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22/09/2022 | BELGIQUE | N°F.19.0105.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 22 septembre 2022, F.19.0105.F


N° F.19.0105.F
C. B.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La pro

cédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 20 juin ...

N° F.19.0105.F
C. B.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 20 juin 2018 et 14 novembre 2018 par la cour d’appel de Liège.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, le demandeur présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Quant au premier rameau :
Contrairement à la lecture qu’en donne le moyen, en ce rameau, par le motif qu’il reproduit et critique, le premier arrêt attaqué ne dénie pas que le demandeur n’a eu accès qu’aux pièces du dossier répressif qui, versées au dossier de l’administration fiscale, ont servi à établir les cotisations litigieuses.
Le moyen, en ce rameau, manque en fait.
Quant au deuxième rameau :
Le moyen, qui, en ce rameau, ne précise pas en quoi le respect du droit de défense du demandeur impliquait de lui reconnaître, pour l’appréciation du bien-fondé des cotisations litigieuses, le droit d’obtenir, à la faveur d’une réouverture des débats, la production de toutes les pièces du dossier répressif, est irrecevable.
Quant au troisième rameau :
Le moyen, en ce rameau, fait grief au premier arrêt attaqué de ne pas conclure à une méconnaissance du droit de défense du demandeur alors que ce dernier, faute d’avoir eu accès à tous les documents que l’administration fiscale a pu consulter avant d’établir l’impôt, n’a pas pu s’assurer que l’un ou l’autre de ces documents ne comporterait pas d’éléments favorables à sa défense et n’a dès lors pas pu contester utilement les cotisations litigieuses.
Ce grief est étranger aux articles 569, alinéa 1er, 32°, et 1042 du Code judiciaire.
Dans cette mesure, le moyen, en ce rameau, est irrecevable.
Pour le surplus, le premier arrêt attaqué constate que les avis de rectification ayant précédé les réimpositions « se fondent sur les déclarations [de l’auteur du demandeur] et sur les termes du jugement du tribunal correctionnel de Bruxelles », que le fonctionnaire taxateur a retenu pour la taxation « le pourcentage [de revenus celés] le plus favorable au contribuable » et que « l’administration fiscale dépose toutes les pièces sur la base desquelles elle fonde [cette] taxation ».
Il ajoute que le dossier administratif comporte « de nombreux procès-verbaux tirés du dossier pénal » et que « les pièces en question sont essentielles à la compréhension du dossier dès lors qu’elles concernent l’analyse des livres de caisse des établissements gérés par [l’auteur du demandeur] ».
Il considère que le demandeur « a ainsi pu examiner tous les documents en possession de l’administration, et notamment les copies des pièces du dossier répressif auquel il soutient n’avoir pas eu accès ».
Par ces énonciations, le premier arrêt attaqué justifie légalement sa décision que le demandeur « disposait de tous les éléments nécessaires à sa défense » et ne peut invoquer une quelconque violation de son droit de défense du fait qu’il n’a pas eu accès à l’intégralité du dossier répressif.
Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Quant au premier rameau :
Les énonciations reproduites dans la réponse au troisième rameau de la première branche suffisent à fonder la décision du premier arrêt attaqué que les droits de la défense ont été respectés.
Dirigé contre un motif surabondant, le moyen, qui, en ce rameau, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Quant au deuxième rameau :
Il ne ressort pas du premier arrêt attaqué qu’il n’a pas égard à l’absence de droit du demandeur d’avoir accès au dossier répressif et d’en prendre copie.
Et la méconnaissance prétendue du principe général du droit relatif au respect des droits de la défense est tout entière déduite de la violation, vainement alléguée, des dispositions de la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive et du Code d’instruction criminelle que vise le moyen, en ce rameau.
Celui-ci ne peut être accueilli.
Quant au troisième rameau :
Ainsi qu’il a déjà été dit, le premier arrêt attaqué ne considère pas que le demandeur a pu avoir accès à toutes les pièces du dossier répressif dans lequel son auteur était inculpé.
Le moyen, qui, en ce rameau, repose sur la supposition contraire, manque en fait.
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
Quant au premier rameau :
L’article 355 du Code des impôts sur les revenus 1992, qui a pour objet, dans sa version applicable, de relever l’administration de la forclusion en lui ouvrant un nouveau délai d’imposition en cas d’annulation par le directeur régional des contributions de la cotisation primitive, ne subordonne pas ce droit de réimposition à la condition que la décision administrative d’annulation ait été prise dans un délai raisonnable.
Ayant constaté que « les cotisations litigieuses ont été établies dans le cadre de réimpositions sur la base de l’article 355 [de ce code] », le second arrêt attaqué décide légalement que « la validité de ces cotisations n’est pas directement affectée par le délai dans lequel le directeur a statué sur le recours administratif [du demandeur] à l’encontre des cotisations […] originaires qui ont été annulées et qui fondent l’application de l’article 355 ».
Il n’était pas tenu de répondre aux conclusions du demandeur invoquant des circonstances particulières de nature à établir le dépassement du délai raisonnable par l’autorité administrative, que sa décision privait de pertinence.
Le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.

