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13/12/2021 | BELGIQUE | N°S.17.0054.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 13 décembre 2021, S.17.0054.F


N° S.17.0054.F
M. M. M.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D’ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, place Saint-Jacques, 13,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La

procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 15 mars 201...

N° S.17.0054.F
M. M. M.,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Willy van Eeckhoutte, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Gand, Drie Koningenstraat, 3, où il est fait élection de domicile,
contre
CENTRE PUBLIC D’ACTION SOCIALE DE LIÈGE, dont les bureaux sont établis à Liège, place Saint-Jacques, 13,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Simone Nudelholc, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, boulevard de l’Empereur, 3, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 15 mars 2017 par la cour du travail de Liège.
Le 28 octobre 2021, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Mireille Delange a fait rapport et l’avocat général Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Les faits
Tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué et des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard, les faits de la cause et les antécédents de la procédure peuvent être ainsi résumés :
- la demanderesse, qui est une ressortissante de la République démocratique du Congo, est arrivée en Belgique et a introduit une demande d’asile le 19 août 2014 ;
- cette demande a été rejetée le 24 septembre 2014 et un ordre de quitter le territoire a été adopté à son égard en octobre 2014 ;
- elle a introduit une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales le 19 janvier 2015 ;
- cette demande a été déclarée recevable, en sorte qu’une attestation d’immatriculation lui a été octroyée ;
- le centre public d’action sociale défendeur lui a alors alloué une aide sociale financière ;
- le 20 avril 2016, l’Office des étrangers a rejeté la demande d’autorisation de séjour de la demanderesse, de telle manière que l’attestation d’immatriculation a cessé de lui être octroyée ;
- par des décisions des 31 mai, 28 juin et 19 juillet 2016, le défendeur lui a retiré l’aide sociale à partir du 1er mai, a décidé de récupérer 56,69 euros payés depuis le 29 avril 2016, date de la notification à la demanderesse de la décision de rejet prise par l’Office des étrangers, et a refusé l’aide sociale après cette dernière date ;
- par un jugement du 7 novembre 2016, le tribunal du travail a rejeté le recours de la demanderesse contre ces trois décisions et l’a condamnée, à la demande du défendeur, à rembourser 56,69 euros ;
- l’arrêt attaqué décide que la période litigieuse s’étend du 1er mai au 2 novembre 2016 et rejette l’appel formé par la demanderesse contre ce jugement.
III. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 1er et 57, §§ 1er et 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale ;
- articles 9ter et 52/3 de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ;
- articles 7, alinéa 2, et 8 de l'arrêté royal du 17 mai 2007 fixant des modalités d'exécution de la loi du 15 septembre 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt attaqué, qui déclare l'appel de la demanderesse recevable mais non fondé, décide que la demanderesse se trouve en séjour illégal durant la période litigieuse qui va du 1er mai au 2 novembre 2016 et qu’elle ne peut, en application de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale obtenir l'octroi d'une aide sociale autre que l'aide médicale urgente, par les motifs que :
« Discussion
L'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 fait obstacle à l'octroi d'une aide sociale autre que l'aide médicale urgente à un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume.
L'article 57, § 2, définit l'illégalité de séjour en ce qui concerne une catégorie déterminée d'étrangers, ceux qui ont sollicité l'asile, précisant que l'illégalité de séjour est acquise lorsque deux conditions sont rencontrées, d'une part, le rejet de la demande d'asile et, d'autre part, la notification d'un ordre de quitter le territoire susceptible d'être qualifié d'exécutoire.
Pour toutes les autres catégories d'étrangers, la légalité ou l'illégalité de séjour se détermine sur la base des dispositions de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, lesquelles n'indiquent pas nécessairement, comme condition de l'illégalité du séjour, l'existence d'un ordre de quitter le territoire.
[La demanderesse] a sollicité l'asile mais a vu cette demande rejetée par le conseil du contentieux des étrangers après qu'elle eut épuisé tous les recours qui lui étaient ouverts, un ordre de quitter le territoire exécutoire ayant été adopté à son égard le 13 octobre 2014 ; en regard de sa demande d'asile, [la demanderesse] est en séjour illégal.
Contrairement à ce que soutient [la demanderesse], cet ordre de quitter le territoire n'a fait l'objet d'aucune annulation en raison de l'émission d'attestations d'immatriculation à l'égard de [la demanderesse] durant l'examen de sa demande d'autorisation de séjour sur la base de l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, depuis le moment où elle a été déclarée recevable jusqu'à la décision qui la dit non fondée.
La Cour de cassation a [décidé] :
‘Toutefois, en vertu de l'article 52/3 de la loi du 15 décembre 1980, lorsque [le conseil du contentieux des étrangers] rejette le recours de l'étranger contre une décision prise par le commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, et que l'étranger séjourne de manière irrégulière dans le royaume, le ministre ou son délégué décide sans délai de prolonger l'ordre de quitter le territoire délivré à la suite de cette décision.
