N° F.20.0010.F
DEUTSCHE BANK, société de droit allemand, dont le siège est établi à Francfort-sur-le-Main (Allemagne), Taunusanlage, 12, agissant à l’intervention de sa succursale belge, établie à Bruxelles, avenue Marnix, 13-15, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0418.371.094,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
en présence de
1. B. G., et C. A., agissant au nom de la succession de feu leur époux et père, L. A.,
2. D. S., avocat, agissant en qualité d’administrateur judiciaire de la succession de feu L. A.,
3. B. G., préqualifiée, agissant en nom personnel,
parties appelées en déclaration d’arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 20 juin 2019 par la cour d’appel de Bruxelles.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente quatre moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant aux première et quatrième branches :
Le moyen, en chacune de ces branches, est dirigé contre la décision de l’arrêt de dire non fondées les demandes originaires de la troisième partie appelée en déclaration d’arrêt commun tendant à l’annulation ou au dégrèvement de cinq cotisations à l’impôt des personnes physiques établies à la charge de son ménage.
Il fait grief à l’arrêt de porter atteinte aux droits de la demanderesse par l’effet de cette décision, d’une part, en la privant, en dépit de sa qualité de tiers de bonne foi, de la créance en restitution des sommes détournées dont elle disposerait envers la troisième partie appelée en déclaration d’arrêt commun et la succession de feu son époux, d’autre part, en méconnaissant son droit de propriété, dont elle aurait été illégalement expropriée.
Ces griefs sont étrangers à la décision critiquée.
Le moyen, en chacune de ces branches, est irrecevable.
Quant à la deuxième branche :
Il suit de l’article 1138, 3°, du Code judiciaire que le juge est tenu de prononcer sur tous les chefs de demande dont il est saisi.
Ne constitue pas un chef de demande au sens de cette disposition la demande adressée au juge par une partie à la cause de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle avant de statuer sur une question litigieuse.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur le soutènement contraire, manque en droit.
Quant à la troisième branche :
L’arrêt décide, sur la base des motifs énoncés sous ses points 14 et 15, que la demanderesse, qui est intervenue volontairement devant le premier juge aux fins de soutenir la demande de la troisième partie appelée en déclaration d’arrêt commun en annulation ou dégrèvement des cotisations litigieuses et qui a été appelée en déclaration d’arrêt commun devant la cour d’appel par le défendeur, « n’a aucun droit propre à contester les cotisations litigieuses à l’impôt des personnes physiques ».
Il n’était dès lors pas tenu de répondre aux conclusions de la demanderesse invoquant, du fait de la taxation des sommes détournées, l’atteinte à son droit de propriété en tant que partie civile bénéficiant du produit de la confiscation, que sa décision privait de pertinence.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la cinquième branche :
L’arrêt considère que « les confiscations prononcées par les décisions correctionnelles, essentiellement sur des biens acquis au moyen des fonds détournés et investis, au profit de la [demanderesse], partie civile, qui s’est vue octroyer des dommages et intérêts à charge de la succession et de [la troisième partie appelée en déclaration d’arrêt commun], sont sans pertinence pour l’établissement de l’impôt qui est litigieux devant la cour [d’appel] et relèvent, s’il échet, des règles d’exécution forcée pour la récupération des créances et privilèges, […] le prononcé de la confiscation spéciale n’a[yant] pas eu […] un effet translatif de la propriété de [la villa occupée par la troisième partie appelée en déclaration d’arrêt commun et son fils] ».
Contrairement à la lecture qu’en donne le moyen, en cette branche, ni par cette considération ni par aucune autre, l’arrêt ne statue sur la question du conflit entre taxation des sommes détournées et sauvegarde du gage commun des créanciers de l’auteur des détournements de fonds, qui excédait les limites de sa saisine.
Le moyen, qui, en cette branche, affirme que l’arrêt admet que cette taxation ait lieu au détriment du patrimoine de la demanderesse, manque en fait.
Sur le deuxième moyen :
Il ne ressort pas des énonciations de l’arrêt que reproduit et critique le moyen que l’administration fiscale disposait déjà d’indices de fraude fiscale lors de sa demande de consulter le dossier judiciaire qui a conduit à l’obtention, le
3 septembre 2004, de l’autorisation du procureur général près la cour d’appel et encore moins qu’à supposer avérée la préexistence de tels indices, elle n’ait pas cherché, par cette demande de consultation, à évaluer la nécessité de procéder à de nouvelles investigations à charge de la troisième partie appelée en déclaration d’arrêt commun ou de son époux.
Le moyen, qui repose tout entier sur des suppositions contraires, manque en fait.
Sur le troisième moyen :
L’arrêt constate que l’agent taxateur a reproduit dans l’avis de rectification, sans le traduire, le procès-verbal relatant en néerlandais la plainte de la demanderesse.
Il considère toutefois que l’acte administratif concerné comporte en langue française toutes les mentions et motifs requis pour valoir acte de rectification au sens de l’article 346 du Code des impôts sur les revenus 1992 et que le passage en néerlandais incriminé « n’est qu’une simple illustration (superfétatoire) des motifs suffisants [de l’acte] au regard du prescrit légal relatif à la procédure de rectification suivie ».
Par ces considérations, l’arrêt justifie légalement sa décision que l’avis de rectification ayant précédé l’enrôlement des cotisations litigieuses répond aux exigences des dispositions des lois coordonnées sur l’emploi des langues en matière administrative visées par le moyen.
Celui-ci ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen :
Quant à la première branche :
L’arrêt ne constate pas que la demanderesse demandait devant le premier juge l’annulation ou le dégrèvement des cotisations litigieuses de manière autonome mais qu’elle le faisait dans le cadre de son intervention volontaire de nature conservatoire, en soutenant la demande en ce sens de la troisième partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur l’affirmation contraire, manque en fait.
Quant à la seconde branche :
Contrairement à ce que laisse supposer le moyen, en cette branche, ce n’est pas la troisième partie appelée en déclaration d’arrêt commun qui a formé l’appel incident dont la demanderesse se réclame pour justifier la recevabilité de son propre appel incident, mais la première partie appelée en déclaration d’arrêt commun, laquelle n’était pas la partie intimée en degré d’appel.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Et le rejet du pourvoi prive d’intérêt les demandes en déclaration d’arrêt commun.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et les demandes en déclaration d’arrêt commun ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille nonante-six euros neuf centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Sabine Geubel, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.