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20/03/1970 | CANADA | N°[1970]_R.C.S._649

Canada | La Reine c. Walker, [1970] R.C.S. 649 (20 mars 1970)


Cour Suprême du Canada

La Reine c. Walker, [1970] R.C.S. 649

Date: 1970-03-20

Sa Majesté la Reine Appelante;

et

Wilfred Alan Walker Intimé.

Sa Majesté la Reine Appelante;

et

M.E. Clarke & Son Ltd. Intimée.

1969: les 27 et 28 octobre; 1970: le 20 mars.

Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL d’un jugement du Juge Gibson de la Cour de l’Échiquier du Canada[1] et REQUÊ

TE visant sa modification. Appel rejeté et requête accueillie, les Juges Abbott et Judson étant dissidents et le Juge Pigeon étant dis...

Cour Suprême du Canada

La Reine c. Walker, [1970] R.C.S. 649

Date: 1970-03-20

Sa Majesté la Reine Appelante;

et

Wilfred Alan Walker Intimé.

Sa Majesté la Reine Appelante;

et

M.E. Clarke & Son Ltd. Intimée.

1969: les 27 et 28 octobre; 1970: le 20 mars.

Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL d’un jugement du Juge Gibson de la Cour de l’Échiquier du Canada[1] et REQUÊTE visant sa modification. Appel rejeté et requête accueillie, les Juges Abbott et Judson étant dissidents et le Juge Pigeon étant dissident en partie.

C.R.O. Munro, c.r., et A.S. Ross, pour l’appelante.

G.H. Steer, c.r., et G.A.C. Steer, c.r., pour les intimés.

Le jugement du Juge en Chef Cartwright et des Juges Fauteux, Martland, Ritchie, Hall et Spence a été rendu par

LE JUGE MARTLAND — Le 1er octobre 1924, un contrat de bail a été conclu entre Sa Majesté le Roi George V, représenté par le ministre de l’Intérieur, le locateur, et une certaine Julia E. Follett, la locataire; ce bail a pour objet une terre située dans le parc de Jasper (aujourd’hui le parc national de Jasper) en la province de l’Alberta. Il est admis que l’intimé Walker est l’ayant droit de la locataire. Le 1er octobre 1925, un bail identique a été conclu entre ledit locateur et Joseph Thomas Norquay et il est admis que l’intimé M.E. Clark & Son Ltd. est l’ayant droit du locataire.

Chacun des baux a été signé, au nom de Sa Majesté, par le sous-ministre de l’Intérieur.

[Page 653]

Les deux baux étaient pour 42 ans à partir de leur date et prévoyaient un loyer annuel de huit dollars jusqu’au 1er janvier 1930 et, pour les 10 années suivantes et pour chaque période subséquente de 10 années ou moins, un loyer annuel à être déterminé par le locateur, ou, advenant le refus du locataire d’y consentir, celui qu’un Juge de la Cour de l’Échiquier pourrait déterminer comme étant alors la pleine valeur annuelle du terrain.

Il est stipulé dans chaque bail que si, à son expiration, le locataire désire louer de nouveau le terrain concédé et s’il a donné un avis écrit de 6 mois au ministre, a payé le loyer afférant, a observé, exécuté et rempli les stipulations et conditions du bail et s’y est conformé, Sa Majesté, ou ses successeurs ou ayants droit, lui accordera un bail pour un deuxième terme de 42 ans, bail comportant les mêmes stipulations et conditions que le premier, sauf en ce qui a trait au loyer. Advenant un désaccord sur le loyer à stipuler dans le nouveau bail, il est prévu que ce loyer doit être déterminé par trois arbitres: un nommé par le ministre, un par le locataire et un troisième choisi par les deux premiers. Une autre clause du bail prévoit des reconductions ultérieures pour des termes de 42 ans, assujetties aux mêmes stipulations et conditions et à un loyer à déterminer en la manière prévue pour la première reconduction.

Les intimés ont acquitté le loyer prévu dans leur bail respectif et observé les stipulations et conditions y contenues. Chacun a donné avis de son intention de reconduire le bail conformément aux dispositions arrêtées. Dans chaque cas, la Couronne a refusé de délivrer une reconduction du bail selon les termes de la convention.

Les intimés ont déposé une pétition de droit en Cour de l’Échiquier pour obtenir un jugement déclaratoire de leur droit à la reconduction des baux selon les dispositions prévues au bail primitif.

En première instance[2], les intimés ont obtenu le jugement déclaratoire qu’ils demandaient, sauf en ce qui a trait aux dispositions des baux primitifs quant à la méthode de détermination du loyer payable en cas de reconduction (c’est-à-

[Page 654]

dire, par arbitrage). Le savant juge de première instance a statué qu’en vertu du règlement pertinent, applicable au moment de la signature des baux, le ministre de l’Intérieur n’avait pas le droit d’y inclure une telle clause. A son avis, c’est au ministre qu’il incombe de fixer le loyer à payer.

Sa Majesté a interjeté appel de ce jugement et les intimés en ont demandé la modification dans la mesure où, comme je l’ai dit au paragraphe précédent, le juge de première instance a décidé que la reconduction du bail ne pouvait être accordée aux conditions prévues dans le bail primitif en ce qui concerne la détermination du loyer payable en vertu du bail ainsi reconduit.

L’appelante veut justifier ce qui, à première vue, semble être un refus du gouvernement d’exécuter son contrat et cela, en invoquant deux moyens:

(a) Que le règlement pertinent, en vigueur quand les baux ont été conclus, ne donnait pas au ministre le pouvoir de consentir de baux renouvelables au choix du locataire pour des termes successifs de 42 ans, à perpétuité.

(b) Qu’à l’époque où les intimés ont voulu reconduire les baux, la Loi sur les parcs nationaux, 1930 (Can.) c. 33 et le règlement établi en exécution interdisaient au ministre de consentir des baux stipulant la clause de reconduction qu’on y trouve.

En rapport avec le premier point, je veux faire brièvement l’historique de la législation pertinente et de règlements en vigueur à l’époque de la signature des baux.

En 1883, le chapitre 17 des Statuts du Canada modifie et refond en une seule loi les nombreux actes relatifs aux terres publiques fédérales. Il s’applique aux terres publiques situées au Manitoba et dans les divers Territoires fédéraux. C’est le précurseur de l’Acte des terres fédérales, S.R.C. 1886, c. 54, plus tard, S.R.C. 1906, c. 55. Cet acte est remplacé en 1908 par le chapitre 20 des Statuts du Canada.

L’Acte du Parc des Montagnes-Rocheuses est édicté en 1887, S.C. 1887, c. 32. Il établit le Parc des Montagnes-Rocheuses comme un seul parc, qui devient plus tard le parc de Banff.

[Page 655]

L’Acte des réserves forestières fédérales, 1906 (Can.), c. 14, fait que les terres fédérales au Manitoba, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique, décrites dans l’Acte, sont retirées de la vente, de la colonisation et de l’occupation sous le régime de l’Acte des terres fédérales et mises à part comme Réserves forestières fédérales,

pour protéger et améliorer les forêts dans le but de maintenir la production forestière et de préserver les conditions favorables à la perpétuité du régime des eaux, ainsi que pour protéger en tant que le permettent les attributions du parlement du Canada, les animaux, les poissons et les oiseaux dans les limites respectives de ces réserves et autrement assurer la protection des forêts dans lesdites provinces.

En 1907, sous l’autorité de l’article 194 de l’Acte des terres fédérales, S.R.C. 1906, c. 55, qui confère au Gouverneur en conseil le pouvoir de réserver des terres comme parcs forestiers en Alberta ou dans les Territoires du Yukon, dans les Montagnes-Rocheuses ou les montagnes y contiguës ou à proximité, le parc forestier de Jasper est réservé et constitué en parc forestier, par le décret C.P. 1323. La description des terres faisant partie de ce parc est modifiée en 1909, par le décret C.P. 1068.

En 1911, la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux, 1911 (Can.), c. 10, est édictée. Un seul parc, le Parc des Montagnes-Rocheuses, avait alors été distrait des terres fédérales, de même que diverses réserves forestières, y compris le parc forestier de Jasper, en vertu des dispositions de l’Acte des réserves forestières fédérales.

