représentant de cette société. L’appelant souhaitait conclure des marchés avec ladite Inter-Can Trading Company Limited (ci-après appelée: Inter-Can). Il a consulté M. Edward Black, qui était alors gérant de la banque intimée à Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard), et a indiqué à M. Black le genre de transaction qu’on lui proposait de conclure avec Inter-Can. M. Black a convenu que l’affaire était intéressante et pouvait bien être profitable, et il a accepté de présenter au directeur régional à Moncton la demande de crédit de l’appelant. Cet entretien avec M. Black eut lieu le 24 janvier 1963. Environ une semaine plus tard, M. Black informait

[Page 897]

l’appelant que le bureau de Moncton avait approuvé le financement de cette affaire.

Les pourparlers avec M. Herold avaient porté sur la vente à Inter-Can, pour expédition à ses commettants en Europe, de billes, de poteaux et de bois à pâte. C’est une transaction relative à ces trois catégories de produits forestiers que l’appelant avait soumise à M. Black. M. Black a répondu à l’appelant, vers la fin du mois de janvier 1963, que sa banque financerait les transactions relatives à la vente de ces trois catégories de produits forestiers à la société Inter-Can.

D’après l’ensemble de la preuve, on voit que l’on a convenu, premièrement, d’un préfinancement pour permettre à l’appelant de commercer et de poursuivre le rassemblement de ces produits forestiers en vue de leur expédition, et ensuite, un contrat ferme par lequel l’appelant disposerait d’un crédit total de $80,000, contre le dépôt auprès de la banque de $20,000, en argent ou en valeurs, et l’obtention subséquente de la société Inter-Can d’une lettre de crédit irrévocable au montant de $60,000 que l’appelant déposerait à la banque.

Le savant juge de première instance passe longuement en revue, dans ses motifs de jugement, les pourparlers et les accords entre les parties, et indique nettement qu’il ajoute foi au témoignage de l’appelant, en ces termes:

[TRADUCTION] Je pense qu’il faut préférer le témoignage du demandeur, précis, positif, et corroboré par un dossier complet de toutes les transactions, aux déclarations négatives et assez imprécises du défendeur.

Par le «défendeur», le savant juge de première instance entendait M. Black, le seul qui ait témoignagé pour le compte de la banque défenderesse. Dans le jugement principal en appel, le Juge en chef Campbell fait mention à plusieurs reprises de cette conclusion sur la crédibilité:

[TRADUCTION] En ce qui concerne les divergences dans les témoignages, le savant juge de première instance a estimé le témoignage de l’intimé préférable à celui de M. Black, et cette Cour est tenue de respecter ce choix.

Et plus loin:

[TRADUCTION] Le savant juge de première instance, préférant sur la crédibilité le témoignage de Wheatley

[Page 898]

à celui de Black, constate que le 6 juin, «M. Black s’est retiré laissant le demandeur en plan, avec plusieurs chèques en circulation qui avaient été tirés sur les instructions de Black et avec son consentement». Cette Cour est tenue de respecter cette conclusion sur la crédibilité relative des témoins.

Au sujet du contrat de préfinancement, le Juge Bell, en première instance, conclut de la façon suivante:

[TRADUCTION] Je conclus, d’après la preuve qui m’est soumise, que la défenderesse a accepté la demande de prêt du demandeur jusqu’à concurrence de $50,000 au moins, pour le préfinancement de son contrat avec Inter-Can, et conclut l’accord en avançant des sommes importantes jusqu’au 6 juin 1963,…

Immédiatement après que M. Black lui eût fait part, fin janvier 1963, de la décision favorable de la banque défenderesse, l’appelant a procédé activement aux préparatifs d’exécution de son projet de contrat avec Inter-Can. Il a notamment engagé M. Roland Roberts en qualité d’assistant, publié des annonces dans le journal local en vue de contrats pour la vente de bois avec ceux qui avaient du bois debout sur leurs terres, et a recruté une équipe de bûcherons pour la coupe du bois sur d’autres terres, en vertu d’ententes très variées qu’il est inutile d’étudier en détail ici. Les travaux se sont poursuivis jusqu’au 13 mars 1963, date à laquelle l’appelant et Inter-Can ont conclu un contrat par écrit. L’article 1 de ce contrat, bien qu’assez long, doit être reproduit en entier:

[TRADUCTION] 1. Par les présentes, le vendeur s’engage à vendre à l’acheteur, et l’acheteur s’engage à acheter du vendeur, franco à bord du navire de l’acheteur, un minimum de mille neuf cents (1900) cordes et un maximum de deux mille cent (2100) cordes de billes d’épinette, ci-après désignées «les billes» aux conditions stipulées ci‑après, à savoir:

a) Espèce — Les billes devront être de bois d’épinette de l’Est canadien, et contenir un minimum de soixante-quinze pour cent (75%) d’épinette;

b) Type — Les billes devront être écorcées au couteau ou à la sève en enlevant toute l’écorce extérieure et la moitié de l’aubier;

c) Qualité — Les billes devront être de bois sain, le cœur devra être dur et ne laisser voir aucun défaut

[Page 899]

de l’extérieur. Les bouts devront être équarris. Les billes tordues, arquées ou autrement difformes seront refusées;

d) Longueur — Les billes devront avoir au moins treize (13) pieds, trois (3) pouces de long. Pour établir le prix des billes, on le calculera sur la base de treize (13) pieds;

e) Diamètre — Les billes devront avoir six (6) pouces ou plus de diamètre, mesuré au petit bout;

f) Livraison — Les billes devront être prêtes à livrer à l’endroit ou aux endroits dont les parties conviendront, le vingt-neuf (29) juin 1963, ou avant cette date. Le vendeur devra charger le bois sur le bateau à la cadence minimum de trois cent cinquante (350) cordes par jour ouvrable, si les conditions atmosphériques le permettent;

g) Prix — Le prix des billes sera de trente-trois dollars ($33.00) la corde;

h) Règlement — L’acheteur devra obtenir d’une banque canadienne une lettre de crédit irrévocable en faveur du vendeur, pour le plein montant de la commande. Après la livraison du bois par le vendeur à l’acheteur, le vendeur remettra à l’acheteur les documents suivants:

(i) un certificat indiquant que les billes sont d’origine canadienne;

(ii) un certificat de mesure, en trois exemplaires, établi sous serment par un mesureur agréé par le ministre des Ressources naturelles de la Province de l’Île-du-Prince-Édouard, indiquant:

a) le nombre de billes pour l’ensemble de la commande;

b) le nombre de cordes du chargement;

c) une déclaration de conformité aux normes contractuelles;

(iii) un certificat attestant que les billes sont exemptes d’insectes et de maladies;

(iv) la facture commerciale en trois exemplaires.

