La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/11/1969 | CANADA | N°[1970]_R.C.S._310

Canada | Castellani c. R., [1970] R.C.S. 310 (27 novembre 1969)


Cour Suprême du Canada

Castellani c. R., [1970] R.C.S. 310

Date: 1969-11-27

René Émile Marcel Castellani Appelant;

et

Sa Majesté la Reine Intimée.

1969: le 16 octobre; 1969: le 27 novembre.

Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], confirmant une déclaration de culpabilité pour meurtre qualifié. Appel rejeté.

C.

R. MacLean, pour l’appelant.

W.G. Burke-Robertson, c.r., pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE ...

Cour Suprême du Canada

Castellani c. R., [1970] R.C.S. 310

Date: 1969-11-27

René Émile Marcel Castellani Appelant;

et

Sa Majesté la Reine Intimée.

1969: le 16 octobre; 1969: le 27 novembre.

Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], confirmant une déclaration de culpabilité pour meurtre qualifié. Appel rejeté.

C.R. MacLean, pour l’appelant.

W.G. Burke-Robertson, c.r., pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE EN CHEF — Le pourvoi de l’appelant est à l’encontre d’un arrêt unanime de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique1 rendu le 19 juillet 1968, rejetant son appel de sa déclara-

[Page 312]

tion de culpabilité devant le Juge Dryer et un jury, le 6 octobre 1967, du meurtre qualifié de sa femme.

L’épouse de l’appelant, Esther Castellani, est décédée le 11 juillet 1965. La preuve médicale et scientifique a clairement établi que son décès est résulté d’un empoisonnement par l’arsenic et qu’elle avait absorbé des doses d’arsenic durant plusieurs mois avant son décès. C’est là un fait que la défense n’a pas dénié. Il s’agissait donc pour les jurés de savoir s’ils étaient convaincus hors de tout doute raisonnable que l’appelant était la personne qui avait administré le poison à la victime. C’est à bon droit que le savant Juge de première instance a dit au jury qu’il n’y avait que deux verdicts possibles: «non coupable» ou «coupable de meurtre qualifié».

Les Juges d’appel Norris et Bull ont ainsi correctement résumé les griefs d’appel devant la Cour d’appel:

[TRADUCTION] 1. Le savant Juge de première instance a fait une erreur en refusant la permission à l’appelant ou à son avocat d’admettre certains faits au procès suivant l’article 562 du Code criminel;

2. Le savant Juge de première instance a fait une erreur de droit en ne faisant pas lire au jury, à la demande de ce dernier, certains passages de l’allocution faite au jury par l’avocat de l’appelant;

3. Le savant Juge de première instance a mal dirigé le jury,

(a) en ne commentant pas de façon appropriée le témoignage de Mme Sheila Luond, et

(b) après avoir fait lire au jury à sa demande le témoignage de Mme Sheila Luond, en mentionnant certains faits qui n’étaient pas en preuve, suggérant par là qu’on pouvait en tirer une conclusion préjudiciable, erreur qui n’a été rectifiée que le lendemain, juste avant le prononcé du verdict, et

(c) en causant préjudice par la conjonction de (a) et (b) ci-dessus;

4. En raison du caractère circonstanciel de la preuve, le jury ne peut pas avoir accordé l’importance qu’il aurait dû à la directive du savant Juge

[Page 313]

de première instance au sujet du principe établi dans l’affaire Hodge (1838) 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136, soit la doctrine du doute raisonnable, de telle sorte que son verdict est contraire à la preuve ou déraisonnable.

Quant au premier de ces motifs, il ressort que le 25 septembre 1967, soit le premier jour du procès et après la déposition d’un des témoins de la poursuite, l’avocat de l’appelant a présenté une reconnaissance écrite de certains faits «pour dispenser la Couronne d’en faire le preuve» et a demandé que cette déclaration soit reçue conformément à l’art. 562 du Code criminel, qui se lit comme suit:

562. Lorsqu’un accusé subit son procès pour un acte criminel, lui-même ou son conseil peut admettre tout fait allégué contre l’accusé afin de dispenser d’en faire la preuve.