Quant au deuxième rameau :
L’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’est pas applicable aux contestations sur des droits et obligations en matière fiscale, sauf le cas où une procédure fiscale aboutit ou peut aboutir à une sanction procédant d’une accusation en matière pénale au sens de cette disposition.
Le second arrêt attaqué constate, sans être critiqué, qu’au stade des réimpositions litigieuses, aucun accroissement d’impôt n’a été appliqué et que le litige « ne porte [donc] que sur les impositions, sans accroissements infligés de nature administrative ou pénale ».
Il considère qu’« en ce qu’il vise la taxation de revenus professionnels, [ce litige] est étranger à une contestation relative au bien-fondé d’une accusation en matière pénale », même si le redressement d’impôt « [a] eu pour origine une instruction pénale pour fraude fiscale organisée et blanchiment d’argent ayant impliqué [l’auteur du demandeur] ».
Par ces énonciations, le second arrêt attaqué justifie légalement sa décision que le demandeur « ne peut par conséquent se prévaloir du dépassement du délai raisonnable, tel qu’il est visé par l’article 6, § 1er, de la convention ».
Le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.
Quant au troisième rameau :
Par aucun de ses motifs, le second arrêt attaqué ne considère que le demandeur a commis une faute justifiant que la faute éventuelle du directeur des contributions n’entraîne aucune obligation de réparation à son égard.
Et, si l’arrêt considère qu’« il n’apparaît nullement établi que le directeur aurait commis un quelconque comportement fautif en relation causale avec un préjudice déterminé [du demandeur], notamment au niveau de la possibilité de produire des pièces justificatives », c’est au motif, non qu’un fait non fautif de nature à rompre le lien de causalité serait imputable au demandeur, mais que, dans les circonstances de l’espèce, le retard lié aux « deux réimpositions sur la base de l’article 355 du Code des impôts sur les revenus 1992, suite aux deux décisions directoriales d’annulation des 12 février 2010 et 2 mai 2011 », n’a « nullement rendu plus difficile l’organisation de la défense [du demandeur] » dès lors que « les cotisations en litige et l’argumentation retenue depuis le départ par l’administration sont demeurées identiques », de sorte qu’à défaut d’un préjudice avéré du demandeur en relation avec la faute prétendue du directeur régional, il n’y a pas matière à réparation.
Le moyen, qui, en ce rameau, repose sur une interprétation inexacte du second arrêt attaqué, manque en fait.

Quant à la deuxième branche :
Le moyen, en cette branche, fait grief au second arrêt attaqué de considérer que l’autorité erga omnes de la chose jugée en matière répressive attachée au jugement rendu le 21 novembre 2002 par la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Bruxelles lie la cour d’appel, sauf preuve contraire, pour l’ampleur de la fraude fiscale imputable à l’auteur du demandeur et dispense dès lors le défendeur de toute preuve, alors qu’en règle, les constatations faites par le juge pénal au sujet d’une tierce personne, non présente au procès pénal ensuite, par exemple, de son décès avant le jugement de condamnation, quant à l’implication, la culpabilité ou la responsabilité de cette dernière dans les faits soumis à son appréciation, et les motifs du jugement à cet égard ne seraient pas revêtus de l’autorité de la chose jugée sur l’action publique, faute de constituer des éléments nécessaires à la légalité de la condamnation des autres inculpés.
Le second arrêt attaqué relève toutefois que, suivant ce jugement, « l’enquête judicaire a […] démontré que tous les inculpés, que ce soit en tant qu’auteur ou coauteur, conformément à l’article 66 du Code pénal, étaient impliqués dans une fraude fiscale organisée et le blanchiment d’argent dans le cadre de l’exploitation de sex-shops et de peepshows situés à Bruxelles et dans d’autres villes du pays » et donne ainsi à connaître que les faits de fraude ont pu constituer le soutien nécessaire de la condamnation, après le décès de l’auteur du demandeur le ..., des autres inculpés.
L’examen du grief oblige dès lors la Cour à prendre connaissance du contenu de ce jugement, dont une copie n’est pas jointe au pourvoi.
Pas plus que le premier, le second arrêt attaqué ne reproduit ce contenu, dont seuls deux extraits sont cités.
Le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Quant à la troisième branche :
Il ne ressort pas des arrêts attaqués que l’auteur du demandeur était le bénéficiaire de tous les revenus tirés de l’exploitation des activités dont la nature frauduleuse a fait l’objet du jugement de condamnation rendu le 21 novembre 2002 par la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Bruxelles.
Le moyen, qui, en cette branche, déduit de l’affirmation contraire le défaut de réponse aux conclusions du demandeur, manque en fait.

