N° C.22.0141.F
1. D. L.,
2. G. D. Q.,
agissant en qualité d’administrateurs légaux de la personne et des biens de leur enfant mineur […],
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, et assistés par Maître Gilles Genicot, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
ETHIAS, société anonyme, dont le siège est établi à Liège, rue des Croisiers, 24, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0404.484.654,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le
18 novembre 2021 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d’appel.
Par ordonnance du 18 octobre 2022, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Maxime Marchandise a fait rapport.
L’avocat général Hugo Mormont a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent trois moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Celui qui, par sa faute, a causé un dommage à autrui est tenu de le réparer et la victime a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'elle a subi.
Le juge évalue in concreto le préjudice causé par un fait illicite.
À l’appui de leur demande de calculer la somme destinée à réparer le dommage moral temporaire de leur fils sur une base de 30 euros par jour d’incapacité à 100 p.c. et de 35 euros par jour d’hospitalisation, les demandeurs faisaient valoir que « les experts ont omis de mentionner l’existence d’un pretium doloris et par ailleurs la souffrance d’un enfant est assurément plus intense que celle des adultes qui ont appris à mieux supporter les épreuves de la vie ».
Le jugement attaqué, qui, pour fonder sa décision de réparer ce dommage par une indemnité calculée sur une base de 28 euros par jour d’incapacité à
100 p.c. et de 34 euros par jour d’hospitalisation, oppose à ces conclusions que
« le fait que le pretium doloris n’ait pas été identifié distinctement n’a pas d’impact en l’espèce dès lors qu’il est communément admis par la jurisprudence que, sauf circonstance exceptionnelle, les préjudices particuliers temporaires tels que quantum doloris, esthétique, sexuel et d’agrément ne sont pas indemnisés distinctement et sont compris dans l’incapacité personnelle temporaire », et que les demandeurs « n’établissent ni n’offrent de le faire qu’il y aurait en l’espèce des éléments permettant de s’écarter des montants préconisés [par le tableau indicatif établi par l’Union royale des juges de paix et de police en 2020] », n’indique pas les circonstances propres à la cause qui justifient de fixer cette base de calcul, partant, méconnaît son obligation d’évaluer in concreto le préjudice causé au fils des demandeurs.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Sur le deuxième moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite du défaut d’intérêt :
Alors que le jugement entrepris condamne la défenderesse à payer aux demandeurs au titre de réparation du préjudice résultant de l’incapacité personnelle permanente de leur fils les sommes de 23 104,48 euros pour le dommage subi entre la date de consolidation et la date de la prononciation de ce jugement, et de 271 595,11 euros pour le dommage futur, le jugement attaqué la condamne à payer les sommes de 25 984,80 euros pour le dommage subi entre la date de consolidation et la date de la prononciation de ce jugement, et de
113 757,90 euros pour le dommage futur.
Dès lors, le jugement attaqué ne majore pas l’indemnité accordée aux demandeurs.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen :
Le jugement attaqué constate que les demandeurs demandent la confirmation du jugement entrepris en ce qu’il statue sur l’indemnité destinée à réparer l’incapacité personnelle permanente de leur fils, « à l’exception de l’utilisation d’une base journalière de 30 euros à 100 p.c. d’incapacité ».
En considérant que c’est « à juste titre que le premier juge a utilisé un montant réduit à 24 euros », « dès lors qu’il convient effectivement d’admettre que l’indemnité allouée durant la période d’incapacité temporaire est réputée compenser un dommage moral au sens large du terme, soit le dommage moral spécifique mais également le dommage esthétique, sexuel ou d’agrément, ces derniers n’étant personnalisés qu’en présence de circonstances exceptionnelles », et que, « dans la mesure où ces différents dommages moraux sont, en règle, individualisés à compter de la consolidation, il se justifie de revoir la base d’indemnisation à la baisse pour le seul dommage moral spécifique permanent, dès lors qu’en l’espèce, le préjudice esthétique a été distinctement identifié dans les conclusions du rapport d’expertise médicale amiable », le jugement attaqué, qui n’indique pas les circonstances propres à la cause qui justifient la base de calcul qu’il retient, méconnaît son obligation d’évaluer in concreto le préjudice causé au fils des demandeurs.
Le moyen est fondé.
Et il n’y a lieu d’examiner ni la seconde branche du premier moyen ni le troisième moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse le jugement attaqué en tant qu’il statue sur le dommage résultant de l’incapacité personnelle temporaire et de l’incapacité personnelle permanente du fils des demandeurs, et sur les intérêts et les provisions relatifs aux indemnités allouées à ce titre ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge du jugement partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant le tribunal de première instance de Namur, siégeant en degré d’appel.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Ariane Jacquemin, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-deux par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Hugo Mormont, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.