La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/09/2022 | BELGIQUE | N°F.20.0101.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 septembre 2022, F.20.0101.F


N° F.20.0101.F
VILLE DE CHARLEROI, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à Charleroi, en l’hôtel de ville, place Charles II, 15-16,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
PROXIMUS, société anonyme de droit public, dont le siège est établi à Schaerbeek, boulevard du Roi Albert II, 27, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0202.239.951,


défenderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cou...

N° F.20.0101.F
VILLE DE CHARLEROI, représentée par son collège communal, dont les bureaux sont établis à Charleroi, en l’hôtel de ville, place Charles II, 15-16,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
PROXIMUS, société anonyme de droit public, dont le siège est établi à Schaerbeek, boulevard du Roi Albert II, 27, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0202.239.951,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 12 juin 2019 par la cour d’appel de Mons.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen, en cette branche, par la défenderesse et déduite de ce qu’il omet de viser l’article 159 de la Constitution, le principe constitutionnel de légalité et de hiérarchie des normes et le principe de sécurité juridique en matière de taxes communales, qui découlerait de l’article 170, alinéa 4, de la Constitution :
La violation de la disposition légale visée au moyen, en cette branche, suffirait, si celui-ci était fondé, à entraîner la cassation de la décision critiquée.
La fin de non-recevoir ne peut être accueillie.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
L’article 1er, alinéa 1er, du règlement-taxe du 30 avril 2012 prévoit que la taxe communale annuelle litigieuse frappe les pylônes ou les mâts, installés sur le territoire de la demanderesse, affectés à un système global de communication mobile (G.S.M.) ou à tout autre système d’émission ou de réception de signaux de communication.
Aux termes de l’article 1er, alinéa 2, de ce règlement, il faut entendre par pylônes ou mâts, tout pylône de diffusion et tout mât d’une certaine importance qui sont des structures en site propre et destinés à supporter les divers types d’antennes nécessaires au bon fonctionnement de ces réseaux n’ayant pu prendre place sur un site existant (toit, église, château d’eau…).
Si cette disposition ne donne pas de définition d’un système d’émission ou de réception de signaux de communication autre qu’un système global de communication mobile, elle précise toutefois qu’il doit s’agir de réseaux de communication fonctionnant grâce à des antennes sur des pylônes ou mâts en site propre, ce qui suffit à déterminer le champ d’application du règlement-taxe.
L’arrêt, qui considère qu’« à défaut de précision sur les catégories de pylônes devant supporter la taxe et notamment, l’absence de définition du concept de ‘pylône affecté à tout autre système d’émission ou de réception de signaux de communication’, l’objet imposable ne peut être déterminé à suffisance », viole la disposition précitée.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Quant à la troisième branche :
Sur les fins de non-recevoir opposées au moyen, en cette branche, par la défenderesse et déduites du défaut d’intérêt :
D’une part, l’accueil de la première branche du moyen ôte aux motifs que critique le moyen, en cette branche, tout caractère surabondant.
D’autre part, en lui faisant grief de considérer que, pas plus que le but financier poursuivi, « les autres motifs accessoires figurant dans le règlement-taxe ne permettent […] de justifier la différence de traitement opérée », le moyen, en cette branche, revient à critiquer la décision de l’arrêt que « ni les motifs des règlements-taxes ni les dossiers administratifs concernant leur adoption […] ne contiennent de motivation de nature à justifier la différence de traitement entre les pylônes soumis à la taxe et les autres types de pylônes qui ne sont pas soumis à la taxe ».
Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.
Sur le fondement du moyen, en cette branche :
La règle de l'égalité des Belges devant la loi contenue dans l'article 10 de la Constitution, celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges inscrite dans l'article 11 de la Constitution ainsi que celle de l'égalité devant l'impôt exprimée dans l'article 172 de la Constitution impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable ; l'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ou de l'impôt instauré ; le principe d'égalité est également violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
Une justification objective et raisonnable n'implique pas que l'autorité publique qui opère une distinction entre des catégories de contribuables comparables doive apporter la preuve que la distinction ou l'absence de distinction aurait nécessairement des effets déterminés.
Il suffit qu’il apparaisse qu’existe ou que peut exister une justification objective et raisonnable à la distinction faite entre ces différentes catégories.
L’arrêt constate qu’en sus du but financier, le règlement du 30 avril 2012, qui taxe les pylônes ou les mâts, installés sur le territoire communal, affectés à un système global de communication mobile (G.S.M.) ou à tout autre système d’émission ou de réception de signaux de communication, poursuit « des objectifs d’incitation ou de dissuasion accessoires », qui tiennent compte, suivant les termes de son préambule, « de la spécificité [des] systèmes [d’émission et de réception de signaux de communication] compte tenu de l’intensité et de la nocivité des ondes qui peuvent en émaner dans un rayon relativement important », de ce qu’« indépendamment du respect des normes admises de santé publique - de surcroît régulièrement mises en cause -, la présence des installations visées par la taxe a un impact négatif vis-à-vis des citoyens (nuisance visuelle, crainte pour la santé, moins-value immobilière…) et, partant, vis-à-vis de la commune », de la « charge administrative importante pour la commune » du fait de l’expansion du marché de la communication mobile, d’« une atteinte aux paysages dans des périmètres relativement importants de la commune » et de la volonté qui en résulte « de limiter la prolifération de pylônes destinés à accueillir des antennes de diffusion G.S.M. [en site propre] ».
Il énonce, sans être critiqué, que « les mâts ou pylônes qui ne sont pas destinés à l’émission ou la réception de signaux de communication comme, à titre exemplatif, des pylônes de lignes à haute tension, des pylônes destinés à accueillir des enseignes lumineuses publicitaires, des éoliennes ou des pylônes d’éclairage » sont des installations comparables à celles qui sont visées à l’article 1er du règlement-taxe, pour en déduire que la distinction ainsi opérée « doit être objectivement et raisonnablement justifiée ».
Il rejette les justifications ressortant du préambule du règlement-taxe au motif que « la nocivité des ondes, qui fonde le principe de précaution, n’est pas établie » et qu’« il n’est pas démontré que les autres types de pylônes ou mâts auraient un impact moindre sur l’environnement (nuisances visuelles) ou sur une éventuelle moins-value immobilière (par comparaison notamment avec les pylônes destinés à supporter des éoliennes) ».
Il ajoute, sans avoir égard au fait que seules les installations de pylônes ou mâts en site propre sont visées par le règlement, que « la volonté de limiter la prolifération des pylônes G.S.M. ou de favoriser leur installation sur des supports existants ne justifie pas que l’implantation d’autres installations, dont les propriétaires se trouvent dans une situation comparable, puisse échapper à la taxe, dès lors que celle-ci est établie par pylône ou mât implanté sur le territoire de la [demanderesse] ».
L’arrêt, qui refuse de s’en remettre à l’apparence raisonnable de justification résultant du règlement-taxe et se substitue ainsi au pouvoir communal dans l’appréciation des catégories de contribuables à taxer, viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution ainsi que les autres dispositions constitutionnelles visées au moyen, en cette branche.
Dans cette mesure, celui-ci est fondé.
Par ces motifs,
La Cour

