La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/02/2022 | BELGIQUE | N°F.20.0062.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 février 2022, F.20.0062.F


N° F.20.0062.F
1. M. T., et
2. M.-T. D.,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Frédéric Collin, avocat au barreau de Charleroi, dont le cabinet est établi à Châtelet (Châtelineau), rue de la Vallée, 27/3, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il

est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est diri...

N° F.20.0062.F
1. M. T., et
2. M.-T. D.,
demandeurs en cassation,
ayant pour conseil Maître Frédéric Collin, avocat au barreau de Charleroi, dont le cabinet est établi à Châtelet (Châtelineau), rue de la Vallée, 27/3, où il est fait élection de domicile,
contre
ÉTAT BELGE, représenté par le ministre des Finances, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la loi, 12,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Geoffroy de Foestraets, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Vallée, 67, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 4 octobre 2019 par la cour d’appel de Mons.
Le 4 février 2022, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Marielle Moris a fait rapport et l’avocat général Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demandeurs présentent deux moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
Quant au premier rameau :
L’arrêt de la cour d’appel de Mons du 26 novembre 2014 statuant en matière correctionnelle décide que les poursuites dirigées contre les demandeurs sont irrecevables en raison de la violation de leur droit à un procès équitable et de la présomption d’innocence lors de l’instruction.
En considérant que, « à défaut de condamnation ou d’acquittement par une juridiction pénale, [les demandeurs] ne peuvent invoquer le principe non bis in idem pour contester les sanctions fiscales mises à leur charge » et que « la violation [de ce principe] n’[est] pas démontrée et ne [peut] justifier l’annulation des cotisations litigieuses, ni même des accroissements », l’arrêt attaqué ne donne pas de l’arrêt du 26 novembre 2014 une interprétation inconciliable avec ses termes, partant, ne viole pas la foi qui lui est due.
Pour le surplus, le moyen, en ce rameau, ne mentionne pas les dispositions légales que l’arrêt attaqué violerait en méconnaissant l’autorité de la chose jugée dudit arrêt du 26 novembre 2014.
Le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.
Quant au second rameau :
En vertu de l’article 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
Dans l’arrêt n° 27 785/10, Melo Tadeu c/ Portugal, du 23 octobre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré que le champ d’application de cette disposition « peut s’étendre aux décisions de justice prises après l’arrêt des poursuites ou après un acquittement, des décisions judiciaires postérieures ou des déclarations émanant des autorités publiques pouvant soulever un problème sous l’angle de [cette disposition], si elles équivalent à un constat de culpabilité qui méconnaît, délibérément, l’acquittement préalable de l’accusé, dans la mesure où les questions soulevées dans l’affaire en cause constituent un corollaire et un complément des procédures pénales concernées dans lesquelles le requérant a la qualité d’accusé », que, outre la garantie procédurale que constitue l’article 6, § 2, de cette convention, celui-ci revêt un autre aspect dont le but général « est d’empêcher que des individus qui ont bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publics comme s’ils étaient coupables de l’infraction qui leur avait été imputée », que, « une fois l’acquittement devenu définitif - même s’il s’agit d’un acquittement au bénéfice du doute selon l’article 6, § 2 -, l’expression de soupçons de culpabilité […] n’est pas compatible avec la présomption d’innocence » et que, « en vertu du principe in dubio pro reo, lequel constitue une expression particulière du principe de la présomption d’innocence, aucune différence qualitative ne doit exister entre une relaxe faute de preuves et une relaxe résultant d’une constatation de l’innocence de la personne ».
La présomption d’innocence prévue à l’article 6, § 2, précité s’oppose à ce que des décisions judiciaires ou celles qui émanent d’autorités publiques traitent une personne comme si elle était coupable d’une infraction alors qu’elle a été acquittée du chef de cette infraction par une décision qui, statuant sur les preuves de culpabilité, a considéré cette personne comme innocente.
L’arrêt attaqué, qui, après avoir constaté que les demandeurs « n’ont pas été acquittés des préventions mises à leur charge mais que les poursuites dirigées à leur encontre ont été déclarées irrecevables par les juridictions pénales », décide qu’« il résulte de l’ensemble [des] éléments [qu’il retient] des présomptions graves, précises et concordantes que […] le demandeur a encaissé personnellement les chèques litigieux libellés au nom des sous-traitants […] et a bénéficié des montants revenant normalement à ceux-ci » et que « c’est à bon droit que l’administration a imposé lesdites sommes en tant que rémunérations de dirigeant d’entreprise dans le chef […] du demandeur », ne viole ni la présomption d’innocence des demandeurs ni l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 26 novembre 2014.
Le moyen, en ce rameau, ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