Une fois les billes livrées conformément aux conditions ci-dessus, l’acheteur délivrera au vendeur un reçu pour toutes les billes livrées.

Sur présentation des documents décrits ci-dessus, l’acheteur réglera au vendeur le plein montant du prix convenu.

Il y a lieu de noter qu’en vertu de ce contrat, l’appelant devait livrer à Inter-Can au moins

[Page 900]

1900 et au plus 2100 cordes de billes. Les billes devaient être d’épinette de l’Est canadien, écorcées jusqu’à la moitié de l’aubier, mesurer au moins 13 pieds 3 pouces de longueur et au moins 6 pouces de diamètre au petit bout. Les billes devaient être prêtes à livrer le 29 juin au plus tard, à un endroit à convenir entre les parties, et chargées à une cadence minimum de 350 cordes par jour, les conditions atmosphériques le permettant. Le prix à payer devait être de $33.00 par corde et, en vertu de l’alinéa h), l’acheteur devait obtenir d’une banque canadienne une lettre de crédit irrévocable en faveur du vendeur pour le plein montant de la commande. Le contrat ne fait mention d’aucun autre produit forestier que les billes.

Après le chargement et la délivrance de certains documents, l’acheteur devait régler le plein montant du prix convenu. L’appelant a remis ce contrat écrit à M. Black, le gérant de l’intimée à Charlottetown, qui l’a expédié au bureau régional à Moncton. L’original du contrat qui se trouvait entre les mains de l’intimée a été produit au procès. Il n’y a aucun doute qu’à partir du 13 mars, le contrat de financement de l’intimée en faveur de l’appelant était un engagement de financer l’exécution par l’appelant du contrat écrit conclu entre lui et Inter-Can, et non celui de financer une entreprise d’acquisition, en vue de la vente à Inter-Can, d’une quantité indéterminée de billes, de poteaux et de bois à pâte. L’obligation de financer était limitée, à partir du 13 mars 1963, au financement d’un contrat de vente de billes. Avant le 13 mars 1963, l’appelant avait pris des dispositions pour se faire livrer, non seulement des billes, mais aussi des poteaux et du bois à pâte, et après cette date, l’appelant a continué à acheter des trois produits forestiers. Les transactions relatives à ces trois produits étaient confondues et il a été tout à fait impossible à l’appelant de différencier, lors du procès, les débours qui ont été affectés à l’acquisition de billes, de ceux qui ont servi à acheter des poteaux, ou du bois à pâte. En fait, le plus souvent dans son témoignage, l’appelant a parlé de cordes de bois, sans faire aucune distinction entre les cordes de billes et les cordes de poteaux ou de bois à pâte. Le fait que les transactions de l’appelant ont

[Page 901]

nettement dépassé ce que nécessitait l’exécution du contrat avec Inter-Can, ressort d’une déclaration, faite au cours de son témoignage, que la quantité totale de bois qu’il voulait acheter ou produire était de 20,000 cordes. Plus tard, au cours du contre-interrogatoire, il a réduit ce chiffre à 15,000 cordes et M. Roberts était d’avis que le total entrepris était bien inférieur à cela. Quoi qu’il en soit, le chiffre dépassait de loin les 2,100 cordes qui constituaient le maximum à fournir en vertu du contrat avec Inter-Can. Il est tout à fait évident que l’appelant ne considérait le contrat avec Inter-Can que comme le premier d’une série.

L’avocat de l’appelant a admis que, quelles qu’aient été les prévisions de son client quant à de futurs contrats, à partir du 13 mars, il n’avait qu’un seul contrat avec Inter-Can, et son seul accord avec l’intimée était pour le financement de ce contrat-là.

Les événements ont suivi leur cours jusqu’au 6 juin 1963. Entre-temps, l’appelant a tiré sur l’intimée pour des avances très importantes au compte du préfinancement, mais non sans difficultés. Il est clair qu’à mesure que le temps passait, l’intimée devenait de moins en moins enthousiaste des procédés de l’appelant. Ce dernier, dans sa déposition, s’est plaint d’avoir été considérablement gêné, dans l’exécution de son contrat avec Inter-Can, par le refus de l’intimée, par l’intermédiaire de M. Black, de lui permettre de dépenser les sommes nécessaires pour transporter ces produits forestiers à l’entrepôt d’où ils pourraient être chargés sur le bateau. Le dénouement survint le 6 juin. Parmi les titres transportés par l’appelant à la banque se trouvait un certificat du gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard, qui donnait droit à l’appelant de toucher la somme de $9,000. M. Black avait reçu du directeur régional des instructions pressantes de liquider le compte de l’appelant: ayant constaté que ce certificat n’était pas négociable, il le remit à l’appelant en le priant de se rendre aux bureaux du gouvernement pour obtenir un chèque au montant de ce titre. Cela fait, l’appelant rapporta le chèque à M. Black, et l’endossa à sa demande. M. Black porta alors immédiatement le montant du chèque au crédit du compte de l’appelant et l’informa que la banque cessait tout crédit, et

[Page 902]

exigeait le paiement de tous les billets à ordre souscrits par l’appelant à différentes époques pour le préfinancement.

Comme je l’ai dit, l’appelant en était au plus fort de ses opérations dans l’exécution de son contrat avec Inter-Can et, pour reprendre les propos du savant juge de première instance, [TRADUCTION] «cette tournure des événements l’a laissé en plan, avec plusieurs chèques en circulation et sans aucun moyen financier de continuer les opérations nécessaires à l’exécution du contrat».

Les événements du 6 juin avaient été précédés d’une série de faits indiquant que l’intimée cherchait à obtenir pour la dette une garantie bien supérieure à ce dont les parties avaient convenu en janvier, au moment où l’entente de préfinancement est intervenue.