La déclaration comporte, outre l’intitulé de la cause, huit paragraphes et elle est rédigée comme suit:

[TRADUCTION] En vertu des dispositions de l’article 562 du Code criminel du Canada, le procureur de René Émile Castellani admet par les présentes les faits suivants:

1. Qu’à l’hôpital général de Vancouver, en la ville de Vancouver, comté de Vancouver, province de Colombie-Britannique, le Dr Frank H. Anderson a procédé le 12 juillet 1965 à l’autopsie du corps de feu Esther Castellani;

2. Que le 14 juillet 1965, le corps de feu Esther Castellani a été inhumé au Forest Lawn Memorial Park, en la municipalité de Burnaby, province de Colombie‑Britannique, dans un cercueil déposé dans une crypte close en béton;

3. Que le 3 août 1965, le corps de feu Esther Castellani a été exhumé de la crypte en béton du Forest Lawn Memorial Park, en la municipalité de Burnaby, et transporté à la morgue municipale de Vancouver où le Dr Thomas Redo Harmon a procédé à un examen post-mortem;

4. Que le 3 août 1965, Eldon Rideout a reçu livraison en la ville de Vancouver d’échantillons-témoins des liquides d’embaumement provenant

[Page 314]

du même fournisseur que ceux qu’avaient employés les entrepreneurs qui ont embaumé et inhumé le corps de feu Esther Castellani, soit Simmons & McBride Ltd., de la ville de Vancouver;

5. Que le 28 juillet 1965, à la succursale Broadway et Gambie de la Banque de Commerce canadienne impériale, à Vancouver, René Émile Castellani a signé une certaine formule de demande d’emprunt de la Kinross Mortgage Corporation en présence de M.R.S. Keyes;

6. Qu’aucune action ou procédure en dissolution du mariage qui unissait René Émile Castellani et Esther Castellani, célébré le 16 juillet 1946, n’a jamais été intentée devant aucun tribunal compétent;

7. Que Mme Thompson a procédé à des épreuves scientifiques connues sous le nom de procédé de diffraction des rayons X au Crime Detection Laboratory du Procureur général de l’Ontario, dans le but de déterminer à l’aide de cheveux prélevés sur le cadavre d’Esther Castellani de quel sel ou composé provenait l’arsenic, mais que les résultats n’ont pas été concluants parce qu’il n’y avait pas suffisamment de cheveux;

8. Que René Émile Castellani et Adelaide Miller ont eu ensemble des relations sexuelles extraconjugales entre l’automne de 1964 et le printemps de 1966 approximativement.

Cette déclaration est datée du 25 septembre 1967 et porte la signature des deux avocats qui ont représenté l’appelant au procès.

L’avocat de la poursuite ayant soulevé une objection, l’argumentation sur la question a été remise au lendemain. Pendant l’ajournement, les avocats des deux parties se sont entendus pour admettre les sept premiers paragraphes, mais l’avocat de la poursuite s’est opposé à l’inclusion du paragraphe n° 8, tandis que celui de l’appelant soutenait qu’en vertu de l’art. 562 il avait le droit de faire cet aveu et avait l’intention de le faire.

A la suite de l’argumentation en l’absence du jury, le savant Juge de première instance, après avoir dit qu’il regrettait que l’avocat de la pour-

[Page 315]

suite n’ait pas jugé bon d’accepter la déclaration telle que soumise, a décidé qu’au moment où la poursuite présentait sa preuve la défense ne pouvait pas faire d’aveu à moins que la poursuite ne consente à l’accepter. Plus tard, les deux parties ont signé et produit une déclaration reproduisant les sept premiers paragraphes, mais l’avocat de l’appelant a soutenu qu’ils avaient, lui et son client, le droit d’exiger l’inclusion des faits mentionnés au paragraphe n° 8.

