N° S.21.0003.F
ROYAUME D’ESWATINI, représenté par le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, dont le cabinet est établi à Ngwane (Royaume d’Eswatini), h-100 Mbabane, Mhlambanyatsi road, P.O. Box 518, et ayant en Belgique une ambassade établie à Uccle, avenue Winston Churchill, 188,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Patricia Vanlersberghe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Colonies, 11, où il est fait élection de domicile,
contre
M. L. K.,
défenderesse en cassation.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 24 juin 2020 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 23 mai 2022, le procureur général André Henkes a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l’avocat général Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Le demandeur présente deux moyens libellés dans les termes suivants :
Premier moyen
Dispositions légales violées
- principe fondamental de droit international de l’égalité souveraine des États, consacré par les articles 1er, § 2, et 2, § 1er, de la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvée par la loi du
14 décembre 1945 ;
- règle de droit international coutumier Par in parem non habet imperium, en vertu de laquelle un État souverain ne peut être soumis à la juridiction d’un autre État souverain ;
- règle de droit international coutumier en matière d’immunité de juridiction, telle qu’elle figure à l’article 11, § 1er, de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, faite à New York le 2 décembre 2004 et signée par la Belgique le 22 avril 2005 ;
- règle de droit international coutumier consacrant l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité pénale des chefs d’État et de gouvernement en exercice ;
- règle de droit international coutumier consacrant l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité pénale des États étrangers ;
- articles 1er, § 2, et 2, § 1er, de la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvée par la loi du 14 décembre 1945 ;
- article 38, § 1er, b), du Statut de la Cour internationale de justice, annexé à la Charte des Nations unies, signé à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvé par la loi du 14 décembre 1945 ;
- articles 5 et 11 de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, faite à New York le 2 décembre 2004 et signée par la Belgique le 22 avril 2005 ;
- articles 1erbis, 3, 4 - tant avant qu’après sa modification par la loi du 8 juin 2017 - et 26 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale ;
- articles 46ter et 54, 2° - avant son abrogation par la loi du 6 juin 2010 -, de la loi du 28 juin 1971 relative aux vacances annuelles des travailleurs salariés ;
- articles 162, alinéa 2, 3° - avant sa modification par la loi du 25 avril 2014 -, et 101, alinéa 3, du Code pénal social.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué condamne le [demandeur] à payer à la défenderesse
32 472,47 euros brut à titre de doubles pécules de vacances, à augmenter des intérêts moratoires et judiciaires à dater de chaque exigibilité et sous déduction des retenues sociales et fiscales pour la période d'occupation de 1994 au 30 juin 2012, à déclarer à l'Office national de sécurité sociale les pécules de vacances précités dans un délai de quarante-cinq jours à dater de la signification de l'arrêt sous peine d'une astreinte de cent euros par jour de retard et à délivrer à la défenderesse la fiche de paie et la fiche fiscale relatives aux arriérés précités dans un délai de quarante-cinq jours à dater de la signification de l'arrêt sous peine d'une astreinte de cent euros par jour de retard, par les motifs que
« La demande liée au paiement des doubles pécules de vacances pour la période d'occupation du 4 novembre 1992 au 30 juin 2012 et à la déclaration desdits pécules à l’Office national de sécurité sociale
La cour [du travail] a déjà décidé que les demandes de [la défenderesse] liées aux doubles pécules de vacances étaient recevables et fondées en principe mais a ordonné la réouverture des débats pour deux raisons : 1° permettre à [la défenderesse] ‘de justifier son calcul pour l'année 1993 qui, sur la base des informations dont la cour [du travail] dispose en l'état actuel, n'a pas été précédée de douze mois de services prestés ou assimilés au cours de l'exercice de vacances et de justifier la raison pour laquelle elle intègre dans le calcul un mois de rémunération pour l'année 1992’ ; 2° à la suite de l'argument de prescription soulevé par le [demandeur] pour la période antérieure à 2009, permettre aux parties de débattre de la portée de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 février 2007 […], qui a rappelé que l'infraction qui consiste à ne pas payer les pécules de vacances suivant les règles et dans les délais prescrits est consommée par la seule omission d’y satisfaire au moment où le paiement doit être exécuté, de sorte que la prescription de l'action publique née de cette infraction prend cours dès ce moment mais que, toutefois, si plusieurs faits délictueux sont l'exécution successive d'une même résolution criminelle et ne constituent ainsi qu'une seule infraction, celle-ci n'est entièrement consommée et la prescription de l'action publique ne prend cours, à l'égard de l'ensemble de ces faits, qu'à partir du dernier de ceux-ci, pourvu qu'aucun d'entre eux ne soit séparé du suivant par un temps plus long que le délai de prescription applicable, sauf interruption ou suspension de la prescription ;
La cour [du travail] a par ailleurs également précisé dans son arrêt du
6 novembre 2019 que
- ‘l'article 26 de la loi du 17 avril 1878 est applicable à toute action civile qui est fondée sur des faits faisant apparaître l'existence d'une infraction, même si ces faits constituent aussi un manquement contractuel de l'employeur, et que l'objet de l'action consiste en l'exécution de cette obligation contractuelle, à titre de réparation du dommage subi’. Il n’y a dès lors plus de raison pour le [demandeur] de revenir sur ce point et de soulever que la citation introductive d'instance et ses conclusions ne font aucune référence à un délit, d'autant que [la défenderesse] avait expressément fait référence à l'arrêt précité de la Cour de cassation du 12 février 2007 ;
