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25/08/2021 | BELGIQUE | N°P.21.1089.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 août 2021, P.21.1089.F


N° P.21.1089.F
B. O.,
condamné, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Cohen, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 30 juillet 2021 par le tribunal de l'application des peines de Bruxelles.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Dirk Schoeters a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre

la décision de refus de la surveillance électronique et de la détention limitée :
Sur le moyen...

N° P.21.1089.F
B. O.,
condamné, détenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseil Maître Nicolas Cohen, avocat au barreau de Bruxelles.
I. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi est dirigé contre un jugement rendu le 30 juillet 2021 par le tribunal de l'application des peines de Bruxelles.
Le demandeur invoque un moyen dans un mémoire annexé au présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le conseiller Eric de Formanoir a fait rapport.
L'avocat général Dirk Schoeters a conclu.
II. LA DÉCISION DE LA COUR
A. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision de refus de la surveillance électronique et de la détention limitée :
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
1. Pris de la violation des articles 6.1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 149 de la Constitution, 47, § 1er, et 56, § 2, de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté, le moyen soutient que les motifs du jugement ne permettent pas de déterminer les raisons particulières qui ont conduit le tribunal à se départir de l'avis favorable du directeur de la prison quant à la demande d'octroi de la surveillance électronique ou de la détention limitée. Le moyen précise que, en présence d'un tel avis, les juges de l'application des peines ne pouvaient rejeter la demande sans l'écarter explicitement. Selon le demandeur, pour que l'exigence de motivation renforcée prévue par l'article 56, § 2, précité, soit concrète et effective, et non théorique et illusoire, il importe que le jugement fasse apparaître, sans aucun doute, que le tribunal a entendu s'écarter de l'avis favorable du directeur, ce qui, en l'espèce, n'est pas le cas.
2. L'article 56 de la loi du 17 mai 2006, tel que modifié par l'article 150 de la loi du 5 mai 2019 portant des dispositions diverses en matière pénale et en matière de cultes, et modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie et le Code pénal social, dispose en son deuxième paragraphe :
« Le tribunal de l'application des peines motive sa décision également avec des raisons particulières lorsque sa décision d'octroi ou de refus de la modalité d'exécution de la peine s'écarte de l'avis du directeur ou de l'avis du ministère public ou lorsque sa décision d'imposer ou non des conditions particulières conformément au paragraphe 1er, alinéa premier, s'écarte de l'avis du directeur ou de l'avis du ministère public. »
3. Les travaux préparatoires de la loi du 5 mai 2019 indiquent que le législateur a entendu intégrer dans l'article 56 de la loi du 17 mai 2006 une recommandation de la Commission d'enquête parlementaire chargée d'examiner les circonstances qui ont conduit aux attentats terroristes du 22 mars 2016 dans l'aéroport de Bruxelles-National et dans la station de métro Maelbeek à Bruxelles.
Cette recommandation énonce :
« Pour concilier l'exigence de lisibilité de la décision et le souci de ne pas alourdir à l'excès la tâche du tribunal de l'application des peines, la commission recommande que soit inscrite à l'article 56 de la loi :
- une obligation de motiver la décision d'octroyer ou de refuser la libération conditionnelle lorsqu'elle est contraire au dernier avis donné par le ministère public ;
- une obligation de motiver la décision en ce qu'elle soumet ou refuse de soumettre le condamné à des conditions particulières individualisées contre l'avis donné sur ce point par le directeur de la prison ou le ministère public. »