Le demandeur a témoigné qu’il n’a jamais demandé à Inter-Can de déposer sa lettre de crédit irrévocable, car il savait ne pas avoir le droit de le faire tant qu’il ne pourrait donner une date ferme pour le chargement. Bien que le contrat stipulât que le chargement devait commencer le 29 juin, les nombreuses difficultés faites à l’appelant par M. Black, au nom de l’intimée, pendant l’exécution du contrat, l’ont convaincu qu’il ne pouvait être certain d’effectuer la livraison à cette date et il n’était pas fondé à exiger le dépôt de la lettre de crédit, tant qu’il n’avait pas acquis cette certitude. L’appelant a témoigné que M. Black a compris cela et pressé l’appelant, non pas d’exiger le dépôt de la lettre de crédit, mais de chercher plutôt à obtenir d’Inter-Can une autre garantie. M. Black a d’abord suggéré d’obtenir une garantie bancaire de l’acheteur européen. Quoique M. Herold, le représentant d’Inter-Can, ait affirmé que la chose était possible, il apparut très vite que l’acheteur européen n’en avait pas l’intention; ayant accepté de fournir une lettre de crédit correspondant à celle d’Inter-Can, il n’était plus intéressé à aucune autre forme de financement. M. Black a alors demandé à l’appelant de lui donner une garantie personnelle des directeurs d’Inter-Can. M. Herold voulait fournir cette garantie, mais son associé a refusé de le faire. Enfin, comme troisième possibilité, M. Black a demandé une garantie bancaire

[Page 903]

d’Inter-Can. Inter-Can a accepté, on a obtenu les imprimés nécessaires de la succursale de l’intimée à Toronto, et, comme l’a constaté le juge de première instance, il ne fait aucun doute, d’après la preuve, que M. Black, a reçu, avant le 6 juin 1963, une assurance très nette que cette garantie bancaire lui serait incessamment fournie. En fait, l’appelant a déclaré que M. Black, au reçu de ce renseignement, lui a fait savoir qu’il pouvait continuer à tirer des chèques, et que ces chèques seraient honorés: là encore le juge a préféré la version de l’appelant. Il est vrai que M. Black n’avait pas cette garantie en mains le 6 juin; en effet, la résolution d’Inter-Can Trading Company autorisant la garantie n’a été adoptée que le 7 juin, et le document lui-même n’est parvenu aux bureaux de l’intimée à Charlottetown que le 11 juin; il n’en reste pas moins vrai que le 6 juin lorsque l’intimée a, brusquement et sans préavis, mis fin au préfinancement, M. Black savait que la garantie bancaire exigée par lui serait incessamment fournie et versée au dossier.

La coupure du crédit accordé à l’appelant, c’est-à-dire la rupture du contrat de préfinancement, survenue dans ces circonstances le 6 juin 1963, a mis l’appelant dans l’impossibilité d’exécuter son contrat avec Inter-Can. L’appelant a reconnu que, le 12 juillet 1963, ce contrat a été abandonné.

Je suis d’avis que l’importance particulière de ce contrat, dans le présent litige, réside dans le fait qu’il expose l’entente intervenue entre l’appelant et Inter-Can, qui prenait effet à compter du 13 mars, et que dans le présent pourvoi seuls peuvent être recouvrés les dommages nés de l’impossibilité où s’est trouvé l’appelant d’exécuter ce contrat par suite de l’interruption par l’intimée du préfinancement. Telles ont été les conclusions du juge de première instance et de la majorité en Cour d’appel.

Le savant juge de première instance poursuit dans les termes suivants la phrase citée plus haut:

[TRADUCTION] …que le défendeur n’avait aucune raison valable d’annuler le financement et qu’il avait tort de réclamer, le 6 juin 1963, le paiement des billets à ordre, qui n’étaient pas légalement exigibles et payables avant le 12 juillet 1963.

[Page 904]

En appel, le Juge en chef Campbell dit dans ses motifs de jugement:

[TRADUCTION] Je suis d’accord avec les conclusions du savant juge de première instance, selon lesquelles la banque appelante a rompu le contrat par lequel elle s’engageait à fournir un préfinancement raisonnable à l’intimé, bien que je ne puisse approuver sa conclusion sur le montant convenu de ces avances.

Le montant convenu est sans importance pour les fins des présents motifs.

Le Juge d’appel Trainor a déclaré, dans ses motifs de jugement:

[TRADUCTION] Je ne vois aucune raison de modifier sa conclusion sur le fait qu’il existait une convention de préfinancement «plus ou moins vaguement établie» par laquelle l’intimé aurait été en mesure de réaliser son projet.

Dans le présent pourvoi, l’appelant demande le rétablissement du jugement du savant juge de première instance; l’intimée ne demande que le rejet du pourvoi. Il appert, par conséquent, que le seul problème soulevé par le présent pourvoi est, non pas de savoir si l’intimée a rompu son contrat, mais plutôt de déterminer le montant des dommages qu’il y a lieu d’adjuger à l’appelant.

Le savant juge de première instance a entrepris d’évaluer ces dommages en recherchant l’avoir net de l’appelant, au début et à la fin de l’opération, et en déterminant la différence, qu’il a établie à $20,378, comme étant le montant des dommages dus à l’appelant. Les deux savants membres de la Cour d’appel qui ont accueilli le pourvoi à l’encontre de ce jugement ont adopté la méthode du savant juge de première instance, mais ils ne l’ont pas appliquée de la même façon. Le Juge en chef estime que 50 pour cent seulement des dommages ainsi calculés sont imputables à la rupture de contrat par l’intimée, et qu’en outre, il faut réduire cette proportion de moitié pour tenir compte de la «faute contributive» de l’appelant. Le Juge d’appel Trainor considère que le quart seulement des dommages subis sont imputables à la rupture de contrat par l’intimée.

Les règles de calcul du montant des dommages nés de la rupture d’un contrat commercial sont

[Page 905]

bien établies depuis l’arrêt Hadley v. Baxendale[1], et la formule a été considérablement modifiée et clarifiée dans Victoria Laundry (Windsor) Ld. v. Newman Industries Ld.; Coulson & Co. Ld. (Third Parties).[2] Qu’il suffise de citer ici la seconde et la troisième règle exposées dans ce dernier arrêt par le Lord Juge Asquith, à la p. 539:

[TRADUCTION] (2) En cas de rupture de contrat, la partie lésée n’a droit de recouvrer que la perte qui en découle effectivement et qui était raisonnablement prévisible au moment du contrat comme conséquence de sa rupture.

(3) Ce qui était raisonnablement prévisible à ce moment-là s’apprécie en fonction des renseignements que possédaient alors les parties, ou du moins celle qui rompt par la suite le contrat.