- le non-paiement du pécule de vacances dans les délais prescrits était jusqu'à l'entrée en vigueur du Code pénal social, le 1er juillet 2011, érigé en infraction pénale par l'article 54, 2°, de la loi du 28 juin 1971 sur les vacances annuelles, qui sanctionnait une telle infraction d'une amende de 26 à 500 euros, et l'article 162 alinéa 2, 3°, du Code pénal social punit désormais [cette infraction] d'une sanction de niveau 2. Or, en vertu de l'article 101, alinéa 3, du Code pénal social, la sanction de niveau 2 est constituée, soit d'une amende pénale de 50 à 500 euros, soit d'une amende administrative de 25 à 250 euros. Il s'agit de peines correctionnelles ;
Le [demandeur] ne peut invoquer aucune immunité dans le cadre du présent litige, qui concerne une procédure se rapportant au contrat de travail d’un travailleur qui ne s'acquittait pas de fonctions particulières relevant de la puissance publique et qui n'a pas la qualité d'agent diplomatique, d'agent consulaire ou de membre du personnel diplomatique. Le [demandeur] ne démontre pas que les hypothèses prévues par l'article 11, § 2, de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens (disposition dont le caractère de droit coutumier international est reconnu : Cass., 4 mars 2019, S.15.0051.N) seraient présentes en l'espèce ;
L'action en paiement des doubles pécules de vacances, fût-elle fondée sur des infractions pénales, ne tombe pas sous le coup d'une quelconque immunité ;
Le [demandeur] invoque ainsi disposer d'une immunité pénale en vertu du droit international public, sans préciser le fondement de cette immunité (traités, coutumes internationales ...) ;
Cette immunité, qui est vraisemblablement la même que celle qui est reconnue par des traités internationaux aux chefs d’État et qui est reconnue comme reflétant le droit international coutumier (Cour internationale de justice, 14 février 2002, J.T., 2002, 282-284), est une immunité de juridiction pénale qui a été traduite à l’article 1erbis du titre préliminaire du Code de procédure pénale. Elle empêche des poursuites pénales ainsi que des actes de contrainte ;
Une telle immunité ne fait aucunement obstacle à l’application de l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, qui n’est qu’une simple loi de procédure déterminant les délais applicables à une action civile résultant d’une infraction ;
Il n’y a dès lors aucun obstacle à ce que la cour [du travail], statuant dans le cadre d’une action fondée sur un contrat de travail, vérifie si le [demandeur] a commis une infraction pénale et si, le cas échéant, la demande en paiement de doubles pécules de vacances pour la période d’occupation du
4 novembre 1992 au 30 juin 2012 et de déclaration desdits pécules à l’Office national de sécurité sociale est recevable et fondée en tenant compte des principes qui découlent de l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale ».
Griefs
En vertu du principe de droit international coutumier Par in parem non habet imperium, dont le caractère de source du droit est reconnu par l'article 38, § 1er, b), du Statut de la Cour internationale de justice, un État souverain ne peut être soumis à la juridiction d'un autre État souverain.
Cette immunité procède de l'égalité souveraine des États, l’un des principes fondamentaux de l'ordre juridique international, ainsi qu'il ressort du paragraphe 2 de l'article 1er de la Charte des Nations unies, qui dispose qu'un des buts des Nations unies est de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et du paragraphe 1er de l'article 2 de ladite charte, qui dispose que l'Organisation des Nations unies est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres.
En vertu de la règle de droit international coutumier précitée ainsi que de celle qui consacre l'immunité de juridiction pénale et l'inviolabilité pénale des États étrangers et de celle qui consacre l'immunité de juridiction pénale et l'inviolabilité pénale des chefs d'État et de gouvernement en exercice, organes représentatifs de l'État étranger, l’État étranger jouit de l'immunité pénale et ne saurait être poursuivi pénalement devant les juridictions d'un autre État, à moins qu'il soit dérogé à cette règle de droit international coutumier par un traité ou une règle de droit international coutumier supérieure. Une disposition légale de droit interne ne saurait permettre l'exercice de poursuites pénales contre un État étranger.
L'article 1erbis, § 1er, de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale, y inséré par l'article 13 de la loi du
5 août 2003, dispose d'ailleurs explicitement que, « conformément au droit international, les poursuites sont exclues à l'égard des chefs d’État, chefs de gouvernement et ministres des Affaires étrangères étrangers pendant la période où ils exercent leur fonction, ainsi que des autres personnes dont l'immunité est reconnue par le droit international et des personnes qui disposent d'une immunité, totale ou partielle, fondée sur un traité qui lie la Belgique ».
Cet article consacre dès lors l'immunité pénale et l'inviolabilité pénale sur le territoire belge des chefs d'État, chefs de gouvernement et ministres des Affaires étrangères étrangers pendant la période où ils exercent leur fonction, et, par voie de conséquence, de l'État étranger qu'ils représentent.
L'immunité de juridiction pénale et l'inviolabilité pénale précitées s'opposant à toute poursuite pénale contre un État étranger, elle s'oppose, par voie de conséquence, à toute action civile contre cet État fondée sur le même comportement qui lui est prétendument imputable devant les juridictions pénales ou civiles d'un autre État.
L'article 11 de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, qui dispose en son premier paragraphe qu'à moins que les États concernés n'en conviennent autrement, un État ne peut invoquer l'immunité de juridiction devant un tribunal d'un autre État, compétent en l'espèce, dans une procédure se rapportant à un contrat de travail entre l'État et une personne physique pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État, sauf les exceptions visées par le deuxième paragraphe, qui reprendrait une règle de droit coutumier international en matière d'immunité de juridiction relativement aux contrats de travail, n'y déroge pas, ledit article se rapportant uniquement aux relations contractuelles existant entre l'État étranger et la personne physique engagée pour un travail accompli ou devant être accompli, en totalité ou en partie, sur le territoire de cet autre État. Cet article n'aborde nullement la question de la responsabilité de l'État étranger en raison de comportements qui pourraient entraîner des poursuites pénales.
