La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/04/2022 | BELGIQUE | N°C.19.0197.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 08 avril 2022, C.19.0197.F


N° C.19.0197.F
M. A.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Beatrix Vanlerberghe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, adjoint au ministre de l’Intérieur, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 50/175,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Bruno Maes, avoca

t à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 1...

N° C.19.0197.F
M. A.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Beatrix Vanlerberghe, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Anvers, Amerikalei, 187/302, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, adjoint au ministre de l’Intérieur, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard du Jardin botanique, 50/175,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, et par Maître Bruno Maes, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Watermael-Boitsfort, chaussée de La Hulpe, 177/7, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 8 février 2019 par la cour d’appel de Liège.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport.
L’avocat général Philippe de Koster a conclu.
II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 10, 11 et 149 de la Constitution ;
- article 23 du Code judiciaire, dans la version tant antérieure que postérieure à la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice et avant sa modification par la loi du 21 décembre 2018 ;
- article 49 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ;
- article 98, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
Décisions et motifs attaqués
L’arrêt déclare non fondée la demande du demandeur tendant à s’entendre reconnaître un droit de séjour sur le territoire belge équivalent à celui d’un réfugié reconnu et ce, avec effet au jour de l’introduction de sa demande d’apatridie, soit le 11 octobre 2013, à condamner le défendeur à lui délivrer un titre de séjour durable sur le territoire belge équivalent au titre de séjour délivré au réfugié reconnu sur la base de l’article 49 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, dans les quinze jours de la signification de l’arrêt à intervenir, sous peine d’une astreinte de 500 euros par jour de retard ou par infraction, et à lui accorder des dommages et intérêts fixés à un euro à titre provisionnel, aux motifs suivants :
« Tant la Cour constitutionnelle que la Cour de cassation ont décidé qu'il y a lieu de prévoir pour un apatride un droit de séjour comparable à celui dont bénéficie un réfugié en vertu de l'article 49 de la loi du 15 décembre 1980 dans l'hypothèse où l'apatride apporte la preuve qu'il a involontairement perdu sa nationalité et qu'il ne peut obtenir un titre de séjour légal et durable dans un autre État avec lequel il aurait des liens.
[…] L'apatride dispose donc bien d'un droit subjectif au séjour pour autant que les deux conditions soient remplies et l'examen de ces conditions relève de la compétence du juge chargé de remédier à l'inconstitutionnalité constatée.
Il s'indique d'examiner si ces deux conditions sont remplies en l'espèce.
a) Perte involontaire de sa nationalité
[Le demandeur] a obtenu le statut d'apatride par un jugement passé en force de chose jugée, au motif que la Palestine n'est pas un État reconnu.
[Le demandeur] n'a aucune influence sur le statut de la Palestine au niveau politique international.
C'est donc de manière involontaire qu’il ne dispose pas d'une nationalité d'un État reconnu.
b) Absence d'obtention d'un titre de séjour légal et durable dans un autre État
[Le demandeur] disposait d’un titre de séjour légal et même d'une carte d'identité délivrée par l'autorité palestinienne. On peut légitimement se demander s'il ne peut pas disposer d'un titre de séjour légal et durable dans cette région. Les difficultés personnelles dues à la méfiance que l'autorité palestinienne ou Israël entretiendraient à son égard ou à la politique israélienne, certes préoccupante, dans les territoires occupés ne sont pas démontrées en l'état de la cause et font par ailleurs l'objet d'un examen dans le cadre de la demande d'asile, mieux à même d'apprécier les conditions d'un retour possible au pays ou les menaces objectives qui pèsent sur la personne [du demandeur].
[Le demandeur] ne démontre pas dans le cadre de la présente procédure qu'il n'a pas d'attache avec la Palestine. La reconnaissance du statut d'apatride en Belgique n'implique pas pour [le demandeur] qu’il ait perdu la nationalité palestinienne, [le défendeur] ajoutant pertinemment que le statut d'apatride découle uniquement d'une situation géopolitique particulière, à savoir que cet État n'est pas actuellement reconnu par le gouvernement belge.
Il n'entre donc pas dans les conditions pour prétendre à un droit au séjour légal ou à l'obtention d'un titre de séjour équivalent à celui d'un réfugié reconnu sur base de l'article 49 de la loi du 15 décembre 1980 ».
Griefs
Première branche

