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25/03/2021 | BELGIQUE | N°C.19.0021.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 25 mars 2021, C.19.0021.F


N° C.19.0021.F
1. BNP PARIBAS FORTIS, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, Montagne du Parc, 3,
2. ING BELGIQUE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, avenue Marnix, 24,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
1. CATERPILLAR, société de droit suisse, dont le siège est établi à Genève (Suisse), route de Frontenex, 76,
2. CATERPILLAR MATÉRIELS R

OUTIERS, société de droit français, dont le siège est établi à Rantigny (France), avenue Jean Jau...

N° C.19.0021.F
1. BNP PARIBAS FORTIS, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, Montagne du Parc, 3,
2. ING BELGIQUE, société anonyme, dont le siège est établi à Bruxelles, avenue Marnix, 24,
demanderesses en cassation,
représentées par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
1. CATERPILLAR, société de droit suisse, dont le siège est établi à Genève (Suisse), route de Frontenex, 76,
2. CATERPILLAR MATÉRIELS ROUTIERS, société de droit français, dont le siège est établi à Rantigny (France), avenue Jean Jaurès, 21 BP 2,
3. CATERPILLAR FRANCE, société de droit français, dont le siège est établi à Grenoble (France), avenue Léon Blum, 40 BP 55,
4. CATERPILLAR, société de droit américain, dont le siège est établi à Peoria (Illinois - États-Unis d'Amérique), North East Adams Street, 100,
5. CATERPILLAR GROUP SERVICES, société anonyme, dont le siège est établi à Braine-l'Alleud, avenue de Finlande, 8,
défenderesses en cassation,
représentées par Maître Ann Frédérique Belle, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 453, où il est fait élection de domicile,
en présence de
Alain FIASSE, avocat, curateur à la faillite de la société anonyme Decto Fleurus et à la faillite de la société anonyme Decto II,
partie appelée en déclaration d'arrêt commun.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 30 juillet 2018 par la cour d'appel de Bruxelles.
Le conseiller Marie-Claire Ernotte a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, les demanderesses présentent six moyens.
III. La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
En vertu de l'article 17 du Code judiciaire, l'action ne peut être admise si le demandeur n'a pas qualité pour la former.
La mission générale du curateur est de réaliser l'actif de la faillite et de distribuer les deniers qui proviendraient de la réalisation de cet actif.
Le curateur a seul qualité pour agir en justice au nom de la masse et exercer les droits qui sont communs à l'ensemble des créanciers.
Il s'ensuit qu'un créancier n'a qualité pour agir en justice que s'il peut se prévaloir d'un préjudice individuel.
Si l'examen de l'existence et de l'étendue du préjudice relève du fondement de l'action, l'appréciation du caractère individuel de celui-ci détermine la qualité à agir du créancier, partant, relève de la recevabilité.
Le moyen, qui est fondé sur le soutènement contraire, manque en droit.
Sur le deuxième moyen :
Les considérations vainement critiquées par le premier moyen suffisent à fonder la décision de l'arrêt que les demanderesses « ne justifient pas d'un préjudice individuel » en ce qui concerne la convention de rachat de stock du 12 novembre 2008 et la compensation de 1.270.495,59 euros.
Dirigé contre la considération surabondante que « l'opération se révèle neutre pour la consistance du gage », le moyen, qui ne saurait entraîner la cassation, est dénué d'intérêt, partant, irrecevable.
Sur le troisième moyen :
Il ne ressort pas des conclusions des demanderesses que celles-ci soutenaient que les défenderesses étaient tiers complices de la violation par la société Decto de son engagement souscrit dans la lettre de crédit du 24 décembre 2007 d'affecter les fonds provenant de la vente du stock de tôles Doosan à la réduction de ses crédits.