L'article 5 de la même convention précisant qu'un État jouit, pour lui-même et pour ses biens, de l'immunité de juridiction devant les tribunaux d'un autre État, sous réserve des dispositions de ladite convention, les exceptions à cette règle sont à interpréter de manière stricte.
Il s'ensuit qu'une personne ne saurait se prévaloir devant le juge civil contre un État étranger de l'article 26 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale afin d'échapper à l'exception de prescription de son action, en l'espèce une action en paiement d'arriérés de pécules de vacances, dont la prescription est régie par l'article 46ter de la loi coordonnée du 28 juin 1971 relative aux vacances annuelles des travailleurs salariés, qui dispose que l'action en paiement du pécule de vacances à un employé ou à un apprenti-employé se prescrit par trois ans à compter de la fin de l'année de l'exercice de vacances à laquelle se rapporte ce pécule de vacances.
En effet, le demandeur ne peut se prévaloir avec succès de l'article 26 précité que pour autant qu'il démontre l'existence d'une infraction pouvant être imputée pénalement à la partie défenderesse à l'action civile, ainsi qu'il ressort des dispositions du titre préliminaire du Code de procédure pénale.
L'article 26 de la loi du 17 avril 1878 dispose en effet que l'action civile résultant d'une infraction se prescrit selon les règles du Code civil ou des lois particulières qui sont applicables à l'action en dommages et intérêts. Toutefois, celle-ci ne peut se prescrire avant l'action publique. Aux termes de l'article 3 de cette loi, l'action pour la réparation du dommage causé par une infraction appartient à ceux qui ont souffert de ce dommage. L'article 4, alinéa 1er, de la même loi, avant sa modification par la loi du 8 juin 2017, dispose que l'action civile peut être poursuivie en même temps et devant les mêmes juges que l'action publique. Elle peut aussi l'être séparément ; dans ce cas, l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique, intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile. Le juge saisi de l'action publique réserve d'office les intérêts civils, même en l'absence de constitution de partie civile, si la cause n'est pas en état d'être jugée quant à ces intérêts. L'article 4 de ladite loi précise en sa version actuelle que l'action peut aussi être poursuivie séparément ; dans ce cas, l'exercice en est suspendu tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique, intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile, pour autant qu'il existe un risque de contradiction entre les décisions du juge pénal et du juge civil, et sans préjudice des exceptions expressément prévues par la loi.
Ces articles confirment l'interaction entre l'action publique et l'action civile. L'exercice de l'action civile suppose par définition l'existence d'une infraction imputable à une personne déterminée dont celle-ci doit répondre. Le juge civil saisi d'une action civile fondée sur une infraction, en l'occurrence le non-paiement des pécules de vacances, sanctionné pénalement par l'article 54, 2°, de la loi du 28 juin 1971 sur les vacances annuelles jusqu'à l'entrée en vigueur du Code pénal social le 1er juillet 2011 et depuis lors par les articles 162, alinéa 2, 3°, avant sa modification par la loi du 25 avril 2014, et 101, alinéa 3, de ce code, ne pourra pas faire droit à cette action civile sans que les éléments constitutifs de l'infraction invoquée contre l'auteur, désigné par l'action civile, soient établis en son chef.
Or, l'immunité de juridiction pénale et l'inviolabilité pénale empêchent qu'un juge pénal ou civil se prononce sur la preuve des faits ou la culpabilité de l'auteur. Les infractions qui en font l'objet ne peuvent être déclarées établies dans le chef de la personne pénalement immunisée.
Il ressort des considérations qui précèdent que l’arrêt n'a pu décider que « le [demandeur] ne peut invoquer aucune immunité dans le cadre du présent litige », que « l'action en paiement des doubles pécules de vacances, fût-elle fondée sur des infractions pénales, ne tombe pas sous le coup d'une quelconque immunité » et qu'« il n’y a dès lors aucun obstacle à ce que la cour [du travail], statuant dans le cadre d'une action fondée sur un contrat de travail, vérifie si [le demandeur] a commis une infraction pénale et si, le cas échéant, la demande en paiement des doubles pécules de vacances pour la période d'occupation du
4 novembre 1992 au 30 juin 2012 et en déclaration desdits pécules à l'Office national de sécurité sociale est recevable et fondée en tenant compte des principes découlant de l'article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale s'agissant de la prescription » sans violer l'ensemble des dispositions, règles de droit international coutumier et principe fondamental de droit international invoqués en tête du moyen et, partant, n'a pu légalement décider que l'action en paiement des pécules de vacances portant sur la période du 4 novembre 1992 au 4 juin 2012, introduite par la citation du 14 mai 2014, à tout le moins en tant qu’elle se rapporte aux exercices de vacances antérieurs à l'exercice 2011, n'était pas prescrite (violation des articles 46ter de la loi coordonnée du 28 juin 1971 relative aux vacances annuelles des travailleurs salariés et 26 de la loi du 17 avril 1878 contenant le titre préliminaire du Code de procédure pénale).