En l’espèce, l’intimée, par l’intermédiaire de Black, connaissait parfaitement l’opération. En fait, Black surveillait, dans une mesure notable bien qu’à mon sens insuffisante, les activités d’ailleurs peu judicieuses de l’appelant dans l’exécution de son contrat avec Inter-Can. Par conséquent les dommages que l’appelant est en droit de recouvrer sont les pertes qu’il a effectivement subies ou celles qui étaient raisonnablement prévisibles comme conséquence de la rupture du contrat. Il est certain que les pertes doivent donc comprendre les sommes que l’appelant a dépensées dans sa vaine tentative d’exécuter le contrat. Il semble dès lors que, pour calculer le plus exactement possible les dommages spéciaux de l’appelant, il faut établir les montants qu’il a effectivement déboursés en essayant d’exécuter son contrat avec Inter-Can, en déduire toutes les sommes que le demandeur a touchées grâce aux sommes investies, et y ajouter une certaine somme pour compenser sa perte de bénéfice. Il y a lieu de noter que l’appelant a entrepris, après le 6 juin, d’effectuer une série d’actes, qu’il a qualifiés avec assez d’à-propos d’opérations de «nettoyage», par lesquels il s’est efforcé d’obtenir quelque chose en retour de l’argent et des efforts fournis, ainsi que des fonds qu’il avait obtenus de la banque. A cette fin, l’appelant a obtenu de la banque, avec beaucoup de difficulté, une série d’avances supplémentaires de différents montants

[Page 906]

et à diverses époques, dont une somme de $8,500 avancée sur la garantie prévue à l’art. 88 de la Loi sur les banques.

L’appelant a indiqué en détail, dans sa déclaration, les dépenses qu’il a engagées, selon lui, pour essayer d’exécuter son contrat avec Inter-Can. Je cite les précisions du par. 8 de sa déclaration:

[TRADUCTION]

PRÉCISIONS

Frais juridiques..............................................................................................

$ 73.00

Salaires et timbres d’assurance-chômage................................................

20,545.65

Essence et huile............................................................................................

637.10

Déplacements...............................................................................................

2,242.52

Assurance......................................................................................................

28.00

Achat de bois à couper................................................................................

2,875.00

Camp, alimentation et loyer.........................................................................

2,426.98

Achat d’un véhicule Bombardier..................................................................

5,112.45

Perte d’intérêts sur obligation du gouvernement.......................................

30.82

Téléphone......................................................................................................

300.00

Lits et équipement.........................................................................................

1,233.85

Frais de voyage de 15 hommes depuis le nord du Nouveau‑Brunswick

152.50

Sommes versées à des cultivateurs pour la production de bois à pâte.

9,119.28

Camionnage..................................................................................................

1,621.50

Location d’une cour à Georgetown.............................................................

35.00

Intérêts et frais bancaires, etc......................................................................

616.45

Divers.............................................................................................................

679.38

$ 47,729.48

Moins crédits,

Vente d’un véhicule Bombardier.........................

$ 2,600.00

Vente de billes et de bois à pâte.........................

21,966.50

Vente de lits, etc....................................................

285.00

Divers.....................................................................

413.50

25,265.00

$ 22,464.48

On a longuement contre-interrogé l’appelant sur ces précisions, pour savoir si les dépenses dont je ferai mention par la suite y correspondent. Il faut se rappeler, encore une fois, que le savant juge de première instance a accordé crédit au témoignage de l’appelant.

Examinons d’abord ses dépenses. Le second poste est «Salaires et timbres d’assurance‑chô-

[Page 907]

mage — $20,545.65». L’appelant a identifié, au procès, un état de compte qu’il a produit comme pièce au dossier, et dont le montant s’élève à $14,964.97. En plus des sommes inscrites à cette liste, l’appelant a indiqué les suivantes:

Payé à Roberts, jan. à juillet......................................................................

$ 1,610.00

Payé à McCormack...................................................................................

302.50

Timbres d’assurance-chômage...............................................................

428.88

Réclamation pour l’appellant lui-même (soit 52 semaines à $70.00 par semaine).....................................................................................................

3,640.00

On remarquera que le total de ces sommes s’élève à $20,946.35, soit $400 de plus que le montant indiqué dans les précisions. Je pense que le demandeur ne peut réclamer aucun salaire pour le mois de janvier, parce que c’est seulement à la fin de ce mois-là que l’intimée l’a informé, par l’intermédiaire de Black, qu’elle avait accepté de lui accorder un préfinancement. Par conséquent, je déduirais de ce total quatre semaines à $70 par semaine, soit $280. McCormack a touché $302.50, en vertu d’un contrat, pour scier du bois laissé, une fois abattu, à l’un des lieux de coupe, et ainsi en permettre la vente sous forme de bois à pâte. McCormack n’a jamais exécuté son contrat, mais l’appelant a régulièrement versé cette somme et peut donc en réclamer le montant. Je pense que le demandeur est en droit de réclamer pour lui et pour Roberts les sommes indiquées ci-dessus, sous réserve de la déduction que j’ai signalée, car les deux hommes ont travaillé, dans le cas de l’appelant pendant toute l’année, aux opérations de «nettoyage»; celles-ci visaient à réduire les dommages de l’appelant et, en fait, ont été effectuées avec la collaboration active de l’intimée, par l’intermédiaire de Black. Étant donné que la déduction de $280 ne ramène pas la somme totale au-dessous du montant réclamé dans les précisions, j’accepte ce montant. Le poste «Déplacements» a été établi au taux de 7 cents le mille pour la voiture de l’appelant et celle de Roberts, pour leurs déplacements d’affaires, y compris l’acquisition du bois et les opérations de «nettoyage» subséquentes. Ce poste est satisfaisant et donne en fait une estimation plus juste que le prix total de la voiture, utilisé en l’espèce par les cours d’instance inférieure dans les calculs d’avoir net à partir desquels elles ont chiffré les dommages. Le seul

[Page 908]

autre poste qui appelle une explication est «Achat d’un véhicule Bombardier — $5,112.45». Le contrat d’achat de ce véhicule a été conclu le 12 juillet 1963, soit juste à l’époque où l’appelant reconnaît avoir considéré que son contrat avec Inter-Can était abandonné, et le jour même où il a conclu une entente avec Henderson, dans le cadre des opérations de «nettoyage» pour la vente de 6,000 cordes de bois à pâte. L’appelant a juré qu’il avait négocié cet achat en mai et qu’il avait besoin d’un tracteur pour pouvoir aller aux lots boisés et ramasser les produits dispersés en divers points. Si l’appelant avait conservé le véhicule, il n’aurait pu réclamer la totalité du prix, mais seulement une allocation raisonnable pour son utilisation; cependant l’appelant avait acheté le véhicule à tempérament, et à l’automne 1963, devenu incapable de verser ses mensualités, il a vendu l’appareil à un tiers, qui a assumé les versements à venir. Il a porté $2,600, soit le montant assumé par l’acheteur, sur le prix du véhicule au crédit des sommes recouvrées, laissant ainsi à ce poste un solde de $2,512.45. A l’audition, on ne nous a fait aucune observation à l’effet que ce montant ne constitue pas une réclamation raisonnable pour l’usage du tracteur dans les opérations de «nettoyage».