Cette disposition légale a pour effet de remettre le titre initial en vigueur’.
[…] Durant l'examen de la demande d'autorisation de séjour fondée sur l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, à partir de la décision disant cette demande recevable, le demandeur se voit délivrer des attestations d'immatriculation jusqu'au moment où intervient une décision sur le fondement de sa demande, conformément aux dispositions de l'arrêté royal du 8 octobre 1981 ; durant cette période, l'ordre de quitter le territoire qui aurait été préalablement adopté à l'égard de l'intéressé voit ses effets suspendus mais il subsiste et reprend effet lorsque les attestations d'immatriculation cessent d'être accordées.
[…] La cour [du travail] fait sienne cette opinion, qui est la seule compatible avec le postulat de rationalité du législateur ; on ne peut [en effet] proroger le délai d'un ordre de quitter le territoire qu'à la condition que celui-ci n'ait pas été retiré de l'ordonnancement juridique. Il faut, dès lors, considérer que le recours suspensif et la délivrance d'une annexe 35 ne font que suspendre l'ordre de quitter le territoire, qui reprend vigueur après que le délai de grâce octroyé par l'Office des étrangers suite à l’arrêt du conseil du contentieux des étrangers a expiré.
[…] [La demanderesse] a introduit le 19 novembre [lire : janvier] 2015 une demande d'autorisation de séjour fondée sur l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, qui a été rejetée par une décision de l'Office des étrangers du 20 avril 2016.
[Elle] a bien introduit un recours contre cette décision de l'Office des étrangers auprès du conseil du contentieux des étrangers mais ce recours n'est pas suspensif.
[…] [La demanderesse], qui ne justifie d'aucune disposition légale qui l'autoriserait au séjour durant la période litigieuse et dont le recours dirigé contre la décision de l'Office des étrangers, rejetant sa demande d'autorisation de séjour sur la base de l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, est dépourvu d'effet suspensif, se trouve en séjour illégal durant la période litigieuse du 1er mai au 2 novembre 2016 et ne peut, en application de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976, obtenir l'octroi d'une aide sociale autre que l'aide médicale urgente ».
Griefs
L'article 57, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d'action sociale limite à l'octroi de l'aide médicale urgente la mission du centre public d'action sociale à l'égard d'un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume.
L'alinéa 4 dispose qu'un étranger qui s'est déclaré réfugié et a demandé à être reconnu comme tel séjourne illégalement dans le royaume lorsque la demande d'asile a été rejetée et qu'un ordre de quitter le territoire lui a été notifié.
En vertu de l'article 52/3, alinéa 2, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, lorsque le conseil du contentieux des étrangers rejette le recours de l'étranger contre une décision prise par le commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, et que l'étranger séjourne de manière irrégulière dans le royaume, le ministre ou son délégué décide sans délai de prolonger l'ordre de quitter le territoire délivré à la suite de cette décision.
En vertu des articles 7, alinéa 2, et 8 de l'arrêté royal du 17 mai 2007 fixant des modalités d'exécution de la loi du 15 septembre 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, le demandeur qui a introduit une demande recevable fondée sur l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 est mis en possession d'une attestation d'immatriculation.
La délivrance d'une attestation d'immatriculation indique que le demandeur est autorisé à séjourner, fût-ce de manière temporaire et précaire. Elle implique dès lors le retrait implicite de l'ordre de quitter le territoire antérieur.
Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que :
- la demanderesse a introduit une demande d'asile le 19 août 2014 ;
- le commissaire général aux réfugiés et aux apatrides a pris le 24 septembre 2014 une décision de refus de la qualité de réfugié et de l'octroi de la protection subsidiaire ;
- un ordre de quitter le territoire a été notifié à la demanderesse le 13 octobre 2014 ;
- cette dernière a introduit un recours contre cette décision de refus le 16 octobre 2014 ;
- elle a introduit le 19 janvier 2015 une demande d'autorisation de séjour sur la base de l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 ;
- cette demande a été déclarée recevable par une décision du 8 juin 2015 ;
- le conseil du contentieux des étrangers a rejeté le recours introduit contre la décision du commissaire général aux réfugiés et aux apatrides du 24 septembre 2014 par une décision du 22 juillet 2015 ;
- la demande d'autorisation de séjour sur la base de l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 a été déclarée non fondée le 20 avril 2016 ;
- la demanderesse a introduit un recours contre cette décision auprès du conseil du contentieux des étrangers.
L'arrêt attaqué relève que :
- l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976 définit l'illégalité de séjour en ce qui concerne les étrangers qui ont sollicité l'asile, précisant que l'illégalité de séjour est acquise lorsque deux conditions sont rencontrées, d'une part, le rejet de la demande d'asile et, d'autre part, la notification d'un ordre de quitter le territoire susceptible d'être qualifié d'exécutoire ;
