Cour suprême du Canada
Javitch c. Brien, [1965] S.C.R. 243
Date: 1964-12-21
Gregory Javitch (Défendeur) Appelant;
Et
Rene Brien (Demandeur) Intimé;
Et
Paul-Emile Savage Mis-en-cause.
1964: 3 juin; 1964: 21 décembre.
Coram: Le Juge en chef Taschereau et les Juges Cartwright, Fauteux, Abbott et Hall.
APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUEBEC
APPEL d'un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], déclarant I'appelant déchu de son droit d'en appeler d'un jugement du juge Prévost. Appel rejeté.
Melvin L. Rothman et Daniel Miller, pour le défendeur, appelant.
Jean Martineau, C.R., et Jacques Viau, C.R., pour le demandeur, intimé.
Le jugement du Juge en chef et du Juge Abbott fut rendu par
LE JUGE EN CHEF: — L'intimé dans la présente cause a intenté contre I'appelant une action qui a donné naissance à un litige assez compliqué. La cause a été entendue par M. le Juge Claude Prévost qui a maintenu I'action du demandeur avec dépens.
Le jugement de M. le Juge Prévost n'a pas été prononcé à I'audience tel que I'autorise le para. 1 de I'art. 537 du Code de procédure, mais a été rendu par le juge au procès qui l'a déposé au greffe de la Cour sous sa signature. C'est le second paragraphe de l'art. 537 qui autorise ce mode.
Le défendeur contre qui jugement a été rendu le 5 mars 1963, a porté cette cause en appel mais n'a fait signifier l'inscription à l'intimé-demandeur que le 5 avril 1963, soit le trente et unième jour après que le jugement fut rendu. Les procureurs du présent intimé ont alors présenté une motion le 10 avril de la même année à la Cour
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du banc de la reine, demandant le rejet de cet appel comme tardif vu que, selon eux, les délais expiraient le 4 avril. Il y avait donc, à cause de ce retard, déchéance du droit de se pourvoir. Devant la Cour inférieure, l'appelant a plaidé que les délais ne devaient pas être computés depuis la date d'inscription, mais bien depuis la date où les parties ont été avisées du prononcé de ce jugement vu qu'il n'a pas été rendu séance tenante.
La Cour du banc de la reine[2] a décidé que l'appelant n'a pas réussi à démontrer que le jugement aurait été rendu à une date ultérieure à celle qui est indiquée et que, conséquemment, cette dernière doit être tenue comme exacte. La Cour du banc de la reine ajoute que l'appelant Javitch a fait signifier son avis le trente et unième jour et que celui-ci doit être tenu comme tardif et illégal. Sa Majesté le Roi v. Thomas[3]; Dame Gagné v. La Banque Provinciale du Canada[4]. La Cour a donc accordé la motion de l'intimé et a déclaré l'appelant déchu de son droit en appel qu'il avait formé, a refusé d'entretenir son recours et a rejeté l'action avec dépens.
La question primordiale en litige est de déterminer si la Cour du banc de la reine a mal jugé en décidant que le pourvoi en appel était tardif. Il n'y a aucun montant en jeu, et tout ce que cette Cour pourrait accorder par le jugement que nous serions appelés à rendre serait de déterminer seulement une question de délai. Le même problème a été analysé et décidé dans la cause de Tremblay v. Duke Price Power Co.[5] Il ne faut pas oublier que le droit de juger qui est donné à notre Cour dépend non pas de la demande contenue dans l'action, mais de ce qui fait l'objet de la contestation de l'appel projeté et dont est saisie la Cour. Vide Fiset v. Morin[6]. Dans cette cause la Cour suprême a décidé qu'elle n'avait pas juridiction pour entendre cet appel. Il s'agissait de déterminer le montant d'un cautionnement qui devait être fourni. On en est unanimement arrivé à la conclusion qu'il n'y avait pas de montant en jeu suivant les dispositions de l'art. 39 de la Loi sur la Cour suprême du temps, qui est maintenant l'art. 36.