Je suis, par conséquent, disposé à accepter la somme de $47,729.48 comme un état de compte raisonnable des frais encourus par l’appelant.

Il y a lieu de noter que l’appelant, dans les précisions figurant dans sa déclaration, a porté au crédit la somme de $25,265. Pendant son interrogatoire, l’appelant a déclaré qu’il fallait déduire de ce montant la somme de $810 versée à un autre scieur, Russell Compton, pour la transformation de billes en bois à pâte pour en permettre la vente. Le demandeur a déposé qu’il n’y avait aucun débouché pour ce bois en billes à l’Île-du-Prince-Édouard. Cette déduction ramènerait le crédit donné par l’appelant à la somme de $24,450.50. Sur cette base, ses dommages se chiffrent à la différence entre cette somme et $47,729.48, soit $23,278.98.

Toutefois, l’appelant n’est pas en droit de recouvrer la totalité de ce montant à titre de dommages résultant de la rupture de contrat par l’intimée. Comme je l’ai précédemment indiqué, l’appelant a poursuivi ses opérations, après le 13

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mars 1963, bien au-delà de ce qu’exigeait l’exécution de son contrat avec Inter-Can; or, depuis le 13 mars, l’appelant ne pouvait compter sur l’intimée que pour le préfinancement du contrat en question, et non de l’ensemble de ses activités dans le commerce de produits forestiers.

Le savant juge de première instance a considéré l’ensemble des dommages attribuables à la rupture par l’intimée de son engagement de financer le contrat avec Inter-Can, bien qu’il ait déclaré dans ses motifs:

[TRADUCTION] …mais je pense que les dommages doivent être limités à la perte découlant de ce seul contrat et des activités qui y sont directement reliées.

Les deux savants juges formant la majorité de la Cour d’appel ont accepté cette opinion. Comme je l’ai déjà dit, le Juge en chef considère que seulement 50 pour cent de la perte est attribuable aux dommages découlant de la rupture de contrat. Le Juge d’appel Trainor estime cette proportion à 25 pour cent seulement. L’avocat de l’appelant a invoqué un argument que je suis prêt à accepter. Il a fait remarquer que des $21,966.50 récupérés par la vente de billes, de poteaux et du bois à pâte, lors des opérations de «nettoyage», $12,639 provenaient de la vente de billes et de poteaux. Ce sont les montants exacts donnés par l’appelant; dans son interrogatoire principal, plus tard, lors du contre-interrogatoire, il a fourni les détails avec beaucoup de précision. Il appert donc que, des ventes de bois effectuées par l’appelant, 59 pour cent provenaient de billes. Je dois convenir que ce pourcentage n’est qu’une approximation. Je ne vois pas, cependant, d’autre solution permettant de répartir les pertes avec autant de précision.

L’acquisition des billes s’est faite en même temps que celle des poteaux et du bois à pâte, en une seule opération. Il n’y a jamais eu de prix de revient distinct d’un produit par rapport à l’autre. En fait, malgré les termes du contrat passé avec Inter-Can, je pense, d’après toute la preuve, que l’appelant et M. Black ont considéré l’affaire, tout au long des opérations, depuis la fin de janvier 1963 jusqu’à la fin de l’année, comme une seule et même entreprise d’achat et vente de ces trois produits forestiers. D’autres facteurs justifieraient par ailleurs l’acceptation de cette proportion de 59 pour cent. Premièrement,

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depuis la fin de janvier jusqu’au 13 mars, l’appelant et l’intimée étaient d’accord pour financer l’acquisition des trois produits, et la restriction aux seules billes par les termes du contrat avec Inter-Can n’apparut pour la première fois qu’à cette dernière date. Deuxièmement, une bonne part du bois laissé en différents endroits sous forme de billes a dû être transformé en bois à pâte pour être récupéré, étant donné le manque de débouchés pour les billes dans l’Île‑du‑Prince-Édouard. Troisièmement, une grande quantité de produits forestiers, y compris de nombreuses billes, a été définitivement perdue, par détérioration et disparition, probablement par vol. Tous ces facteurs militent en faveur de l’acceptation de la proportion de 59 pour cent comme juste pour les fins de l’établissement des dommages provenant de l’inexécution par l’intimée du contrat de préfinancement. 59 pour cent de $23,278.98 font $13,734.60. En conséquence, j’accorderais ce montant à titre de dommages spéciaux pour la perte subie par l’appelant du fait des frais engagés en essayant d’exécuter le contrat passé avec Inter-Can. De plus, l’appelant a droit à une compensation pour la perte des bénéfices qu’il aurait retirés du contrat. Le juge de première instance l’a estimée à $7,000. Le Juge en chef, dans ses motifs de jugement en appel admet ce montant, mais le Juge d’appel Trainor estime qu’il devrait être réduit à $3,500. A la lecture du dossier, je ne vois pas comment une telle réduction peut être justifiée. D’après l’appelant, les $7,000 représentent le chiffre avancé par M. Black comme profit probable de l’appelant, en plus de son salaire. L’avocat de l’intimée a essayé, au cours du contre-interrogatoire de l’appelant, de démontrer à ce dernier que, d’après son propre calcul du prix de revient, le profit aurait dû être beaucoup plus élevé et non moindre. L’appelant a refusé d’en convenir, jugeant qu’il lui était impossible de faire une estimation précise du profit avant d’avoir l’expérience d’un premier chargement, qui, naturellement, n’a jamais eu lieu. Je fixerais à $7,000 les dommages subis par l’appelant au titre de la perte de bénéfices.

