La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/04/1965 | CANADA | N°[1965]_R.C.S._527

Canada | Picard c. Cité de Québec, [1965] R.C.S. 527 (9 avril 1965)


Cour suprême du Canada

Picard c. Cité de Québec, [1965] S.C.R. 527

Date: 1965-04-09

Alice Picard (Demanderesse) Appelante;

et

La Cité de Québec (Défenderesse) Intimée.

1964: 2 décembre; 1965: 9 avril.

Coram: Le Juge en Chef Taschereau et les Juges Cartwright, Fauteux, Abbott et Hall.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant le jugement du juge Lizotte qui avait confirmé le verdict du jury. Appel rejeté.

[Page 5

28]

Lawrence Corriveau, C.R., pour la demanderesse, appelante.

Jacques de Billy, C.R., pour la défenderesse, intimée....

Cour suprême du Canada

Picard c. Cité de Québec, [1965] S.C.R. 527

Date: 1965-04-09

Alice Picard (Demanderesse) Appelante;

et

La Cité de Québec (Défenderesse) Intimée.

1964: 2 décembre; 1965: 9 avril.

Coram: Le Juge en Chef Taschereau et les Juges Cartwright, Fauteux, Abbott et Hall.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant le jugement du juge Lizotte qui avait confirmé le verdict du jury. Appel rejeté.

[Page 528]

Lawrence Corriveau, C.R., pour la demanderesse, appelante.

Jacques de Billy, C.R., pour la défenderesse, intimée.

Le jugement du juge en chef Taschereau et des juges Fauteux et Abbott fut rendu par

LE JUGE EN CHEF: — La demanderesse, domiciliée à Québec, allègue que le ou vers le 4 mars 1961, à 4 heures p.m., elle fut victime d'un accident qui lui a causé des blessures graves qu'elle a évaluées à la somme de $36,927.32, et qu'elle réclame dans la présente action.

Elle circulait, à cette date, à pied, sur le trottoir qui borde le côté nord de la rue St-Jean, en front de l'hôtel Montcalm, et plus spécialement en son tronçon situé entre la rue d'Youville et la Côte des Glacis. Elle fit une chute sur un trottoir qu'elle prétend avoir été couvert de glace, et qui présentait de sérieux dangers pour les piétons à cet endroit. Cet accident, d'après elle, serait dû uniquement à la faute de la Cité défenderesse, à sa négligence, son imprudence et son incurie.

La défenderesse aurait retardé ou négligé de voir à ce que cette glace, qui se trouvait au moment précis de l'accident à cet endroit, fut enlevée, ou encore que le passage des piétons puisse se faire sans aucun danger.

La cité fait reposer sa défense sur plusieurs points. En premier lieu, elle soutient que l'avis que la demanderesse est obligée de donner à la Cité de Québec en vertu de la Charte (art. 535), est irrégulier, illégal et nul et non conforme aux exigences de la loi. Elle plaide également que la demanderesse n'est pas tombée sur le trottoir, mais bien dans la rue, mais, qu'à tout événement, qu'elle soit tombée dans la rue ou sur le trottoir, il n'y avait ni neige ni glace et l'asphalte était sèche ainsi qu'elle l'aurait admis elle-même après l'accident. Enfin, la défenderesse allègue que le trottoir et la rue avaient été parfaitement entretenus, étaient en très bon état, nullement dangereux, et que du sable avait été répandu, et que si la demanderesse est tombée et a subi l'accident dont elle se plaint, cela ne peut être dû qu'à sa propre faute, sa négligence, son imprudence. La défenderesse ajoute également que même si le trottoir

[Page 529]

ou la rue avaient pu être glissants, ce qui est expressément nié, cela n'aurait pu dépendre que de circonstances absolument en dehors du contrôle de la défenderesse, qu'elle ne pouvait empêcher malgré toutes les précautions qu'elle pouvait prendre. Les dommages, enfin, seraient exagérés et la demanderesse n'aurait pas subi, étant donné la chute qu'elle a faite, des blessures aussi sérieuses qu'elle allègue.