A l'appui de sa recommandation, la commission d'enquête a considéré : « Une décision qui octroie ou refuse une libération conditionnelle est importante pour le condamné, de même que pour la victime, qui est entendue sur les conditions particulières imposées dans son intérêt (article 35, §1er, de la loi), ainsi que pour la société, qui doit pouvoir en connaître et en comprendre les raisons. Or une telle décision est difficile à comprendre lorsqu'elle s'écarte des avis donnés au tribunal sans qu'elle s'en explique. Sa motivation est d'autant plus nécessaire que, dans l'état actuel du droit, elle ne peut faire l'objet d'un appel. »
4. Il résulte de l'article 56, § 2, de la loi du 17 mai 2006, lu à la lumière des travaux préparatoires de la loi du 5 mai 2019, que lorsque le tribunal de l'application des peines refuse la modalité de l'exécution de la peine, alors que le directeur ou le ministère public était d'avis qu'il y avait lieu de l'octroyer, ou lorsque le tribunal octroie la modalité, alors que le directeur ou le ministère public était d'avis qu'il y avait lieu de la refuser, le jugement doit comporter une motivation qui laisse apparaître les raisons particulières ayant conduit les juges à s'écarter de l'avis du directeur de la prison ou de l'avis du ministère public.
Il n'en résulte toutefois pas que le tribunal doive indiquer explicitement qu'il s'écarte de l'avis du directeur ou du ministère public, ni qu'il soit tenu de citer ou de résumer l'avis divergent et ensuite de le réfuter expressément. Les raisons particulières visées à l'article 56, § 2, de la loi du 17 mai 2006 peuvent ressortir des motifs que le jugement énonce pour refuser ou octroyer la modalité sollicitée.
Dans la mesure où il est fondé sur une autre interprétation de cette disposition, le moyen manque en droit.
5. Il ressort des pièces de la procédure que, le 27 avril 2021 et le 19 juillet 2021, le directeur de la prison a rendu des avis favorables à l'octroi de la surveillance électronique ou de la détention limitée qu'il a confirmés à l'audience du 22 juillet 2021.
6. Le jugement constate que le risque de réitération d'infractions graves ne peut, à ce jour, aucunement être écarté, ni être contenu par l'imposition de conditions particulières assortissant une mesure de surveillance électronique ou de détention limitée.
Les juges de l'application des peines ont constaté la permanence de ce risque, en tenant compte des fragilités prégnantes dans le chef du demandeur, de l'absence de signes sérieux de prise de conscience de l'extrême gravité des faits, des difficultés qui le mènent régulièrement à la récidive et de la gradation croissante de la violence. Le jugement considère que malgré les bonnes dispositions actuellement affichées par le condamné, la prudence et la progressivité s'imposent et qu'il importe que les congés pénitentiaires, qui en sont à leurs prémisses, se poursuivent durant une période significative, afin de vérifier si ces dispositions apparentes se maintiennent dans le temps.
Le tribunal a fondé cette appréciation sur la nature des faits visés par les condamnations. Les juges ont relevé qu'il s'agissait, notamment, d'actes de violences exercées à l'égard de ses compagnes, ainsi que de vols de type home-invasion commis au préjudice de deux familles, chaque fois en présence d'un enfant et caractérisés, dans le chef du demandeur, par des signes de violence ciblée, organisée et armée.
Les juges ont également souligné que les relations du demandeur avec ses trois compagnes étaient émaillées de conflits et, pour deux d'entre elles, de tensions suivies de violences, et que, s'agissant de la troisième compagne, les derniers faits graves commis en janvier 2020, au cours d'une permission de sortie, ont donné lieu le 21 juin 2021 à une condamnation non encore définitive à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement. Ils ont encore relevé que la situation est d'autant plus inquiétante que le demandeur réduit l'importance de ces faits, qui ont mis sa compagne en danger, à une dispute ordinaire.
Le jugement considère, au regard des actes relevés par les intervenants psycho-sociaux, que la relation du demandeur aux femmes nécessite une attention permanente, la décision faisant état, notamment, de violence survenant dans des moments de rupture et que le suivi psychologique, commencé en 2018, bien qu'il soit indiqué, n'a pas pu empêcher la survenance de nouveaux incidents en janvier 2020.
7. Par ces motifs, qui laissent apparaître les raisons particulières ayant conduit les juges à s'écarter de l'avis du directeur, le tribunal de l'application des peines a régulièrement motivé et légalement justifié sa décision.
A cet égard, le moyen ne peut être accueilli.
Quant à la seconde branche :
Pris de la violation des articles 21 et 22 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté, le moyen soutient que le tribunal de l'application des peines ne pouvait pas légalement justifier, par des motifs identiques, le refus de la surveillance électronique et celui de la détention limitée. Selon le demandeur, le tribunal ne peut refuser, par les mêmes motifs, des modalités aussi différentes, sauf s'il apparaît explicitement que c'est la mesure la plus restrictive de liberté, en l'espèce la détention limitée, qui a d'abord été refusée, et que la motivation de ce refus s'étend à la mesure offrant plus de liberté, en l'occurrence la surveillance électronique.
Le tribunal de l'application des peines détermine souverainement, dans les limites imparties par la loi, les contre-indications sur la base desquelles il accepte ou refuse l'octroi d'une modalité d'exécution de la peine, notamment le risque de perpétration de nouvelles infractions graves.
Aucune disposition légale n'interdit aux juges de l'application des peines de considérer, en fonction des circonstances propres de la cause, qu'une contre-indication déterminée, comme le risque de perpétration de nouvelles infractions graves, et les motifs qui en justifient l'existence, constituent dans le chef du condamné un obstacle à l'octroi de deux modalités d'exécution différentes, et que, dans les deux cas, la fixation de conditions particulières ne permettra pas, en l'espèce, de répondre à cette contre-indication.
Entièrement fondé sur une autre prémisse juridique, le moyen manque en droit.
Le contrôle d'office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été observées et la décision est conforme à la loi.
B. En tant que le pourvoi est dirigé contre la décision de refus d'un congé pénitentiaire et d'une détention limitée en application de l'article 59 de la loi du 17 mai 2006 :
Le demandeur se désiste de son pourvoi.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Décrète le désistement du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la décision de refus d'un congé pénitentiaire et d'une détention limitée en application de l'article 59 de la loi du 17 mai 2006 relative au statut juridique externe des personnes condamnées à une peine privative de liberté ;
Rejette le pourvoi pour le surplus ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de six euros onze centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, chambre des vacations, à Bruxelles, où siégeaient Erwin Francis, conseiller faisant fonction de président, Marie-Claire Ernotte, Eric de Formanoir, Ilse Couwenberg et Sven Mosselmans, conseillers, et prononcé en audience publique du vingt-cinq août deux mille vingt et un par Erwin Francis, conseiller faisant fonction de président, en présence de Dirk Schoeters, avocat général, avec l'assistance de Lutgarde Body, greffier.


