N° S.21.0054.F
M. H.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Gilles Genicot, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D’ACTION SOCIALE DE DISON, dont les bureaux sont établis à Dison, rue de la Station, 31, inscrit à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0212.353.289,
défendeur en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 23 avril 2021 par la cour du travail de Liège.
Le 31 mai 2022, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général
Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Conformément à l’article 3, 5°, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, pour pouvoir bénéficier de ce droit, l’assuré social doit être disposé à travailler, à moins que des raisons de santé ou d’équité l’en empêchent.
En vertu des articles 10, alinéa 3, et 13, § 4, alinéa 3, de la même loi, le revenu d’intégration auquel l’assuré social a droit, lorsque le centre public d’action sociale établit qu’il ne peut travailler pour des raisons de santé ou d’équité, peut être assorti ou non d’un projet individualisé d’intégration sociale.
L’article 11, § 2, alinéa 1er, a), prévoit toutefois qu’un tel projet est obligatoire lorsque l’assuré social est âgé de moins de 25 ans et que le centre accepte, sur la base de motifs d'équité, qu'en vue d'une augmentation de ses possibilités d'insertion professionnelle, il entame, reprenne ou continue des études de plein exercice dans un établissement d'enseignement agréé, organisé ou subventionné par les communautés.
Conformément à l’article 11, § 1er, de la loi, le projet individualisé d'intégration sociale s'appuie sur les aspirations, les aptitudes, les qualifications et les besoins de l’assuré social et les possibilités du centre et, dans son élaboration, ce dernier veille à respecter une juste proportionnalité entre les exigences formulées à l'égard de l'intéressé et l'aide octroyée.
En vertu de l’article 11, § 3, ce projet fait l’objet d’un contrat écrit entre le centre et l’assuré social qui, conformément à l’article 6, § 3, peut se faire assister par une personne de son choix lorsqu'il le négocie, dispose d'un délai de réflexion de cinq jours de calendrier avant sa signature et peut demander à être entendu par le centre, qui est tenu de l’informer de ce droit.
Il suit de l’article 11, § 2, alinéa 1er, a), précité qu’un projet individualisé d’intégration sociale, formulant, conformément à l’article 11, §§ 1er et 3, des exigences négociées et adaptées à la situation personnelle et aux capacités de l’assuré social, doit obligatoirement être établi lorsque des études de plein exercice dans un établissement d'enseignement agréé, organisé ou subventionné par les communautés, suivies en vue d'une augmentation des possibilités d'insertion professionnelle, sont prises en considération pour apprécier en équité si et dans quelle mesure un assuré social âgé de moins de 25 ans est empêché d’être disposé à travailler.
L’arrêt constate que la demanderesse, née le 24 mars 2000, a demandé le droit à l’intégration sociale le 10 avril 2018 alors qu’elle vivait chez ses parents et étudiait en dernière année de l’enseignement secondaire, qu’une décision du 26 avril 2018 du défendeur lui refuse ce droit en raison des ressources de ses parents, en l’ « invit[ant] à rechercher du travail en qualité d’étudiante pendant les périodes compatibles avec ses études », qu’elle a ensuite entamé des études universitaires, que des décisions des 11 octobre 2018 et 15 mai 2019 lui refusent à nouveau le droit à l’intégration sociale en raison des ressources, qu’une décision du 24 octobre 2019 lui octroie ce droit à partir du 9 août 2019 et qu’au printemps 2021, la demanderesse avait réussi deux années d’études, suivait la troisième année et n’avait ni travaillé ni recherché un emploi autrement qu’en s’inscrivant le 2 juillet 2018 à un bureau d’intérim.
L’arrêt « considère que la condition [du droit à l’intégration sociale consistant en l’] absence de ressources suffisantes est remplie » pendant la période litigieuse du 10 avril 2018 au 8 août 2019 puis, examinant si ses études dispensent en équité la demanderesse d’être disposée à travailler, retient qu’elles « sont de nature à améliorer grandement ses chances d’insertion socioprofessionnelle » et que la demanderesse est apte à les réussir, mais lui refuse le droit à l’intégration sociale au motif qu’elle n’a pas montré « une disposition partielle au travail […] dans une mesure compatible avec les études entreprises […] en acceptant les jobs d’étudiant durant l’année et particulièrement durant les congés scolaires », alors que le défendeur « [a attiré] son attention […] à cet égard […] dès 2018 ».
Il ressort de ces énonciations que, selon la cour du travail, la demanderesse, âgée de moins de 25 ans, satisfaisait aux conditions du droit à l’intégration sociale autres que la disposition au travail et avait entrepris des études de plein exercice dans un établissement d'enseignement agréé, organisé ou subventionné par les communautés, qu’elle était apte à réussir et qui augmentaient ses possibilités d'insertion professionnelle.
En appréciant si et dans quelle mesure ces études l’empêchaient en équité d’être disposée à travailler, sans prendre en considération la circonstance que le projet individualisé d’intégration sociale, qui devait obligatoirement formuler des exigences négociées et adaptées à sa situation personnelle et à ses capacités, n’avait pas été établi, l’arrêt viole l’article 11, § 2, alinéa 1er, a), de la loi du
26 mai 2002.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt cassé ;
Vu l’article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le défendeur aux dépens ;
Renvoie la cause devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de cinq cent quatre-vingt-un euros nonante-six centimes en débet envers la partie demanderesse et à la somme de vingt-deux euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.