J'entretiens des doutes sérieux sur la validité de l'avis donné à la Cité défenderesse, et exigé par l'art. 535 de la Charte. Cet avis est nécessaire pour que prenne naissance le droit d'action, et s'il est insuffisamment libellé, s'il ne fournit pas à la Ville les informations nécessaires sur la nature de l'accident, le détail des dommages soufferts, la cause de ces dommages, l'endroit où ils sont arrivés, la condition préalable et essentielle à l'existence du droit d'action est absente, et la réclamation ne peut réussir. Baribeau v. Cité de Québec[2].

L'avis donné à la Cité de Québec, et adressé au Chef du Contentieux, est vague et imprécis, et suggère à ville, pour obtenir tous les détails, de s'adresser au constable Chamberland qui est arrivé sur les lieux quelques instants après la chute de la victime.

La connaissance de l'accident que certains employés de la corporation ont pu acquérir individuellement ne peut remplacer l'avis exigé par la Charte. Cité de Montréal v. Bradley[3].

Dans une cause de Jobin v. Thetford Mines[4], M. le Juge Anglin disait:

The purpose of the notice was to give the municipal corporation such knowledge of the claim in respect of which it was given as would enable it to make the necessary inquiries to ascertain, within a reasonable time after the claim arose, the basis of it, and the material facts and circumstances affecting the Corporation's liability.

Dans Montreal Street Railway v. Patenaude[5], la Cour du Banc du Roi a dit:

Il est maintenant de jurisprudence que l'action ne peut être portée que si l'avis a été donné au préalable, tel que prescrit, et que sans cet avis le droit de réclamer en justice n'existe pas.

[Page 530]

Enfin, dans la cause de La Cité de Québec v. Baribeau, supra., M. le Juge Rinfret, parlant pour la Cour, s'exprimait de la façon suivante:

Cette exigence de la loi, par exemple, ne peut être mise de côté sous prétexte d'absence de préjudice. Le texte de l'article 535 ne permet pas d'introduire ce correctif (Carmichael v. City of Edmonton (1933) R.C.S. 650). En particulier, la connaissance de l'accident que certains employés ou certains officiers de la corporation ont pu acquérir individuellement ne peut remplacer l'avis exigé par la charte (Cité de Montréal v. Bradley (1927) R.C.S. 279, à 283). L'absence de préjudice ou la connaissance des faits par les employés ou les officiers de la cité ne peut être d'un certain poids que dans la question de savoir si un avis qui a été reçu dans les délais contient les détails ou les indications suffisantes.

Devant cette jurisprudence, il est difficile d'entretenir de sérieuses hésitations, mais je ne désire pas faire reposer mon jugement sur cette technicalité légale. Évidemment, cette action ne peut réussir que si toutes les conditions de l'article 1053 trouvent leur application. La demanderesse a fardeau de la preuve et doit établir la faute de l'intimée, et il est bon de ne pas oublier qu'il n'existe pas de présomption légale contre la Cité de Québec.

Comme j'ai eu l'occasion de la dire déjà, et trop de piétons croient le contraire, la Ville n'est pas l'assureur de ceux qui se servent de ses trottoirs. Le fait de faire une chute sur un trottoir ne donne pas nécessairement ouverture à une réclamation pour les dommages subis. II faut nécessairement établir la faute de la cité. La Commission des Accidents du Travail de Québec v. La Cité de Québec[6].

II faut qu'il soit démontré par la balance des probabilités qu'il y a eu négligence de la part de la cité ou de ses employés, et que c'est de cette négligence que le dommage a résulté. Ce que l'on exige des municipalités ce n'est pas un standard de perfection. Paquin v. La Cité de Verdun[7]. On ne peut demander aux villes de prévoir l'incertitude des éléments, et la vigilance simultanée de tous les moments dans tous les endroits de leur territoire serait leur imposer une obligation déraisonnable. Comme il a été dit dans la cause de Paquin v. La Cité de Verdun, supra, il peut arriver, et il arrive malheureusement des accidents, où s'exerce

[Page 531]

cependant très bien la surveillance municipale, et qui résultent d'aucune négligence et pour lesquels il n'y a pas de compensation sanctionnée par la loi civile. Garberi v. Cité de Montréal[8].

