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17/12/2020 | BELGIQUE | N°C.19.0374.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 17 décembre 2020, C.19.0374.F


N° C.19.0374.F
DELTAFIN, société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Tournai, rue Beyaert, 75, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0894.657.031,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Werner Derijcke, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile,
contre
1. J.-M. D., et
2. C. V. O.,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun,
3. C. D.,
défendeur en cassation,<

br>représentés par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi ...

N° C.19.0374.F
DELTAFIN, société à responsabilité limitée, dont le siège est établi à Tournai, rue Beyaert, 75, inscrite à la banque-carrefour des entreprises sous le numéro 0894.657.031,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Werner Derijcke, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 65, où il est fait élection de domicile,
contre
1. J.-M. D., et
2. C. V. O.,
défendeurs en cassation ou, à tout le moins, parties appelées en déclaration d'arrêt commun,
3. C. D.,
défendeur en cassation,
représentés par Maître Michèle Grégoire, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue de la Régence, 4, où il est fait élection de domicile.
I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 14 mars 2017 par la cour d'appel de Liège.
Le 1er décembre 2020, l'avocat général Thierry Werquin a déposé des conclusions au greffe.
Le président de section Christian Storck a fait rapport et l'avocat général Thierry Werquin a été entendu en ses conclusions.
II. Le moyen de cassation
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
- articles 711, 716, 717, 741, 812, 813, alinéa 1er, 1042, 1054, 1056, 1057, 1059 et 1060 du Code judiciaire, l'article 711 avant sa modification par l'article 13 de la loi du 14 octobre 2018, l'article 717 avant sa modification par l'article 30 de la loi du 25 mai 2018, l'article 1054 tant avant qu'après sa modification par l'article 43 de cette loi et l'article 1060 avant son remplacement par l'article 44 de la même loi ;
- articles 268, 1°, et 2691 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, ledit article 2691 dans sa version issue de l'article 3 de la loi du 28 avril 2015, dont les effets ont été maintenus jusqu'au 31 août 2017 ;
- article 15 de l'arrêté royal du 13 décembre 1968 relatif à l'exécution du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe et à la tenue des registres dans les greffes des cours et tribunaux, avant l'abrogation de cet arrêté par l'article 40 de l'arrêté royal du 28 janvier 2019.
Décisions et motifs critiqués
Saisi de l'appel, formé par une requête du 30 novembre 2016, des seuls deux premiers défendeurs contre le jugement entrepris, qui avait en substance « dit la demande de [la demanderesse] partiellement fondée [...] et les demandes reconventionnelles non fondées ; dit [les défendeurs] solidairement tenus de payer à [la demanderesse] la somme de 103.194,30 euros, à augmenter des intérêts au taux légal à dater du jugement jusqu'au complet paiement et des dépens [...] ; débout[é] les parties pour le surplus, et ordonn[é] l'exécution provisoire du jugement, la faculté de cantonnement ne pouvant être exclue faute pour les parties de justifier de l'application de l'article 1406 du Code judiciaire », l'arrêt attaqué, avant dire droit quant au fond et statuant sur la procédure et la qualité des parties, dit que le troisième défendeur peut être considéré comme partie appelante dans la cause et invite le greffe de la cour d'appel à établir une nouvelle [fiche] signalétique de la cause en considérant aussi ce défendeur comme appelant, Maître C. L. étant son conseil, et à demander et recevoir pour lui le paiement du droit de greffe, aux motifs que
« Concernant le problème de procédure, la [cour d'appel] a constaté, lors de l'audience d'introduction de la cause du 20 janvier 2017, les éléments suivants :
- une requête d'appel a été déposée le 30 novembre 2016 ;