Second moyen
Dispositions légales violées
- principe fondamental de droit international de l’égalité souveraine des États, consacré par les articles 1er, § 2, et 2, § 1er, de la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvée par la loi du
14 décembre 1945 ;
- règle de droit international coutumier Par in parem non habet imperium, en vertu de laquelle un État souverain ne peut être soumis à la juridiction d’un autre État souverain ;
- règle de droit international coutumier en matière d’immunité de juridiction, telle qu’elle figure à l’article 24, § 1er, de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, faite à
New York le 2 décembre 2004 et signée par la Belgique le 22 avril 2005 ;
- règles de droit international coutumier en matière d’immunité, telle qu’elles figurent aux articles 18, 19 et 20 de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, faite à New York
le 2 décembre 2004 et signée par la Belgique le 22 avril 2005 ;
- articles 1er, § 2, et 2, § 1er, de la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvée par la loi du 14 décembre 1945 ;
- article 38, § 1er, b), du Statut de la Cour internationale de justice, annexé à la Charte des Nations unies, signé à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvé par la loi du 14 décembre 1945 ;
- articles 18, 19, 20 et 24 de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, faite à New York le
2 décembre 2004 et signée par la Belgique le 22 avril 2005 ;
- articles 19, alinéas 1er et 2, 775, 1385bis, alinéas 1er et 3, et 1385quater, alinéa 1er, du Code judiciaire ;
- principe général du droit suivant lequel il appartient au juge de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et de relever, le cas échéant, d’office les moyens de droit dont l’application est commandée par les faits spécialement invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt attaqué dit pour droit que la condamnation, par l’arrêt du
6 novembre 2019, du [demandeur] à « régulariser la situation de la [défenderesse] sur le plan de l'assujettissement à la sécurité sociale en versant à l'Office national de sécurité sociale les cotisations de sécurité sociale du travailleur et de l'employeur, dues sur les rémunérations payées à [la défenderesse] au cours de la période d'occupation du 4 novembre 1995 au 4 juin 2012, en considérant qu'il s'agit de rémunérations nettes », a lieu sous peine d'une astreinte de cent euros par jour de retard à défaut de procéder à cette régularisation dans un délai de quarante-cinq jours à dater de la signification de l'arrêt, condamne le [demandeur] à déclarer à l'Office national de sécurité sociale les pécules de vacances dans un délai de quarante-cinq jours à dater de la signification de l'arrêt sous peine d'une astreinte de cent euros par jour de retard, le condamne à délivrer à la défenderesse la fiche de paie et la fiche fiscale relative auxdits arriérés dans un délai de quarante-cinq jours à dater de la signification de l'arrêt, sous peine d'une astreinte de cent euros par jour de retard, dit pour droit que, s'agissant de la condamnation [du demandeur], par l’arrêt du 6 novembre 2019, à délivrer à la défenderesse dans les quarante-cinq jours de la signification de l'arrêt la fiche de paie et la fiche fiscale relative à la somme brute provisionnelle de 84 127,89 euros à titre d'arriérés de rémunération pour les mois de juin 2012 à décembre 2018 a lieu sous peine d'une astreinte de cent euros par jour de retard à défaut de procéder à cette régularisation dans un délai de quarante-cinq jours à dater de la signification de l'arrêt, par les motifs que
« La demande d'astreinte accompagnant différents chefs de demande formés par [la défenderesse]
Alors que le [demandeur] invoquait l'article 24 de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des États pour faire obstacle à la demande d'astreinte, la cour [du travail] l’a invité ‘à justifier ce moyen dans le cadre de la réouverture des débats dès lors qu'il semble que cette convention n'a pas été ratifiée par la Belgique et n'est pas encore entrée en vigueur à défaut du dépôt du trentième instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion auprès du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies imposé par l'article 90 comme condition à son entrée en vigueur’ ;
Le [demandeur], qui admet que cette convention n'a pas été à ce jour ratifiée par la Belgique et qu'elle n'est pas encore en vigueur internationalement, fait valoir que son article 24, § 1er, fait partie du droit international coutumier de l'ordre juridique interne belge et s'oppose à ce que des condamnations [prononcées contre lui] soient imposées sous peine d’astreinte. [La défenderesse] conteste que la règle de l'article 24 fasse partie du droit coutumier, même si, selon la doctrine, ladite convention reflète sur certains points le droit coutumier ;
L'invocation par le [demandeur] des articles 18 et 19 de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004 est un moyen nouveau qui sort du cadre de la réouverture des débats et ne doit dès lors pas être rencontré par la cour [du travail] ;
L'article 24, § 1er, de cette convention, qui concerne les ‘privilèges et immunités en cours de procédure devant un tribunal’, dispose que ‘toute omission ou tout refus par un État de se conformer à une décision du tribunal d'un autre État lui enjoignant d'accomplir ou de s'abstenir d'accomplir un acte déterminé ou de produire une pièce ou divulguer toute autre information aux fins d'une procédure n'entraîne pas de conséquences autres que celles qui peuvent résulter, quant au fond de l'affaire, de ce comportement’ et qu’‘en particulier, aucune amende ou autre peine ne sera imposée à l'État en raison d'une telle omission ou d'un tel refus’ ;