Le moyen, qui est fondé sur l'hypothèse contraire, manque en fait.
Sur le sixième moyen :
Quant aux quatre branches réunies :
1. Aux termes de l'article 16, alinéa 1er, de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, applicable au litige, le failli est, à compter du jour du jugement déclaratif de la faillite, dessaisi de plein droit de l'administration de tous ses biens, même de ceux qui peuvent lui échoir tant qu'il est en état de faillite ; tous paiements, opérations et actes faits par le failli, et tous paiements faits au failli depuis ce jour sont inopposables à la masse.
En vertu de l'article 62 de cette loi, pour participer à une répartition ou pour exercer personnellement un droit de préférence quelconque, les créanciers sont tenus de déposer au greffe du tribunal de commerce la déclaration de leurs créances avec leurs titres et, conformément à l'article 63 de la même loi, la déclaration de chaque créancier énonce le montant et les causes de sa créance, les privilèges, hypothèques ou gages qui y sont affectés et le titre d'où elle résulte, faute de quoi les curateurs peuvent rejeter la créance ou la considérer comme chirographaire.
Suivant l'article 72 de la loi, à défaut de déclaration et d'affirmation de leurs créances, les défaillants connus ou inconnus ne sont pas compris dans les répartitions.
Il suit de la combinaison de ces dispositions que le dessaisissement frappe l'ensemble des biens du failli qui constituent une masse dont le curateur a la gestion et que les biens grevés d'une sûreté spéciale font partie de cette masse.
2. Ainsi qu'il a été dit, la mission générale du curateur est de réaliser l'actif du failli et de distribuer les deniers qui proviendraient de la réalisation de cet actif.
Lorsque le curateur agit en justice au nom de la masse, il exerce les droits qui sont communs à l'ensemble des créanciers.
Les droits communs à l'ensemble des créanciers sont les droits résultant de dommages causés par la faute de toute personne qui a eu pour effet d'aggraver le passif de la faillite ou d'en diminuer l'actif. En raison du dommage qui est ainsi causé à la masse des biens et droits qui constituent le gage commun des créanciers, cette faute est la cause d'un préjudice collectif pour ces créanciers et elle porte atteinte aux droits que ceux-ci, eu égard à leur nature, ont en commun.
Il s'ensuit que l'action en inopposabilité de l'acte ayant pour effet de soustraire à l'actif de la faillite un bien grevé d'une sûreté spéciale ou l'action en réparation de l'atteinte résultant de l'absence, dans l'actif de la faillite, d'un tel bien, ne vise pas l'indemnisation d'un préjudice propre au créancier privilégié, mais celle d'un dommage causé à la masse des biens.
Le curateur a, partant, seul qualité pour l'intenter.
Le moyen, qui, en chacune de ses branches, est fondé sur le soutènement contraire, manque en droit.
Sur le quatrième moyen :
L'arrêt constate qu'en exécution de la « convention de compensation et de consignation d'acier » conclue le 12 novembre 2008 entre la première défenderesse et la société Decto, diverses compensations ont été opérées et que, « le 17 mai 2010, [la première défenderesse] paie, entre les mains du conseil des banques, sous toutes réserves [...], 829.634,55 euros, étant le solde après compensation entre des factures émises par la société Decto pour 2.424.776,16 euros et des factures émises par [la première défenderesse] pour un montant de 1.595.141,61 euros, ces factures [étant] pour partie (pour 859.155,22 euros selon les banques) postérieures au dépôt de la requête en réorganisation judiciaire ».
L'arrêt relève aussi que, dans le cadre de la procédure de réorganisation judiciaire de la société Decto, « par jugement du 30 novembre 2009, le tribunal de commerce de Charleroi fait droit à la demande [du mandataire de justice] de se voir autoriser à procéder à la vente des actifs mobiliers et immobiliers de la société Decto au profit de la société FLP », jugement confirmé par la cour d'appel de Mons le 22 mars 2010, et que la société Decto a été déclarée en faillite par jugement du 14 juin 2010.