L'appelant a produit une motion pour obtenir permission d'appeler, et l'intimé a également produit une motion
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pour faire rejeter l'appel de plano. Certainement que cette Cour a le droit d'accorder une permission d'appeler en vertu des dispositions de l'art. 41, mais je ne crois pas, dans les circonstances actuelles, qu'une telle permission doive être accordée. Rien ne justifie, en effet, même si le jugement antérieur était erroné, que cette demande soit accordée. Je ne vois aucune question importante qui autorise l'intervention de cette Cour suivant les normes établies par les jugements antérieurs.
Il s'ensuit donc que la motion pour permission d'appeler doit être rejetée avec dépens. Quant à la motion pour faire rejeter l'appel de plano, il s'ensuit logiquement qu'elle doit être accordée avec dépens et que l'appel doit être rejeté également avec dépens. Il n'y aura pas de frais pour ou contre le mis-en-cause qui est registrateur de la Division d'Enregistrement de Montréal.
CARTWRIGHT J.: — I agree in the result, reached by all the other Members of the Court, that the appeal should be dismissed, that the respondent should recover from the appellant the costs of the appeal, of the motion to quash and of the motion for leave to appeal, and that there should, be no order as to costs for or against the mis-en-cause.
Le jugement des Juges Fauteux et Hall fut rendu par
LE JUGE FAUTEUX: — Par jugement en date du 5 mars 1963, M. le juge Prévost de la Cour supérieure à Montréal, accueillant une action intentée par l'intimé à l'appelant, annulait une promesse d'achat d'une ferme au prix de $50,000 et ordonnait la radiation du bordereau enregistré sur cette ferme par l'appelant. Ce dernier appela de ce jugement; mais son inscription en appel datée du 4 avril 1963 ne fut signifiée à l'intimé que le 5 avril 1963, soit le jour suivant l'expiration du délai d'appel de trente jours prescrit à l'art. 1209 du Code de Procédure Civile. C'est alors que le 10 avril suivant, l'intimé fit motion pour faire déclarer la déchéance du droit d'appel. La Cour d'appel[7] considéra que ce délai de trente jours est de rigueur, que l'appel doit se former par la production d'une inscription et de sa signification dans ce délai de trente jours, sous peine de déchéance, que l'appelant n'avait pas réussi à démontrer que le jugement du juge Prévost aurait été rendu à une date ultérieure à la date qu'il porte, que
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cette date doit être tenue comme exacte et que la signification de l'inscription, faite trente et un jours après la date du jugement, devait être tenue comme tardive et illégale. Et la Cour après avoir référé à Sa Majesté le Roi v. Thomas[8], Dame Gagné v. La Banque Provinciale du Canada[9], déclara par un jugement unanime rendu le 16 avril 1963 que la motion de l'intimé était bien fondée et que l'appelant était déchu du droit à l'appel qu'il avait formé, et cet appel fut rejeté avec dépens. Le présent pourvoi, interjeté de plano, est de ce jugement.
Par la suite, l'appelant fit d'autres procédures. Le 12 septembre 1963, il demanda à la Cour d'appel la permission de produire au dossier, comme exhibit A-1, un extrait du plumitif où il apparaît que le jugement de M. le juge Prévost, daté du 5 mars, fut produit au bureau du protonotaire le 6 mars et, comme exhibit A-2, une attestation du greffier de la Cour supérieure que ce jugement du juge Prévost avait été rendu le 6 mars. En fait, l'appelant avait communiqué, sans les produire, la teneur de ces pièces à la Cour d'appel lors de l'audition sur la motion pour faire déclarer la déchéance du droit d'appel. Cette motion pour production d'exhibits fut rejetée. Le 7 octobre 1963, l'appelant logea à la Cour suprême du Canada une demande de permission d'appeler du jugement a quo; la considération de cette demande fut ultérieurement différée à l'audition de l'appel au mérite. Le 17 octobre 1963, l'appelant, invoquant les dispositions de l'art. 67 de la Loi sur la Cour suprême du Canada, demanda à la Cour d'appel d'inclure au dossier les exhibits A-1 et A-2 et, en plus, un affidavit de M. le juge Prévost établissant que le jugement de ce dernier n'avait pas été prononcé à l'audience; cette demande fut accordée, sauf en ce qui concerne l'affidavit en question, vu que celui-ci n'avait pas été soumis à la Cour d'appel quand le jugement du 16 avril prononçant la déchéance fut rendu.