La Loi de 1911 fait des terres y décrites des réserves soustraites à la vente, la colonisation ou l’occupation en vertu de l’Acte des terres fédérales. Elle prévoit aussi, à l’article 18, la désignation comme parcs fédéraux de réserves ou domaines à l’intérieur des réserves forestières. L’article 18 de cette loi de 1911 est abrogé en 1913 (S.C. 1913, c. 18) et remplacé par un nouvel article 18 auquel je vais maintenant me reporter. Les parties pertinentes de cet article se lisent comme suit:

18. Le Gouverneur en conseil peut, par proclamation, désigner telles réserves ou étendues dans les limites de réserves forestières ou telles autres

[Page 656]

étendues qu’il juge à propos, dont le titre est attribué à la Couronne pour le Canada qui seront et sont connus sous le nom de Parcs fédéraux, et, ils doivent être entretenus et il peut en être fait usage comme parcs publics et lieux d’amusement pour le bénéfice, l’avantage, et la jouissance de la population du Canada, et les dispositions de la présente loi régissant les réserves forestières, à l’exception de l’article 4, doivent aussi s’appliquer aux parcs fédéraux.

2. Lesdits parcs, subordonnément à la direction du ministre de l’Intérieur, doivent être sous le contrôle de l’administration du Commissaire des Parcs fédéraux, ou de telle autre personne que le Gouverneur en conseil choisit pour cet objet.

3. Le Gouverneur en conseil peut établir des règlements pour:

a) la protection, le soin, l’administration, le contrôle, l’entretien et l’amélioration des Parcs fédéraux, et leur usage comme parcs publics et lieux d’amusements;

b) la conduite des personnes résidant dans ces parcs ou en faisant usage;

c) le louage pour tout terme d’années de tels lopins de terre dans les parcs qu’il juge à propos dans l’intérêt du public, pour des objets publics, pour la construction de maisons d’habitation et d’établissements destinés au commerce ou à l’industrie, ou à la commodité de ceux qui visitent les parcs;

d) l’entretien et l’amélioration des propriétés qui ont été vendues ou louées dans les parcs;

e) prescrire la classe et le style des maisons et autres constructions à être érigées dans les Parcs, et les matériaux dont elles doivent être bâties, et la classification d’étendues de constructions et d’incendie;…

Il convient de noter que toutes les dispositions de l’Acte concernant les réserves forestières s’appliquent aussi aux parcs fédéraux, sauf l’article 4 qui attribue le contrôle et l’administration des réserves au Directeur de la sylviculture, alors que l’article 18 (2) attribue le contrôle et l’administration des parcs fédéraux au Commissaire des Parcs fédéraux.

L’article 17 b) de la Loi de 1911, modifié en 1913, accorde au Gouverneur en conseil un pouvoir de réglementation visant:

la coupe et l’enlèvement du bois de service, l’exploitation des mines, carrières et gîtes de minéraux,

[Page 657]

l’enlèvement du sable, du gravier, de la terre, de la pierre ou tous autres matériaux, le pâturage des bestiaux, l’usage des terres à foin, l’établissement et l’usage de réservoirs, d’emplacements de chutes d’eau, les lignes de transmission de force motrice, les lignes de télégraphe et de téléphone, et tout autre usage non incompatible avec les objets de la présente loi, et la concession de baux et de permis, pour ces objets, (les italiques sont de moi).

Le Parc de Jasper et quatre autres parcs fédéraux sont constitués par le décret C.P. 1338, en 1911, sous l’autorité de l’article 18 de la loi de 1911. Pour les désigner, le décret du Conseil se sert de l’expression [TRADUCTION] «les étendues de terre suivantes comprises dans des réserves forestières». Les terres louées aux intimés étaient comprises à la fois dans un parc fédéral et dans une réserve forestière.

Je vais maintenant considérer les dispositions des règlements cités en cette affaire.

Deux ans avant l’établissement du Parc de Jasper comme parc fédéral, un règlement intitulé: «Regulations of the National Parks of Canada» (Règlement des parcs nationaux du Canada) était édicté, en 1909, par le décret C.P. 1340. Ce décret rescindait le règlement antérieur régissant le Parc des Montagnes-Rocheuses.

L’article 2 du règlement de 1909, sous le titre «Residence in the Parks» (Habitation dans les parcs), prévoit ce qui suit:

[TRADUCTION] 2. Le ministre de l’Intérieur a le pouvoir de faire faire l’arpentage et l’aménagement de parties des parcs qu’il peut désigner à l’occasion afin qu’elles soient subdivisées en lots pour la construction de maisons d’habitation, d’établissements destinés au commerce et à l’industrie et pour la commodité des visiteurs; il peut consentir des baux desdits lots pour un terme n’excédant pas quarante-deux ans, avec droit de reconduction, et à des loyers à être fixés à l’occasion par lui. De plus, il peut réserver les parties des parcs qu’il juge convenables à l’établissement de places de marché, prisons, palais de justice, lieux consacrés au culte, cimetières, institutions de bienfaisance, squares et autres usages semblables d’utilité publique.

En 1913, faisant suite à la modification apportée à la Loi de 1911, le décret C.P. 2028

[Page 658]

édictait un règlement intitulé «Regulations for Dominion Forest Reserves» (Règlements des réserves forestières fédérales).

L’article 1 (d) dit:

[TRADUCTION] «Terres fédérales» signifie les terres de la Puissance du Canada comprises ou englobées dans une réserve forestière fédérale régie par les dispositions de la «Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux».

L’article 64 prévoit ce qui suit:

[TRADUCTION] 64. Le ministre a le pouvoir de louer des terres aux fins suivantes et aux conditions ciaprès prévues:

(a) …

(b) …

(c) Lots de station estivale.

Conditions relatives au louage de terres aux fins précitées:

(a) …

(b) …

(c) Des baux de lots à bâtir dans les stations estivales dûment établies peuvent être consentis, selon un formulaire approuvé par le ministre, pour un terme de quarante-deux ans, renouvelable par semblables termes, au loyer à être fixé par le ministre. Ce loyer est sujet à rajustement en 1920 et à la fin de chaque période subséquente de dix ans. Avant qu’un bail ne soit accordé à un requérant, celui-ci doit signer une entente par laquelle il s’engage à ériger et parachever dans l’année, à la satisfaction du garde-forestier préposé à la réserve, une construction pour fins résidentielles, conforme à des plans et devis approuvés au préalable par ledit garde-forestier; le bail sera consenti après l’exécution des dispositions de l’entente. Aucune construction ne doit être érigée ou utilisée à des fins autres que résidentielles sans autorisation spéciale du ministre.

(d) Les baux ne peuvent être cédés sans le consentement écrit du ministre.

Mme Julia E. Follet et M. Joseph Thomas Norquay, les auteurs respectifs des intimés, ont tous deux fait une demande de bail selon des formulaires préparés par le ministère de l’Intérieur. Chaque demande contenait l’alinéa suivant:

[TRADUCTION] En faisant cette demande, je sais qu’un requérant ne peut exercer aucun droit en

[Page 659]

découlant tant qu’une entente n’a pas été signée et qu’avant le début de tous travaux de construction, les plans et devis doivent être soumis, en double exemplaire, au Surintendant du Parc et un permis de construction doit être obtenu.

Dans chaque cas, avant la signature du bail le requérant a bel et bien érigé et parachevé une construction conforme aux plans approuvés par le surintendant du Parc de Jasper, ce qui était une condition préalable de la signature du bail.

Dans la clause relative au loyer, chacun des baux contient une disposition prévoyant un rajustement de loyer pour la période de dix ans commençant le 1er janvier 1930, et pour chaque période de dix ans, ou fraction de dix ans, pendant le reste du terme.

Les baux ont été rédigés selon un formulaire préparé par le gouvernement et soumis aux locataires. Il est clair, à mon avis, qu’en insistant sur l’obligation de construire et en prévoyant, les rajustements de loyer, le gouvernement avait à l’esprit les conditions énumérées à l’article 64 du règlement de 1913.

Au sujet de la question de savoir si le règlement applicable est celui de 1909 ou de 1913, le savant juge de première instance dit:

[TRADUCTION] La prétention de l’intimée sur cette question est que ledit règlement de 1913, édicté en vertu de la modification de 1913 à l’Acte des réserves forestières et des parcs fédéraux, ne vise que les «réserves forestières» et ne touche en aucune façon les «parcs nationaux (fédéraux)»; de plus et d’autre part, que le Règlement relatif aux «parcs nationaux (fédéraux)» qui est pertinent, qui existait de 1923 à 1925 et qui constituait l’autorisation en vertu de laquelle ces deux baux ont été originairement consentis, c’est le règlement de 1909 que le Gouverneur en conseil a rétabli par le décret C.P. 1336, le 16 juin 1911, en vertu de l’article 18(2) de l’Acte des réserves forestières et des parcs fédéraux, Statuts du Canada 1911, chapitre 10.