En vertu des articles 4, § 1er, du Septième Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et 14, § 7, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même État en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi.
Il suit de ces dispositions et du principe général du droit non bis in idem que seule une décision se prononçant sur la culpabilité par un jugement ou un arrêt d’acquittement ou de condamnation, passé en force de chose jugée, empêche que de nouvelles poursuites soient intentées pour une même infraction.
D’une part, les impositions établies à la charge des demandeurs ne constituent pas une peine infligée en raison de la commission d’une infraction.
D’autre part, en ce qui concerne les accroissements d’impôt, l’arrêt du 26 novembre 2014 ne se prononce pas sur la culpabilité des demandeurs du chef des infractions retenues à leur charge par une décision d’acquittement ou de condamnation.
Dans la mesure où il repose sur le soutènement que, en application des dispositions précitées, l’arrêt du 26 novembre 2014, qui dit les poursuites dirigées contre les demandeurs irrecevables, fait obstacle au maintien des cotisations à l’impôt des personnes physiques et des accroissements d’impôt établis à leur charge, le moyen, en cette branche, manque en droit.
Et la violation prétendue de l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est tout entière déduite de celle, vainement alléguée, des dispositions légales et du principe général du droit précités.
Dans cette mesure, le moyen, en cette branche, est irrecevable.
Sur le second moyen :
Quant à la première et à la deuxième branche :
L’arrêt attaqué considère que, « comme l’indiquent [les demandeurs], la question de fait à démontrer est celle de savoir si [le demandeur] a perçu, personnellement, les chèques encaissés auprès de la banque Dexia en paiement de factures de certains de ses sous-traitants » et que, « nonobstant la décision de la cour d’appel (chambre correctionnelle) confirmant le jugement entrepris en ce qu’il avait déclaré les poursuites irrecevables au pénal, la cour [d’appel] de céans, statuant en matière fiscale, est en droit d’apprécier si les éléments issus du dossier répressif […] et les éléments invoqués par l’administration à l’appui de sa taxation constituent des présomptions graves, précises et concordantes permettant de justifier les impositions litigieuses ».
Il constate que les montants imposés à titre de rémunérations de dirigeant d’entreprise dans le chef du demandeur sont ceux qui correspondent au montant de quatre chèques, payés en espèces, les 28 novembre 2003, 19 décembre 2003, 17 février 2004 et 29 mars 2004 ; que l’administration produit la copie de ces deux derniers chèques ainsi qu’un bordereau d’encaissement indiquant qu’ils ont été touchés par le demandeur ; que, pour le chèque payé le 28 novembre 2003, l’administration produit une copie de ce chèque ainsi qu’un bordereau d’encaissement indiquant qu’il a été touché par A. M., et que, dans son audition, ce dernier a déclaré qu’il ristournait au demandeur l’argent provenant de l’encaissement des chèques.
Pour le chèque n° 335115 payé le 19 décembre 2003, « la cour [d’appel] fait siens les motifs du premier juge [qui a considéré] qu’au vu des explications d’A. M., selon lesquelles des chèques étaient encaissés entre 2003 et 2005 sans que [ni] son nom ni son adresse […] figurent sur le dos du chèque, ce qui était contraire aux pratiques bancaires, il y avait lieu de présumer que [le demandeur] a bénéficié du montant de ce chèque ».
Sur la base de ces constatations et d’autres éléments qui ne proviennent pas du dossier répressif, l’arrêt attaqué décide qu’« il résulte de l’ensemble de ces éléments des présomptions graves, précises et concordantes que [le demandeur] a encaissé personnellement les chèques litigieux libellés au nom de ses sous-traitants […] et a bénéficié des montants revenant normalement à ceux-ci ».
L’arrêt du 26 novembre 2014 ne considère pas que les preuves sur lesquelles se fondent les poursuites sont illégales mais que les poursuites dirigées contre les demandeurs sont illégales dès lors que l’instruction a été menée en violation de la présomption d’innocence, de leur droit de défense et de leur droit à un procès équitable.
Le moyen, qui, en ces branches, repose sur le soutènement que l’illégalité des poursuites empêche de fonder les cotisations à l’impôt des personnes physiques établies à la charge des demandeurs sur les éléments de preuve tirés du dossier répressif, sans préciser en quoi les éléments pris en considération par l’arrêt attaqué à titre de présomptions de l’homme violeraient les dispositions légales visées au moyen, est irrecevable.
Quant à la troisième branche :
L’arrêt ne constate pas que les témoignages d’A. M. et de F. S. auraient été corroborés par l’enquête menée par l’administration fiscale.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne les demandeurs aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de sept cent deux euros quarante-deux centimes envers les parties demanderesses, y compris la contribution au fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, limitée à vingt euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, le président de section Mireille Delange, les conseillers Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-cinq février deux mille vingt-deux par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : F.20.0062.F
Date de la décision : 25/02/2022
Type d'affaire : Autres - Droit fiscal - Droit international public