D'autre part, l'intimé demanda à cette Cour d'annuler l'appel logé de plano, alléguant que le jugement a quo n'est pas un jugement rendu dans une procédure où le montant ou la valeur de la matière en litige excède $10,000, mais qu'il s'agit tout simplement d'un jugement déclarant la déchéance du droit d'appel sans aucune référence au mérite de la cause.
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La seule question en litige devant nous a trait au bien ou mal fondé du jugement de la Cour d'appel, accueillant la motion l'intimé pour faire déclarer la déchéance du droit de l'appelant à former un appel en Cour du banc de la reine. Dussions-nous conclure au mal fondé de ce jugement, tout ce que nous pourrions faire serait de remettre la cause à la Cour d'appel pour audition au mérite. Gatineau Power Co. v. Cross.[10] Le jugement a quo n'est donc pas un jugement prononcé « dans une procédure judiciaire où le montant ou la valeur de la matière en litige dans l'appel dépasse $10,000 ». Art. 36(a) Loi sur la Cour suprême. Aussi bien cette motion de l'intimé pour annulation de l'appel logé de plano à cette Cour doit être admise avec dépens.
D'autre part, la demande de l'appelant pour permission d'appeler à cette Cour me paraît justifiée et doit être accordée aux conditions ordinaires, soit frais à suivre le sort de l'appel. L'importance du montant ou de la valeur de la matière en litige en première instance, les circonstances relatives à la publicité du jugement de la Cour supérieure, le point de départ pour la computation des délais d'appel de ce jugement, la déclaration de la déchéance de ce droit d'appel sont autant de circonstances qui, entre autres, militaient, à mon avis, pour considérer au mérite, comme d'ailleurs il a été jugé nécessaire de ce faire, le bien ou mal fonde du présent appel. Une telle demande fut accordée par cette Cour dans Robert v. Marquis[11] où il s'agissait précisément de l'appel d'un jugement de la Cour du banc de la reine accueillant une motion pour faire rejeter un appel au motif que l'inscription en appel était illégale.
Après audition sur le mérite, cependant, je dois conclure que la Cour d'appel, en présence du dossier tel qu'alors constitué, a eu raison de dire que l'appelant n'avait pas réussi à démontrer que le jugement du juge Prévost avait été rendu à une date ultérieure à celle qu'il porte.
Le jugement de M. le juge Prévost n'est pas accompagné des instructions que mentionne l'art. 538 C.P.C.; rien au dossier ne suggère une application des dispositions de cet article à l'espèce. Par ailleurs, ce jugement de M. le juge Prévost pouvait, suivant le premier alinéa de l'art. 537 C.P.C. être prononcé à l'audience, ou suivant le second
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alinéa du même article, en le déposant au greffe à la date qu'il porte avec alors obligation du protonotaire d'en donner avis. Tenant compte de la maxime omnia praesumuntur rite esse acta, je crois qu'il y a lieu, à moins d'indices au contraire, de présumer que la prononciation à l'audience ou le dépôt au greffe ont lieu à la date inscrite au jugement. Il incombait donc à l'appelant de repousser cette présomption lorsque cette question fut soulevée en Cour d'appel.
Aux termes mêmes de son inscription en appel, l'appelant lui-même précise qu'il appelle « from the judgment of the Superior Court for the District of Montreal, Province of Quebec, rendered by Prévost J., on March 5, 1963 ». Quant aux entrées au plumitif, exhibit A-1, elles se lisent comme suit:
1963
March 5. — Jugement DONNE ACTE au demandeur de son offre et de son renouvellement d'offre de la somme de $2,000.00 en capital et de $213.90 en intérêt etc.
Juge Prévost.
Prod. 6 March 1963.
April 4 — Inscription in Appeal sign, et rapp. M Philipp, Bloomfield and Co.
Il est manifeste et admis que l'entrée du 4 avril indiquant que l'inscription fut signifiée le 4 avril est inexacte; le rapport du huissier fait foi que cette signification ne fut faite que le 5 avril après l'expiration du délai de l'appel. Si, par ailleurs, il faut retenir que l'entrée apparemment faite le 5 mars indique que le jugement fut produit le 6 mars, il ne s'ensuit pas que le jugement n'a pas été, comme il pouvait valablement l'être, prononcé à l'audience le 5 mars. L'appelant l'a d'ailleurs reconnu par l'allégation suivante apparaissant à sa motion faite le 15 octobre 1963:
WHEREAS in order that Defendant-Appellant's case be properly presented before the Supreme Court of Canada it is essential that an affidavit of the Honourable Mr. Justice Prévost establishing that the judgment in the Superior Court had not been rendered in open Court, form part of the said Joint Record.