A mon avis, la thèse de l’intimée sur cette question énonce correctement la loi applicable.

Le règlement de 1909 auquel on réfère dans ce passage, a été édicté avant l’adoption de

[Page 660]

l’Acte des réserves forestières et des parcs fédéraux. Au moment du décret, le seul parc fédéral était celui des Montagnes-Rocheuses et on ne sait trop en vertu de quel texte législatif ce règlement a été édicté. Cependant, il a été rétabli en 1911, comme le souligne le savant juge de première instance, et, par là, le ministre de l’Intérieur s’est vu accorder le pouvoir de consentir des baux de terres dans les parcs fédéraux.

Cependant, il est clair que lorsque les baux faisant l’objet du présent litige ont été consentis, ils l’ont été non pas en vertu du règlement de 1911, mais en vertu du règlement de 1913. L’obligation, comme condition préalable du bail, d’ériger une construction conforme à des plans approuvés, l’insertion dans les baux de dispositions visant les rajustements de loyer à la fin de périodes de 10 ans et les dispositions contenues dans les baux pour la reconduction sont toutes rattachées à ce règlement.

Le règlement de 1913 a été édicté très peu de temps après la modification apportée en 1913 à l’Acte des réserves forestières et des parcs fédéraux. La modification alors apportée à l’article 18 a rendu les dispositions de l’Acte concernant les réserves forestières applicables aux parcs fédéraux. L’article 19 de l’Acte des réserves forestières et des parcs fédéraux prévoyait ce qui suit:

19. Tout règlement établi sous le régime de la présente loi doit être publié pendant quatre semaines consécutives dans la Gazette du Canada et a, dès lors, la même force et le même effet que s’il eût été décrété en la présente loi, et lesdits règlements doivent être présentés au Parlement dans les quinze premiers jours de la session alors prochaine. Mais tout règlement établi par le Gouverneur en conseil, sous le régime des dispositions de la présente loi, relativement aux matières mentionnées à l’alinéa b) de l’article 17, et à l’alinéa c) de l’article 18 de la présente loi, doit rester en vigueur jusqu’au jour qui suit immédiatement le jour de la prorogation de la session du Parlement qui suit la date de ce règlement, et non plus longtemps, à moins que durant cette session ce règlement soit approuvé par résolution des deux Chambres du Parlement.

[Page 661]

L’article 1 du chapitre 44 des Statuts du Canada de 1928 se lit comme suit:

1. Les arrêtés en conseil ou règlements ci-devant établis par le gouverneur en son conseil sous l’empire de la Loi des eaux de la zone du Chemin de fer, chapitre quarante-sept du statut de 1912; de la Loi des Réserves forestières et des parcs fédéraux, chapitre dix du statut de 1911; de la Loi des terres fédérales, chapitre vingt du statut de 1908; de la Loi du Parc des Montagnes-Rocheuses, chapitre soixante des Statuts Revisés du Canada, 1906, ou de la Loi du Yukon, chapitre soixantetrois des Statuts Revisés du Canada, 1906, sont par la présente loi déclarés avoir la même force et le même effet que s’ils avaient été approuvés par les deux Chambres du Parlement, ainsi que l’exigent lesdites lois respectivement.

Ces dispositions ont pour effet de donner au règlement de 1913 la même force et le même effet que s’il avait été édicté comme partie de l’Acte des réserves forestières et des parcs fédéraux; conséquemment, en vertu de l’article 18(1) de cet acte, ses dispositions touchant les réserves forestières s’appliquent aussi aux parcs fédéraux.

A mon avis, en vertu de l’Acte et en vertu du règlement de 1913, le ministre avait le pouvoir de consentir les baux en question. L’article 64 du règlement autorisait le ministre à louer des «terres». Les terres dont il s’agit sont évidemment les «terres fédérales» définies à l’art. 1(d) comme signifiant «les terres de la Puissance du Canada comprises ou englobées dans une réserve forestière fédérale régie par les dispositions de la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux.» Les terres décrites dans les deux baux s’insèrent dans cette définition.

Donc, il s’agit ici d’une affaire où le gouvernement a consenti les deux baux en question en se fondant sur le règlement de 1913, qui luit confère un pouvoir suffisant. Ayant agi de la sorte, peut-il maintenant prétendre qu’il aurait dû consentir ces baux sous le régime du règlement antérieur de 1909 et qu’ils ne sont valides que dans la mesure où ils sont conformes à ce règlement-là? A mon avis, le gouvernement ayant ostensiblement agi en vertu du pouvoir que lui conférait un certain règlement ne peut contester le bien-fondé des actes posés par son

[Page 662]

agent, à moins d’établir que le règlement sur lequel ce dernier s’est basé ne lui donnait pas le pouvoir voulu pour agir ainsi. Le gouvernement n’a pas le droit de dénoncer son acte propre en alléguant que son agent aurait pu agir plus correctement en invoquant un autre règlement, si celui-ci n’a pas choisi cette ligne de conduite.

Dans la présente affaire, le ministre avait le pouvoir de consentir des baux de terres dans les parcs en vertu de chacun des deux règlements cités, à moins que l’on ne puisse établir que l’un exclut l’autre. Par ses dispositions, l’un n’exclut aucunement l’autre. On a prétendu que le règlement de 1909 écartait implicitement le pouvoir de consentir des baux de terres situées dans les parcs fédéraux, lequel pouvoir a été établi ultérieurement par le règlement de 1913. Le ministre n’était pas de cet avis à l’époque où il a consenti les baux et je ne suis pas prêt à accepter cette prétention à la lumière du fait que l’adoption du règlement de 1913 a eu lieu ultérieurement, très peu de temps après la modification de la loi qui a rendu possible son application aux parcs fédéraux et cela, sans aucune disposition tendant à en restreindre l’application. S’il y avait quelque doute sur ce point, je pense qu’il y aurait lieu de suivre l’opinion exprimée il y a longtemps par Lord Coke dans l’affaire St. Saviour’s Southwark (Churchwardens)[3], au sujet de l’interprétation à donner aux concessions royales:

[TRADUCTION] Lorsqu’une concession du Roi peut s’interpréter de deux façons différentes, c’est-à-dire, si une interprétation permet de considérer la concession valable en droit, et une autre interprétation oblige à la juger non valable en droit, alors, pour l’honneur du Roi et dans l’intérêt du citoyen, il faut adopter l’interprétation qui donne effet à l’acte consenti par le Roi, car le Roi n’a pas voulu faire une concession nulle; l’affaire de Sir J. Moleyn supporte ce point de vue, comme on le voit à la 6e partie de mon recueil.

A mon avis, c’est à bon droit que les baux ont été consentis en vertu du règlement de 1913; en conséquence, le droit de prévoir des reconductions successives n’est pas contestable.

[Page 663]

Cependant, on a prétendu que les clauses des baux qui régissent les reconductions sont nulles, parce qu’elles prévoient que le loyer payable à la reconduction doit être déterminé par arbitrage, advenant un désaccord entre les parties. On a soutenu qu’en vertu du règlement le pouvoir du ministre consiste à fixer les loyers et que, comme il ne l’a pas fait, il n’y a aucune disposition déterminant le loyer payable à la reconduction, et partant, la clause de reconduction est nulle.

Sur ce point, le savant juge de premièe instance a été d’avis que le ministre n’avait pas le pouvoir d’insérer la disposition relative à l’arbitrage dans la clause de reconduction, mais il a considéré séparable cette partie de la clause de façon à ne pas invalider le reste des clauses. Sur ce point, il a conclu comme suit:

[TRADUCTION] A ce sujet, je suis d’avis, premièrement, que la partie contestée est séparable du reste de chacune des clauses relatives à la reconduction et peut être écartée sans invalider le reste et, deuxièmement, que ces clauses, interprétées correctement, confèrent au ministre désigné le pouvoir de fixer le loyer à l’occasion, comme il a toujours été prévu. Il a été entendu que le ministre désigné fixerait le loyer payable, en vertu des baux reconduits conformément aux clauses visant les reconductions, par voie de réglementation générale applicable à tous les baux de la même catégorie que ceux dont il s’agit dans les parcs fédéraux, et non par une série de règlements isolés, chacun ne s’appliquant qu’à un seul des baux de terres dans les parcs nationaux; ainsi, cette condition essentielle d’une convention de reconduction d’un bail, le loyer à payer, ne fait pas défaut dans les baux en question.