De plus, l’appelant a réclamé des dommages-intérêts généraux, pour préjudice à son crédit. Le Juge Tweedy, de la Cour d’appel, était disposé à lui accorder $5,000 de dommages [TRADUCTION] «afin d’indemniser l’intimée de l’atteinte à sa

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réputation, à son crédit, et pour préjudice moral»; l’avocat de l’appelant a insisté auprès de cette Cour afin qu’elle tienne compte de ce facteur.

A mon avis, d’après toute la preuve l’appelant n’a pas démontré l’existence de ces dommages. Il est vrai, comme le juge de première instance l’a signalé, que juste après le 6 juin 1963, l’appelant se trouvait «en plan» avec de nombreux chèques sans provision en circulation et il a fait la preuve détaillée de son désarroi financier dans la période qui a suivi, et donné des précisions sur l’impossibilité dans laquelle il se trouvait d’obtenir du crédit nulle part. Malgré cela, l’appelant a été forcé d’admettre, en contre-interrogatoire, que l’intimée a continué, après le 6 juin, à lui consentir des avances pour ses «opérations de nettoyage» et aussi à d’autres titres. Il y a lieu de se rappeler aussi que l’appelant a bien pu être l’auteur de sa propre infortune, en continuant, après le 13 mars, à faire le commerce des trois produits forestiers, et notamment à acheter, ou du moins à tenter d’acheter, une quantité de bois dépassant de loin les besoins d’après le contrat signé avec Inter-Can. Je pense qu’il y a eu faute grave de part et d’autre. Je ne crois pas que de toute façon l’appelant se soit avéré bon commerçant ou comptable compétent; de même, je ne pense pas que la surveillance exercée par l’intimée ait été celle qu’on peut attendre d’une banque avançant des sommes aussi considérables pour une opération aussi compliquée. J’estime donc qu’il n’y a pas lieu d’accorder à l’appelant des dommages pour atteinte à son crédit. Je signale que les précédents invoqués par l’avocat de l’appelant étaient des affaires où le droit de l’appelant aux paiements suspendus, le défaut de paiement lui-même, et le préjudice à son crédit, étaient beaucoup plus patents que dans la présente.

Par conséquent, je serais prêt à accorder à l’appelant des dommages pour le total des deux montants indiqués ci-dessus, soit $20,734.60. Le Juge en chef de la Cour d’appel accorde des intérêts à compter du 31 décembre 1963, date à laquelle on peut fixer la fin des «opérations de nettoyage». Je serais disposé à accorder un intérêt de 5 pour cent, taux choisi par le Juge en chef, à compter de cette date jusqu’au 2 septembre 1964. A cette dernière date, en effet, l’intimée a

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obtenu contre l’appelant un jugement par défaut pour le solde qui lui restait dû sur les avances consenties durant les «opérations de nettoyage». Ce jugement est pour la somme de $7,508.03, montant qui doit être porté au crédit de l’intimée. J’accueillerais le pourvoi jusqu’à concurrence de $13,226.57, portant intérêts de 5 pour cent à partir de cette date, ainsi que l’intérêt sur la somme de $20,734.60, au taux de 5 pour cent également, pour la période du 31 décembre 1963 au 2 septembre 1964.

L’appelant a droit à ses dépens en toutes les cours.

Le jugement des Juges Abbott, Judson et Ritchie a été rendu par

LE JUGE JUDSON — Woodrow Wheatley, l’appelant en cette Cour, a intenté une action en dommages contre la Banque Provinciale du Canada à cause du refus de la Banque de financer l’exécution d’un contrat de fourniture de bois intervenu entre lui et Inter-Can Trading Company Limited de Toronto. Le jugement de première instance lui a accordé la somme de $20,378. En appel, cette somme a été réduite à $1,486.47. L’appelant demande à cette Cour de rétablir le jugement de première instance. La Banque demande le rejet du pourvoi, mais n’introduit pas de pourvoi incident à l’encontre de l’adjudication de $1,486.47. A mon avis, le pourvoi est mal fondé et il faut le rejeter avec dépens.

En janvier 1963, Wheatley a entamé des pourparlers avec Inter-Can Trading Company Limited en vue de livrer à cette société deux mille cordes de bois en billes dont elle avait besoin pour compléter un chargement qu’elle s’était engagée à livrer à un client en Autriche. Wheatley n’avait pas les moyens financiers de réaliser cette entreprise, aussi avec le représentant d’Inter-Can il rencontra le gérant de la banque pour discuter du financement nécessaire.

Le contrat entre Wheatley et Inter-Can n’a été signé que le 13 mars 1963. Il prévoit:

(1) la vente par l’appelant à Inter-Can d’au moins 1,900 et d’au plus 2,100 cordes de bois d’épinette en billes à $33 la corde;

(2) que les billes seront prêtes à livrer à un endroit dont les parties conviendront le 29 juin 1963, ou avant cette date;

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(3) que l’acheteur obtiendra d’une banque canadienne une lettre de crédit irrévocable en faveur de Wheatley pour le plein montant de la commande et payable sur remise de certains documents;

(4) que Wheatley fournira une garantie d’exécution à Inter-Can équivalant à 5 pour cent du montant du contrat et qu’il délivrera ce cautionnement aussitôt que l’acheteur fournira la lettre de crédit mentionnée plus haut.

La banque a reçu une copie de cette lettre. Tous les pourparlers entre Wheatley et la banque qui nous intéressent dans la présente affaire avaient rapport à l’exécution et au financement de ce contrat.

Wheatley n’a pas voulu attendre la signature du contrat et il a entrepris des négociations pour un préfinancement. Le juge de première instance arrive à la conclusion que, de fait, la banque défenderesse a accepté la demande de prêt du demandeur en vue du préfinancement du contrat avec Inter-Can Trading jusqu’à concurrence de $50,000. La Cour d’appel refuse cette conclusion; je traiterai de ce refus en détail plus loin. Nous savons cependant à combien se sont chiffrées les avances que la banque a faites à Wheatley. Elles n’ont jamais dépassé de beaucoup le montant des garanties personnelles que Wheatley a données à la banque, soit une police d’assurance-vie ayant une valeur de rachat de $1,760.48 et un certificat de dépôt de $9,000 du Trésorier provincial de l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Dans cette mesure, la banque a assuré un préfinancement à Wheatley jusqu’au 6 juin 1963, soit 23 jours avant la date du chargement. La banque a alors jugé que la lettre de crédit n’arriverait pas et que Wheatley serait dans impossibilité de faire le chargement à la date prévue au contrat. La banque a donc refusé de continuer le préfinancement, réalisé les garanties et en a imputé le produit à l’acquittement des billets à ordre qu’elle détenait.

