Affaire : SONAR C/ Ayants droit de feu S.M
L’an deux mille dix-huit Et le sept novembre
La Cour de cassation, Chambre civile, siégeant en audience publique dans la salle des audiences ordinaires de ladite Cour, composée de :
Madame KOULIBALY Léontine, Président
Monsieur GUEYE Mamadou, Conseiller
Monsieur OUEDRAOGO R. Jean, Conseiller
En présence de Monsieur NIKIEMA Placide, Avocat général et de Maitre NIKIEMA T. Clarisse, Greffier ;
A rendu l’arrêt ci-après :
LA COUR
Statuant sur le pourvoi formé le 14 Mai 2004 par Maître Boubacar NACRO au nom et pour le compte de la SONAR, contre l’arrêt n° 21 du 15 Mars 2004 rendu par la Chambre civile de la Cour d’appel de Bobo-Dioulasso, dans la cause opposant sa cliente aux ayants droit de feu S.M ;
Vu la loi organique n°018-2016/CNT du 26 mai 2016 portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Cour de Cassation ;
Vu la loi organique n°13-2000/AN du 09 mai 2000, portant organisation, attributions et fonctionnement de la Cour de Cassation ;
Vu la loi n° 22- 99 /AN du 18 Mai 1999, portant Code de procédure civile ;
Vu la déclaration de pourvoi et l’arrêt susdit ;
Vu le rapport du Conseiller ;
Vu les conclusions écrites du Ministère public ;
Ouï le Conseiller en son rapport et les parties en leurs observations ;
Ouï l’Avocat Général en ses conclusions orales ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
SUR LA RECEVABILITE DU POURVOI
Attendu que le pourvoi a été introduit dans les forme et délai prescrits par la loi ; qu’il est recevable ;
AU FOND
FAITS ET PROCEDURE
Attendu qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que le 17 Février 1998, un incendie de coton survenait sur l’aire de ramassage de coton de la Société des Fibres et Textiles du Burkina (SOFITEX) à Kouéré, village du département de Sidéradougou ;
Que cet incendie provoqué par Z.W, mineur d’environ 14 ans occasionnait d’importants dégâts matériels, des blessures et la mort de plusieurs personnes dont S.M ;
Que conformément à l’article 241 du Code CIMA, les ayants droit du défunt communiquaient leurs pièces à la SONAR en vue du règlement transactionnel, mais la SONAR, constatant des irrégularités sur les actes d’état civil, refusait la transaction et saisissait le juge d’instruction pour faux et usage de faux en écriture publique ;
Attendu que par exploit en date du 19 Septembre 2001, les ayants droit de feu S.M assignaient la SOFITEX à l’effet de la voir condamner à leur payer la somme de huit millions quatre cent mille (8 400 000) F pour le préjudice subi ;
Que le 12 octobre 2001 la SOFITEX assignait son assureur, la SONAR, en intervention dans l’instance et en garantie du paiement d’éventuelles condamnations pécuniaires ;
Que par jugement rendu le 8 Mai 2002, le Tribunal condamnait la SOFITEX à payer aux ayants droit de S.M la somme de 8 400 000 F et disait la SONAR tenue de garantir ladite condamnation ;
Que contre cette décision, la SONAR interjetait appel le 20 Mai 2002, et la Cour d’appel par arrêt, dont pourvoi, réformait le jugement querellé quant au montant de la condamnation mise à la charge de la SOFITEX, fixait ledit montant à la somme de cinq millions (5 000 000) F et confirmait les autres dispositions ;
LES MOYENS DU POURVOI
Attendu qu’à l’appui de leur pourvoi les demandeurs invoquent trois (3) moyens de cassation ;
SUR LE PREMIER MOYEN TIRE DE LA VIOLATION DES DROITS DE LA DEFENSE ET DU PRINCIPE DU CONTRADICTOIRE
Attendu que la demanderesse au pourvoi soutient qu’au cours de la procédure devant le Tribunal, hormis les actes d’état civil argués de faux qui lui ont été transmis lors de la phase transactionnelle de l’indemnisation, elle n’a pas reçu communication des pièces versées aux débats par la partie adverse et, l’ordonnance de clôture est intervenue puis l’affaire enrôlée sans qu’elle ne puisse présenter ses moyens de défenses au fond ;
Qu’ainsi l’arrêt ayant confirmé le jugement querellé et partant, l’ordonnance de clôture, a violé les dispositions des articles 6, 26, 28 et 151 du Code de procédure civile relatifs aux droits de la défense et du principe du contradictoire ;
Attendu que ce moyen tiré de la violation des droits de la défense et du principe du contradictoire n’a pas été soulevé devant la Cour d’appel ; qu’invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation, il constitue un moyen nouveau et ne saurait être accueilli ;