L’article 18(3)(c) de l’Acte des Réserves forestières et des Parcs fédéraux qui autorise l’établissement de règlements relatifs au louage ne contient aucune stipulation quant à la méthode de fixation du loyer.

Le savant juge de première instance est d’avis que le règlement de 1909, qui prévoyait la signature de baux [TRADUCTION] «avec droit de reconduction, et à des loyers à être fixés à l’occasion» par le ministre s’applique.

Le règlement de 1913 autorisait la location [TRADUCTION] «selon un formulaire approuvé par le ministre, pour un terme de quarante-deux

[Page 664]

ans, renouvelable par semblables termes, au loyer à être fixé par le ministre». Le règlement lui-même stipule que ce loyer est sujet à rajustement en 1920 et, par la suite, à la fin de chaque période de 10 ans. Cette disposition ne prévoit pas, comme le fait la réglementation de 1911, une détermination périodique du loyer, effectuée à l’occasion par le ministre, au fur et à mesure des reconductions. Elle prévoit que le ministre fixe le loyer au moment où le bail est consenti. Elle prévoit aussi que ce loyer sera rajusté en 1920 et, par la suite, à la fin de chaque période de 10 ans. Cela indique clairement que le ministre n’est tenu de fixer que le loyer initial. C’est ce loyer qui doit faire l’objet de rajustements périodiques.

Les baux en question ont été signés sur un formulaire approuvé par le ministre. Ils sont faits pour un terme de 42 ans, renouvelables par semblables termes et à un loyer fixé par le ministre. A mon avis, le ministre avait le droit de les signer. Il n’avait pas à déterminer le loyer payable à la reconduction des baux; mais il avait plein pouvoir d’approuver le formulaire du bail; à mon avis, il n’était donc pas dépourvu du pouvoir d’insérer la disposition qu’il a insérée en approuvant le formulaire du bail, pour autant que les exigences du règlement étaient observées, comme je pense qu’elles l’ont été.

J’en viens maintenant à la deuxième question soulevée par l’appelante, c’est-à-dire, qu’au temps où les intimés ont demandé la reconduction de leurs baux la Loi sur les parcs nationaux, 1930 (Can.), c. 33, et les règlements y afférant, déniaient au ministre le droit de délivrer des baux aux conditions mentionnées dans les conventions relatives à la reconduction.

L’appelante énonce sa thèse de cette façon: une personne placée dans la situation du ministre, qui s’engage à reconduire un bail, s’engage en fait à exercer son pouvoir d’accorder un bail dans l’avenir, et un tel contrat est toujours subordonné à l’existence en permanence de ce pouvoir. Si ce pouvoir n’existe pas lorque le moment est venu d’exécuter le contrat, le ministre est déchargé de son obligation.

Cette prétention ne tient pas compte du fait que les contrats de bail en litige n’on pas été conclus avec le ministre, mais avec le gouverne-

[Page 665]

ment. Le ministre a prescrit le formulaire du bail et les baux ont été signés au nom du gouvernement par le sous-ministre de l’Intérieur; cependant, le rôle du ministre n’a pas été celui de commettant. Il n’était qu’un mandataire.

Étant donné ce fait, ce que l’appelante soutient en réalité est que si le gouvernement conclut une convention, signée en son nom par un mandataire, l’obligeant à faire quelque chose dans l’avenir, l’obligation d’exécuter son engagement cesse si, à l’époque de l’exécution, le mandataire n’a plus alors le pouvoir de faire ce qui a été promis. A mon avis, une telle prétention ne se défend pas. Tout autant que les citoyens, le gouvernement est obligé d’exécuter ses contrats. Cette obligation peut disparaître par l’effet de dispositions législatives appropriées, mais en l’absence de pouvoirs clairement conférés par la loi, il ne peut s’y soustraire. L’obligation ne devient pas nulle du simple fait que le pouvoir du ministre de consentir de nouveaux baux est moins étendu qu’il ne l’était à l’époque où le bail primitif a été consenti.

L’affaire Rayonier B.C. Limited v. City of New Westminster[4], sur laquelle l’appelante s’est fondée, ne se compare pas à la présente. Dans cette affaire-là, une municipalité avait loué un terrain à une compagnie, avec clause de premier privilège de reconduction («first right of renewal»), mais [TRADUCTION] «toujours subordonnément au droit du locateur de louer». Le bail accordait à la compagnie une exemption de taxe sur le terrain. Pendant la durée du bail, on a édicté un nouveau Municipal Act interdisant aux municipalités d’octroyer des exemptions de taxe.

A l’expiration du bail, les parties ont débattu le loyer et se sont mises d’accord quant à la reconduction; cependant, la municipalité a par la suite refusé la reconduction aux mêmes conditions quant à l’exemption de taxe. Il a été décidé que, bien que la compagnie ait eu droit à la reconduction, ce droit était subordonné au droit de la municipalité de louer, et que celle-ci ne pouvait reconduire le bail avec l’exemption de taxe.

L’article pertinent du Municipal Act prévoyait spécifiquement que le conseil municipal ne devait

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accorder aucune aide à une entreprise industrielle ou commerciale en lui octroyant une exemption de taxe.

Dans l’affaire Rayonier, le locateur était assujetti à la loi provinciale quant à ses pouvoirs et la loi lui interdisait d’accorder l’exemption de taxe. Dans l’affaire présente, aucune prohibition légale n’empêche l’appelante d’exécuter son obligation. Il arrive seulement, en ce qui a trait à la concession de nouveaux baux, que les pouvoirs du ministre font l’objet d’une définition moins étendue qu’auparavant.

L’appelante invoque les dispositions de l’article 6 de la Loi sur les parcs nationaux, à l’origine 1930 (Can.), c. 33, et maintenant S.R.C. 1952, c. 189, qui se lit ainsi:

Les terres publiques situées dans les parcs ne doivent pas être aliénées, choisies pour s’y établir, ni colonisées, et personne ne doit employer ni occuper quelque partie de ces terres, sauf sous l’autorité de la présente loi ou des règlements.

Les règlements actuels permettent de consentir des baux d’une durée n’excédant pas 42 ans, avec option de reconduction pour une durée n’excédant pas 21 ans.

L’appelante admet que si dans les baux la stipulation relative à la reconduction avait donné aux intimés un droit absolu à la reconduction, l’abrogation du pouvoir conféré par la loi d’y consentir n’invaliderait pas ce droit. Par contre, elle prétend que la stipulation relative à la reconduction n’a pas conféré un droit absolu mais un droit subordonné à la permanence du pouvoir du ministre d’accorder un tel bail.

Je ne puis pas trouver une telle restriction dans la stipulation relative à la reconduction, laquelle prévoit spécifiquement que si le locataire se conforme aux dispositions du bail et donne l’avis requis de son désir de reconduire,

[TRADUCTION] alors Sa Majesté, ou ses successeurs ou ayants droit, concédera au locataire lesdits lieux loués pour un second terme de 42 ans au moyen d’un bail contenant les mêmes stipulations et conditions qui sont énoncées à ces présentes, à l’exception du loyer à payer par le locataire durant ce second terme…

[Page 667]

Les clauses relatives à la reconduction renferment aussi la disposition suivante:

[TRADUCTION] …l’intention et le sens véritables des présentes étant qu’à la fin du terme de quarante-deux ans accordé par ce bail et aussi à la fin de chaque reconduction pour un terme de quarante-deux ans devant être accordée en la manière précitée, et pourvu que soient observées, exécutées et remplies les mêmes exigences que ci-dessus prévues à l’égard des première et deuxième reconductions, il sera accordé un nouveau bail desdits lieux loués contenant les mêmes stipulations et conditions, et à un loyer fixé et déterminé comme ci-devant prévu et ainsi de suite pour toujours.

La Loi sur les parcs nationaux et le règlement établi en conséquence ne doivent pas s’interpréter comme s’appliquant rétroactivement, de façon à retirer des droits acquis. Ils établissent des règles applicables à partir de leur date de promulgation en ce qui concerne l’aliénation de biens situés dans les parcs nationaux; mais, en l’absence de dispositions claires et explicites à cet effet, ils ne doivent pas être interprétés de façon à priver les intimés de droits contractuels et de titres équitables validement consentis. Sur Wright dans Re Athlumney[5]:

[TRADUCTION] Il se peut qu’aucune règle d’interprétation ne soit plus solidement établie que celle-ci: un effet rétroactif ne doit pas être donné à une loi de manière à altérer un droit ou une obligation existants, sauf en matière de procédure, à moins que ce résultat ne puisse pas être évité sans faire violence au texte.

