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15/03/2021 | BELGIQUE | N°C.20.0458.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 15 mars 2021, C.20.0458.F


N° C.20.0458.F
G. R., société à responsabilité limitée,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
M. M.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l

e jugement rendu le 13 mai 2020 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d’a...

N° C.20.0458.F
G. R., société à responsabilité limitée,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile,
contre
M. M.,
défendeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 250, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre le jugement rendu le 13 mai 2020 par le tribunal de première instance du Hainaut, statuant en degré d’appel.
Le 25 février 2021, l’avocat général Bénédicte Inghels a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 25 février 2021, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Michel Lemal a fait rapport et l’avocat général
Bénédicte Inghels a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.
III. La décision de la Cour
Sur le moyen :
Quant à la première branche :
En vertu de l'article 13, alinéa 1er, de la loi du 30 avril 1951 sur les baux commerciaux, le droit du preneur au renouvellement de son bail est limité à trois renouvellements.
L’épuisement du droit du preneur de demander le renouvellement du bail n’exclut pas qu’une prorogation puisse lui être consentie. Une telle prorogation exige un nouveau consentement des parties.
L’indemnité d’éviction à laquelle le preneur a droit sur la base de l’article 25 de cette loi suppose que le preneur dispose du droit de solliciter le renouvellement de son bail.
S’il suit du rapprochement de ces dispositions que, lorsque le preneur ne dispose plus du droit de solliciter le renouvellement de son bail et qu’aucune prorogation ne lui a été consentie, le bailleur peut évincer ce preneur sans devoir lui payer l’indemnité prévue à l’article 25, il ne s’ensuit pas que le bailleur dispose du droit de s’approprier le fonds de commerce exploité par le preneur dans les lieux loués.
Par ailleurs, la circonstance que le preneur ne puisse bénéficier de l’indemnité d’éviction prévue par l’article 25 précité n’exclut pas que le preneur puisse réclamer la réparation du dommage causé par une faute du bailleur sur la base du droit commun.
Le jugement attaqué constate que, le 1er juin 2011, le bailleur principal et la demanderesse, locataire principale, ont signé un « nouveau bail [qui] prenait place de l’ancien bail principal et permettait à [la demanderesse] de remettre à zéro les compteurs de la durée du bail commercial » et que la demanderesse « est une société dont l’activité ne consiste pas à exploiter elle-même mais à sous-louer des emplacements commerciaux à des tiers à qui elle impose une obligation de brasserie » à son profit mais également une « obligation de ‘jeux’ au profit du groupe […] dont fait partie le bailleur [principal] ».
Il considère que, « dans la mesure où [la demanderesse] n’exploite pas elle-même le débit de boisson exploité et propriété [du défendeur, le sous-locataire], il apparaît […] que son intérêt n’était nullement de voir [le défendeur] cesser ses activités ni de voir en conséquence le bail subir une fin anticipée par l’expiration de son terme alors que [la demanderesse] avait obtenu du bailleur [principal] que les compteurs soient remis à zéro sur le plan de la durée », qu’ « il ne se comprend dès lors pas qu’elle n’ait pas veillé à convenir avec [le défendeur] d’un nouveau bail, à l’image de ce qu’elle avait obtenu de la part [du bailleur principal] et alors que le bail conclu avec ce dernier lui imposait de faire conclure par le sous-locataire une convention avec [le groupe auquel appartient le bailleur principal] dont la durée soit équivalente à celle du bail, y compris les renouvellements éventuels » et que la demanderesse « avait d’autant moins de motif de ne pas poursuivre avec [le défendeur] que celui-ci avait proposé […] une augmentation du loyer [et] une indemnité en contrepartie de la conclusion d’un nouveau bail ».
Il énonce que « le contrat de bail conclu avec l’exploitant actuel », « signé le 2 mai 2018, a pris cours le 1er mai 2018, soit le lendemain de la remise des clefs par [le défendeur] dans le cadre de l’exécution provisoire du jugement [entrepris] mise en œuvre par [la demanderesse] », qu’ « il n’y a donc pas eu d’interruption de la sous-location, [le défendeur] étant immédiatement remplacé par un autre sous-locataire », que « le loyer est […] moindre que celui que [le défendeur] avait offert de payer dans le cadre d’un nouveau contrat de bail, en plus d’une rémunération ‘indemnitaire’ pour la conclusion d’un nouveau contrat », que la demanderesse « a donc préféré voir partir [le défendeur] alors qu’il lui proposait un loyer plus élevé et un pas de porte » et que la demanderesse « prétend dans ce [contrat] qu’elle est propriétaire du fonds de commerce » alors qu’il résulte des éléments cités par ce jugement que « ce fonds de commerce appartenait [au défendeur] ».