Alors que tout étranger considéré comme réfugié en vertu de l'article 49, § 1er, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers est du fait même, aux termes de cette disposition, admis au séjour dans le royaume, aucune disposition légale similaire n'existe en faveur de l'apatride reconnu tel, que l'article 98, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers soumet à la réglementation générale.
Par son arrêt n° 1/2012 du 11 janvier 2012, la Cour constitutionnelle a décidé que, lorsque l'apatride s'est vu reconnaître cette qualité parce qu'il a involontairement perdu sa nationalité et qu'il démontre qu'il ne peut obtenir un titre de séjour légal et durable dans un autre État avec lequel il aurait des liens, la situation dans laquelle il se trouve est de nature à porter une atteinte discriminatoire à ses droits fondamentaux, de sorte que la différence de traitement entre cet apatride et le réfugié reconnu n'est pas raisonnablement justifiée. Elle a dit pour droit que la loi précitée du 15 décembre 1980 viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle ne prévoit pas, pour cet apatride, un droit de séjour comparable à celui dont bénéficie le réfugié en vertu de l'article 49 de cette loi.
Le juge est tenu de remédier à toute lacune de la loi dont la Cour constitutionnelle a constaté l'inconstitutionnalité, ou à celle qui résulte de ce qu'une disposition de la loi est jugée inconstitutionnelle, lorsqu'il peut suppléer à cette insuffisance dans le cadre des dispositions légales existantes pour rendre la loi conforme aux articles 10 et 11 de la Constitution.
Il s’ensuit que le juge ne peut pas refuser à l’apatride le droit au séjour lié à sa qualité lorsqu’il a, d’une part, involontairement perdu sa nationalité et qu’il démontre, d’autre part, qu’il ne peut pas obtenir un titre de séjour légal et durable dans un autre État avec lequel il aurait des liens.
Le titre de séjour légal et durable dans un autre État doit nécessairement provenir d’un État reconnu. Un État qui n’est pas reconnu ne peut bien entendu pas délivrer un titre de séjour légal et durable reconnu comme tel en Belgique.
L’arrêt décide que le demandeur dispose d’un titre de séjour légal et même d’une carte d’identité délivrée par l’autorité palestinienne et qu’on peut dès lors légitimement se demander s’il ne peut pas disposer d’un titre de séjour légal et durable dans cette région. Il décide encore que la reconnaissance du statut d’apatride en Belgique n’implique pas pour le demandeur qu’il ait perdu la nationalité palestinienne, le défendeur ajoutant pertinemment que le statut d’apatride découle uniquement d’une situation géopolitique particulière, à savoir que cet État n’est pas actuellement reconnu par le gouvernement belge.
En décidant que le demandeur ne démontre pas qu’il ne peut pas obtenir un titre de séjour légal et durable dans un autre État avec lequel il aurait des liens, sur la base du seul motif que le demandeur, ayant la nationalité palestinienne et disposant d’une carte d’identité délivrée par l’autorité palestinienne, pourrait disposer d’un titre de séjour légal et durable en Palestine, alors que la Palestine n’est pas un État reconnu par le gouvernement belge, l’arrêt ne justifie pas légalement sa décision (violation des articles 10 et 11 de la Constitution, 49 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, et 98, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 8 octobre 1981 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers).
Seconde branche
En vertu de l’article 23 du Code judiciaire, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet de la décision. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande repose sur la même cause, quel que soit le fondement juridique invoqué ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.
En vertu de cette disposition légale, le juge ne peut pas accueillir une prétention dont le fondement est inconciliable avec une cause antérieurement jugée. Il apparaît des constatations de l’arrêt qu’un jugement du tribunal de première instance de Liège du 11 octobre 2013 reconnaît au demandeur la qualité d’apatride au motif que la Palestine n’est pas un État indépendant reconnu. Néanmoins, l’arrêt décide qu’il n’apparaît pas que le demandeur aurait perdu la nationalité palestinienne de sorte qu’on peut légitimement se demander s’il ne peut pas disposer d’un titre de séjour légal et durable dans cette région.
En décidant, d’une part, que le demandeur est apatride et, d’autre part, que le demandeur dispose de la nationalité palestinienne, de sorte qu’on peut légitimement se demander s’il ne peut pas disposer d’un titre de séjour légal et durable dans cette région, l’arrêt attaqué est entaché de contradiction et n'est, dès lors, pas régulièrement motivé (violation de l’article 149 de la Constitution). En décidant que le demandeur dispose de la nationalité palestinienne, de sorte qu’on peut légitimement se demander s’il ne peut pas disposer d’un titre de séjour légal et durable dans cette région, l’arrêt détruit en outre le bénéfice de la décision du 11 octobre 2013 par laquelle la qualité d’apatride est reconnue au demandeur et méconnaît donc l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de première instance de Liège du 11 octobre 2013 (violation de l’article 23 du Code judiciaire).

III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la seconde branche :
Un jugement reconnaissant le statut d’apatride est relatif à l’état des personnes et a donc l’autorité de la chose jugée à l’égard des tiers, en raison de l’indivisibilité de l’état.
Cette autorité de chose jugée s’attache, quels qu’en soient les motifs, à la décision que le requérant a le statut d’apatride, c’est-à-dire qu’il est sans nationalité.
L’arrêt constate que le demandeur est originaire de la Palestine et qu’un jugement rendu par le tribunal de première instance de Liège le 11 octobre 2013 lui « reconnaît […] la qualité d’apatride au motif que la Palestine n’est pas un État indépendant reconnu », considère que cette « reconnaissance du statut d’apatride en Belgique n’implique pas [qu’il] ait perdu la nationalité palestinienne » dès lors que « le statut d’apatride […] découle uniquement [de ce] que cet État n’est pas […] reconnu par le gouvernement belge » et en déduit que le demandeur ne démontre pas « qu’il n’a pas d’attache avec la Palestine, [donc] qu’il ne peut disposer d’un titre de séjour légal et durable dans cette région ».
Il ressort de ces énonciations que le demandeur a la nationalité palestinienne aux yeux de la cour d’appel.
En décidant pour ce motif que le demandeur n’a pas le droit au séjour en Belgique, l’arrêt méconnaît l’autorité de la chose jugée attachée au jugement lui reconnaissant le statut d’apatride, partant, viole l’article 23 du Code judiciaire.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est fondé.
Et il n’y a lieu d’examiner ni la première branche ni les autres griefs de la seconde branche du moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur le fondement de la demande du demandeur et sur les dépens ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l’arrêt partiellement cassé ;
Réserve les dépens pour qu’il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d’appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Mireille Delange, les conseillers Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du huit avril deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Philippe de Koster, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.19.0197.F
Date de la décision : 08/04/2022
Type d'affaire : Droit administratif

Analyses

Un jugement reconnaissant le statut d'apatride est relatif à l'état des personnes et a donc l'autorité de chose jugée à l'égard des tiers, en raison de l'indivisibilité de l'état.

NATIONALITE


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : DE KOSTER PHILIPPE
Assesseurs : DELANGE MIREILLE, GEUBEL SABINE, JACQUEMIN ARIANE, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-04-08;c.19.0197.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award