En 1937, le caractère de la responsabilité en cette matière a été précisé par la disposition suivante:

535a) Nonobstant toute loi générale ou spéciale, la cité ne peut être tenue responsable des dommages résultant d'un accident dont une personne est victime sur les trottoirs, rues ou chemins, en raison de la neige ou de la glace, à moins que le réclamant n'établisse que ledit accident a été causé par négligence ou faute de ladite corporation, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques. (1 Geo. VI, c. 102, art. 76).

Cette disposition légale est empreinte du bon sens le plus élémentaire, et reflète bien l'idée du législateur qui ne veut pas imposer une charge trop onéreuse aux municipalités. Comme il a été dit déjà, la Cité n'est pas tenue d'assurer que ses rues et trottoirs ne seraient jamais glissants; elle est seulement obligée de prendre les précautions que prendrait un homme diligent pour atteindre ce but. La seule responsabilité de la municipalité existe lorsque l'état du trottoir, s'il a été la cause d'un dommage, a été le résultat d'une faute que la victime doit établir.

Dans le cas qui nous occupe, je ne vois pas l'existence de cette faute génératrice de la responsabilité de la Cité défenderesse. Au moment de l'accident, une grande surface des trottoirs était libre de neige et de glace. Le temps était beau, c'était une journée ensoleillée. Au cours de la matinée, les trottoirs de la rue St-Jean ont été sablés partout où il y avait de la neige ou de la glace. La température de cette journée du 4 mars, à l'Ancienne Lorette, tel que prouvé par le Service de métérologie du ministère des Transports du Canada, était la suivante: à 8 heures du matin, 22°; à 9 heures, 24°; à 10 heures, 25°; à 11 heures, 27°; à midi, 29°; à 1 heure, 31°; à 2 heures, 33°; à 3 heures, 33°; à 4 heures, 31° et à 5 heures, 29°.

II a cependant été établi qu'entre l'Ancienne Lorette et la Cité de Québec il y a une différence d'environ 5 degrés

[Page 532]

dans la température, de sorte qu'à 4 heures, c'est-à-dire au moment où l'accident est arrivé la température au Carré d'Youville était de 36°.

II peut arriver évidemment qu'entre le temps où le sable a été déposé le matin et le temps où l'accident est arrivé, une légère couche de glace se soit formée. II est également possible que la neige ou la glace fondante ait entraîné le sable et y ait laissé une surface glissante. Mais cela ne constitue pas une négligence qui entraîne la responsabilité de la ville. Celle-ci n'est pas tenue, quand elle doit surveiller 100 milles de trottoirs, étant donné les conditions climatériques du 4 mars, de faire plus que ce qu'elle a fait. Je crois que la Cité a fait preuve de la diligence voulue. Comme le dit M. le Juge Badeaux de la Cour d'Appel: « L'on ne peut exiger de l'appelante qu'elle protège chaque pouce et chaque pied de ses trottoirs à chaque instant, surtout dans une ville de l'importance de la Cité de Québec. »

Je n'oublie pas qu'il s'agit d'un procès devant un juge et des jurés, et qu'il est très difficile pour cette Cour d'intervenir sur les questions de faits. J'admets donc, malgré que la preuve soit contradictoire, qu'il y avait de la glace à l'endroit où est tombée la victime (418 C.P.C.) Mais, où ce procès est entaché d'erreur, c'est, lorsque répondant aux questions suivantes:

Q. Si la demanderesse a subi des dommages, est-prouvé que l'accident a été causé par négligence ou faute de la demanderesse, Cité de Québec?

R. Douze — oui.

Q. Si oui, dire en quoi consiste cette négligence ou faute.

R. Une surface glacée très glissante; application de sable non suffisante pour cette partie très achalandée de la ville.

Q. Combien?

R. Douze.

les réponses ci-dessus ont été données.

