Cour suprême du Canada
Martel c. Filion, [1965] S.C.R. 349
Date: 1965-01-26
Achil Martel (Demandeur) Appelant;
et
Arthur Filion (Défendeur) Intimé.
1964: 26 novembre; 1965: 26 janvier.
Coram: Le Juge en chef Taschereau et les Juges Fauteux, Abbott, Ritchie et Spence.
APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine[1], infirmant un jugement du juge Batshaw. Appel rejeté.
Pierre Cimon, c.r., pour le demandeur, appelant.
Charles-J. Gélinas, c.r., et Jacques Biron, pour le défendeur, intimé.
Le jugement de la Cour fut rendu par
LE JUGE ABBOTT: — Depuis 1939 l'intimé Filion exploite un service de transport entre Montréal et St-Hyacinthe et les environs, sous le nom et raison sociale de « Acton Vale Transport ». Il a enregistré cette raison sociale au bureau du Protonotaire du district de St-Hyacinthe le 28 mars 1939.
L'appelant Martel exploite un service de transport similaire à celui de l'intimé à Montréal et St-Hyacinthe. Martel admet qu'il savait depuis 1940 que Filion faisait usage du nom et raison sociale de « Acton Vale Transport ». En dépit de cette connaissance acquise, Martel enregistra cette même raison sociale au bureau du Protonotaire du district de Montréal le 8 avril 1953. Filion n'enregistra une semblable déclaration au bureau du Protonotaire de Montréal que le 7 juillet 1958.
L'enquête établit de plus que Filion détenait un permis de la Régie des Transports sous le nom « Acton Vale Transport » tandis que le permis de Martel est émis au nom de « Acton Vale Express » et « Acton Vale Motor Express Ltée. » Martel n'est pas enregistré dans l'annuaire téléphonique de Montréal sous le nom « Acton Vale Transport » tandis que Filion l'est.
Le litige est né par suite de la prétention de Martel qu'il avait le droit de faire annuler la déclaration produite par Filion le 7 juillet 1958 au bureau du Protonotaire de Montréal, par voie de requête suivant les dispositions de l'art. 13 de la Loi concernant les déclarations des compagnies et des sociétés, S.R.Q. 1941, c. 277. Martel prétend qu'il a droit de demander cette annulation d'une déclaration enregistrée postérieurement à la sienne dans le district de Montréal parce qu'il a été le premier à enregistrer dans ce district.
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Filion conteste cette prétention de Martel, et il soumet que la requête prévue à l'art. 13 de la loi susdite n'est ouverte qu'à la personne qui fait usage d'une raison sociale à l'encontre de toutes autres personnes qui enregistrent la même raison sociale, mais dont l'usage du nom est postérieur, indépendamment des frontières des districts judiciaires.
Le Cour supérieure a accueilli la requête de Martel et a ordonné à Filion de cesser de faire affaires dans le district de Montréal sous la raison sociale de « Acton Vale Transport » et d'annuler la déclaration et l'enregistrement du 7 juillet 1958. Cette décision a été infirmée par un jugement majoritaire de la Cour du banc de la reine[2]. Cet appel est de ce jugement.
La question à résoudre est celle-ci. Qui a droit au recours de l'art. 13 de la loi susdite? Cet article se lit:
Aucune déclaration prescrite par la présente section ne peut être enregistrée si une personne ou une société y prend un nom, un titre ou une raison sociale qui est la désignation d'une société existante ou d'une autre personne, ou qui y ressemble tellement que le public peut être induit en erreur.
Tout enregistrement fait contrairement aux dispositions du présent article peut être annulé par la Cour Supérieure du district sur requête, après avis donné aux intéressés et au protonotaire.
Je partage l'avis exprimé par monsieur le Juge en Chef Tremblay que la protection des tiers est le seul but poursuivi par cette loi et je fais mienne sa conclusion, qui suit:
Elle stipule l'enregistrement pour permettre aux tiers de découvrir facilement les personnes, morales ou physiques, avec lesquelles ils font affaires. Toujours sous la même réserve quant à la société en commandite, je ne crois pas qu'elle ait pour effet de créer aucun droit en faveur de la personne qui effectue l'enregistrement. En effet, l'article 13 prohibe non pas l'enregistrement d'un nom, d'un titre ou d'une raison sociale déjà enregistré, mais l'enregistrement d'un nom, d'un titre ou d'une raison sociale « qui est la désignation d'une société existante ou d'une autre personne, ou qui y ressemble tellement que le public peut être induit en erreur ».
La preuve établit clairement que Filion faisait affaires sous le nom « Acton Vale Transport » depuis plusieurs années quand Martel a enregistré ce même nom à Montréal en 1953, et cela à la connaissance de ce dernier. Martel a alors pris un nom qui est la désignation d'une autre personne. Par conséquent, il ne peut avoir le droit de
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demander par requête, en vertu de l'art. 13, l'annulation de l'enregistrement effectué par Filion le 7 juillet 1958 au bureau du Protonotaire du district de Montréal.
Je renverrais l'appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureur du demandeur, appelant: Howard, Cate, Ogilvy, Bishop, Cope, Porteous & Hansard, Montréal.
Procureurs du défendeur, intimé: Lajoie, Gélinas, Lajoie, Bourque & Lalonde, Montréal.
[1] [1964] B.R. 9.
[2] [1964] B.R. 9.