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04/03/2022 | BELGIQUE | N°F.17.0110.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 04 mars 2022, F.17.0110.F


N° F.17.0110.F
AP MANAGEMENT, société anonyme, dont le siège est établi à Anderlecht, chaussée de Mons, 1135,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Christophe Goossens, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi 62, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est

établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La pro...

N° F.17.0110.F
AP MANAGEMENT, société anonyme, dont le siège est établi à Anderlecht, chaussée de Mons, 1135,
demanderesse en cassation,
ayant pour conseil Maître Christophe Goossens, avocat au barreau de Bruxelles, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi 62, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 10 mars 2017 par la cour d’appel de Liège.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport.
L’avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
Par la convention du 12 août 2003, dite « de rétribution proméritée », la demanderesse promet à son administratrice déléguée, en cas de départ de l’entreprise dans un des cas visés aux articles 2 à 4, une somme calculée en fonction du chiffre d’affaires de chacune des années à venir.
L’article 1er, alinéa 5, de cette convention prévoit que la liquidation à terme de cette allocation est donc certaine, que le montant et la date d’exigibilité de l’engagement sont cependant indéterminés et que ces deux derniers éléments sont fonction de l’application des autres articles de la convention.
Suivant les articles 2 à 4, la somme promise sera exigible, soit en cas de démission ou de révocation de la bénéficiaire avant qu’elle ait atteint l’âge de soixante ans, soit en cas de décès de celle-ci avant cet âge, soit en cas de pension prise par elle à la date anniversaire de ses soixante ans le 17 février 2013.
L’arrêt énonce qu’« il faut analyser la convention indépendamment de sa dénomination, en fonction des couvertures qu’elle prévoit et des conséquences qui en découlent pour les parties dans chacune des hypothèses » et que « [l’]analyse séparée des trois risques couverts ne dénature nullement la convention qui vise trois hypothèses d’exigibilité d’allocations distinctes découlant de la survenance de trois événements futurs incertains différents (démission/révocation prématurés, décès prématuré, prise de pension à l’âge de 60 ans) ».
Il considère que « l’exigibilité de l’allocation prévue en cas de décès ou de démission/révocation lors de l’exercice en cause constitue […] une simple éventualité, un risque purement hypothétique ou d’ordre général et qu’aucun élément particulier survenu lors de l’exercice comptable en cause ne permet de considérer comme probable l’exigibilité de la charge découlant du décès ou du départ anticipé de l’administratrice déléguée de [la demanderesse] à la suite d’une révocation ou d’une démission avant le 17 février 2013 ».
Il y oppose le cas des « engagements de [la demanderesse] exigibles lors de la prise de la pension par la bénéficiaire », lesquels « constituent une charge nettement précisée que les événements en cours rendent probable, et non purement hypothétique ».
Il évoque l’hypothèse « de l’arrivée à échéance du terme du mandat d’administrateur [de la] bénéficiaire, non reconduit », ou encore celle de la « bénéficiaire toujours en vie et au service de la [demanderesse], qui n’est pas mis[e] à la pension à l’âge de la pension prévu par la convention », pour illustrer les éventualités non couvertes par la convention.
Sur la base de ces énonciations, l’arrêt a pu, sans donner de la convention une interprétation inconciliable avec ses termes, décider que « l’exigibilité de l’engagement de rétribution n’est pas certaine au vu des dispositions contractuelles ».
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
L’arrêt décide que l’article 35 de l’arrêté royal d’exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, « qui a trait au contrôle annuel des dépenses, […] est étranger à la question en cause, qui se rapporte à la limite des provisions et non à la déduction à titre de frais professionnels des cotisations et primes patronales visées à l’article 52, 3°, b) », de ce code.
Dans la mesure où, pris de la violation de l’article 35 précité, il ne critique pas cette décision mais y adhère, le moyen, qui ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Pour le surplus, suivant l’article 48, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, les provisions pour risques et charges qui sont comptabilisées par les entreprises en vue de faire face à des charges nettement précisées et que les événements en cours rendent probables sont exonérées dans les limites et aux conditions déterminées par le Roi.
En vertu de l’article 24, 1°, de l’arrêté royal d’exécution du Code des impôts sur les revenus 1992, sont exclues des bénéfices de la période imposable, les provisions pour risques et charges constituées à l'expiration de ladite période, lorsque les charges auxquelles les provisions sont destinées à faire face sont admissibles, par nature, au titre de frais professionnels et sont considérées comme grevant normalement les résultats de cette période.
Aux termes de l’article 60 du même code, dans sa version applicable, les pensions, rentes ou allocations en tenant lieu ne sont considérées comme frais professionnels que si elles sont attribuées à des personnes ayant bénéficié antérieurement de rémunérations en raison desquelles la législation concernant la sécurité sociale des travailleurs ou des indépendants a été appliquée, ou aux ayants droit desdites personnes, et pour autant que ces sommes ne dépassent pas celles qui seraient obtenues par le versement de cotisations visées à l’article 59.