- la demanderesse a sollicité l'asile mais a vu cette demande rejetée par le conseil du contentieux des étrangers après qu'elle eut épuisé tous les recours qui lui étaient ouverts, un ordre de quitter le territoire exécutoire ayant été adopté à son égard le 13 octobre 2014.
Il décide que la demanderesse est en séjour illégal au regard de sa demande d'asile, aux motifs que :
- l'ordre de quitter le territoire n'a fait l'objet d'aucune annulation en raison de l'émission d'attestations d'immatriculation à l'égard de la demanderesse durant l'examen de sa demande d'autorisation de séjour sur la base de l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, depuis le moment où [cette demande] a été déclarée recevable jusqu'à la décision qui l’a dite non fondée ;
- l'article 52/3 de la loi du 15 décembre 1980 a pour effet de remettre l'ordre de quitter le territoire initial en vigueur ;
- durant l'examen de la demande d'autorisation de séjour fondée sur l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, à partir de la décision disant cette demande recevable, le demandeur se voit délivrer des attestations d'immatriculation jusqu'au moment où intervient une décision sur le fondement de sa demande ;
- durant cette période, l'ordre de quitter le territoire qui aurait été préalablement adopté à l'égard de l'intéressé voit ses effets suspendus mais il subsiste et reprend effet lorsque les attestations d'immatriculation cessent d'être accordées ;
- on ne peut proroger le délai d'un ordre de quitter le territoire qu'à la condition que celui-ci n'ait pas été retiré de l'ordonnancement juridique ;
- il faut dès lors considérer que le recours suspensif et la délivrance d'une annexe 35 ne font que suspendre l'ordre de quitter le territoire, qui reprend vigueur après que le délai de grâce octroyé par l'Office des étrangers suite à l'arrêt du conseil du contentieux des étrangers a expiré ;
- la demanderesse a bien introduit un recours contre la décision de refus de séjour sur la base de l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980, mais ce recours n'est pas suspensif.
Ce faisant, l'arrêt attaqué donne effet à l'ordre de quitter le territoire notifié à la demanderesse le 13 octobre 2014, alors que la délivrance d'attestations d'immatriculation suite à la déclaration de recevabilité de la procédure introduite par la demanderesse fondée sur l'article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 a impliqué le retrait implicite de cet ordre de quitter le territoire antérieur. L'arrêt n’a pu, dès lors, se fonder sur cet ordre de quitter le territoire pour décider que la demanderesse se trouve en séjour illégal durant la période litigieuse du 1er mai au 2 novembre 2016 et ne peut, en application de l'article 57, § 2, de la loi du 8 juillet 1976, obtenir une aide sociale autre que l'aide médicale urgente.
Cet arrêt n'est pas légalement justifié et viole :
- les articles 1er et 57, §§ 1er et 2, de la loi du 8 juillet 1976, en refusant le droit à l'aide sociale dont la demanderesse devait bénéficier en vertu de ces dispositions et en appliquant à tort la limitation prévue par l'article 57, § 2, de ladite loi ;
- les articles 9ter et 52/3 de la loi du 15 décembre 1980, et 7, alinéa 2, et 8 de l'arrêté royal du 17 mai 2007, en ne tenant pas compte de l'autorisation de séjour obtenue en vertu de ces dispositions durant la procédure introduite fondée sur ledit article 9ter.
En conclusion, l’arrêt ne déclare pas légalement l'appel de la demanderesse non fondé.
III. La décision de la Cour
L’article 57, § 2, alinéa 1er, 1°, de la loi du 8 juillet 1976 organique des centres publics d’action sociale limite à l’octroi de l’aide médicale urgente la mission du centre public d’action sociale à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le royaume.
L’alinéa 4 dispose qu’un étranger qui s’est déclaré réfugié et a demandé à être reconnu comme tel séjourne illégalement dans le royaume lorsque la demande d’asile a été rejetée et qu’un ordre de quitter le territoire lui a été notifié.
L’arrêt attaqué constate que la demanderesse, ressortissante de la République démocratique du Congo, est arrivée en Belgique et a introduit une demande d’asile le 19 août 2014 ; que cette demande a été rejetée le 24 septembre 2014 ; qu’un ordre de quitter le territoire a été adopté à son égard en octobre 2014 ; qu’elle a introduit le 19 janvier 2015 une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales, en raison d’une maladie telle qu'elle entraîne un risque réel pour la vie ou l’intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou dégradant lorsqu'il n'existe aucun traitement adéquat dans le pays d'origine ou dans le pays où l’étranger séjourne, sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers ; que cette demande a été déclarée recevable, le contrôle de la recevabilité portant sur les formes de la demande, l’identification de l’étranger, le certificat médical produit, la question de savoir si la maladie ne répond manifestement pas aux conditions légales et les éléments invoqués lors d’une demande précédente, conformément au paragraphe 3 de cet article 9ter ; que, à la suite de cette décision de recevabilité, une attestation d’immatriculation a été octroyée à la demanderesse en vertu de l’article 7 de l’arrêté royal du 17 mai 2007 fixant des modalités d'exécution de la loi du 15 septembre 2006 modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ; que le défendeur lui a octroyé une aide sociale financière et que l’Office des étrangers a rejeté la demande de séjour, de telle manière que l’attestation d’immatriculation a cessé de lui être octroyée le 20 avril 2016.