Analyses

Ne viole pas la foi due à une décision rendue en matière correctionnelle, qui décide que les poursuites sont irrecevables en raison de la violation du droit à un procès équitable et de la présomption d’innocence lors de l’instruction, le jugement ou arrêt qui considère que, à défaut de condamnation ou d’acquittement par une juridiction pénale, une partie ne peut invoquer le principe non bis in idem pour contester les sanctions fiscales mises à sa charge et que la violation de ce principe n’est pas démontrée et ne peut justifier l’annulation des cotisations litigieuses, ni même des accroissements (1). (1) Voir les concl. du MP.

MOYEN DE CASSATION - MATIERE FISCALE - Généralités - PREUVE - MATIERE FISCALE - Divers [notice1]

La présomption d’innocence prévue à l’article 6, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’oppose à ce que des décisions judiciaires ou celles qui émanent d’autorités publiques traitent une personne comme si elle était coupable d’une infraction alors qu’elle a été acquittée du chef de cette infraction par une décision qui, statuant sur les preuves de culpabilité, a considéré cette personne comme innocente (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6 - Article 6, § 2 - DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE FISCALE [notice3]

Seule une décision se prononçant sur la culpabilité par un jugement ou un arrêt d’acquittement ou de condamnation, passé en force de chose jugée, empêche que de nouvelles poursuites soient intentées pour une même infraction (1). (1) Voir les concl. du MP.

DROITS DE L'HOMME - CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Généralités - DROITS DE L'HOMME - PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES - DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE FISCALE - CHOSE JUGEE - FORCE DE CHOSE JUGEE - Matière fiscale - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT [notice5]

Les impositions ne constituent pas une peine infligée en raison de la commission d’une infraction (1). (1) Voir les concl. du MP.

IMPOT

Un jugement ou arrêt rendu en matière correctionnelle, qui dit les poursuites irrecevables sans se prononcer sur la culpabilité par une décision d’acquittement ou de condamnation, ne fait pas obstacle au maintien des cotisations à l’impôt des personnes physiques et des accroissements d’impôt (1). (1) Voir les concl. du MP.

PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - DROITS DE LA DEFENSE - MATIERE FISCALE [notice11]


Références :

[notice1]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 1318, 1319 et 1320 - 30 / No pub 1804032150

[notice3]

Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 - 04-11-1950 - Art. 6, § 2 - 30 / Lien DB Justel 19501104-30

[notice5]

Protocole n° 7 à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales - 22-11-1984 - Art. 4, § 1er - 33 / Lien DB Justel 19841122-33 ;

Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 12 décembre 2007 - 12-12-2007 - Art. 50 ;

Pacte international relatif aux droits civils et politiques - 19-12-1966 - Art. 14, § 7 - 31 / Lien DB Justel 19661219-31 ;

L. du 13 mai 1955 portant approbation de la Conv. D.H., signée à Rome, le 4 novembre 1950 et du Protocole additionnel à cette Convention, signé à Paris, le 20 mars 1952 - 13-05-1955 - Art. 1er - 30 / No pub 1955051306 ;

Principe général du droit 'non bis in idem'

[notice11]

Protocole n° 7 à la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales - 22-11-1984 - Art. 4, § 1er - 33 / Lien DB Justel 19841122-33 ;

Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 12 décembre 2007 - 12-12-2007 - Art. 50 ;

Pacte international relatif aux droits civils et politiques - 19-12-1966 - Art. 14, § 7 - 31 / Lien DB Justel 19661219-31 ;

L. du 13 mai 1955 portant approbation de la Conv. D.H., signée à Rome, le 4 novembre 1950 et du Protocole additionnel à cette Convention, signé à Paris, le 20 mars 1952 - 13-05-1955 - Art. 1er - 30 / No pub 1955051306 ;

Principe général du droit 'non bis in idem'


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : INGHELS BENEDICTE
Assesseurs : DELANGE MIREILLE, GEUBEL SABINE, JACQUEMIN ARIANE, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2022-02-25;f.20.0062.f ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award