Il ressort de ces constatations que les créances de la société Decto faisant l'objet de la compensation critiquée par les demanderesses ne font pas partie des actifs cédés par la société Decto à la société FLP dans le cadre du transfert sous autorité de justice.
Le moyen, qui critique la considération de l'arrêt que, pour l'appréciation de l'existence d'un préjudice collectif ou individuel, il n'y a pas lieu d'avoir égard au fait que les actifs de la société Decto ont été transférés avant le jugement déclaratif de faillite, ne saurait entraîner la cassation, partant, dénué d'intérêt, est irrecevable.
Sur le cinquième moyen :
Aux termes de l'article 2073 de l'ancien Code civil, applicable au litige, le gage confère au créancier le droit de se faire payer sur la chose qui en est l'objet par privilège et préférence aux autres créanciers.
Conformément à l'article 2079 de ce code, jusqu'à l'expropriation du débiteur, s'il y a lieu, il reste propriétaire du gage, qui n'est, dans la main du créancier, qu'un dépôt assurant le privilège de celui-ci.
Il s'ensuit que la créance dont le débiteur est titulaire sur un tiers et qu'il affecte en gage au profit de son créancier continue à faire partie de son patrimoine, lors même que ce tiers devrait à l'échéance payer directement au créancier gagiste.
Dans la mesure où il revient à soutenir le contraire, le moyen manque en droit.
Pour le surplus, l'arrêt constate que, lors de la notification réalisée le 26 juin 2009, la première demanderesse a « indiqué à [la première défenderesse] que les cessions de créances avaient été faites ‘à titre de garantie' » et relève qu'« il y a lieu de se référer à l'article 49 de son règlement général des opérations [qui prévoit que], ‘à la garantie du remboursement de toutes sommes dont il pourrait être redevable à [la première demanderesse], le client cède à [celle-ci] toutes les créances qu'il possède ou possédera à charge de tous [et qu'] en cas d'inexécution par le client d'une quelconque de ses obligations envers [la première demanderesse], celle-ci pourra [...] procéder aux frais du client à la notification ou la signification de la cession [...] aux débiteurs des créances cédées, lesquels ne pourraient dès ce moment se libérer valablement qu'entre les mains de [la première demanderesse]' ».
L'arrêt considère que, si « les cessions de créances ont été rendues opposables à [la première défenderesse], il s'agit toutefois [...] d'une cession de créances qui était seulement consentie à titre de garantie en faveur des banques en vue de la réalisation de leurs droits en leur qualité de créancier gagiste ».
Dans la mesure où il repose sur l'hypothèse de cessions de créances pures et simples, le moyen manque en fait.
Enfin, le moyen ne précise pas en quoi l'arrêt viole les autres dispositions légales qu'il mentionne.
Dans cette mesure, il est irrecevable.
Et le rejet du pourvoi prive d'intérêt la demande en déclaration d'arrêt commun.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d'arrêt commun ;
Condamne les demanderesses aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de deux mille quatre cent nonante-quatre euros quarante-neuf centimes envers les parties demanderesses, y compris la contribution au fonds budgétaire relatif à l'aide juridique de deuxième ligne, limitée à vingt euros.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel, Frédéric Lugentz et Marielle Moris, et prononcé en audience publique du vingt-cinq mars deux mille vingt et un par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Thierry Werquin, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.19.0021.F
Date de la décision : 25/03/2021
Type d'affaire : Droit de l'insolvabilité - Autres - Droit civil