L’arrêt considère que « l’ordre de quitter le territoire [...] adopté [avant la demande d’autorisation de séjour fondée par la demanderesse sur l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980] [...] [a vu] ses effets suspendus […] à partir de la décision disant cette demande recevable [et de la délivrance] des attestations d’immatriculation jusqu’[à] la décision [disant cette demande non fondée] », mais que cet ordre de quitter le territoire a subsisté et a repris ses effets « lorsque les attestations d’immatriculation [ont cessé] d’être accordées », de sorte qu’elle est en séjour illégal au regard de sa demande d’asile, comme prévu à l’article 57, § 2, alinéa 4, de la loi du 8 juillet 1976.
Le moyen soutient que la délivrance d’une attestation d’immatriculation à celui qui demande le séjour pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 indique que ce demandeur est autorisé à séjourner, fût-ce de manière temporaire et précaire, et implique, dès lors, le retrait implicite de l’ordre de quitter le territoire antérieur.
Suivant l’article 6, paragraphe 1er, de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, en règle, les États membres prennent une décision de retour à l'encontre de tout ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire.
En vertu du paragraphe 4, à tout moment, les États membres peuvent décider d'accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables, humanitaires ou autres à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire et, dans ce cas, si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d'une autre autorisation conférant un droit de séjour.
L’article 8, paragraphe 1er, de cette directive, dispose que les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour.
Dans l’arrêt C-181/16, Gnandi, rendu le 19 juin 2018, la Cour de justice de l’Union européenne a constaté que l’ordre de quitter le territoire, donné par l’Office des étrangers de Belgique au ressortissant d’un pays tiers après le rejet de sa demande de protection internationale, constitue une décision de retour au sens de l’article 3, point 4, de la directive 2008/115/CE.
Dans l’arrêt C-601/15 PPU, J.N., rendu le 15 février 2016, la Cour de justice, dans le cadre de l’examen de la validité de l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, au regard des articles 6 et 52, paragraphes 1er et 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a souligné, s’agissant de l’indication de la juridiction de renvoi, le Conseil d’État des Pays-Bas, selon laquelle, en vertu de sa propre jurisprudence, l’introduction d’une demande d’asile par une personne faisant l’objet d’une procédure de retour a pour effet de rendre caduque de plein droit toute décision de retour qui aurait précédemment été adoptée dans le contexte de cette procédure, que l’effet utile de la directive 2008/115/CE exige qu’une procédure ouverte au titre de cette directive, dans le cadre de laquelle une décision de retour a été adoptée, puisse être reprise au stade où elle a été interrompue en raison du dépôt d’une demande de protection internationale dès que cette demande a été rejetée en première instance, qu’en effet, les États membres sont tenus de ne pas compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par cette dernière directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ; elle a ajouté qu’à cet égard, il résulte tant du devoir de loyauté des États membres, découlant de l’article 4, paragraphe 3, du Traité sur l’Union européenne que des exigences d’efficacité énoncées notamment au considérant 4 de la directive 2008/115/CE, que l’obligation imposée aux États membres par l’article 8 de cette directive de procéder, dans les hypothèses visées au paragraphe 1er de cet article, à l’éloignement doit être remplie dans les meilleurs délais ; que cette obligation ne serait pas respectée si l’éloignement se trouvait retardé en raison du fait que, après le rejet en première instance de la demande de protection internationale, une procédure telle que celle qui est décrite au point précédent doit être reprise non au stade où elle a été interrompue mais à son début.
Le moyen suppose l’interprétation des articles 6 et 8 de la directive 2008/115/CE.
Il y a lieu, avant de statuer, de poser à la Cour de justice de l’Union européenne la question libellée au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs,
La Cour
Sursoit à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne ait répondu à la question préjudicielle suivante :
Les articles 6 et 8 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier s’opposent-ils à la règle de droit interne selon laquelle la délivrance d’une autorisation conférant un droit de séjour dans le cadre de l’examen d’une demande d’autorisation de séjour pour des raisons médicales, considérée comme recevable compte tenu des critères ci-dessus précisés, indique que le ressortissant de pays tiers est autorisé à séjourner, fût-ce de manière temporaire et précaire, pendant l’examen de cette demande et que cette délivrance implique, dès lors, le retrait implicite de la décision de retour précédemment adoptée dans le contexte d’une procédure d’asile, avec laquelle elle est incompatible ?
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, président, les présidents de section Koen Mestdagh et Mireille Delange, les conseillers Antoine Lievens et Eric de Formanoir, et prononcé en audience publique du treize décembre deux mille vingt et un par le président de section Christian Storck, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 3f - troisième chambre
Numéro d'arrêt : S.17.0054.F
Date de la décision : 13/12/2021
Type d'affaire : Droit administratif - Droit de la sécurité sociale - Autres - Droit européen