Conformément à l’article 59, § 1er, 2°, dudit code, les sommes obtenues par le versement de cotisations et primes patronales ne peuvent conduire à ce que l’ensemble des prestations légales et extra-légales en cas de retraite, exprimées en rentes annuelles, dépassent 80 p.c. de la dernière rémunération brute annuelle normale du travailleur concerné.
Il suit de ces dispositions qu’une provision constituée pour faire face à la charge résultant d’un engagement de pension ne peut être exonérée d’impôt que dans la mesure où elle tient compte de la limite de 80 p.c. au-delà de laquelle la charge de pension ne pourra être déduite, à titre de frais professionnels, des résultats de la période imposable durant laquelle l’engagement de pension devra être exécuté.
L’appréciation de cette limite implique d’avoir égard à la rémunération brute annuelle normale du bénéficiaire de la pension, à savoir, suivant l’article 34, 1° et 2°, de l’arrêté royal d’exécution, la rémunération brute annuelle normale attribuée ou payée au travailleur, autrement qu’à titre exceptionnel ou occasionnel, pendant la dernière année antérieure à sa mise à la retraite, année pendant laquelle il a eu une activité professionnelle normale.
Il résulte de l’article 195 du Code des impôts sur les revenus 1992, qui assimile les dirigeants d’entreprise à des travailleurs pour l’application des dispositions en matière de frais professionnels, que les rémunérations des dirigeants auxquelles il convient d’avoir égard pour le calcul de la limite de 80 p.c. sont celles qui leur sont allouées ou attribuées régulièrement et au moins une fois par mois avant la fin de la période imposable au cours de laquelle l’activité rémunérée a été exercée et à condition que ces rémunérations soient imputées par la société sur les résultats de cette période.
L’arrêt constate qu’eu égard aux engagements pris à l’égard de son administratrice déléguée dans la convention du 12 août 2003, la demanderesse a comptabilisé pour l’exercice d’imposition 2008 une provision pour risques et charges de 47.004,45 euros.
Il considère que ces engagements, qui sont « exigibles lors de la prise de la pension par la bénéficiaire, constituent une charge nettement précisée que les événements en cours rendent probable » au sens de l’article 48 du Code des impôts sur les revenus 1992.
Il rappelle « qu’il appartient à [la demanderesse], qui se prévaut de l’application de [cette disposition légale], d’établir la réunion [des] conditions d’exonération de la provision qu’elle a constituée ».
Il énonce que l’article 24 de l’arrêté royal d’exécution de ce code implique « que l’on compare le montant provisionné avec le montant qui pourra, lorsque l’on sera face à une dette certaine et liquide, être déduit au titre de frais professionnels » ou, autrement dit, que cette disposition « se borne à limiter l’exonération des provisions dans la mesure où les charges auxquelles elles sont destinées à faire face, soit en l’occurrence les pensions, sont déductibles fiscalement », en précisant que la déduction fiscale « est fonction de l’article 60 du [même code], qui se réfère aux sommes qui seraient obtenues par le versement de cotisations visées à l’article 59 ».
Ayant relevé que « l’administratrice déléguée de [la demanderesse], bénéficiaire du capital pension, ne perçoit que des tantièmes lors de l’exercice en cause, soit une rémunération qui [ne répond pas aux critères de l’article 195 du code dès lors qu’elle] n’est pas allouée au moins une fois par mois [pas plus qu’elle ne l’est] avant la fin de la période imposable au cours de laquelle l’activité rémunérée a été exercée », l’arrêt en conclut « qu’en l’absence de rémunération de référence, le plafond limite résultant de l’application de la règle des 80 p.c. est égal à zéro ».
Par ces énonciations, d’où il ressort qu’aux yeux de la cour d’appel, la preuve n’est pas faite du caractère déductible de la charge de pension à venir faute d’une rémunération brute annuelle normale dont on pourrait inférer que la limite de 80 p.c. sera respectée pour la période de la prise de la pension, l’arrêt justifie légalement sa décision de confirmer la taxation de la totalité de la provision pour risques et charges litigieuse.
Dans la mesure où il est recevable, le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
Il suit de la réponse à la deuxième branche que l’arrêt considère, non que la limite de 80 p.c. doit s’apprécier au regard des rémunérations versées pendant la période imposable litigieuse, mais que rien au cours de cette période ne permet d’établir que la charge de pension à venir pourra être déduite à titre de frais professionnels dans le respect de ladite limite.
Le moyen, qui, en cette branche, repose sur une interprétation inexacte de l’arrêt, manque en fait.
Et les questions préjudicielles proposées par la demanderesse pour le cas où cette interprétation serait retenue ne doivent dès lors pas être posées à la Cour constitutionnelle.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de trois cent septante-trois euros dix-neuf centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Michel Lemal, les conseillers Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du quatre mars deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Thierry Werquin, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : F.17.0110.F
Date de la décision : 04/03/2022
Type d'affaire : Autres - Droit fiscal