Les restrictions imposées par la Loi sur les parcs nationaux et les règlements établis en conséquence ne visent pas à retirer aux intimés leurs droits acquis, et ils ne doivent pas s’interpréter en ce sens.

Cependant, l’appelante prétend que, d’après leurs propres dispositions, les baux étaient assujettis à tous règlements ultérieurement établis et elle invoque la cinquième clause, qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] CINQUIÉMEMENT: — Que ce bail et toute reconduction sont assujettis à tous les règle-

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ments visant le contrôle et l’administration des parcs fédéraux maintenant en vigueur, ou que le Gouverneur en conseil pourra, par la suite, établir à l’occasion dans ce domaine.

Le savant juge de première instance a traité de ce point en ces termes:

[TRADUCTION] En ce qui a trait à la quatrième question, savoir, si la cinquième clause de chacun des baux en question rend applicables tous les règlements relatifs au contrôle et à l’administration des parcs nationaux en vigueur à la date des baux en question ou par la suite établis à l’occasion dans ce domaine par le Gouverneur en conseil, les requérants prétendent que cette disposition se rapporte aux règlements qui peuvent être établis à l’occasion et qui sont du genre des règlements pour le bon ordre et non, comme c’est ici le cas, du genre de ceux qui confèrent ou non au ministre désigné le pouvoir de faire ce qui est en litige en cette affaire. Par contre, l’intimée allègue que cette disposition assujettit tous les baux comme ceux en litige à tous les règlements relatifs au contrôle et à l’administration des parcs, en vigueur à la date des baux, ou pouvant par la suite être établis à l’occasion par le Gouverneur en conseil sans restriction quant au genre.

Je suis d’avis que l’argumentation des requérants traduit l’interprétation correcte de la cinquième clause des baux en litige.

Je suis d’accord avec cette conclusion, que viennent renforcer les termes de l’article 18 de la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux lequel était applicable lors de la signature des baux. Le paragraphe (3) de cet article traitait du pouvoir de réglementation accordé au Gouverneur en conseil et l’alinéa (a) accordait un pouvoir de réglementation visant:

la protection, le soin, l’administration, le contrôle, l’entretien et l’amélioration des Parcs fédéraux et leur usage comme parcs publics et lieux d’amusements.

(Les italiques sont de moi.)

Mais la concession de baux n’était pas visée par cet alinéa. Un alinéa distinct régissait le pouvoir de réglementation visant:

(c) le louage pour tout terme d’années de tels lopins de terre dans les parcs qu’il juge à propos dans l’intérêt public,…

[Page 669]

Le Parlement a établi lui-même des distinctions entre les règlements relatifs au contrôle et à l’administration des parcs et ceux relatifs au louage de terres dans les parcs. Quand les baux parlent des règlements visant le contrôle et l’administration des parcs fédéraux, ils parlent des règlements établis en vertu de l’alinéa (a) et non de ceux établis en vertu de l’alinéa (c).

Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens et d’accueillir la requête des intimés pour la modification du jugement du tribunal de première instance.

Le jugement des Juges Abbott et Judson a été rendu par

LE JUGE JUDSON (dissident) — La question faisant l’objet de ces deux pourvois est de savoir si deux locataires de terres situées dans le parc national de Jasper possèdent un droit de reconduction de bail à perpétuité. Un des baux a été consenti en 1924, l’autre en 1925, chacun pour une durée de 42 ans et chacun accordant au locataire le droit de reconduction à perpétuité dans les termes non équivoques suivants: qu’à l’expiration du premier terme de 42 ans, le gouvernement accordera un deuxième terme de 42 ans, puis à l’expiration du deuxième terme de 42 ans, si le locataire désire le reconduire, une autre reconduction d’une durée de 42 ans, et ainsi de suite pour toujours. A l’expiration du premier terme, le ministre a offert de reconduire les baux pour une durée de 42 ans sans aucun droit de reconduction ultérieure. Les intimés ont refusé d’accepter cette proposition et, par pétition de droit, ont demandé que les baux reconduits leur donnent le droit à la reconduction à perpétuité. La Cour de l’Échiquier[6] leur a donné raison et le gouvernement se pourvoit à l’encontre de ce jugement.

Je suis d’avis que les baux ont été consentis, ne pouvant l’être autrement, en vertu du règlement des parcs nationaux du Canada établi le 21 juin 1909 par le décret du conseil C.P. 1340 et confirmé par le décret du conseil C.P. 1336 en date du 6 juin 1911, en conformité du paragraphe (2) de l’article 18 de la Loi des Réserves

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forestières et des Parcs fédéraux, 1911 (Can.), c. 10. L’article 2 de ce règlement autorise le ministre à consentir des baux en les termes suivants:

[TRADUCTION] 2. Le Ministre de l’Intérieur a le pouvoir de faire faire l’arpentage et l’aménagement de parties de parcs qu’il peut désigner à l’occasion afin qu’elles soient subdivisées en lots pour la construction de maisons d’habitation, d’établissements destinés au commerce et à l’industrie et pour la commodité des visiteurs; il peut consentir des baux desdits lots pour un terme n’excédant pas quarante-deux ans, avec droit de reconduction, et à des loyers à être fixés à l’occasion par lui. De plus, il peut réserver les parties de parcs qu’il juge convenables à rétablissement de places de marché, prisons, palais de justice, lieux consacrés au culte, cimetières, institutions de bienfaisance, squares et autres usages semblables d’utilité publique.

Cet article donne au ministre le pouvoir de consentir un bail d’une durée n’excédant pas 42 ans, «avec droit de reconduction», au loyer qu’il fixera lui-même à l’occasion. «Avec droit de reconduction» ne signifie pas «avec droit de reconduction à perpétuité» et ne permet pas l’insertion d’une telle clause dans le bail reconduit.

Vu la prétention des locataires à l’effet que leurs baux contenant la clause de reconduction à perpétuité sont soumis au règlement décrété le 8 août 1913, et non au règlement décrété le 6 juin 1911, le savant juge de première instance a dû entreprendre une étude complète des lois et règlements visant les réserves forestières et les parcs nationaux. Il l’a fait, et je suis d’accord sur son analyse que je ne répète pas ici. II l’a résumé comme suit:

[TRADUCTION] En 1923-1924, quand l’intimé a consenti les baux et litige aux requérants, les règlements en vigueur concernant, premièrement, les «parcs nationaux (fédéraux)» et, deuxièmement, les «réserves forestières» étaient les suivants:

(i) Concernant «les parcs nationaux (fédéraux)»

Le règlement établi le 21 juin 1909 par le décret du conseil C.P. 1340, rétabli par le décret du conseil C.P. 1336 en date du 6 juin 1911, fait sous l’autorité du paragraphe (2) de l’article 18 de la Loi des Réserves forestières et des Parcs fédéraux de 1911.

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(ii) Concernant «les réserves forestières»

Le règlement établi par le décret du conseil C.P. 2028 du 8 août 1913, (abrogeant le règlement du 13 janvier 1908 et du 19 octobre (12 octobre) 1910), modifié à nouveau par le décret du conseil C.P. 2349 en date du 24 septembre 1913 (qui abroge l’article 75 du règlement concernant les réserves forestières établi par le décret du conseil du 8 août 1913, et qui y substitue un nouvel artile 75).

L’importance du règlement du 8 août 1913 vient de ce qu’il autorise des baux pour un terme de 42 ans renouvelables par semblables termes. Le règlement de 1913 est évidemment plus favorable à la position prise par les locataires que le règlement de 1911. Mais le savant juge de première instance a décidé, correctement à mon avis, que le règlement de 1913 vise les «réserves forestières», et non les «parcs nationaux (fédéraux)», et que les baux de terres dans les parcs sont régis par le règlement de 1911. Le savant juge de première instance a ensuite appliqué le règlement de 1911 et décidé que les termes «avec droit de reconduction» donnent au ministre le pouvoir de consentir des baux contenant une clause accordant le droit de reconduction à perpétuité. Comme je l’ai dit, je ne suis pas d’accord sur cette conclusion.