Synthèse
Formation : Chambre vac - chambre des vacations
Numéro d'arrêt : P.21.1089.F
Date de la décision : 25/08/2021
Type d'affaire : Droit pénal - Autres

Analyses

Il résulte de l’article 56, § 2, de la loi du 17 mai 2006, lu à la lumière des travaux préparatoires de la loi du 5 mai 2019 (1), , que lorsque le tribunal de l’application des peines refuse la modalité de l’exécution de la peine, alors que le directeur ou le ministère public était d’avis qu’il y avait lieu de l’octroyer, ou lorsque le tribunal octroie la modalité, alors que le directeur ou le ministère public était d’avis qu’il y avait lieu de la refuser, le jugement doit comporter une motivation qui laisse apparaître les raisons particulières ayant conduit les juges à s’écarter de l’avis du directeur de la prison ou de l’avis du ministère public (2). (1) Proposition de loi portant des dispositions diverses en matière pénale et de cultes, Doc. Ch. 2018-2019, n° 54-3515/1, pp. 243-244. (2) Cass. 28 juillet 2021 (vac.), RG P.21.0890.F, Pas. 2021, n° 500, www.juportal.be; Cass. 23 juin 2020, RG P.20.0612.N, Pas. 2020, n° 443, www.juportal.be; il n’en résulte toutefois pas que le tribunal doive indiquer explicitement qu’il s’écarte de l’avis du directeur ou du ministère public, ni qu’il soit tenu de citer ou de résumer l’avis divergent et ensuite de le réfuter expressément; les raisons particulières visées à l’article 56, § 2, de la loi du 17 mai 2006 peuvent ressortir des motifs que le jugement énonce pour refuser ou octroyer la modalité sollicitée.

APPLICATION DES PEINES

Aucune disposition légale n’interdit aux juges de l’application des peines de considérer, en fonction des circonstances propres de la cause, qu’une contre-indication déterminée, comme le risque de perpétration de nouvelles infractions graves, et les motifs qui en justifient l’existence, constituent dans le chef du condamné un obstacle à l’octroi de deux modalités d’exécution différentes, et que, dans les deux cas, la fixation de conditions particulières ne permettra pas, en l’espèce, de répondre à cette contre-indication (1). (1) Voy. Cass. 10 octobre 2007, RG P.07.1362.F, Pas. 2007, n° 474; M.-A. BEERNAERT, H. BOSLY en D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, La Charte, 2021, 9° ed., II, p. 2006.

APPLICATION DES PEINES


Composition du Tribunal
Président : FRANCIS ERWIN
Greffier : BODY LUTGARDE
Ministère public : SCHOETERS DIRK
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, DE FORMANOIR DE LA CAZERIE ERIC, COUWENBERG ILSE, MOSSELMANS SVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-08-25;p.21.1089.f ?

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