A mon avis, la banque n’a encouru aucune responsabilité envers Wheatley du fait d’avoir exigé le remboursement de son prêt, d’avoir réalisé les garanties et refusé de poursuivre le préfinancement. Le défaut de fournir la lettre de crédit justifie tout à fait sa conduite. Aucun des pourparlers entre Wheatley et la banque avant la

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conclusion et la signature du contrat avec Inter-Can ne peut constituer un engagement ferme de l’ampleur qu’a mentionnée Wheatley. Sa déclaration fait état de la somme de $60,000. Le prix de vente global en vertu du contrat, même si Wheatley avait livré les 2,100 cordes de bois, ne se serait élevé qu’à $69,300. Tous les pourparlers entre Wheatley et la banque jusqu’au 6 juin n’avaient trait qu’à un préfinancement raisonnable en attendant le depôt de la lettre de crédit. Le dépôt de cette lettre de crédit constituait une condition essentielle de tout engagement ferme de la part de la banque de financer Wheatley et le défaut de déposer cette lettre de crédit en aucun temps a relevé la banque de toute obligation qu’elle pouvait avoir de continuer à avancer des fonds à l’appelant.

J’ai déjà dit que le juge de première instance a trouvé que, de fait, la banque s’était obligée à assurer le préfinancement du contrat par un prêt d’au moins $50,000. En appel, le Juge en chef dit qu’il ne peut voir aucun élément de preuve qui justifie la conclusion que la banque a acquiescé à la demande jusqu’à concurrence de ce montant; il a donc rejeté la conclusion du savant juge de première instance au sujet du montant de préfinancement convenu. Il continue en disant: [TRADUCTION] «Tout ce que je peux déduire c’est que le montant et la période de préfinancement devaient être conformes à ce que la pratique bancaire raisonnablement prudente permet».

La lecture de l’ensemble des motifs du Juge Tweedy me fait croire qu’il est du même avis. Le Juge Trainor dit qu’il ne peut trouver de raison de modifier la conclusion du juge de première instance qu’il y avait eu, en vue du préfinancement, une entente en termes plus ou moins précis, qui aurait permis à Wheatley de mener à bien son entreprise. En énonçant la question de cette façon je crois qu’il est dans l’ensemble d’accord avec le Juge en chef.

Le seul point sur lequel je ne suis pas d’accord avec la décision de la Cour d’appel est sa conclusion qu’il y a eu rupture par la banque de son engagement d’assurer un préfinancement raisonnable. En premier heu, je ne crois pas qu’il y ait eu engagement contractuel de la part de la banque; en second lieu, je suis d’avis que la banque a de fait prêté, à sa discrétion, conformément à la pratique bancaire raisonnable et pru-

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dente. Elle a fait des avances jusqu’à concurrence des garanties qu’elle détenait. Un client ou un tribunal peut-il raisonnablement exiger plus?

La présente affaire se résume à ceci: D’abord, un client entreprend des pourparlers pour financer un contrat qui n’est pas encore signé. Même à ce temps-là, une condition essentielle du crédit est le dépôt d’une lettre de crédit. Cela se passe deux mois avant la signature du contrat. Le Juge en chef désigne bien toutes les avances jusqu’à la date où l’on a exigé le remboursement des prêts en les appelant «préfinancement» et, à mon avis, ces avances répondent aux normes de la pratique bancaire prudente.

Les points suivants à étudier sont le moment où la lettre de crédit devait être déposée et les circonstances où elle aurait dû l’être. Le contrat stipule que la livraison du bois doit avoir lieu au plus tard le 29 juin. C’est la seule date dont la banque devait tenir compte. Le juge de première instance a cru que la livraison pouvait être reportée à plus tard. A mon avis, même si les parties, soit Wheatley et Inter-Can, avaient pu reporter la date de livraison, ce fait n’obligeait nullement la banque à avancer des fonds avant le dépôt de la lettre de crédit. En appel, le Juge en chef a exprimé l’avis qu’on aurait dû déposer la lettre de crédit de 30 jours à six semaines avant la date fixée pour le début du chargement et que, faute de la recevoir, la banque avait le droit de réexaminer l’ensemble des conditions de crédit, y compris les dispositions relatives au préfinancement. Le Juge Trainor mentionne qu’en autant que la banque était concernée, la dernière date possible de livraison était le 29 juin et que le dépôt de la lettre de crédit aurait dû avoir lieu dans un délai raisonnable avant cette date. Je ne doute aucunement que le 6 juin était l’extrême limite d’un délai raisonnable. Le Juge en chef fixe cette extrême limite au 30 mai. Le Juge Tweedy ne donne pas de date exacte pour ce qu’il considère comme l’extrême limite raisonnable, sauf qu’il conclut que Wheatley était en défaut de produire le document exigé.

D’après les termes de ce contrat, il y a des indications claires que la lettre de crédit aurait dû être déposée beaucoup plus tôt. Wheatley s’est engagé à fournir à l’acheteur une garantie d’exécution, équivalant à 5 pour cent du montant du

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contrat, [TRADUCTION] «à délivrer dès que l’acheteur aura fourni la lettre de crédit ci-haut mentionnée».

La délivrance d’une garantie d’exécution visait à assurer, jusqu’à concurrence du montant garanti, que Wheatley remplirait ses obligations en vertu du contrat. La garantie n’aurait pas eu de raison d’être si la délivrance en devait être retardée presque jusqu’au moment de l’exécution du contrat. Le vendeur aurait dû remettre la garantie d’exécution à l’acheteur très tôt et l’acheteur déposer la lettre de crédit en même temps. En autant que je puis m’en assurer au dossier, la garantie d’exécution n’a jamais été fourme et, naturellement, la lettre de crédit n’a jamais été déposée. Le gérant de la banque a témoigné que Wheatley lui-même lui a dit que la lettre de crédit arriverait environ cinq ou six semaines avant la date d’expédition; que lui, le gérant, s’attendait à la recevoir vers la fin de mai et qu’il a insisté auprès de Wheatley pour l’obtenir. Tout ceci montre la justesse de la conclusion de la Cour d’appel sur la date ultime pour le dépôt de la lettre de crédit.