Le règlement de 1913 exige un engagement de construire, engagement à exécuter avant la signature du bail. Mais le fait que le ministre a exigé que les requérants s’engagent à construire conformément à des plans à être soumis, comme condition préalable de la signature de ces baux, ne signifie pas que son pouvoir d’agir venait du règlement de 1913 concernant les réserves forestières. Une des terres est située en bordure d’un lac et l’autre à l’intérieur du village de Jasper. Il était absolument raisonnable, et il était de son ressort, d’exiger ces ententes relatives à la construction. Il n’existait aucune raison d’accorder ces baux avant que le besoin ne se fasse sentir et pour des fins de spéculation.

La façon dont le législateur a traité les «réserves forestières» et les «parcs nationaux» est une source de confusion. Il les a soumis à des

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lois distinctes jusqu’en 1911. Encore une fois, j’adopte le résumé du savant juge de première instance:

[TRADUCTION] En d’autres termes, jusqu’en 1911 les «réserves forestières» et les «parcs nationaux» ont fait l’objet de lois distinctes. Les parcs ont d’abord été soumis à l’Acte du parc des Montagnes-Rocheuses, Statuts du Canada 1887, c. 32 et les réserves forestières à l’Acte des réserves forestières fédérales, Statuts du Canada 1906, c. 14. En 1911, ces deux lois ont été abrogées; à partir de cette date et jusqu’en 1930, les «réserves forestières» et les «parcs nationaux» ont été régis par une seule loi, la Loi des Réserves forestières et des Parcs nationaux», Statuts du Canada 1911, c. 10.

En 1930, les «réserves forestières» (entre autres choses) appartenant au Canada et situées dans la province de l’Alberta ont été transférées à la province de l’Alberta par le Statut Impérial 21 Geo. V, c. 26, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1930; mais le Gouvernement du Canada est demeuré propriétaire, au nom du Canada, des «parcs nationaux», des terres des Indiens, des terres des anciens combattants et d’autres terres et choses, toutes énumérées dans cette loi et dans les ententes qui en font partie.

La loi de 1911 vise les réserves et les parcs, mais les règlements établis sous son régime traitent séparément des parcs et des réserves et ils ont été adoptés en vertu d’articles distincts. Le savant juge de première instance a relevé ce fait:

[TRADUCTION] En tout temps, le règlement portant sur les «réserves forestières» a différé du règlement portant sur les «parcs nationaux (fédéraux)». Une étude de l’historique de la réglementation concernant les «parcs nationaux (fédéraux)» démontre que le règlement se rapportant aux «réserves forestières» ne s’est jamais appliqué aux «parcs nationaux (fédéraux)».

L’article 17 de la loi de 1911 autorise l’établissement de règlements touchant les réserves forestières. L’alinéa (b) de cet article dispose de la concession de baux, en rapport avec certains problèmes de gestion, dans les termes suivants:

(b) La coupe et l’enlèvement du bois de service, l’exploitation des mines, carrières et gîtes de minéraux, l’enlèvement du sable, du gravier, de la terre, de la pierre ou tous autres matériaux,

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le pâturage des bestiaux, l’usage de terres à foin, l’établissement et l’usage de réservoirs, d’emplacements de chutes d’eau, les lignes de transmission de force motrice, les lignes de télégraphe et de téléphone, et la concession de baux et de permis pour ces objets.

On notera que le pouvoir de concéder des baux ne fait aucune mention des conditions.

L’article 18 de la loi de 1911 autorise l’établissement de règlements portant sur les parcs fédéraux. Le paragraphe (c) de l’art. 18(2) traite du louage.

(c) le louage pour tout terme d’années de tels lopins de terre dans les parcs qu’il juge à propos dans l’intérêt public, pour des objets publics, pour la construction de maisons d’habitation et d’établissements destinés au commerce ou à l’industrie, ou à la réception de ceux qui visitent les parcs;…

La loi de 1913, 3-4 Geo. V, c. 18, est une loi modificatrice. Elle abroge l’article 18 de la loi de 1911 et édicte un nouvel article 18. Je cite ici les paragraphes (1) et (3) (c) du nouvel article 18:

18. Le Gouverneur en conseil peut, par proclamation, désigner telles réserves ou étendues dans les limites de réserves forestières ou telles autres étendues qu’il juge à propos, dont le titre est attribué à la Couronne pour le Canada qui seront et sont connus sous le nom de Parcs fédéraux, et, ils doivent être entretenus et il peut en être fait usage comme parcs publics et lieux d’amusement pour le bénéfice, l’avantage et la jouissance de la population du Canada, et les dispositions de la présente loi régissant les réserves forestières, à l’exception de l’article 4, doivent aussi s’appliquer aux parcs fédéraux.

3. Le Gouverneur en conseil peut établir des règlements pour —

(c) le louage pour tout terme d’années de tels lopins de terre dans les parcs qu’il juge à propos dans l’intérêt du public, pour des objets publics, pour la construction de maisons d’habitation et d’établissements destinés au commerce ou à l’industrie, ou à la commodité de ceux qui visitent les parcs.

Le pouvoir législatif d’établir des règlements portant, premièrement, sur les réserves forestières et, deuxièmement, sur les parcs, découle des arti-

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cles précités. Il y a toujours eu, avant et après la loi modificatrice de 1913, des règlements distincts régissant les deux entités, chacune ayant ses propres problèmes qui exigent une solution différente. Il existait des règlements distincts à l’époque de la concession des baux en question.

Les locataires allèguent que les derniers mots du premier paragraphe du nouvel art. 18 édicté par la loi modificatrice de 1913, «les dispositions de la présente loi régissant les réserves forestières, à l’exception de l’article 4, doivent aussi s’appliquer aux parcs fédéraux», donnent au ministre le pouvoir de concéder des baux sur les terres des parcs en vertu des règlements sur les réserves forestières plutôt qu’en vertu des règlements sur les parcs. Je ne suis pas d’accord avec cette thèse. Elle ne s’accorde pas avec la coexistence d’articles distincts autorisant des règlements distincts pour les réserves forestières situées dans les parcs et avec la coexistence des règlements distincts eux-mêmes. Quand les baux en litige ont été concédés, l’article 18 visant les parcs et les règlements correspondants concernant les parcs constituaient la seule autorisation législative. Le but des mots litigieux dans le nouvel art. 18 n’est pas de rendre l’art. 17 et les règlements y afférant applicables à la fois aux réserves et aux parcs, mais simplement de rappeler le principe général qui veut qu’une seule loi traite des réserves et des parcs, principe qui, comme le Juge Gibson l’a noté, marque une nouvelle étape de la législation en cette matière.

Une grande partie de la plaidoirie devant nous a donc été consacrée à cette question: Faut-il appliquer le règlement de 1911 sur les parcs, qui autorise le bail d’une durée de 42 ans «avec droit de reconduction», ou le règlement de 1913 sur les réserves forestières, qui autorise un bail de 42 ans «renouvelable par semblables termes». J’ai mentionné plus haut que le Juge Gibson a décidé que le règlement de 1911 sur les parcs s’applique et qu’il suffit à justifier le droit de reconduction à perpétuité. Les locataires invoquent le règlement de 1913 sur les réserves forestières et se fondent sur les mots «renouvelable par semblables termes» au soutien de leur droit de reconduction à perpétuité. Je suis d’avis qui ni l’une ni l’autre de ces formulations ne peut servir de base à un tel droit.

[Page 675]

Le droit relatif aux clauses de reconduction à perpétuité dans un bail n’est pas douteux. Une clause de reconduction dans un bail ne crée un droit de reconduire à perpétuité que quand des mots précis indiquent que c’est l’intention des parties sans aucune équivoque. Ce principe est indiscutable. (Re Jackson and Imperial Bank of Canada[7] et Auld c. Scales[8] et 23 Hals., 3e éd., p. 627.) Si un locataire invoque une loi et un règlement établi en conséquence au soutien d’un droit de reconduction à perpétuité, a-t-il droit à une norme différente? Je ne le pense pas. La loi et le règlement doivent lui donner ce droit en l’énonçant avec la même clarté qu’on exige d’une clause de reconduction dans un bail.