Les termes mêmes de cette disposition pourraient viser les astreintes demandées par [la défenderesse] accompagnant ses demandes de condamnation du [demandeur] à payer les cotisations de sécurité sociale dues pour son occupation ou à délivrer les documents sociaux relatifs aux condamnations pécuniaires intervenues. Dès lors que [la défenderesse] a formé une demande subsidiaire de réserver à statuer sur le dommage qui subsisterait à défaut pour le [demandeur] de procéder à la régularisation ou en cas de refus par l'Office national de sécurité sociale des cotisations éludées qui seraient prescrites, l'on se trouve bien ‘en cours de procédure’ au sens de l'intitulé de la règle contenue à l'article 24 ;
La convention des Nations unies du 2 décembre 2004 n'étant toutefois pas entrée en vigueur à ce jour, la règle précitée ne doit trouver à s'appliquer que si elle devait être considérée comme exprimant une coutume internationale, ainsi que le soutient le [demandeur] ;
Monsieur Leclercq, procureur général près la Cour de cassation (conclusions précédant Cass., 22 novembre 2012, Revue de droit international et de droit comparé, 2013, 77), relevait que, ‘dans l'article 38, § 1er, b), du Statut de la Cour internationale de justice, la coutume est présentée comme une source de droit international et définie comme « preuve d'une pratique générale, acceptée comme étant le droit » ; que la doctrine distingue généralement deux éléments constitutifs de la coutume : tout d'abord, un élément matériel constitué par la répétition pendant une durée suffisante et dans un espace donné de certains actes ou comportements appelés des précédents ; ensuite, un élément psychologique constitué par l'acceptation de la part des États que ces actes ou ces comportements correspondent à l'exécution d'une obligation juridique ; c'est ce qu'on appelle l'opinio iuris sive necessitatis’, pour finalement conclure que ‘l'article 21 de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004 consacre la coutume internationale de l'inviolabilité des comptes bancaires’ ;
Dans l’arrêt du 22 novembre 2012, la Cour de cassation a cassé l'arrêt soumis à sa censure sans se prononcer sur le caractère coutumier de l'article 21 de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004. Dans un autre arrêt, elle a reconnu le caractère coutumier de l'article 11 de cette convention (4 mars 2019, S.15.0051.N) ;
La Cour internationale de justice a elle aussi rappelé les critères à prendre en compte pour qu'il soit question d'une coutume internationale (3 février 2012, Allemagne c/ Italie, Grèce intervenant, Rec., 2012, 99) :
‘55. La Cour doit donc, conformément à l'alinéa b) du paragraphe 1er de l'article 38 de son statut, déterminer l'existence d'une « coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit » conférant l'immunité à l'État et, le cas échéant, quelles en sont la portée et l'étendue. Elle appliquera pour ce faire les critères, qu'elle a maintes fois énoncés, permettant d'identifier une règle de droit international coutumier. Ainsi qu'elle l'a clairement indiqué dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, une « pratique effective » assortie d'une opinio iuris est en particulier requise pour qu'existe une telle règle (Plateau continental de la mer du Nord, République fédérale d'Allemagne c/ Danemark ; République fédérale d'Allemagne c/ Pays-Bas, Rec., 1969, p. 44, par. 77). La Cour a en outre relevé ce qui suit : « [i]l est bien évident que la substance du droit international coutumier doit être recherchée en premier lieu dans la pratique effective et l'opinio iuris des États, même si les conventions multilatérales peuvent avoir un rôle important à jouer en enregistrant et définissant les règles dérivées de la coutume ou même en les développant » (Plateau continental, Jamahiriya arabe libyenne c/ Malte, Rec., 1985, pp. 29-30, par. 27)’ ;
C'est ainsi que dans l'affaire précitée dont la Cour internationale de justice était saisie opposant l'Allemagne à l'Italie, ladite cour fit application de ces principes alors que l'Italie invoquait l'existence d'une règle de droit coutumier reflétée notamment par l'article 12 de la convention des Nations unies du
2 décembre 2004, qui limite la possibilité pour un État d'invoquer l'immunité de juridiction devant un tribunal d'un autre État dans une procédure se rapportant à une action en réparation pécuniaire en cas de décès, notamment dû à un acte ou à une omission prétendument imputable à l’État, que l'Allemagne contestait, faisant en outre valoir que la règle prévue par cette disposition ne s'appliquait pas aux actes commis par les forces armées, alors qu'une telle exception ne se retrouvait pas dans le texte. La Cour internationale de justice analysa le commentaire donné à cette disposition par la Commission du droit international et la pratique des États reflétée, d'une part, par les législations nationales et, d'autre part, par les décisions des juridictions nationales, pour finalement conclure que ‘le droit international coutumier impose toujours de reconnaître l'immunité à l’État dont les forces armées ou d'autres organes sont accusés d'avoir commis sur le terrain d'un autre État des actes dommageables au cours d'un conflit armé’. Ce faisant, la Cour a donc admis une exception à l'application de la règle énoncée à l'article 12 ;
Dans la même affaire, l'Allemagne invoqua la règle de l'article 19 de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004 comme reflétant le droit coutumier. La Cour internationale de justice s'est montrée prudente lorsqu'elle dut répondre à la question de savoir si l'article 19 de cette convention contenait dans tous ses éléments une règle de droit coutumier en relatant notamment les discussions difficiles entre États sur ladite règle :
‘117. Lors de l'élaboration de la convention des Nations unies, ces dispositions ont donné lieu à de longues et difficiles discussions. La Cour estime qu'il ne lui est pas nécessaire pour les besoins de la présente affaire de déterminer si l'article 19 précité reflète dans tous ses éléments le droit international coutumier en vigueur.