- cette requête mentionne d'abord les noms [du premier défendeur] et [de la défenderesse], qui sont qualifiés d'appelants ayant pour conseils Maîtres A. et S. ;
- il est précisé qu'ils interjettent appel contre [la demanderesse], qui est qualifiée d'intimé[e] ;
- ensuite figurent les mots ‘en présence [du]' [troisième défendeur], qualifié de ‘coappelant' ayant pour conseil Maître C. L. ;
- la requête d'appel est signée exclusivement par Maître A. ;
- un contact téléphonique est manifestement intervenu entre le greffe de la [cour d'appel] et le cabinet de Maître A. quant à la compréhension de cette requête d'appel ;
- à la suite de ce contact, Maître S. a envoyé à la [cour d'appel] une télécopie dans laquelle il est mentionné : ‘je vous confirme qu'il n'y a pas lieu de convoquer [le troisième défendeur], contre qui l'appel n'est pas dirigé' ;
- un droit d'appel a été payé pour deux et non trois appelants (voir le plumitif de l'audience du 14 février 2017, la [cour d'appel] l'ayant expressément signalé aux parties) ;
- dans ces circonstances, l'affaire a exclusivement été reprise comme étant en cause [du premier défendeur] et [de la défenderesse] comme parties appelantes et de [la demanderesse] comme partie intimée, seules ces personnes et leurs conseils ayant été convoqués pour l'audience de l'introduction de la cause ;
- Maître C. L. a envoyé par e-Deposit le 12 décembre 2016 à 23 heures 56 pour [le troisième défendeur] des conclusions contenant un appel incident concernant notamment le jugement alors non entrepris du 12 septembre 2014, le dispositif desdites conclusions demandant la mise à néant des jugements du 12 septembre 2014 et du 8 septembre 2016, une déclaration de non-fondement des postulations de [la demanderesse] et la condamnation de cette dernière à [lui] payer une somme provisionnelle de cinq cents [euros] sur la base de l'article 1382 du Code civil ;
- ultérieurement, la [cour d'appel] a reçu deux lettres de Maître C. L. en qualité de conseil [du troisième défendeur] ;
La [cour d'appel] a demandé aux parties reprises à la cause et à Maître C. L. de s'expliquer sur les parties à la cause en appel et sur leur qualité à la cause ;
La [demanderesse] et Maître C. L., pour [le troisième défendeur], ont conclu sur ce point ;
Il apparaît a priori difficile de retenir que la requête d'appel reçue le 30 novembre 2011 [lire : 2016] puisse être considérée comme un acte d'appel pour [le troisième défendeur], dans la mesure où :
- [le troisième défendeur] n'est pas mentionné comme appelant au début de la requête ;
- [ce défendeur] est repris sous un libellé premier de ‘en présence de' ;
- la requête d'appel est signée d'un des deux conseils [du premier défendeur] et [de la défenderesse], conseils qui sont différents de celui [du troisième défendeur] ;
- un droit de greffe d'appel pour [le troisième défendeur] n'a pas été payé ;
- [le troisième défendeur] n'a pas été convoqué en tant que tel à l'audience d'introduction de la cause.
Néanmoins, la [cour d'appel] estime que, dans les circonstances très particulières de la cause, [le troisième défendeur] peut aussi être considéré comme appelant dans la mesure conjuguée où, d'une part, il était repris sur la requête d'appel [du premier défendeur] et [de la défenderesse], même si sa qualité à ce moment n'apparaît pas clairement, d'autre part, il a déposé, dans le délai d'appel, des conclusions contenant un appel incident sur un jugement non entrepris dans la requête originaire du 30 novembre 2011 [lire : 2016], sa qualité affirmée à ce moment d'appelant tant au principal que sur incident apparaissant sans aucun doute possible dans le dispositif desdites conclusions déposées le 12 décembre 2016 ;
La [cour d'appel] précise, quant au fait que les conclusions du 12 décembre 2016 ont bien été déposées dans le délai d'appel, qu'il ressort des explications des parties que le jugement entrepris dans la requête d'appel originaire a été signifié le 10 novembre 2016 et que le 11 [lire : le 10] et le 12 [lire : le 11] décembre 2016 étaient respectivement un samedi et un dimanche ;
Au surplus :