On peut ajouter que rien au dossier ne suggère, qu'assumant que cet affidavit eut été décisif de la question, on ne pouvait avec une diligence raisonnable l'obtenir et le produire en Cour d'appel lors de l'audition de la motion pour faire déclarer la déchéance du droit d'appel. Il serait contraire aux principes régissant les appels de donner maintenant effet à cet affidavit ou à d'autres pièces offertes dans pareilles circonstances.
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Enfin, l'attestation du greffier, exhibit A-2, se lit comme suit:
RE: 482,513 BRIEN vs JAVITCH
La Présente est pour certifier que le jugement dans la présente cause a été rendu par l'honorable juge PRÉVOST, le six mars 1963 et apparaît dans le livre des délibérés comme tel.
(signé) Ovide Mercure
OVIDE MERCURE, D.P.C.S.
Greffier en chef.
P.S. Le jugement ci-haut porte la date du 5 mars 1963
(signé) OM, D.P.C.S.
Il n'est évidemment pas de la compétence du greffier de décider si un jugement a été prononcé à une date différente de celle qu'il porte. Au surplus, cet exhibit A-2 a été irrégulièrement produit au dossier, comme d'ailleurs l'exhibit A-1, ainsi qu'il est démontré aux raisons de jugement de M. le juge en chef Tremblay. Dossier conjoint, page 43. Ajoutons, enfin, qu'à l'audition devant nous, l'intimé a déposé un affidavit en date du 3 octobre 1963, signé par le même greffier, dans lequel celui-ci déclare:
1o. Le 16 avril 1963, j'ai signé une lettre à la demande des procureurs de monsieur Javitch, lettre qu'ils avaient eux-mêmes rédigés (sic) sur du papier à lettre du protonotaire.
2o. Dans cette lettre, il était dit que le jugement de la Cour Supérieure rendu dans cette cause l'avait été le 6 mars 1963 et que cela apparaissait dans le livre des délibérés.
3o. J'ai depuis examiné le dossier, l'original du jugement et le plumitif du protonotaire et, après avoir vérifié le tout, je réalise que cette mention du 6 mars 1963 dans le livre des délibérés, mention que j'y ai moi-même écrite, est erronée parce que l'original du jugement est daté du 5 mars 1963 et parce qu'il n'y a rien ni au dossier ni dans les livres du protonotaire pouvant indiquer qu'il a été rendu à une autre date que celle qu'il porte.
Et j'ai signé.
(signé) Ovide Mercure
La référence à cet affidavit est faite exclusivement pour démontrer le danger qu'il y a de tenir compte de pièces irrégulièrement produites.
En somme, la Cour d'appel n'avait pas devant elle une preuve adéquate pour lui permettre de conclure que le jugement de M. le juge Prévost avait été rendu à une date ultérieure à celle qu'il porte. Il s'en suit que la computation du délai d'appel devait se faire à compter de cette date et
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que l'inscription fut signifiée après l'expiration de ce délai. Je renverrais l'appel avec dépens.
Appel rejeté avec dépens.
Procureurs du défendeur, appelant: Phillips, Bloomfield, Vineberg & Goodman, Montréal.
Procureurs du demandeur, intimé: Lacroix, Viau, Hébert & Thivierge, Montréal.
[1] [1963] B.R. 865.
[2] [1963] B.R. 865.
[3] (1933), 56 B.R. 83.
[4] [1957] B.R. 471.
[5] [1933] R.C.S. 44, 1 D.L.R. 184.
[6] [1945] R.C.S. 520, 3 D.L.R. 800.
[7] [1963] B.R. 865.
[8] (1933) 56 B.R. 83.
[9] [1957] B.R. 471.
[10] [1929] R.C.S. 35, [1928] 3 D.L.R. 706.
[11] [1958] R.C.S. 20.