Ces réponses données par le jury élèvent, comme on peut le voir, le standard de précaution à un degré supérieur à celui requis par la loi. On voudrait que les rues soient sablées à chaque fois que se présente un changement de température. Ceci est une erreur et n'est pas la loi de la province. La Cour d'Appel[9] était donc justifiée de dire, comme elle l'a dit,

[Page 533]

que le juge présidant au procès aurait dû accorder la motion orale de l'appelante pour retirer la cause du jury, qu'il a erré en ne l'accordant pas, et en refusant de rejeter l'action de l'intimée et en confirmant le verdict du jury.

Cette conclusion à laquelle j'arrive me dispense d'examiner les autres aspects de cette cause. Je rejetterais donc l'appel avec dépens de toutes les Cours.

Le jugement des Juges Cartwright et Hall fut rendu par HALL J.: — The facts are full set out in the judgment of the Chief Justice. I agree that the appeal must be dismissed but solely on the ground that the notice which the appellant gave to the respondent on March 10, 1961, in purported compliance with art. 535 of the Charter of the City of Quebec did not comply with the requirements of art. 535. In this regard I agree with Taschereau J. in the Court of Queen's Bench and I do not find it necessary to add anything to what he said in his reasons for judgment on this point.

The appeal should accordingly be dismissed with costs.

Appel rejeté avec dépens.

Procureur de la demanderesse, appelante: L. Corriveau, Québec.

Procureurs de la défenderesse, intimée: Gagnon, de Billy, Cantin & Dionne, Québec.

[1] [1946] B.R. 746.

[2] [1934] R.C.S. 622.

[3] [1927] R.C.S. 279.

[4] [1925] R.C.S. 686. á 687.

[5] (1907), 16 B.R. 541 á 543:

[6] [1950] B.R. 393.

[7] [1962] R.C.S. 100.

[8] [1961] R.C.S. 408.

[9] [1946] B.R. 746.


Synthèse
Référence neutre : [1965] R.C.S. 527 ?
Date de la décision : 09/04/1965
Sens de l'arrêt : L'appel doit être rejeté

Analyses

Droit municipal - Chute sur trottoir glacé - Responsabilité - Diligence de la cité - Fardeau de la preuve - Avis incomplet - Charte de la Cité de Québec, art. 535 - Code civil, art. 1053.

La demanderesse fut blessée lorsqu'elle fit une chute sur un trottoir de la cité. Alléguant que cet accident était dû uniquement à la faute, négligence, imprudence et incurie de la cité, la demanderesse poursuivit cette dernière. Le verdict du jury fut à I'effet que la cité était en faute et ce verdict fut confirmé par le juge au procès. La Cour d'Appel rejeta l'action. La demanderesse en appela devant cette Cour.

Arrêt: L'appel doit être rejeté.

Le juge en chef Taschereau et les juges Fauteux et Abbott: II existe des doutes sérieux sur la validité de l'avis donné à la cité et exigé par l'art. 535 de sa charte. Cet avis était vague et imprécis, et suggérait à la cité de s'adresser à un certain constable pour obtenir tous les détails. La connaissance d'un accident que certains employés de la corporation peuvent acquérir individuellement ne peut remplacer l'avis exigé.

Indépendamment de cette technicalité légale, la demanderesse qui avait le fardeau de la preuve n'a pas réussi à établir la faute de la cité sous l'art. 1053 du Code civil. La ville n'est pas l'assureur de ceux qui se servent de ses trottoirs. II faut qu'il soit démontré qu'il y a eu négligence de la part de la cité ou de ses employés, et que c'est de cette négligence que le dommage a résulté. L'art. 535A de la charte dispense la municipalité de toute responsabilité à moins que le réclamant n'établisse que l'accident a été causé par la négligence ou faute de la municipalité, le tribunal devant tenir compte des conditions climatériques. Dans le cas présent, cette faute n'existait pas. La cité a fait preuve de la diligence voulue. La preuve démontre que les trottoirs à cet endroit avaient été sablés là où il y avait de la neige ou de la glace.

Les juges Cartright et Hall: The notice given to the City did not comply with the requirements of s. 535 of the City Charter.


Parties
Demandeurs : Picard
Défendeurs : Cité de Québec
Proposition de citation de la décision: Picard c. Cité de Québec, [1965] R.C.S. 527 (9 avril 1965)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1965-04-09;.1965..r.c.s..527 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award