Il en déduit que « le seul motif crédible pour lequel [la demanderesse] a refusé l’offre [du défendeur] était […] qu’elle entendait s’approprier le fonds de commerce pour en bénéficier pour les dizaines d’années à venir » et qu’ « en refusant [au défendeur] – dont elle ne pouvait pas prouver les manquements contractuels – de conclure un nouveau bail », la demanderesse « a agi dans l’intention exclusive de nuire [au défendeur], cette intention étant de s’approprier son fonds de commerce sans bourse délier et, sans intérêt ou motif légitime ou sans intérêt raisonnable ou suffisant, en causant un préjudice [au défendeur] ».
Sur la base de ces motifs, dont il suit qu’aux yeux du tribunal, la demanderesse a agi dans la seule intention, non de bénéficier de l’application des articles 13, 14, 25 à 31 de la loi sur les baux commerciaux, mais de nuire au défendeur en s’appropriant de manière illégitime son fonds de commerce sans bourse délier, le jugement attaqué a pu légalement considérer que, ce faisant, la demanderesse a commis un abus de droit et décider, à défaut de pouvoir ordonner la conclusion d’un nouveau bail, de sanctionner cet abus par l’allocation de dommages et intérêts réparant la perte du fonds de commerce subie par le défendeur.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la deuxième et à la quatrième branche :
Ainsi qu’il a été dit en réponse à la première branche du moyen, le bailleur ne dispose pas du droit de s’approprier le fonds de commerce exploité par le preneur dans les lieux loués à l’expiration du bail.
Le moyen, qui, en ces branches, repose tout entier sur la considération qu’en cas de conclusion d’un nouveau bail, la question de l’appropriation de celui-ci par le bailleur à l’échéance se serait posée à nouveau et le but du bailleur de s’approprier gratuitement ledit fonds de commerce se reproduirait nécessairement à cette échéance, manque en droit.
Quant à la troisième branche :
Le jugement attaqué considère que, « certes, [le défendeur] n’avait pas, en théorie, un droit acquis à poursuivre le bail », que, « toutefois, dans les circonstances particulières de l’espèce, [la demanderesse] – qui n’entendait pas exploiter elle-même le débit de boisson – avait la possibilité, soit de conclure un nouveau bail de sous-location avec lui, aux conditions proposées par lui ou à convenir, soit de conclure un nouveau bail de sous-location avec un tiers » et qu’ « elle a choisi de ne pas donner suite à la proposition [du défendeur] et de privilégier un autre sous-locataire qui, sur le papier, présentait moins d’intérêt et ce dans le but illégitime (et en toute hypothèse totalement déraisonnable et insuffisant) de s’approprier gratuitement le fonds de commerce que [le défendeur] exploitait dans les lieux et qu’il avait développé depuis plusieurs années, causant ainsi à ce dernier un préjudice correspondant à la perte de son fonds de commerce ».
Par ces considérations, le jugement attaqué répond aux conclusions de la demanderesse faisant valoir qu’accueillir la demande du défendeur conduirait à lui infliger des obligations perpétuelles en leur opposant que, dans la mesure où elle n’entendait pas exploiter elle-même le débit de boisson, elle n’avait d’autre choix que celui de conclure un nouveau bail de sous-location, soit avec le défendeur, soit avec un tiers et que le choix qu’elle avait posé l’avait été uniquement dans l’intention de nuire au défendeur en s’appropriant gratuitement son fonds de commerce.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
Quant à la cinquième branche :
Les présomptions constituent un mode de preuve d’un fait inconnu.
Les articles 1349 et 1353 de l’ancien Code civil, qui règlent ce mode de preuve, sont étrangers à l’appréciation que le juge porte, au départ des faits qui lui sont soumis, sur l’existence d’un abus de droit fondé sur une intention de nuire.
Le moyen, en cette branche, est, comme le soutient le défendeur, irrecevable.
Quant à la sixième branche :
La décision du jugement attaqué, vainement critiquée par les autres branches du moyen, que la demanderesse a agi dans l’intention exclusive de nuire au défendeur en s’appropriant de manière illégitime son fonds de commerce sans bourse délier suffit à fonder sa décision qu’elle a commis un abus de droit en refusant de contracter un nouveau bail avec lui.
Dirigé contre la considération surabondante que chacune des hypothèses d’abus de droit autres que l’intention exclusive de nuire « vaut pour elle-même et est suffisante à justifier l’abus de droit », le moyen, qui, en cette branche, ne saurait entraîner la cassation, est dénué d’intérêt, partant, irrecevable.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne la demanderesse aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de neuf cent septante et un euros quarante-quatre centimes envers la partie demanderesse, y compris la somme de vingt euros au profit du fonds budgétaire relatif à l’aide juridique de deuxième ligne, et à la somme de six cent cinquante euros due à l’État au titre de mise au rôle.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Mireille Delange, les conseillers Michel Lemal,
Marie-Claire Ernotte, Sabine Geubel et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du quinze mars deux mille vingt et un par le président de section Mireille Delange, en présence de l’avocat général Bénédicte Inghels, avec l’assistance du greffier Lutgarde Body.


