La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/04/2022 | BELGIQUE | N°C.18.0047.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 29 avril 2022, C.18.0047.F


N° C.18.0047.F
É. T.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et des Médias, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation, do

nt le cabinet est établi à Woluwe-Saint-Pierre, avenue des Lauriers, 1, où il est fait élection...

N° C.18.0047.F
É. T.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE, représentée par son gouvernement, en la personne du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et des Médias, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65,
défenderesse en cassation,
représentée par Maître Caroline De Baets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Woluwe-Saint-Pierre, avenue des Lauriers, 1, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 2 décembre 2016 par la cour d’appel de Mons, statuant comme juridiction de renvoi ensuite de l’arrêt de la Cour du 20 décembre 2012.
Le président de section Christian Storck a fait rapport.
L’avocat général Henri Vanderlinden a conclu.
II. Les moyens de cassation
Le demandeur présente trois moyens, dont le premier est libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- article 159 de la Constitution et principe général du droit de la hiérarchie des normes, déduit dudit article 159 ;
- article 3, spécialement alinéa 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, avant son remplacement par l’article 18 de la loi ordinaire de réformes institutionnelles du 9 août 1980, entré en vigueur le
1er octobre 1980.
Décisions et motifs critiqués
L’arrêt attaqué déclare l’appel fondé, met à néant le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a reçu la demande et déclaré prescrites les créances du demandeur nées antérieurement au 1er janvier 1995, et, statuant par voie de dispositions nouvelles quant au surplus, dit la demande du demandeur, telle qu’elle a été majorée en degré d’appel, non fondée et l’en déboute, dit sa demande incidente, formée à titre subsidiaire en degré d’appel, recevable mais non fondée, et le condamne aux dépens des deux instances, par les motifs suivants :
« Sur l’illégalité alléguée des arrêtés royaux des 25 juin 1973 et
9 novembre 1978 :
Par son arrêt du 20 décembre 2012 [Pas., n° 703], la Cour de cassation a considéré qu'en appliquant les arrêtés royaux des 25 juin 1973 et 9 novembre 1978, la cour d'appel de Bruxelles avait violé l'article 3, § 1er, des lois sur le Conseil d'État, coordonnées le 12 janvier 1973, ainsi que les articles 108 et 159 de la Constitution, dès lors que lesdits arrêtés royaux étaient illégaux pour n'avoir pas été soumis à l'avis de la section de législation du Conseil d'État ;
[...] En ce qui concerne l'arrêté royal du 25 juin 1973, [la défenderesse] relève à juste titre qu'il vise bien l'urgence dans son préambule pour se dispenser de l'avis de la section de législation du Conseil d'État ;
Avant l'entrée en vigueur de la loi du 9 août 1980 modifiant l'article 3 des lois coordonnées sur le Conseil d'État, la motivation de l'urgence n'était pas requise ;
[Le demandeur] ne démontre pas le défaut d'urgence alléguée pour ne pas demander l'avis du Conseil d'État ;
Il sera donc fait application des arrêtés royaux des 9 novembre 1978 et
25 juin 1973 ».
Griefs
L'article 159 de la Constitution dispose que les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. En vertu de cette disposition constitutionnelle, les cours et tribunaux ont le pouvoir et le devoir de vérifier la légalité interne et externe d'un acte administratif avant de lui donner effet.
Aux termes de l'article 3, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'État, en vigueur au jour de l'adoption de l'arrêté royal du 25 juin 1973, hors les cas d'urgence, et les projets de lois budgétaires exceptés, les ministres soumettent à l'avis motivé de la section [de législation] le texte de tous avant-projets de lois ou d'arrêtés d'exécution, organiques et réglementaires.
En vertu de cette disposition, les ministres sont tenus à l'obligation d'ordre public de soumettre le texte de tout avant-projet d'arrêté réglementaire à l'avis motivé de la section de législation du Conseil d'État, sauf urgence telle qu'il leur est impossible de respecter cette obligation.
S'il appartient en principe aux ministres d'apprécier, sous réserve de leur responsabilité politique, l'urgence qui les dispense de soumettre le texte des projets d'arrêtés réglementaires à l'avis motivé du Conseil d'État, les cours et tribunaux ont l'obligation d'examiner, pour s'acquitter de la mission de contrôle de légalité qui leur est confiée par l'article 159 de la Constitution, si le ministre n'a pas, en se dispensant de solliciter l'avis du Conseil d'État, excédé, voire détourné son pouvoir par une méconnaissance de la notion légale de l’urgence.
L'urgence peut notamment être démentie par le manque de diligence du ministre pour prendre la mesure réglementaire et pour faire procéder à sa publication. Il est ainsi généralement admis que doit être retenu comme un élément contredisant l'urgence invoquée par le ministre le fait que la publication de l'arrêté réglementaire ait lieu plusieurs mois après sa promulgation.