Analyses

Lorsque devant la Cour se pose la question de savoir si les articles 6 et 8 de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier s’opposent à la règle de droit interne selon laquelle la délivrance d’une autorisation conférant un droit de séjour dans le cadre de l’examen d’une demande d’autorisation de séjour pour des raisons médicales, considérée comme recevable compte tenu des critères ci-dessus précisés, indique que le ressortissant de pays tiers est autorisé à séjourner, fût-ce de manière temporaire et précaire, pendant l’examen de cette demande et que cette délivrance implique, dès lors, le retrait implicite de la décision de retour précédemment adoptée dans le contexte d’une procédure d’asile, avec laquelle elle est incompatible, la Cour pose une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (1). (1) Voir les concl du MP.

ETRANGERS - AIDE SOCIALE (CENTRES PUBLICS D') - QUESTION PREJUDICIELLE - UNION EUROPEENNE - QUESTIONS PREJUDICIELLES [notice1]


Références :

[notice1]

Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour desressortissants de pays tiers en séjour irrégulier - 16-12-2008 - Art. 6, § 1er, 4 et 8, § 1er et 3, al. 1er, e) ;

L. du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers - 15-12-1980 - Art. 9ter - 30 / No pub 1980121550 ;

Loi organique du 8 juillet 1976 des centres publics d'aide sociale - 08-07-1976 - Art. 57, § 2, al. 1er, 1°, et al. 4 - 01 / No pub 1976070810


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : BODY LUTGARDE
Ministère public : INGHELS BENEDICTE
Assesseurs : MESTDAGH KOEN, DELANGE MIREILLE, LIEVENS ANTOINE, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-12-13;s.17.0054.f ?

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