Quant à la quatrième branche :
Quant au premier rameau :

La circonstance que la déclaration de revenus précédemment celés puisse entraîner leur imposition ne suffit pas à faire de cette déclaration, qu’elle intervienne ou non au cours d’une instruction pénale, un acte d’auto-incrimination au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme depuis son arrêt Salduz du 27 novembre 2008.
Le moyen, qui, en ce rameau, soutient le contraire, manque en droit.
Quant au deuxième rameau :
Ayant décidé que « la doctrine dite Salduz n’est pas applicable dans le cadre de cette procédure de taxation », l’arrêt n’était pas tenu de répondre aux conclusions du demandeur visées au moyen, en ce rameau, que cette décision privait de pertinence.
Le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.
Quant au troisième rameau :
Les motifs vainement critiqués par le premier rameau de cette branche suffisent à fonder la décision du second arrêt attaqué de dire non fondé « le moyen tiré de la jurisprudence Salduz ».
Dirigé contre des considérations surabondantes, le moyen, qui, en ce rameau, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour,
donnant acte au défendeur du désistement de son premier mémoire en réponse, remis au greffe de la Cour le 22 octobre 2019,
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de deux cent cinquante-deux euros soixante et un centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Sabine Geubel, Maxime Marchandise et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-deux septembre deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : F.19.0105.F
Date de la décision : 22/09/2022
Type d'affaire : Droit fiscal - Autres - Droit international public

Analyses

Dès lors que le dossier administratif comporte de nombreux procès-verbaux tirés du dossier pénal dans lequel l'auteur du contribuable était inculpé et que le contribuable a ainsi pu examiner tous les documents en possession de l'administration, et notamment les copies des pièces du dossier répressif auquel il soutient n'avoir pas eu accès, le contribuable disposait de tous les éléments nécessaires à sa défense et ne peut invoquer une quelconque violation de son droit de défense du fait qu'il n'a pas eu accès à l'intégralité du dossier répressif.

DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE FISCALE - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT [notice1]

L'article 355 du Code des impôts sur les revenus 1992, qui a pour objet de relever l'administration de la forclusion en lui ouvrant un nouveau délai d'imposition en cas d'annulation par le directeur régional des contributions de la cotisation primitive, ne subordonne pas ce droit de réimposition à la condition que la décision administrative d'annulation ait été prise dans un délai raisonnable.

IMPOTS SUR LES REVENUS - ETABLISSEMENT DE L'IMPOT - Cotisation et enrôlement [notice3]

La circonstance que la déclaration de revenus précédemment celés puisse entraîner leur imposition ne suffit pas à faire de cette déclaration, qu'elle intervienne ou non au cours d'une instruction pénale, un acte d'auto-incrimination au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme depuis son arrêt Salduz du 27 novembre 2008.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 1er - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT [notice4]


Références :

[notice1]

Principe général du droit relatif au respect des droits de la défense

[notice3]

Côde des impôts sur les revenus 1992 - 12-06-1992 - Art. 355 - 32

[notice4]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 3 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30 ;

Principe général du droit relatif au respect des droits de la défense


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : WERQUIN THIERRY
Assesseurs : LEMAL MICHEL, GEUBEL SABINE, MARCHANDISE MAXIME, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-09-22;f.19.0105.f ?

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