- il n'est pas contesté que la date de l'appel à retenir est celle du dépôt des conclusions au greffe ;
- le système e-Deposit a été reconnu et consacré par le législateur, savoir que le dépôt par ce système doit être compris comme un dépôt le dernier jour utile sans qu'une limitation doive être reprise en fonction des heures d'ouverture du greffe ;
- le dépôt ayant eu lieu, selon le document du greffe, le 12 décembre 2016 à 23 heures 56, il y a bien eu un dépôt le dernier jour utile pour l'appel, qui était le lundi 12 décembre 2016 ;
La qualité d'appelant [du troisième défendeur] étant acceptée, il y a lieu de rectifier les indications annexes, à savoir d'inviter le greffe :
- à établir une nouvelle [fiche] signalétique de la cause en considérant aussi [le troisième défendeur] comme appelant, Maître C. L. étant son conseil ;
- à demander et recevoir le paiement du droit de greffe pour C. L. [lire : pour le troisième défendeur] ;
Concernant ce dernier point, la [cour d'appel] souligne que :
- si, en principe, l'inscription de la cause est suspendue dans l'attente du paiement du droit de greffe, en l'espèce, ladite inscription n'était pas suspendue, mais avait été régulièrement faite, dans la mesure où [le premier défendeur] et [la défenderesse] avai[en]t déjà payé le droit de greffe respectif qui leur avait été réclamé ;
- dans les circonstances très particulières de l'espèce, il ne peut être reproché [au troisième défendeur] de ne pas avoir payé le droit de greffe le concernant, puisque ce droit ne lui avait pas été réclamé ».
Griefs
Première branche
L'article 1054 du Code judiciaire, avant sa modification par l'article 43 de la loi du 25 mai 2018, précise que la partie intimée peut former incidemment appel à tout moment contre toutes parties en cause devant le juge d'appel, même si elle a signifié le jugement sans réserve ou si elle y a acquiescé avant sa signification, mais que, toutefois, l'appel incident ne pourra être admis si l'appel principal est déclaré nul ou tardif.
En vertu de l'article 1056 de ce code, l'appel est formé (i) par acte d'huissier de justice signifié à partie, ou (ii) par requête déposée au greffe de la juridiction d'appel en autant d'exemplaires qu'il y a de parties en cause et notifiée par le greffier, sous pli judiciaire, à la partie intimée et, le cas échéant, à son avocat au plus tard le premier jour ouvrable qui suit le dépôt, ou (iii) par lettre recommandée à la poste envoyée au greffe, lorsque la loi a formellement prévu ce mode de recours, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ou encore (iv) par conclusions à l'égard de toute partie présente ou représentée à la cause.
L'article 1057 du même code, avant sa modification par les articles 19 de la loi du 14 octobre 2018 et 130 de la loi du 21 décembre 2018, disposait que, hormis les cas où il est formé par conclusions, l'acte d'appel contient, à peine de nullité 1° l'indication des jour, mois et an ; 2° les nom, prénom, profession et domicile de l'appelant ; 3° les nom, prénom et domicile ou, à défaut de domicile, résidence de l'intimé ; 4° la détermination de la décision dont appel ; 5° l'indication du juge d'appel ; 6° l'indication du lieu où l'intimé devra faire acter sa déclaration de comparution ; 7° l'énonciation des griefs, et 8° l'indication des lieu, jour et heure de la comparution, à moins que l'appel n'ait été formé par lettre recommandée, auquel cas les parties sont convoquées, par le greffier, à comparaître à l'audience fixée par le juge, et que, le cas échéant, l'acte d'appel contient aussi l'indication du nom de l'avocat de l'appelant.
Selon l'article 1042, pour autant qu'il n'y soit pas dérogé par les dispositions du livre III de la IVe partie du Code judiciaire - dispositions dérogatoires inexistantes en l'espèce -, les règles relatives à l'instance sont applicables aux voies de recours.
Les dispositions légales concernant la recevabilité de l'appel en matière civile sont d'ordre public.
En vertu de l'article 741 du Code judicaire, les conclusions sont des actes de procédure émanant d'une partie.