118. En effet, il lui suffit de constater qu'il existe au minimum une condition qui doit être remplie pour qu'une mesure de contrainte puisse être prise à l'égard d'un bien appartenant à un État étranger : que le bien en cause soit utilisé pour les besoins d'une activité ne poursuivant pas des fins de service public non commerciales, ou que l'État propriétaire ait expressément consenti à l'application d'une mesure de contrainte, ou encore que cet État ait réservé le bien en cause à la satisfaction d'une demande en justice’ ;
Au vu des développements qui précèdent, la cour [du travail] estime que, si la jurisprudence a admis le caractère coutumier de certaines dispositions de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004, il ne peut cependant pas être conclu que, de manière générale, toute disposition de ladite convention refléterait en soi le droit coutumier (voir dans le même sens notamment S. El Sawah, Les immunités des États et organisations internationales. Immunité et procès équitable, Larcier, 2012, pp. 305-306 et 308 ; E. Dopagne, ‘L'immunité de saisie des biens de l'État étranger et de l'organisation internationale : notes sur l'article 1412quinquies du Code judiciaire’, J.T., 2017, 58) ;
La cour [du travail] constate du reste que la jurisprudence belge a déjà condamné à plusieurs reprises des États étrangers à des astreintes, ce qui serait de nature à contredire l'existence d'une pratique uniforme, à tout le moins des autorités judiciaires belges, conforme au contenu de la règle prévue à 24, § 1er, de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004. Ainsi, dans différentes affaires, la cour du travail de Bruxelles a assorti la condamnation d’États étrangers parties à la cause à exécuter des obligations de faire d’astreintes, qu'il s'agisse du paiement des cotisations ou de la délivrance des documents sociaux ;
Le [demandeur] ne justifie pas à suffisance les raisons pour lesquelles la règle contenue dans l'article 24, § 1er, de la convention des Nations unies du
2 décembre 2004 constituerait une règle de droit coutumier international. La circonstance que la Cour européenne des droits de l'homme (29 juin 2011, Sabel El Len c/ France, Req. n° 34869/05) ait à l'occasion d'un attendu précisé que ‘l'immunité de juridiction des États est régie par le droit international coutumier, dont la codification a été réalisée par la convention des Nations unies du
2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des États et de leurs biens’ est insuffisante à justifier que l'ensemble des règles contenues dans cette convention, dont en particulier l'article 24 relatif à l'immunité d'exécution, relèverait du droit coutumier international ;
En conclusion, la cour [du travail] estime qu'il n'existe pas de raison de refuser à [la défenderesse] les astreintes demandées, qui sont conformes aux dispositions de l'article 1385bis du Code judiciaire ».
Griefs
Première branche
En vertu d'un principe général du droit, le juge est tenu de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; il est tenu d'examiner la nature juridique des faits et des actes allégués par les parties et a l'obligation de relever d'office les moyens de droit dont l'application est commandée par les faits spécialement invoqués par elles au soutien de leurs prétentions.
S'il ressort de l'article 775 du Code judiciaire que le juge détermine l'objet de la réouverture des débats sur lequel les parties sont invitées à conclure, cet article ne dispense nullement le juge de l'obligation précitée et, partant, de trancher toutes les questions, sur lesquelles il n'a pas encore épuisé sa juridiction par une décision définitive au sens de l'article 19, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire, conformément aux règles de droit qui leur sont applicables.
La circonstance que l'objet d'une réouverture des débats ne porterait pas sur des articles invoqués par le demandeur dans les conclusions qu'il a prises après ladite réouverture des débats ne dispense dès lors nullement le juge d'en faire application, si leur application s'impose en raison des faits invoqués par les parties.
En l'occurrence, la réouverture des débats fut ordonnée par l'arrêt du
6 novembre 2019 afin de permettre aux parties de débattre du montant des doubles pécules de vacances et des questions posées sur la prescription et sur l'article 24 de la convention des Nations unies sur l'immunité juridictionnelle des États et de leurs biens.
Dans l'arrêt interlocutoire du 6 novembre 2019, il fut notamment constaté que le [demandeur] invoquait ledit article 24 pour faire obstacle à la demande de la défenderesse tendant à faire prononcer une mesure d'astreinte. La cour du travail invitait le [demandeur] à justifier ce moyen dans le cadre de la réouverture des débats dès lors qu'il semble que cette convention n'a pas été ratifiée par la Belgique et n'est pas encore entrée en vigueur à défaut du dépôt du trentième instrument de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'adhésion auprès du secrétaire général de l'Organisation des Nations unies imposé par l'article 30 comme condition à son entrée en vigueur.
Cet article 24 […] concerne les privilèges et immunités d'un État étranger en cours de procédure devant un tribunal.
La réouverture des débats se rapportait par ailleurs explicitement à la question de l'astreinte dont la défenderesse demandait à la cour du travail d'assortir les diverses condamnations principales prononcées à charge du demandeur, que la cour du travail n'avait pas encore tranchée.
Il s'en déduit que la cour du travail devait encore se prononcer sur la question de l'immunité du [demandeur] en matière d'astreinte et ce, conformément aux règles de droit applicables à cette question.
Il s'ensuit que la simple circonstance que l'invocation par le [demandeur] des articles 18 et 19 de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004 constituerait un moyen nouveau, sortant du cadre de la réouverture des débats, ne pouvait pas dispenser la cour du travail d'examiner si ces dispositions s'appliquaient aux faits spécialement invoqués devant elle, à savoir l'immunité du [demandeur] en la matière.
Or, l'article 18 de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004 se rapporte à l'« immunité des États à l'égard des mesures de contraintes antérieures au jugement », alors que l'article 19 de ladite convention porte sur l'« immunité des États à l'égard des mesures de contrainte postérieures au jugement », disposant notamment qu'« aucune mesure de contrainte postérieure au jugement, telle que saisie, saisie-arrêt ou saisie-exécution, ne peut être prise contre des biens d'un État en relation avec une procédure intentée devant un tribunal d'un autre État, excepté si et dans la mesure où : a) l'État a expressément consenti à l'application de telles mesures dans les termes indiqués : i) par un accord international ; ii) par une convention d'arbitrage ou un contrat écrit, ou iii) par une déclaration devant le tribunal ou une communication écrite faite après la survenance du différend entre les parties ; b) l'État a réservé ou affecté des biens à la satisfaction de la demande qui fait l'objet de cette procédure ; c) il a été établi que les biens sont spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'État autrement qu'à des fins de service public non commerciales et sont situés sur le territoire de l'État du for, à condition que les mesures de contrainte postérieures au jugement ne portent que sur des biens qui ont un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée », rappelant ainsi une règle de droit international coutumier relative à l'immunité des États étrangers, dont le caractère de source du droit est reconnu par l'article 38, § 1er, b), du Statut de la Cour internationale de justice, à savoir celle qui est relative aux mesures exécutoires.