L'arrêté royal du 25 juin 1973 fixant les conditions d'admission des élèves et la durée des cours dans les conservatoires royaux de musique, bien que pris sur avis du conseil de perfectionnement de l'enseignement de la musique et du comité de consultation syndicale, invoque l'urgence pour se dispenser de l'obligation d'ordre public de consultation de la section de législation du Conseil d'État. Néanmoins, un délai de plus de trois mois s'est écoulé entre son adoption et sa publication au Moniteur belge le 2 octobre 1973, démentant ainsi de manière manifeste l'urgence invoquée pour ne pas soumettre l'arrêté à l'avis de la section de législation du Conseil d'État.
Le demandeur soulevait à juste titre dans ses conclusions, à propos de la légalité de l'arrêté royal du 25 juin 1973, « qu'on relèvera, par ailleurs, que cet arrêté royal du 25 juin 1973 est tout aussi illégal que celui du 9 novembre 1978, puisque lui aussi s'est dispensé de la consultation préalable de la section de législation du Conseil d'État, alors qu'il n'a été publié au Moniteur belge que le
2 octobre 1973, ce qui dénie toute urgence en l'espèce ».
Par conséquent, l'arrêt attaqué, qui considère que le demandeur « ne démontre pas le défaut d'urgence alléguée pour ne pas demander l'avis du Conseil d'État » et qu'il doit être « fait application des arrêtés royaux des
9 novembre 1978 et 25 juin 1973 », viole la notion légale de l’urgence (violation de l'article 3, alinéa 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'État, visé en tête du moyen), l'article 159 de la Constitution et le principe général du droit visé en tête du moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite du défaut d’intérêt :
Les considérations par lesquelles l’arrêt attaqué déclare non fondée la demande subsidiaire du demandeur en réparation du dommage que lui aurait causé la faute de la défenderesse consistant à avoir appliqué un arrêté royal illégal ne constituent pas un fondement de sa décision, que critique le moyen, de faire application de cet arrêté, qu’il juge légal, pour statuer sur la demande principale du demandeur.
Sur la fin de non-recevoir opposée au moyen par la défenderesse et déduite de ce qu’il est mélangé de fait et de droit :
Le moyen, qui conteste l’urgence visée dans le préambule de l’arrêté royal du 25 juin 1973 fixant les conditions d’admission des élèves et la durée des cours dans les conservatoires royaux de musique, ne requiert pas l’appréciation de faits qui ne ressortent pas de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure.
Les fins de non-recevoir ne peuvent être accueillies.
Sur le fondement du moyen :
En vertu de l’article 3, alinéa 1er, des lois sur le Conseil d’État, coordonnées le 12 janvier 1973, tel qu’il s’applique au litige, hors les cas d’urgence, et les projets de lois budgétaires exceptés, les ministres soumettent à l’avis motivé de la section de législation du Conseil d’État le texte de tous avant-projets de lois ou d’arrêtés d’exécution, organiques et réglementaires.
Si, en règle, il appartient aux ministres d’apprécier, sous réserve de leur responsabilité politique, l’urgence qui les dispense de solliciter cet avis, il incombe, conformément à l’article 159 de la Constitution, aux cours et tribunaux d’examiner si le ministre n’a pas à cette occasion excédé, voire détourné son pouvoir en méconnaissant la notion légale de l’urgence.
L’arrêté royal du 25 juin 1973 fixant les conditions d’admission des élèves et la durée des cours dans les conservatoires royaux de musique, qui n’a pas été soumis à l’avis motivé de la section de législation du Conseil d’état, n’a été publié au Moniteur belge que le 2 octobre 1973.
Pareil délai dément l’urgence invoquée dans le préambule de cet arrêté royal pour justifier l’abstention du ministre de demander l’avis du Conseil d’État.
En considérant que le demandeur, qui se prévalait de la longueur du délai de publication de l’arrêté royal du 25 juin 1973, « ne démontre pas le défaut
[de l’]urgence alléguée pour ne pas demander l’avis du Conseil d’État », l’arrêt attaqué ne justifie pas légalement sa décision de faire application au litige de cet arrêté royal.
Le moyen est fondé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d’appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-neuf avril deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Henri Vanderlinden, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.18.0047.F
Date de la décision : 29/04/2022
Type d'affaire : Droit administratif - Droit constitutionnel

Analyses

Si, en règle, il appartient aux ministres d'apprécier, sous réserve de leur responsabilité politique, l'urgence qui les dispense de solliciter l'avis motivé de la section de législation du Conseil d'État, il incombe, conformément à l'article 159 de la Constitution, aux cours et tribunaux d'examiner si le ministre n'a pas à cette occasion excédé, voire détourné son pouvoir en méconnaissant la notion légale de l'urgence (1). (1) Cass. 9 septembre 2002, RG S.00.0125.F, Pas. 2002, n° 426.

CONSEIL D'ETAT - POUVOIRS - POUVOIR JUDICIAIRE - CONSTITUTION - CONSTITUTION 1994 (ART. 100 A FIN) - Article 159 [notice1]


Références :

[notice1]

La Constitution coordonnée 1994 - 17-02-1994 - Art. 159 - 30 / No pub 1994021048 ;

Lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées par A.R. du 12 janvier 1973 - 12-01-1973 - Art. 3 - 02 / No pub 1973011250


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : VANDERLINDEN HENRI
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, GEUBEL SABINE, JACQUEMIN ARIANE, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-04-29;c.18.0047.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award