La Cour d’appel a été d’avis que le savant Juge de première instance aurait dû accorder la permission d’admettre les faits mentionnés au paragraphe n° 8, les termes de l’art. 562 accordant à l’accusé, selon son interprétation, un droit inconditionnel d’admettre tout fait allégué contre lui. On a donc jugé que le savant Juge de première instance avait commis une erreur de droit. Mais, la Cour d’appel a conclu que cette erreur n’avait causé aucun préjudice à l’appelant et qu’il n’en était pas résulté un tort important ou une erreur judiciaire. Si j’étais de l’avis de la Cour d’appel, savoir que le savant Juge de première instance a fait une erreur de droit sur la question précitée, je serais également d’accord avec elle que cette erreur n’a donné lieu à aucun tort important ni à une erreur judiciaire, mais, en toute déférence, je ne suis pas d’avis que le savant Juge de première instance a commis une erreur en décidant comme il l’a fait.

Dans une affaire criminelle, vu qu’il n’y a pas de procédures écrites, il n’y a pas d’allégations précises des faits susceptibles d’être admis de façon absolue. Un prévenu ne peut admettre un fait allégué contre lui avant que l’allégation en ait été faite. Lorsqu’on veut se prévaloir de l’art. 562, il appartient à la poursuite et non à la défense de présenter le ou les faits qu’elle allègue contre le prévenu et qu’elle veut lui faire admettre. Bien entendu, le prévenu n’est aucunement tenu d’admettre le fait allégué; il lui appartient de l’admettre ou de refuser de le faire. Il ne peut pas choisir les termes d’une allégation de façon à servir ses propres fins et ensuite exiger que cette allégation soit admise. Permettre une telle manière

[Page 316]

de faire n’amènerait que de la confusion. L’idée d’admettre une allégation implique le concours de deux personnes, l’une qui fait l’allégation et l’autre qui l’admet.

J’en suis venu à la conclusion ci-dessus quant au sens et à la portée de l’art. 562 en étudiant les termes mêmes de cet article et ce que le concept d’admettre l’allégation d’un fait dans une affaire criminelle implique nécessairement. S’il était nécessaire de s’en rapporter aux règles d’interprétation, mon opinion se trouverait renforcée par l’application de celles qu’a exprimées Lord Coke dans l’affaire Heydon[2]. Il semble assez certain qu’avant l’adoption de l’art. 690 du Code criminel de 1892, qui correspond à l’art. 562, un inculpé accusé d’un crime (felony) n’avait pas la possibilité d’admettre un fait, même s’il désirait le faire et si l’avocat de la poursuite y consentait. C’est ce qui ressort du passage ci-après du rapport des commissaires qui ont rédigé le projet de code anglais en 1879. Ce passage est cité dans le Code criminel du Juge Taschereau (1893) 3e édition, à la p. 800:

[TRADUCTION] Actuellement, si l’on peut prouver qu’un prévenu a admis un fait avant son procès, ce fait est admissible en preuve contre lui, mais si le prévenu veut admettre le même fait devant le tribunal, on croit que dans le cas d’une accusation de crime (felony) le juge doit lui interdire de le faire.

Le Juge d’appel Osler, en rendant le jugement au nom de la Cour d’appel d’Ontario dans l’affaire Regina v. St. Clair[3], exprime à la p. 311 la même opinion au sujet de la règle de common law:

[TRADUCTION] …D’après l’ancienne et utile classification des actes criminels en crimes et infractions (felonies and misdemeanours), classification dont l’abandon est, à mon avis, très regrettable, ce dont on a accusé l’inculpée est une simple infraction et la capacité de celle-ci ou de son avocat d’admettre des faits au moment du procès pour les fins de ce procès était indiscutable.

Dans l’affaire Rex v. Foster, (1836) 7 C. & P. 495, l’inculpé avait été acquitté d’une accusation du

[Page 317]

crime d’avoir eu en sa possession un moule servant à fabriquer de la monnaie. Il subissait son procès sur une deuxième accusation semblable à la première, où la preuve devait être la même. L’avocat de la poursuite a alors déclaré qu’avec le consentement de l’avocat de l’accusé il proposait de ne pas rappeler les témoins. Le Juge Patteson a déclaré qu’il ne croyait pas qu’on pouvait procéder de la sorte pour une accusation de crime (felony), même de consentement mutuel, bien qu’il sût qu’on pouvait le faire pour une accusation d’infraction (misdemeanour). Les témoins ont donc été rappelés, assermentés à nouveau et les témoignages qu’ils avaient déjà rendus leur ont été lus d’après les notes du Juge.