Analyses

Le moyen qui, pris de la violation d'une disposition légale, ne critique pas la décision de dire cette disposition étrangère à la question litigieuse, mais y adhère, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable.

MOYEN DE CASSATION - MATIERE FISCALE - Intérêt

Une provision constituée pour faire face à la charge résultant d'un engagement de pension ne peut être exonérée d'impôt que dans la mesure où elle tient compte de la limite de 80 p.c. au-delà de laquelle la charge de pension ne pourra être déduite, à titre de frais professionnels, des résultats de la période imposable durant laquelle l'engagement de pension devra être exécuté (1). (1) C.I.R. 1992, art. 60, avant sa modification par la loi-programme du 22 juin 2012.

IMPOTS SUR LES REVENUS - IMPOT DES SOCIETES - Détermination du revenu global net imposable - Frais professionnels [notice2]

L'appréciation de la limite de 80 p.c. au-delà de laquelle la charge de pension ne pourra être déduite, à titre de frais professionnels, des résultats de la période imposable durant laquelle l'engagement de pension devra être exécuté, implique d'avoir égard à la rémunération brute annuelle normale attribuée ou payée au travailleur, autrement qu'à titre exceptionnel ou occasionnel, pendant la dernière année antérieure à sa mise à la retraite, année pendant laquelle il a eu une activité professionnelle normale (1). (1) C.I.R. 1992, art. 60, avant sa modification par la loi-programme du 22 juin 2012.

IMPOTS SUR LES REVENUS - IMPOT DES SOCIETES - Détermination du revenu global net imposable - Frais professionnels [notice3]

Les rémunérations des dirigeants d'entreprise, lesquels sont assimilés à des travailleurs pour l'application des dispositions en matière de frais professionnels, auxquelles il convient d'avoir égard pour le calcul de la limite de 80 p.c. sont celles qui leur sont allouées ou attribuées régulièrement et au moins une fois par mois avant la fin de la période imposable au cours de laquelle l'activité rémunérée a été exercée et à condition que ces rémunérations soient imputées par la société sur les résultats de cette période.

IMPOTS SUR LES REVENUS - IMPOT DES SOCIETES - Détermination du revenu global net imposable - Frais professionnels [notice4]


Références :

[notice2]

Côde des impôts sur les revenus 1992 - 12-06-1992 - Art. 48, al. 1er, 59, § 1er, 2°, et 60 - 30 / No pub 1992003455 ;

Arrêté Royal d'exécution du Code des Impôts sur les Revenus 1992 - 27-08-1993 - Art. 24, 1°, et 34, 1° et 2° - 48 / No pub 1993003537

[notice3]

Côde des impôts sur les revenus 1992 - 12-06-1992 - Art. 48, al. 1er, 59, § 1er, 2°, et 60 - 30 / No pub 1992003455 ;

Arrêté Royal d'exécution du Code des Impôts sur les Revenus 1992 - 27-08-1993 - Art. 24, 1°, et 34, 1° et 2° - 48 / No pub 1993003537

[notice4]

Côde des impôts sur les revenus 1992 - 12-06-1992 - Art. 48, al. 1er, 59, § 1er, 2°, 60 et 195 - 30 / No pub 1992003455 ;

Arrêté Royal d'exécution du Code des Impôts sur les Revenus 1992 - 27-08-1993 - Art. 24, 1°, et 34, 1° et 2° - 48 / No pub 1993003537


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : WERQUIN THIERRY
Assesseurs : LEMAL MICHEL, GEUBEL SABINE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-03-04;f.17.0110.f ?

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