N° S.20.0015.F
L. E. I.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D’ACTION SOCIALE D’ANDERLECHT, dont les bureaux sont établis à Anderlecht, chaussée de Mons, 602, inscrit à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0212.346.856,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 453, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 19 décembre 2019 par la cour du travail de Bruxelles.
Le 31 mai 2022, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général
Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Conformément à l’article 3, 4°, de la loi du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, pour pouvoir bénéficier de ce droit, la personne doit ne pas disposer de ressources suffisantes, ni pouvoir y prétendre ni être en mesure de se les procurer, soit par ses efforts personnels, soit par d'autres moyens.
En vertu de l’article 14 de cette loi, le revenu d'intégration s'élève à un certain montant, diminué des ressources du demandeur.
L’article 16 de la loi prévoit que toutes les ressources, quelle qu'en soit la nature ou l'origine, dont dispose le demandeur, sont prises en considération et que le Roi, par arrêté délibéré en conseil des ministres, fixe les règles de calcul des ressources et peut déterminer celles dont il ne sera pas tenu compte, soit en totalité, soit partiellement.
Suivant l’article 25 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 portant règlement général en matière de droit à l’intégration sociale, si le demandeur a la pleine propriété ou l’usufruit d’un bien immeuble bâti, il est tenu compte du triple de la partie du revenu cadastral global qui dépasse un montant exonéré, déterminé en fonction du nombre d’enfants ; lorsque le bien immeuble est grevé d’hypothèque ou a été acquis par le paiement d’une rente viagère, le montant pris en considération est, sous certaines conditions, diminué du montant annuel des intérêts hypothécaires exigibles et réellement acquittés ou du montant de la rente viagère effectivement payée.
Selon l’article 26 de l’arrêté royal, lorsque le demandeur loue le bien immeuble, pour autant que le montant du loyer soit supérieur au résultat calculé conformément à l’article 25, il est tenu compte du montant du loyer.
Il suit de ces dispositions que le revenu cadastral de l’immeuble bâti est pris en considération également lorsque le demandeur qui en est propriétaire ou usufruitier ne l’occupe pas et n’en retire pas effectivement un revenu.
Le moyen, qui soutient le contraire, manque en droit.
Sur le second moyen :
En vertu de l’article 14, § 1er, de la loi du 26 mai 2002, le revenu d'intégration s'élève à 4 400 euros pour toute personne cohabitant avec une ou plusieurs personnes, la cohabitation étant le fait que des personnes vivent sous le même toit et règlent principalement en commun leurs questions ménagères, à 6 600 euros pour une personne isolée et à 8 800 euros pour une personne vivant avec une famille à sa charge.
Conformément aux articles 14, § 2, et 16, § 1er, de cette loi, ce montant est diminué des ressources du demandeur et, dans les limites fixées par le Roi par arrêté délibéré en conseil des ministres, des personnes avec lesquelles le demandeur cohabite.
Aux termes de l’article 14, § 1er, 3°, le droit au montant prévu pour une personne vivant avec une famille à charge s'ouvre dès qu'il y a présence d'au moins un enfant mineur non marié, il couvre également le droit de l'éventuel conjoint ou partenaire de vie et, par famille à charge, on entend le conjoint, le partenaire de vie, l'enfant mineur non marié ou plusieurs enfants parmi lesquels au moins un enfant mineur non marié.
Le législateur a ainsi distingué trois catégories de bénéficiaires, selon qu’ils cohabitent avec une ou plusieurs personnes, sont isolés ou vivent avec une famille à charge.
La notion de vie avec d’autres suppose la présence régulière de ces autres personnes avec le demandeur mais n’exige pas leur présence ininterrompue.
Le juge apprécie en fait si le demandeur vit avec d’autres personnes. La Cour vérifie si, des faits qu’il a constatés, le juge a pu légalement déduire cette vie en commun ou son absence.
L’arrêt énonce que la demanderesse vit seule avec ses deux enfants mineurs « dont elle assume l’hébergement alterné avec le père, sur la base d’un accord amiable », et qu’ « elle ne les héberge ni en permanence ni à titre principal » mais « la moitié du temps ».
Ni par ces énonciations ni par celle que cet hébergement entraîne « des charges structurelles fixes mais [que] l’entretien quotidien des enfants est partagé en deux », l’arrêt ne justifie légalement sa décision de fixer le revenu d’intégration de la demanderesse à « un taux famille à charge la moitié du temps et [à un] taux isolé l’autre moitié du temps ».
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il fixe le montant du revenu d’intégration de la demanderesse à la moyenne des montants prévus pour une personne isolée et pour une personne vivant avec une famille à charge, soit au montant mensuel de 713,32 euros, et qu’il statue sur les dépens ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Vu l’article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le défendeur aux dépens ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Mons.
Les dépens taxés à la somme de trois cent septante-quatre euros quinze centimes en débet envers la partie demanderesse et à la somme de vingt-deux euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section
Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et
Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du vingt-sept juin deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.