A mon avis, le but qu’on se proposait en édictant l’art. 562 et les textes antérieurs était de modifier la règle de common law et d’écarter la nécessité où se trouvait la poursuite, dans les procès pour actes criminels, de faire la preuve de tout fait qu’elle voulait établir et que le prévenu consentait à admettre lors du procès.

Quant à tous les autres motifs invoqués devant la Cour d’appel et devant nous, je me trouve si complètement d’accord avec les motifs du Juge d’appel Bull que je me borne à y souscrire. Il ne servirait à rien de répéter ou de résumer ce qu’il a écrit. Chacun des savants Juges de la Cour d’appel a rempli le devoir que leur impose l’art. 583A(3) du Code criminel et aucun d’eux n’a pu trouver au dossier de motifs, autres que ceux qui sont invoqués dans l’avis d’appel, qui les aurait justifiés d’écarter la déclaration de culpabilité.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Appel rejeté.

Procureurs de l’appelant: Kincaid, Epstein & MacLean, Vancouver.

Procureurs de l’intimée: Boyd, King & Toy, Vancouver.

[1] (1968), 65 W.W.R. 513, [1969] 1 C.C.C. 327.

[2] (1584), 3 Co. Rep. 7a à 7b, 76 E.R. 637.

[3] (1900), 27 O.A.R. 308 à 311, 3 C.C.C. 551.


Synthèse
Référence neutre : [1970] R.C.S. 310 ?
Date de la décision : 27/11/1969
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté

Analyses

Droit criminel - Procès - Meurtre qualifié - Admission d’un fait au procès - Code criminel, 1 (Can.), c. 51, art. 562.

L’appelant a été déclaré coupable du meurtre qualifié de sa femme. Il a été clairement établi que son décès est résulté d’un empoisonnement par l’arsenic et qu’elle avait absorbé des doses d’arsenic durant plusieurs mois avant son décès. La défense n’a pas dénié ce fait. Le premier jour du procès et après la déposition d’un des témoins de la poursuite, l’avocat de l’appelant a présenté une reconnaissance écrite de certains faits et a demandé que cette décla-

[Page 311]

ration soit reçue conformément à l’art. 562 du Code criminel. L’avocat de la poursuite s’est opposé à l’inclusion de l’un de ces faits. Le juge de première instance n’a pas accordé la permission d’admettre le fait en question. La Cour d’appel a statué que le juge de première instance aurait dû accorder la permission mais a conclu que l’erreur n’avait causé aucun préjudice à l’appelant et qu’il n’en était pas résulté un tort important ou une erreur judiciaire. L’appelant en a appelé à cette Cour.

Arrêt: L’appel doit être rejeté.

Le juge de première instance n’a pas commis d’erreur. Dans une affaire criminelle, un prévenu ne peut admettre un fait allégué contre lui avant que l’allégation en ait été faite. Lorsqu’on veut se prévaloir de l’art. 562, il appartient à la poursuite et non à la défense de présenter le ou les faits qu’elle allègue contre le prévenu et qu’elle veut lui faire admettre. Bien entendu, le prévenu n’est aucunement tenu d’admettre le fait allégué; il lui appartient de l’admettre ou de refuser de le faire. Il ne peut pas choisir les termes d’une allégation de façon à servir ses propres fins et ensuite exiger que cette allégation soit admise. L’idée d’admettre une allégation implique le concours de deux personnes, l’une qui fait l’allégation et l’autre qui l’admet.

On doit souscrire aux motifs du Juge Bull de la Cour d’appel quant à tous les autres motifs invoqués devant la Cour d’appel et devant cette Cour.


Parties
Demandeurs : Castellani
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Castellani c. R., [1970] R.C.S. 310 (27 novembre 1969)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1969-11-27;.1970..r.c.s..310 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award