Ce dernier article confirme notamment la règle de droit international coutumier qu'aucune mesure contraignante ne peut être prise contre un État étranger.
L'astreinte consiste, aux termes de l'article 1385bis du Code judiciaire, en une condamnation d'une partie pour le cas où il ne serait pas satisfait à la condamnation principale. Dans le troisième alinéa, il est précisé que l'astreinte ne peut être encourue avant la signification du jugement qui l'a prononcée. Aux termes de l'article 1385quater, alinéa 1er, du Code judiciaire, l'astreinte, une fois encourue, reste intégralement acquise à la partie qui a obtenu la condamnation. Cette partie peut en poursuivre le recouvrement en vertu du titre même qui la prévoit.
L'astreinte est dès lors une mesure contraignante, appelée à produire ses effets après la prononciation de la décision et, partant, constitue une mesure de contrainte au sens de l'article 19 de la convention des Nations unies du
2 décembre 2004.
Partant, en ce qu’il considère ne pas devoir examiner le moyen déduit des articles 18 et 19 de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004, consacrant une règle de droit international coutumier relative à l'immunité des États étrangers, savoir celle qui se rapporte à l'exécution, au motif que la réouverture des débats ne portait pas sur ce moyen, alors que ces dispositions concernent la problématique de l'immunité de l'État étranger, notamment à l'égard des mesures de contrainte postérieures au jugement, question qui devait encore être tranchée par la cour du travail, l’arrêt attaqué manque au devoir incombant au juge d'appliquer aux faits spécialement invoqués devant lui les dispositions qui s'imposent (violation du principe général du droit suivant lequel il appartient au juge de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et de relever, le cas échéant, d'office les moyens de droit dont l'application est commandée par les faits spécialement invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions et des articles 19, alinéas 1er et 2, et 775 du Code judiciaire) et n'a pu légalement décider d’accorder à la défenderesse les astreintes demandées (violation des règles de droit international coutumier en matière d'immunité des États étrangers, telles qu'elles figurent aux articles 18, 19 et 20 de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, faite à New York le 2 décembre 2004 et signée par la Belgique le 22 avril 2005, et des articles 38, § 1er, b), du Statut de la Cour internationale de justice, annexé à la Charte des Nations unies, signé à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvé par la loi du 14 décembre 1945, 18, 19 et 20 de la Convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, 1385bis, alinéas 1er et 3, et 1385quater, alinéa 1er, du Code judiciaire).
Seconde branche
La coutume internationale est une des sources du droit international public, ainsi qu'il ressort de l'article 38, § 1er, b), du Statut de la Cour internationale de justice, annexé à la Charte des Nations unies, signé à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvé par la loi du 14 décembre 1945, qui dispose que la Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit.
L'existence d'une telle coutume se déduira, le cas échéant, des conventions multilatérales, enregistrant et définissant les règles dérivées de la coutume ou les développant. En signant une convention internationale, codifiant des règles dérivées de la coutume ou même les développant, l'État contractant en reconnaît la force obligatoire.
L'immunité de juridiction des États est une règle de droit international coutumier, exprimée par la règle Par in parem non habet imperium, qui procède de l'égalité souveraine des États, un des principes fondamentaux de l'ordre juridique international, ainsi qu'il ressort du paragraphe 2 de l'article 1er de la Charte des Nations unies, qui dispose qu'un des buts des Nations unies est de développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, et du paragraphe 1er de l'article 2 de ladite charte, qui dispose que l'Organisation des Nations unies est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres.
En vertu de ce principe, un État souverain ne peut pas être soumis à la juridiction d'un autre État souverain, notamment aux fins de s'y entendre condamner à des mesures de contrainte.
Cette règle coutumière est consacrée notamment par la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, adoptée au cours de la 65e réunion plénière de l'assemblée générale en vertu de
la résolution A/59/508 du 2 décembre 2004 et signée à ce jour par vingt-huit États, dont la Belgique.
Dans le préambule de ladite convention, il est en effet précisé que « les États parties à celle-ci, considérant que les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens procèdent d'un principe généralement accepté du droit international coutumier, ayant à l'esprit les principes du droit international consacrés dans la Charte des Nations unies, convaincus qu'une convention internationale sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens renforcerait la prééminence du droit et la sécurité juridique, en particulier dans les rapports entre les États et les personnes physiques et morales, et contribuerait à la codification et au développement du droit international et à l'harmonisation des pratiques dans ce domaine, tenant compte de l'évolution de la pratique des frais en ce qui concerne les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, affirmant que les règles du droit international coutumier continuent de régir les questions qui n'ont pas été réglées dans les dispositions de la présente convention, sont convenus de ce qui suit […] ».
Ainsi, les articles 18, 19 et 20 de ladite convention constatent le principe de l'immunité des États à l'égard des mesures de contrainte antérieures au jugement (article 18) et à l'égard des mesures de contrainte postérieures au jugement (article 19), auquel il n'est dérogé que dans les conditions qui y sont précisées.