Analyses

La mission générale du curateur est de réaliser l'actif de la faillite et de distribuer les deniers qui proviendraient de la réalisation de cet actif (1). (1) Cass. 2 octobre 2014, RG C.13.0288.F, Pas. 2014, n° 570, avec concl. MP ; Cass. 6 décembre 2012, RG C.11.0654.F, Pas. 2011, n° 671, avec concl. de M. Génicot, avocat général ; L. du 8 août 1997, avant sa modif. par la loi du 11 août 2017.

FAILLITE ET CONCORDATS - EFFETS (PERSONNES, BIENS, OBLIGATIONS) [notice1]

Le curateur a seul qualité pour agir en justice au nom de la masse et exercer les droits qui sont communs à l'ensemble des créanciers; il s'ensuit qu'un créancier n'a qualité pour agir en justice que s'il peut se prévaloir d'un préjudice individuel (1). (1) Voir Cass. 2 octobre 2014, RG C.13.0288.F, Pas. 2014, n° 570, avec concl. MP.

FAILLITE ET CONCORDATS - PROCEDURE - DEMANDE EN JUSTICE [notice2]

Si l'examen de l'existence et de l'étendue du préjudice relève du fondement de l'action, l'appréciation du caractère individuel de celui-ci détermine la qualité à agir du créancier, partant, relève de la recevabilité (1). (1) Voir Cass.17 janvier 2008, RG F.06.0079.N, Pas. 2008, n° 33.

FAILLITE ET CONCORDATS - PROCEDURE - DEMANDE EN JUSTICE [notice4]

Il suit de la combinaison des articles 16, alinéa 1er, 62 et 72 de la loi du 8 août 1997 que le dessaisissement frappe l'ensemble des biens du failli qui constituent une masse dont le curateur a la gestion et que les biens grevés d'une sûreté spéciale font partie de cette masse (1). (1) L. du 8 août 1997, avant sa modif. par la loi du 11 août 2017.

FAILLITE ET CONCORDATS - EFFETS (PERSONNES, BIENS, OBLIGATIONS) [notice6]

Les droits communs à l'ensemble des créanciers sont les droits résultant de dommages causés par la faute de toute personne qui a eu pour effet d'aggraver le passif de la faillite ou d'en diminuer l'actif; en raison du dommage qui est ainsi causé à la masse des biens et droits qui constituent le gage commun des créanciers, cette faute est la cause d'un préjudice collectif pour ces créanciers et elle porte atteinte aux droits que ceux-ci, eu égard à leur nature, ont en commun (1). (1) L. du 8 août 1997, avant sa modif. par la loi du 11 août 2017.

FAILLITE ET CONCORDATS - EFFETS (PERSONNES, BIENS, OBLIGATIONS) - DEMANDE EN JUSTICE [notice7]

L'action en inopposabilité de l'acte ayant pour effet de soustraire à l'actif de la faillite un bien grevé d'une sûreté spéciale ou l'action en réparation de l'atteinte résultant de l'absence, dans l'actif de la faillite, d'un tel bien, ne vise pas l'indemnisation d'un préjudice propre au créancier privilégié, mais celle d'un dommage causé à la masse des biens; le curateur a, partant, seul qualité pour l'intenter (1). (1) L. du 8 août 1997, avant sa modif. par la loi du 11 août 2017.

FAILLITE ET CONCORDATS - EFFETS (PERSONNES, BIENS, OBLIGATIONS) - DEMANDE EN JUSTICE [notice9]

La créance dont le débiteur est titulaire sur un tiers et qu'il affecte en gage au profit de son créancier continue à faire partie de son patrimoine, lors même que ce tiers devrait à l'échéance payer directement au créancier gagiste.

FAILLITE ET CONCORDATS - EFFETS (PERSONNES, BIENS, OBLIGATIONS) - GAGE [notice11]


Références :

[notice1]

Loi - 08-08-1997 - Art. 16 à 20, 26, 40, 49, 51, 57, 75 et 99 - 80 / No pub 1997009766

[notice2]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 17 - 01 / No pub 1967101052 ;

Loi - 08-08-1997 - Art. 16 à 20, 26, 40, 49, 51, 57, 75 et 99 - 80 / No pub 1997009766

[notice4]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 17 - 01 / No pub 1967101052 ;

Loi - 08-08-1997 - Art. 16 à 20, 26, 40, 49, 51, 57, 75 et 99 - 80 / No pub 1997009766

[notice6]

Loi - 08-08-1997 - Art. 16, al. 1er, 62, et 72 - 80 / No pub 1997009766

[notice7]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 17 - 01 / No pub 1967101052 ;

Loi - 08-08-1997 - Art. 16 à 20, 26, 40, 49, 51, 57, 75 et 99 - 80 / No pub 1997009766

[notice9]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 17 - 01 / No pub 1967101052 ;

Loi - 08-08-1997 - Art. 16 à 20, 26, 40, 49, 51, 57, 75 et 99 - 80 / No pub 1997009766

[notice11]

ancien Code Civil - 21-03-1804 - Art. 2073 et 2079 - 30 / No pub 1804032150


Composition du Tribunal
Président : STORCK CHRISTIAN
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : WERQUIN THIERRY
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, GEUBEL SABINE, LUGENTZ FREDERIC, MORIS MARIELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-03-25;c.19.0021.f ?

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