N° C.21.0491.F
1. G. B., et
2. G. V. D. R.,
demandeurs en cassation,
représentés par Maître Martin Lebbe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Saint-Gilles, rue Jourdan, 31, où il est fait élection de domicile,
contre
G. W.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile,
en présence de
1. S. V., et
2. H. W.,
parties appelées en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 21 mai 2021 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le 8 septembre 2022, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
S’agissant de la responsabilité quasi-délictuelle du défendeur, l’arrêt considère que, « compte tenu des responsabilités qui étaient les siennes en tant qu’architecte chargé d’une mission relevant de l’ordre public, [le défendeur] ne pouvait, sans commettre de faute, s’abstenir de s’enquérir du sort du projet auprès des [parties appelées en déclaration d’arrêt commun] », qu’« il ne pouvait pas présumer que le projet avait été abandonné du seul fait qu’il n’était plus en contact avec les maîtres de l’ouvrage après le dépôt de la demande de permis d’urbanisme, d’autant qu’il connaissait probablement les intentions des maîtres de l’ouvrage de réaliser les travaux par eux-mêmes, [la première partie appelée en déclaration d’arrêt commun] étant issue d’une famille d’entrepreneurs », que le défendeur « a commis une faute en ne tirant pas les conclusions adéquates du silence des maîtres de l’ouvrage », que, « vu la mission d’ordre public qui lui incombait, il aurait dû s’enquérir auprès des autorités communales du sort de la demande de permis d’urbanisme ; qu’informé de l’obtention du permis, il aurait dû mettre en demeure les maîtres de l’ouvrage de prendre position au sujet de la poursuite de l’exécution de la mission d’architecture et indiquer qu’il considérerait sa mission comme terminée faute de réaction de leur part dans un certain délai ; que, faute de réaction des maîtres de l’ouvrage dans le délai imparti, il aurait dû informer les autorités administratives et le conseil de l’Ordre des architectes de l’arrêt de sa mission ».
Il suit de ces motifs que l’arrêt considère, non que la fin de la mission de l’architecte dépendait d’une mise en demeure des maîtres de l’ouvrage et de la réaction de ces derniers à cette mise en demeure, mais que le caractère d’ordre public de sa mission et son obligation d’informer les autorités administratives et le conseil de l’Ordre des architectes de ce qu’il était déchargé de la mission de contrôle par le maître de l'ouvrage lui imposaient, dès lors qu’il n’avait plus de contact avec les maîtres de l’ouvrage mais ne pouvait ignorer leurs intentions de réaliser les travaux par eux-mêmes, de s’enquérir du sort du projet auprès de ceux-ci, en les mettant en demeure de prendre position au sujet de la poursuite de l’exécution de la mission d’architecture et en indiquant qu’il considérerait sa mission comme terminée faute de réaction de leur part dans un certain délai.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur une interprétation inexacte de l’arrêt, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
L’article 4 de la loi du 20 février 1939 sur la protection du titre et de la profession d’architecte impose le concours d’un architecte pour l’établissement des plans et le contrôle de l’exécution des travaux pour lesquels les lois, arrêtés et règlements imposent une demande préalable d’autorisation de bâtir.
L’article 21 du règlement de déontologie établi par l’Ordre national des architectes, approuvé et rendu obligatoire par arrêté royal du 18 avril 1985, dispose, en son premier alinéa, qu’en application de la loi du 20 février 1939, l'architecte ne peut accepter la mission d'élaborer un projet d'exécution sans être chargé simultanément du contrôle de l'exécution des travaux, en son deuxième alinéa, qu’il est dérogé à ce principe dans le cas où l'architecte a l'assurance qu'un autre architecte, inscrit à l'un des tableaux de l'Ordre ou sur une liste des stagiaires, est chargé du contrôle et que, dans cette éventualité, il en informera l'autorité publique qui a délivré le permis de bâtir et son conseil de l'Ordre, en précisant le nom de l'architecte qui lui succède, et, en son troisième alinéa, qu’il en sera de même si, ayant fourni un projet d'exécution, il est déchargé de la mission de contrôle par le maître de l'ouvrage.
S’il suit de ces dispositions que l'architecte ne peut accepter la mission d'élaborer un projet d'exécution des travaux que s'il a l'assurance que lui-même ou un autre architecte sera chargé du contrôle de cette exécution, il n’en résulte pas une obligation pour l’architecte, qui, ayant fourni un projet d'exécution, est déchargé de la mission de contrôle par le maître de l'ouvrage, de s’assurer qu’un autre architecte sera chargé du contrôle de cette exécution, mais uniquement une obligation d’informer l'autorité publique qui a délivré le permis de bâtir et son conseil de l'Ordre de ce qu’il a été déchargé de cette mission.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la troisième branche :
Dans leurs conclusions, les demandeurs, qui se bornaient à invoquer la responsabilité extracontractuelle du défendeur sans invoquer de moyen à l'appui de ce fondement et, s’agissant de la responsabilité contractuelle du défendeur, soutenaient que l'architecte qui est, une fois le permis obtenu, déchargé de sa mission par le maître de l'ouvrage est tenu de procéder à divers avertissements et que « le lien de causalité entre la faute (contractuelle) de l'architecte et [leur] dommage [...] est évident : si l'architecte n'avait pas commis les fautes qui lui sont reprochées, le chantier aurait été suivi par un architecte, et les différents vices ne seraient pas apparus », n'ont pas fait valoir que, si l'autorité publique qui a délivré le permis d'urbanisme avait été informée, elle aurait pu faire arrêter les travaux exécutés sans le contrôle d'un architecte ni que, si le conseil de l'Ordre des architectes avait été averti, il aurait pu menacer les maîtres de l'ouvrage de déposer plainte si les travaux étaient réalisés sans architecte.
L’arrêt, qui considère que, « si [le défendeur] avait accompli [l]es démarches [énoncées dans la réponse à la première branche du moyen], il est possible mais non certain que les maîtres de l’ouvrage auraient décidé de faire appel aux services d’un architecte pour assurer le contrôle de l’exécution des travaux et il est possible mais non certain que cet architecte aurait assuré la conformité du bâtiment aux plans officiels, aux règles urbanistiques et aux règles de l’art » et qu’« il y a là un double niveau d’incertitude qui ne permet pas de considérer qu’il y a un lien causal entre les fautes quasi-délictuelles commises par [le défendeur] et le dommage tel qu’il s’est réalisé », n’était pas tenu, à défaut de conclusions l’y invitant, de constater qu’en l’absence de cette intervention potentielle des autorités précitées, le dommage résultant d’un défaut de contrôle de l’exécution des travaux par un architecte se serait produit tel qu’il s’est réalisé.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Le rejet du pourvoi prive d’intérêt la demande en déclaration d’arrêt commun.
Et il y a lieu de mettre les dépens de cette demande à charge des demandeurs.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d’arrêt commun ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent cinquante-sept euros quarante et un centimes envers les demandeurs, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle, et, pour la demande en déclaration d’arrêt commun, à la somme de six cent soixante-cinq euros nonante et un centimes envers le défendeur.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Mireille Delange et Michel Lemal, les conseillers Sabine Geubel et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-neuf septembre deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.