L'article 24, § 1er, 1°, de ladite convention, relatif aux « privilèges et immunités en cours de procédure devant un tribunal », dispose quant à lui que « toute omission ou refus par un État de se conformer à une décision du tribunal d’un autre État lui enjoignant d’accomplir ou de s’abstenir d’accomplir un acte déterminé ou de produire une pièce ou de divulguer toute autre information aux fins d’une procédure n’entraîne pas de conséquences autres que celles qui peuvent résulter, quant au fond de l’affaire, de ce comportement » et que, « en particulier, aucune amende ou autre peine ne sera imposée à l’État en raison d’une telle omission ou d’un tel refus », constatant ainsi explicitement que toute « amende » ou « autre peine » est exclue.
En signant cette convention, l'État signataire adhère à ces principes et, partant, reconnaît la force obligatoire des règles qui y sont reprises, à tout le moins reconnaît que lesdits articles reproduisent une règle de droit international coutumier.
L’astreinte constitue une mesure au sens de l'article 24, § 1er, de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004.
En effet, aux termes de l'article 1385bis du Code judiciaire, le juge peut, à la demande d'une partie, condamner l'autre partie, pour le cas où il ne serait pas satisfait à la condamnation principale ou si les dispositions relatives au caractère confidentiel des secrets d'affaires au sens de l'article 871bis ne sont pas respectées, au paiement d'une somme d'argent, dénommée astreinte, le tout sans préjudice des dommages-intérêts, s'il y a lieu. Toutefois, l'astreinte ne peut être prononcée ni en cas de condamnation au paiement d'une somme d'argent ni en ce qui concerne les actions en exécution de contrats de travail.
Il s'ensuit que l'astreinte est une peine au sens de l'article 24, § 1er, précité de la convention des Nations unies du 2 décembre 2004, comme le reconnaît d'ailleurs l’arrêt attaqué, qui est imposée en cours de procédure, pour le cas où le débiteur ne s'exécuterait pas volontairement ; elle est également une mesure de contrainte au sens de l'article 19 de la même convention puisque, dans le troisième alinéa de l'article 1385bis du Code judiciaire, il est précisé que l'astreinte ne peut être encourue avant la signification du jugement qui l'a prononcée et qu'aux termes de l'article 1385quater, alinéa 1er, du Code judiciaire, l'astreinte, une fois encourue, reste intégralement acquise à la partie qui a obtenu la condamnation et qui peut en poursuivre le recouvrement en vertu du titre même qui la prévoit.
Partant, l’arrêt attaqué n'a pu légalement décider, par les motifs indiqués ci-dessus, n’y avoir aucune raison de refuser à la défenderesse les astreintes demandées (violation du principe fondamental de droit international de l'égalité souveraine des États, consacré par les articles 1er, § 2, et 2, § 1er, de la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 et approuvée par la loi du 14 décembre 1945, de la règle de droit international coutumier Par in parem non habet imperium, en vertu de laquelle un État souverain ne peut être soumis à la juridiction d'un autre État souverain, de la règle de droit international coutumier en matière d'immunité, telle qu'elle figure à l'article 24, § 1er, de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, faite à New York le 2 décembre 2004 et signée par la Belgique le 22 avril 2005, des règles de droit international coutumier en matière d'immunité, telle qu'elles figurent aux articles 18, 19 et 20 de ladite convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, et des articles 1er, § 2, et 2, § 1er, de la Charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945, approuvée par la loi du 14 décembre 1945, 38, § 1er, b), du Statut de la Cour internationale de justice, annexé à la Charte des Nations unies, 18, 19, 20 et
24, § 1er, de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, 1385bis, alinéas 1er et 3, et 1385quater, alinéa 1er, du Code judiciaire).
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
La règle de droit coutumier international de l’immunité des États interdit aux juridictions d’un État d’exercer leur pouvoir de juger sur un autre État qui n’y a pas consenti.
Cette règle reçoit exception lorsque l’action dirigée contre l’État étranger est relative, non à un acte accompli dans l’exercice de la puissance publique, mais à un acte de gestion.
Si l’action relative à un acte de gestion d’un État étranger se fonde sur des faits révélant l’existence d’une infraction prévue par la législation de l’État dont les juridictions sont saisies, l’immunité de juridiction pénale des États étrangers s’oppose certes à ce que l’État étranger fasse l’objet de poursuites répressives mais ne fait obstacle ni à l’exercice d’une action civile fondée sur cette infraction ni à l’application d’une norme qui, tel l’article 26 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, soumet pareille action à un régime spécifique de prescription impliquant que les éléments constitutifs de l’infraction soient tenus pour établis dans le chef de l’État étranger.
Le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit.
Sur le second moyen :
Quant à la seconde branche :
La règle de droit coutumier international de l’immunité des États, exprimée à l’article 19 in limine de la convention des Nations unies sur les immunités juridictionnelles des États et de leurs biens, faite à New York
le 2 décembre 2004, interdit les mesures de contrainte visant à forcer un État à exécuter une décision judiciaire rendue par une juridiction d’un autre État.
En assortissant d’astreintes les condamnations prononcées contre le demandeur, l’arrêt attaqué viole cette règle coutumière.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Et il n’y a pas lieu d’examiner la première branche du moyen, qui ne saurait entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il assortit d’astreintes les condamnations prononcées contre le demandeur ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Condamne le demandeur à la moitié des dépens ; en réserve l’autre moitié pour qu’il soit statué sur celle-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège.
Les dépens taxés à la somme de six cent soixante-six euros quarante-trois centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.