Même si les clauses en question accordaient un droit de reconduction à perpétuité, ce qu’elles ne font pas, elles n’en seraient pas moins inopérantes puisque, par ailleurs, elles impliquent quelque chose que ni le règlement de 1911, ni celui de 1913 ne permet. L’article 2 du règlement de 1911 permet au ministre de consentir des baux «à des loyers à être fixés à l’occasion par lui». L’article 64 (c) du règlement de 1913 se sert des mots «au loyer à être fixé par le ministre». Les deux règlements indiquent clairement qu’il incombe au ministre, et à lui seul, de fixer le loyer d’après le bail.

Dans la première des deux clauses de reconduction contenues dans chacun des baux en question, on trouve ce qui suit:

[TRADUCTION] …à l’exception du loyer à payer par le locataire durant ce second terme, et le montant du loyer, advenant le cas où Sa Majesté, ou ses successeurs ou ayants droit, et le locataire ne réussiraient pas à se mettre d’accord à ce sujet, sera fixé et déterminé par la décision et l’arbitrage de trois arbitres…

La deuxième clause de reconduction portant sur la reconduction à l’expiration du second terme, contient ceci:

[TRADUCTION] …le montant du loyer payable en vertu d’une deuxième reconduction, devant être fixé et déterminé en la manière ci-dessus prévue et énoncée…

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Ces clauses prétendent permettre que le loyer soit fixé par arbitrage dans certaines circonstances. Mais ni le règlement de 1911 ni celui de 1913 ne permet un tel arbitrage. Les termes de la clause portant sur la détermination du loyer par voie d’arbitrage sont donc sans effet.

Par contre, je n’annulerais pas, pour cette unique raison, tout droit à la reconduction que les locataires peuvent avoir. Il suffit d’indiquer dans ces motifs qu’ils n’ont aucun droit de reconduction à perpétuité et que le loyer doit être fixé par le ministre dans toute reconduction de bail. Même s’il accorde le droit de reconduction à perpétuité, le jugement de la Cour de l’Échiquier reconnaît, que le loyer doit être fixé par le ministre. Les locataires ont demandé que le jugement soit modifié dans cette mesure.

J’accueillerais le pourvoi avec dépens, je rejetterais avec dépens la requête visant la modification et j’infirmerais le jugement de la Cour de l’Échiquier en décidant que les locataires n’ont droit à aucun des redressements qu’ils ont demandés dans leur pétition de droit. La Couronne a droit aux dépens en Cour de l’Échiquier.

LE JUGE PIGEON (dissident en partie) — Dans ces deux affaires, je suis entièrement d’accord avec les conclusions du juge de première instance[9]. Ayant eu le privilège de lire les motifs de mes collègues les Juges Martland et Judson, je désire indiquer brièvement pourquoi je ne puis être d’accord avec l’un ou l’autre.

A mon avis, la disposition du règlement qui autorise la location de terres dans les parcs nationaux «avec droit de reconduction» ne doit pas faire l’objet d’une interprétation restrictive qui ne permette qu’une seule reconduction pour un terme maximum de quarante-deux ans. Il faut appliquer les règles ordinaires d’interprétation des lois. En elle-même, l’expression embrasse tout droit de reconduction connu en droit, ce qui comprend le droit de reconduction à perpétuité. En vertu d’une règle d’interprétation bien connue, lorsque le texte ne fait pas de distinction, il n’en faut apporter aucune sans raison spéciale. Aucune raison semblable en transparaît ici.

[Page 677]

De plus, les représentants officiels du gouvernement ont interprété le règlement comme autorisant des baux avec droit de reconduction à perpétuité, et le bail signé contient une clause à cet effet. Afin d’être relevé de l’obligation qui découle de ces baux, le gouvernement doit démontrer que le règlement n’autorise pas le droit de reconduction qui a été accordé. Il ne le fait pas en faisant valoir que, dans les contrats, les clauses de reconduction ne sont pas présumées entraîner la reconduction à perpétuité.

A propos des affaires citées par mon collègue le Juge Judson, je dois dire en toute déférence que la décision rendue dans Re Jackson and Imperial Bank of Canada[10] semble mal fondée. Elle contredit directement le jugement prononcé dans Hare v. Burges[11], où il a été décidé que:

[TRADUCTION] Bien que, prima facie, un locateur ne soit pas considéré comme ayant eu l’intention de conclure un contrat portant reconduction à perpétuité, si l’on trouve dans le bail des expressions qui indiquent cette intention, le tribunal y donnera effet.

Bail à vie en faveur de plusieurs preneurs, avec clause relative à la signature d’un bail reconduit à la mort de l’un ou l’autre des preneurs, au même loyer et aux mêmes clauses «y compris cette clause-ci:» Jugé: C’est une clause de reconduction à perpétuité, et le preneur a droit de faire insérer dans le bail reconduit une clause de reconduction identique à celle contenue dans le bail primitif, mais en substituant le nom du nouveau preneur à celui du de cujus.

Quant à Auld v. Scales[12], il est à noter que cette question n’y a été considérée que par le Juge Estey et ce, clairement en obiter dictum. Sur ce point, il a conclu en disant (aux pages 555 et 556):

[TRADUCTION] Les mêmes observations font voir la distinction à établir avec l’affaire Northchurch Estates Ltd. v. Daniels (1946, 2 All. E.R. 524), où le bail était pour un terme fixe d’un an et donnait au locataire la faculté de

reconduire le bail d’année en année à des conditions identiques à celles mentionnées ci-après,

[Page 678]

l’avis d’une telle intention de reconduire le bail devant être donné par écrit, chaque année, au plus tard le 25 décembre.

Le Juge Evershed a jugé que cela créait un droit de reconduction à perpétuité. Il a dit à la page 526:

[TRADUCTION] Le texte renferme l’expression «la faculté de reconduire le bail d’année en année», et ensuite on ajoute que l’avis de cette intention doit être donné «chaque année» au plus tard le 25 décembre. Ces termes me semblent indiquer très fortement que les parties avaient à l’esprit que le locataire pourrait reconduire son bail d’année en année indéfiniment, à condition d’exercer ce droit dans le délai prescrit.

Je ne puis partager l’opinion de mon collègue le Juge Martland que le règlement applicable est celui qui se rapporte aux réserves forestières car, à mon avis, la définition de «terres» y indique clairement l’intention d’en restreindre l’application aux terres situées dans les réserves forestières. A l’époque de l’adoption des règlements, tout comme à celle de la signature des baux, les terrains dont il s’agit ne faisaient pas partie d’une réserve forestière mais d’un parc national. Le fait que certains actes ont été accomplis en conformité du règlement visant les réserves forestières n’a pu le rendre applicable, car il ne pouvait être modifié que par celui qui avait le pouvoir de l’établir, c’est-à-dire par le Gouverneur général en conseil.

Pour un motif semblable, je ne puis admettre que la disposition touchant la détermination du loyer par arbitrage ait été validement stipulée. Le règlement prévoit des baux comportant un loyer à être déterminé par le ministre. Il a le même effet juridique qu’une loi à cet effet. Par là, le ministre s’est vu conférer un pouvoir discrétionnaire qui n’est sujet à révision par aucune autre autorité (Calgary Power Ltd. el al. c. Copithorne[13]). Un ministre ne peut créer un droit de révision en signant un bail. Cela aurait pour effet d’entraver les futurs titulaires dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire réservé à eux seuls: delegatus non potest delegare.

[Page 679]

Je suis donc d’avis que le juge de première instance a conclu avec raison que rien n’autorisait la clause d’arbitrage. Celle-ci signifie que le moment venu de fixer de nouveau le loyer, celui-ci, au lieu d’être à la discrétion du ministre, au lieu d’être établi comme ce dernier le juge à propos, sera au contraire fixé à un montant jugé raisonnable par les arbitres. Ce n’est pas du tout la même chose qu’un montant fixé discrétionnairement.

Je crois, cependant, que le juge de première instance a décidé avec raison que la disposition relative à l’arbitrage est séparable. Elle est de la nature du droit de révision d’une décision ministérielle. La clause de reconduction peut avoir plein effet sans cela, le locataire devant accepter la reconduction au loyer fixé par le ministre s’il désire exercer son droit. En d’autres termes, sa seule option est la reconduction aux conditions agréées par le ministre, ce qui est entièrement conforme au règlement et effectif en soi.

Pour les motifs précités, je rejetterais le pourvoi avec dépens et le pourvoi incident, sans dépens.

Appel rejeté et requête pour faire modifier le jugement de la Cour de l’Échiquier accueillie, avec dépens, LES JUGES ABBOTT et JUDSON, étant dissidents et LE JUGE PIGEON étant dissident en partie.