SUR LE SECOND MOYEN TIRE DE LA VIOLATION DE L’ARTICLE 4 ALINEA 2 DU CODE DE PROCEDURE PENALE
Attendu que la SONAR fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé le principe selon lequel « le criminel tient le civil en état », principe posé par l’article 4, alinéa 2 du Code de procédure pénale qui énonce que « Toutefois il est sursis au jugement de l’action civile tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement » ;
Qu’elle soutient qu’une plainte a été déposée devant le juge d’instruction pour faux en écriture publique et tentative d’escroquerie, et qu’une identité de fait existe entre cette action pénale et l’action civile intentée par les ayants droit de feu S.M ;
Que le Tribunal de grande instance de Bobo Dioulasso en refusant d’ordonner le sursis à statuer et la Cour d’appel en confirmant cette décision, ont violé l’article sus énoncé ;
Attendu que, pour que le jugement de l’action civile soit suspendu, il faut d’une part que l’action publique ait été mise en mouvement, avant ou pendant l’exercice de l’action civile devant le Tribunal civil, et d’autre part que les deux actions procèdent du même fait ;
Que l’identité de fait suppose l’existence entre les deux actions, d’une question commune que le Tribunal civil ne puisse trancher sans constater l’infraction commise et par la suite sans risquer de se mettre en contradiction avec le Tribunal répressif ;
Qu’aussi, le juge civil n’est pas tenu de surseoir à statuer lorsque l’action dont il est saisi est indépendante des poursuites pénales ;
Attendu que dans le cas d’espèce si la première condition, à savoir la mise en mouvement de l’action publique a été remplie, il en est autrement de l’identité de fait ;
Qu’en effet ici, le fait générateur de l’action civile est un incendie, alors que l’action publique est fondée sur un faux en écriture publique et une tentative d’escroquerie ;
Que de plus les actes d’état civil produits devant le Tribunal civil sont sans équivoques en ce sens qu’ils ont été établis à Bondokuy et à Séguénéga tandis que ceux incriminés ont été dressés à Toussiana ;
Qu’en conséquence, ne s’agissant pas des mêmes actes, la décision au pénal ne peut aucunement influer sur la décision civile ;
Qu’il s’ensuit que le sursis à statuer demandé par la SONAR n’est pas justifié et c’est à bon droit que les juges du fond l’ont rejeté ;
D’où il suit que ce moyen n’est pas fondé ;
SUR LE TROISIEME MOYEN TIRE DE LA VIOLATION DE L’ARTICLE 11 DU CODE CIMA
Attendu que la SONAR reproche à l’arrêt querellé de l’avoir condamné à garantir les condamnations pécuniaires mises à la charge de la SOFITEX, alors que l’incendie qui a causé la mort de S.M a été volontairement provoqué par Z. W, mineur de 14 ans ;
Que la SONAR soutient qu’aux termes de l’article 11 du Code CIMA, l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré et en l’espèce, la SOFITEX ayant pris toutes les précautions nécessaires pour protéger l’aire de stockage du coton contre les incendies n’a commis aucune faute ;
Que si l’incendie est survenu c’est par la faute de Z.W qui a volontairement mis le feu au coton ;
Attendu cependant qu’il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué que la SOFITEX après l’achat du coton avec les producteurs, a engagé ces derniers, dont S.M , pour effectuer l’opération de chargement des camions contre rémunération ;
Qu’en vertu de ce lien de préposition, et compte tenu du fait que le produit est hautement inflammable, la SOFITEX avait d’assurer la sécurité des producteurs sur l’aire de chargement du coton, mais elle y a failli en permettant l’accès du site à des mineurs ;
Qu’en conséquence, les juges du fond en tenant la SOFITEX responsable du dommage causé à S. M, du fait de sa négligence ont fait une bonne application de la loi et n’ont pas violé les dispositions de l’article 11 du code CIMA ;
Qu’il s’ensuit que ce moyen n’est également pas fondé ;
Attendu qu’il ressort de tout ce qui précède que les moyens du pourvoi ne sont pas fondés ; qu’il y a lieu de le rejeter.
PAR CES MOTIFS
EN LA FORME
Déclare le pourvoi recevable ;
AU FOND
Le rejette comme étant mal fondé ;
Met les dépens à la charge de la demanderesse ;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la chambre civile de la Cour de cassation du Burkina Faso les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé le Président et le Greffier.