Synthèse
Formation : Chambre 3f - troisième chambre
Numéro d'arrêt : C.20.0458.F
Date de la décision : 15/03/2021
Type d'affaire : Droit civil - Autres

Analyses

L'épuisement du droit du preneur de demander le renouvellement du bail n'exclut pas qu'une prorogation puisse lui être consentie; une telle prorogation exige un nouveau consentement des parties (1). (1) Voir les concl. du MP.

LOUAGE DE CHOSES - BAIL COMMERCIAL - Fin (Congé. Renouvellement. Etc) - Epuisement du droit du preneur de demander le renouvellement du bail - Prorogation du bail - Condition [notice1]

L'indemnité d'éviction à laquelle le preneur a droit sur la base de l'article 25 de la loi du 30 avril 1951 suppose que le preneur dispose du droit de solliciter le renouvellement de son bail (1). (1) Voir les concl. du MP.

LOUAGE DE CHOSES - BAIL COMMERCIAL - Fin (Congé. Renouvellement. Etc) - Indemnité d'éviction - Condition [notice2]

S'il peut évincer le preneur sans devoir lui payer une indemnité d'éviction lorsque celui-ci ne dispose plus du droit de solliciter le renouvellement de son bail et qu'aucune prorogation ne lui a été consentie, le bailleur ne dispose pas du droit de s'approprier le fonds de commerce exploité par le preneur dans les lieux loués (1). (1) Voir les concl. du MP.

LOUAGE DE CHOSES - BAIL COMMERCIAL - Fin (Congé. Renouvellement. Etc) - Epuisement du droit du preneur de demander le renouvellement du bail - Pas de prorogation du bail - Conséquence pour le preneur - Sort du fonds de commerce exploité par le preneur [notice3]

La circonstance que le preneur ne puisse bénéficier d'une indemnité d'éviction n'exclut pas que le preneur puisse réclamer la réparation du dommage causé par une faute du bailleur sur la base du droit commun (1). (1) Voir les concl. du MP.

LOUAGE DE CHOSES - BAIL COMMERCIAL - Fin (Congé. Renouvellement. Etc) - Pas de droit à une indemnité d'éviction - Faute du bailleur - Conséquence - PRINCIPES GENERAUX DU DROIT - Principe général du droit qui prohibe l'abus de droit - Louage de choses - Bail commercial - Fin (Congé. Renouvellement. Etc) - Pas de droit à une indemnité d'éviction - Faute du bailleur - Conséquence - ABUS DE DROIT [notice4]


Références :

[notice1]

L. du 30 avril 1951 CODE CIVIL. - LIVRE III - TITRE VIII - CHAPITRE II, Section 2bis : Des règles particulières aux baux commerciaux - 30-04-1951 - Art. 13, al. 1er - 30 / No pub 1951043003

[notice2]

L. du 30 avril 1951 CODE CIVIL. - LIVRE III - TITRE VIII - CHAPITRE II, Section 2bis : Des règles particulières aux baux commerciaux - 30-04-1951 - Art. 25 - 30 / No pub 1951043003

[notice3]

L. du 30 avril 1951 CODE CIVIL. - LIVRE III - TITRE VIII - CHAPITRE II, Section 2bis : Des règles particulières aux baux commerciaux - 30-04-1951 - Art. 13, al. 1er, et 25 - 30 / No pub 1951043003

[notice4]

Principe général du droit qui prohibe l'abus de droit ;

Principe général du droit relatif à l'abus de droit


Composition du Tribunal
Président : DELANGE MIREILLE
Greffier : BODY LUTGARDE
Ministère public : INGHELS BENEDICTE
Assesseurs : ERNOTTE MARIE-CLAIRE, GEUBEL SABINE, JACQUEMIN ARIANE, LEMAL MICHEL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2021-03-15;c.20.0458.f ?

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