Casse l’arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d’appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Sabine Geubel, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : F.20.0101.F
Date de la décision : 22/09/2022
Type d'affaire : Droit fiscal - Droit constitutionnel

Analyses

Si L'article 1er du règlement-taxe du 30 avril 2012 ne donne pas de définition d'un système d'émission ou de réception de signaux de communication autre qu'un système global de communication mobile, il précise toutefois qu'il doit s'agir de réseaux de communication fonctionnant grâce à des antennes sur des pylônes ou mâts en site propre, ce qui suffit à déterminer le champ d'application du règlement-taxe.

TAXES COMMUNALES, PROVINCIALES ET LOCALES - TAXES COMMUNALES [notice1]

La règle de l'égalité des Belges devant la loi, celle de la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus aux Belges ainsi que celle de l'égalité devant l'impôt impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière mais n'excluent pas qu'une distinction soit faite entre différentes catégories de personnes pour autant que le critère de distinction soit susceptible de justification objective et raisonnable ; l'existence d'une telle justification doit s'apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure prise ou de l'impôt instauré ; le principe d'égalité est également violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (1). (1) Cass. 28 janvier 2022, RG C.19.0345.F, Pas. 2022, n° 77.

CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 10 - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 11 - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 100 A FIN) - Article 172 [notice2]

Une justification objective et raisonnable n'implique pas que l'autorité publique qui opère une distinction entre des catégories de contribuables comparables doive apporter la preuve que la distinction ou l'absence de distinction aurait nécessairement des effets déterminés ; Il suffit qu'il apparaisse qu'existe ou que peut exister une justification objective et raisonnable à la distinction faite entre ces différentes catégories (1). (1) Cass. 28 janvier 2022, RG C.19.0345.F, Pas. 2022, n° 77.

TAXES COMMUNALES, PROVINCIALES ET LOCALES - TAXES COMMUNALES - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 10 - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 1 A 99) - Article 11 - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 100 A FIN) - Article 172 [notice5]


Références :

[notice1]

Règlement-taxe du 30 avril 2012 établissant une taxe sur lespylônes ou les mâts - 30-04-2012 - Art. 1er, al. 1er et 2

[notice2]

La Constitution coordonnée 1994 - 17-02-1994 - Art. 10, 11 et 172 - 30 / No pub 1994021048

[notice5]

La Constitution coordonnée 1994 - 17-02-1994 - Art. 10, 11 et 172 - 30 / No pub 1994021048


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : WERQUIN THIERRY
Assesseurs : LEMAL MICHEL, GEUBEL SABINE, MARCHANDISE MAXIME, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-09-22;f.20.0101.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award