Procureur de l’appelante: D.S. Maxwell, Ottawa.

Procureurs des intimées: Milner & Steer, Edmonton.

[1] [1969] 1 R.C. de l’É. 419.

[2] [1969] 1 R.C. de l’É. 419.

[3] (1613), 10 Co. Rep. 66b à la p. 67b, 77 E.R. 1025 à la p. 1027.

[4] (1961), 36 W.W.R. 433, (1962), 32 D.L.R. (2d) 596.

[5] [1898] 2 Q.B. 547 aux pages 551 et 552.

[6] [1969] 1 R.C. de l’É. 419.

[7] (1917), 39 O.L.R. 334.

[8] [1947] R.C.S. 543 à la p. 554.

[9] [1969] 1 R.C. de l’É. 419.

[10] (1917), 39 O.L.R. 334.

[11] (1857), 4 K. & J. 45.

[12] [1947] R.C.S. 543.

[13] [1959] R.C.S. 24.


Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté et la requête visant la modification du jugement doit être accueillie, les Juges Abbott et Judson étant dissidents et le Juge Pigeon étant dissident en partie

Analyses

Gouvernement - Baux de terrains dans un parc national - Clauses de reconduction - Perpétuité - Arbitrage - Discrétion ministérielle - Loi des réserves forestières et des parcs nationaux, 1911 (Can.), c. 10, modifiée par 1913 (Can.), c. 18 - Règlements - Rétroactivité.

Un contrat de bail ayant pour objet une terre située dans le parc de Jasper (aujourd’hui le parc national de Jasper) a été conclu en 1924 entre la Couronne et un locataire dont l’intimé W est l’ayant droit. En 1925, un bail identique a été conclu dont la Couronne et un locataire dont l’intimée C est l’ayant droit. Les deux baux étaient pour 42 ans à partir de leur date et prévoyaient un loyer annuel de $8 jusqu’au premier janvier 1930 et, pour les 10 années suivantes et pour chaque période subséquente de 10 années ou moins, un loyer annuel à être déterminé par le locateur, ou, advenant le refus du locataire d’y consentir, celui qu’un juge de la Cour de l’Échiquier pourrait déterminer comme étant alors la pleine valeur annuelle du terrain.

Il est stipulé dans chaque bail qu’un bail pour un deuxième terme de 42 ans, bail comportant les mêmes stipulations et conditions que le premier, sauf en ce qui a trait au loyer, sera accordé, sous certaines conditions, à chaque locataire. Advenant un désaccord sur le loyer à stipuler dans le nouveau bail, il est prévu que ce loyer doit être déterminé par trois arbitres. Une autre clause du bail prévoit des reconductions ultérieures pour des termes de 42 ans, assujetties aux mêmes stipulations et conditions et à un loyer à déterminer en la manière prévue pour la première reconduction.

[Page 650]

A l’expiration du premier terme la Couronne a refusé, dans chaque cas, de délivrer une reconduction du bail selon les termes de la convention. Les intimés ont déposé une pétition de droit en Cour de l’Échiquier pour obtenir un jugement déclaratoire de leur droit à la reconduction des baux selon les dispositions prévues au bail primitif. En première instance, les intimés ont obtenu le jugement déclaratoire qu’ils demandaient, sauf en ce qui a trait aux dispositions des baux primitifs quant à la méthode de détermination du loyer payable en cas de reconduction (c’est-à-dire, par arbitrage).

La Couronne a interjeté appel de ce jugement et les intimés en ont demandé la modification dans la mesure où le juge de première instance a décidé que la reconduction du bail ne pouvait être accordée aux conditions prévues dans le bail primitif en ce qui concerne la détermination du loyer payable en vertu du bail ainsi reconduit.

Arrêt: L’appel doit être rejeté et la requête visant la modification du jugement doit être accueillie, les Juges Abbott et Judson étant dissidents et le Juge Pigeon étant dissident en partie.

Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Fauteux, Martland, Ritchie, Hall et Spence: C’est à bon droit que les baux ont été consentis en vertu du règlement établi en 1913, à la suite de l’adoption du statut 1913 (Can.), c. 18, modifiant la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux, 1911 (Can.), c. 10. En conséquence, le droit de prévoir des reconductions successives n’est pas contestable.

En vertu de ce règlement, le Ministre n’avait pas à déterminer le loyer payable à la reconduction des baux, mais il avait plein pouvoir d’approuver le formulaire du bail; il n’était donc pas dépourvu du pouvoir d’insérer la disposition qu’il a insérée en approuvant le formulaire du bail, pour autant que les exigences du règlement étaient observées, comme elles l’ont été en fait.

La Loi sur les parcs nationaux, à l’origine 1930 (Can.), c. 33, et maintenant S.R.C. 1952, c. 189, et le règlement établi en conséquence ne doivent pas s’interpréter comme s’appliquant rétroactivement, de façon à retirer des droits acquis. Ils établissent des règles applicables à partir de leur date de promulgation en ce qui concerne l’aliénation de biens situés dans les parcs nationaux, mais en l’absence de dispositions claires et explicites à cet effet, ils ne doivent pas être interprétés de façon à priver les intimés de droits contractuels et de titres équitables validement consentis.

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On ne peut pas accepter la prétention que, d’après leurs propres dispositions, les baux étaient assujettis à tous règlements ultérieurement établis. Quand les baux parlent de règlements visant le contrôle et l’administration des parcs fédéraux, ils parlent des règlements établis en vertu de l’alinéa (a) du par. (3) de l’art. 18 de la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux, c’est-à-dire des règlements qui régissent le contrôle et l’administration des parcs, et non pas des règlements établis en vertu de l’alinéa (c), c’est-à-dire ceux qui régissent le louage des terres dans les parcs.

Les Juges Abbott et Judson, dissidents: L’appel doit être accueilli et la requête visant la modification rejetée.

Le juge de première instance a décidé correctement que le règlement de 1913 vise les «réserves forestières», et non les «parcs nationaux (fédéraux)», et que les baux de terres dans les parcs sont régis par le règlement des parcs nationaux du Canada établi en 1909 et confirmé en 1911, en conformité du par. (2) de l’art. 18 de la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux, 1911 (Can.), c. 10. Cependant, en appliquant le règlement de 1911, le juge de première instance a erré lorsqu’il a décidé que les termes «avec droit de reconduction» donnent au Ministre le pouvoir de consentir des baux contenant une clause accordant le droit de reconduction à perpétuité. Si un locataire invoque une loi et un règlement établi en conséquence au soutien d’un droit de reconduction à perpétuité, la loi et le règlement doivent lui donner ce droit en l’énonçant avec la même clarté qu’on exige d’une clause de reconduction dans un bail.

Dans le cas présent, les locataires n’ont aucun droit de reconduction à perpétuité et, comme l’exigent les règlements de 1911 et de 1913, le loyer doit être fixé par le Ministre dans toute reconduction de bail.

Le Juge Pigeon, dissident en partie: L’appel et l’appel incident doivent être rejetés.

D’après les règles ordinaires d’interprétation des lois, la disposition du règlement de 1911 qui autorise la location de terres dans les parcs nationaux «avec droit de reconduction» ne doit pas faire l’objet d’une interprétation restrictive qui ne permette qu’une seule reconduction pour un terme maximum de 42 ans.

De plus, les représentants officiels du gouvernement ont interprété le règlement comme autorisant des baux avec droit de reconduction à perpétuité, et le bail signé contient une clause à cet effet. Afin

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d’être relevé de l’obligation qui découle de ces baux, le gouvernement doit démontrer que le règlement n’autorise pas le droit de reconduction qui a été accordé. Il ne le fait pas en faisant valoir que, dans les contrats, les clauses de reconduction ne sont pas présumées entraîner la reconduction à perpétuité.

Le juge de première instance a conclu avec raison que rien n’autorise la disposition touchant la détermination du loyer par arbitrage. Le règlement prévoit des baux comportant un loyer à être déterminé par le Ministre. Le droit du Ministre n’est pas sujet à revision. Cependant, comme l’a décidé le juge de première instance, la disposition relative à l’arbitrage est séparable.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Walker

Références :
Proposition de citation de la décision: La Reine c. Walker, [1970] R.C.S. 649 (20 mars 1970)


Origine de la décision
Date de la décision : 20/03/1970
Date de l'import : 06/04/2012

Numérotation
Référence neutre : [1970] R.C.S. 649 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1970-03-20;.1970..r.c.s..649 ?
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