La Cour d’appel a réduit de $20,378 à $1,486.47 les dommages accordés à Wheatley parce qu’elle a jugé qu’il y avait eu rupture de l’engagement de fournir un préfinancement raisonnable et parce que la banque en réclamant le remboursement du prêt le 6 juin 1963 a débité les billets à ordre qui ne devenaient exigibles que le 12 juillet 1963. Je suis d’accord sur la réduction des dommages, mais non sur les motifs. J’ai déjà dit que, d’après moi, la banque a fourni le préfinancement. Elle avait pris les billets qui venaient à échéance le 12 juillet 1963 en comptant sur le dépôt de la lettre de crédit en temps utile. Quand Wheatley a fait défaut de déposer la lettre de crédit, la banque était justifiée d’exiger le remboursement immédiat des billets. Cependant, il n’y a pas eu de pourvoi incident à l’encontre de l’adjudication de cette somme de $1,486.47. S’il y en avait eu un, je l’aurais accueilli.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens.

Appel rejeté avec dépens, LE JUGE EN CHEF CARTWRIGHT et LE JUGE SPENCE étant dissidents.

Procureurs du demandeur, appelant: Soloway, Wright, Houston, Galligan & McKimm, Ottawa.

Procureur de la défenderesse, intimée: Charles R. McQuaid, Charlottetown.

[1] (1854), 9 Ex. 341, 156 E.R. 145.

[2] [1949] 2 K.B. 528.


Synthèse
Référence neutre : [1970] R.C.S. 894 ?
Date de la décision : 28/04/1970
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté, le juge en chef cartwright et le juge spence étant dissidents

Analyses

Banques - Financement d’un contrat de vente de bois en billes - Acheteur devant obtenir une lettre de crédit en faveur du vendeur pour le plein montant de la commande - Préfinancement dans la mesure des garanties personnelles - Défaut de fournir lettre de crédit - Responsabilité de la banque pour avoir exigé remboursement du prêt, d’avoir réalisé garanties et refusé de poursuivre préfinancement - Quantum des dommages.

En janvier 1963, l’appelant W a entamé des pourparlers avec I-C Co. en vue de livrer à cette société une quantité de bois en billes. W n’avait pas les moyens financiers de réaliser cette entreprise, aussi avec le représentant de I-C il rencontra le gérant de la banque intimée pour discuter du financement nécessaire. Le contrat entre W et I-C a été signé le 13 mars 1963, et les billes devaient être prêtes à livrer le 29 juin 1963, ou avant cette date.

Dans la mesure des garanties personnelles que W a données, la banque a assuré un préfinancement jusqu’au 6 juin 1963. A ce moment-là, la banque a jugé que la lettre de crédit en faveur du vendeur pour le plein montant de la commande que, selon le contrat, l’acheteur devait obtenir, n’arriverait pas et que W serait dans l’impossibilité de faire le chargement à la date prévue au contrat. Elle a donc refusé de continuer le préfinancement, réalisé les garanties et en a imputé le produit à l’acquittement des billets à ordre qu’elle détenait.

Dans une action en dommages à cause du refus de la banque de financer l’exécution du contrat, le juge de première instance a accordé à l’appelant la somme de $20,378. En appel, cette somme a été réduite à $1,486.47. L’appelant demande à cette Cour de rétablir le jugement de première instance. La banque demande le rejet du pourvoi, mais n’introduit pas de pourvoi incident à l’encontre de l’adjudication de $1,486.47.

Arrêt: L’appel doit être rejeté, le Juge en Chef Cartwright et le Juge Spence étant dissidents.

[Page 895]

Les Juges Abbott, Judson et Ritchie: La banque n’a encouru aucune responsabilité envers W du fait d’avoir exigé le remboursement de son prêt, d’avoir réalisé les garanties et refusé de poursuivre le préfinancement. Le défaut de fournir la lettre de crédit justifie tout à fait sa conduite. La Cour d’appel, qui a rejeté la conclusion du juge de première instance que la banque s’était obligée à assurer le préfinancement pour un prêt d’au moins $50,000, a réduit à $1,486.47 les dommages accordés à W parce qu’elle a jugé qu’il y avait eu rupture de l’engagement de fournir un préfinancement raisonnable et parce que la banque en réclamant le remboursement du prêt le 6 juin 1963 a débité les billets à ordre qui ne devenaient exigible que le 12 juillet 1963. Quoiqu’il n’y avait pas d’engagement contractuel de sa part, la banque a quand même assuré un préfinancement raisonnable. La banque avait pris les billets qui venaient à échéance le 12 juillet 1963 en comptant sur le dépôt de la lettre de crédit en temps utile. Quand W a fait défaut de déposer la lettre de crédit, la banque était justifiée d’exiger le remboursement immédiat des billets. S’il y avait eu un appel incident, il aurait été accueilli.

Le Juge en Chef Cartwright et le Juge Spence, dissidents: Le seul problème soulevé par le présent pourvoi est, non pas de savoir si l’intimée a rempli son contrat, mais plutôt de déterminer le montant des dommages qu’il y a lieu d’adjuger à l’appelant. Les dommages que l’appelant est en droit de recouvrer sont les pertes qu’il a effectivement subies ou celles qui étaient raisonnablement prévisibles comme conséquence de la rupture du contrat. Le montant à titre de dommages spéciaux pour la perte subie par l’appelant du fait des frais engagés en essayant d’exécuter le contrat s’élève à $13,734.60. De plus, l’appelant a droit à une compensation de $7,000 pour la perte des bénéfices qu’il aurait retirés du contrat. Si l’on accorde à l’appelant des dommages pour le total des deux montants indiqués, et si l’on donne crédit à l’intimée d’un jugement par défaut qu’elle a obtenu contre l’appelant, jugement doit être prononcé pour $13,226.57 avec intérêts. Arrêts mentionnés: Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341; Victoria Laundry (Windsor) Ld. v. Newman Industries Ld.; Coulson & Co. Ld. (Third Parties), [1949] 2 K.B. 528.


Parties
Demandeurs : Wheatley
Défendeurs : Provincial Bank of Canada
Proposition de citation de la décision: Wheatley c. Provincial Bank of Canada, [1970] R.C.S. 894 (28 avril 1970)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1970-04-28;.1970..r.c.s..894 ?
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