Si une personne physique ou morale veut accomplir un acte de procédure dans une procédure à laquelle elle n'est pas partie, elle doit le faire, en vertu de l'article 813, alinéa 1er, du Code judiciaire, par une requête qui contient, à peine de nullité, les moyens et conclusions, étant entendu que l'article 812 du même code précise que l'intervention peut avoir lieu devant toutes les juridictions, quelle que soit la forme de la procédure, mais que l'intervention tendant à obtenir une condamnation ne peut s'exercer pour la première fois en degré d'appel.
S'agissant de la présente cause, seuls deux actes peuvent avoir donné au troisième défendeur la qualité de partie à la cause en appel, soit la requête d'appel du premier défendeur et de la défenderesse du 30 novembre 2016, soit ses conclusions du 12 décembre 2016.
L'arrêt attaqué admet que la requête d'appel ne vaut pas en tant que telle acte d'appel au nom du troisième défendeur : « il apparaît a priori difficile de retenir que la requête d'appel reçue le 30 novembre 201[6] puisse être considérée comme un acte d'appel pour [le troisième défendeur] ».
L'arrêt attaqué estime cependant que le troisième défendeur est devenu partie appelante par une conjugaison - c'est l'arrêt qui le dit - de cet acte avec ses propres conclusions du 12 décembre 2016.
L'arrêt attaqué juge en effet que « [le troisième défendeur] peut aussi [comprendre : néanmoins] être considéré comme appelant dans la mesure conjuguée où, d'une part, il était repris sur la requête d'appel [du premier défendeur] et [de la défenderesse], même si sa qualité à ce moment n'apparaît pas clairement, d'autre part, il a déposé, dans le délai d'appel, des conclusions contenant un appel incident sur un jugement non entrepris dans la requête originaire du 30 novembre 2011 [lire : 2016], sa qualité affirmée à ce moment d'appelant tant au principal que sur incident apparaissant sans aucun doute possible dans le dispositif desdites conclusions déposées le 12 décembre 2016 ».
L'arrêt attaqué constate cependant qu'« une requête d'appel a été déposée le 30 novembre 2016 ; que cette requête mentionne d'abord les noms [du premier défendeur] et [de la défenderesse], qui sont qualifiés d'appelants ayant pour conseils Maîtres A. et S. ; qu'il est précisé qu'ils interjettent appel contre [la demanderesse], qui est qualifiée d'intimée ; qu'ensuite figurent les mots ‘en présence' [du troisième défendeur], qualifié de ‘coappelant' ayant pour conseil Maître C. L. ; que la requête d'appel est signée exclusivement par Maître A. ; qu'un contact téléphonique est manifestement intervenu entre le greffe de la [cour d'appel] et le cabinet de Maître A. quant à la compréhension de cette requête d'appel ; qu'à la suite de ce contact, Maître S. a envoyé à la cour [d'appel] un fax dans lequel il est mentionné : ‘je vous confirme qu'il n'y a pas lieu de convoquer [le troisième défendeur], contre qui l'appel n'est pas dirigé' ; qu'un droit d'appel a été payé pour deux et non trois appelants (voir le plumitif de l'audience du 14 février 2017, la [cour d'appel] l'ayant expressément signalé aux parties), et que, dans ces circonstances, l'affaire a exclusivement été reprise comme étant en cause d[u] [premier défendeur] et [de la défenderesse] comme parties appelantes et [de la demanderesse] comme partie intimée, seules ces personnes et leurs conseils ayant été convoqués pour l'audience de l'introduction de la cause ».
Premier rameau
Quel que soit le mode d'introduction de l'appel principal ou incident, l'article 1056 du Code judiciaire, qui est d'ordre public, n'autorise pas de panachage entre les différents modes d'introduction de l'appel.
Or, l'arrêt attaqué constate que ni l'acte d'appel du premier défendeur et de la défenderesse du 30 novembre 2016 ni les conclusions du troisième défendeur du 12 décembre 2016 n'ont, pris isolément, fait acquérir à ce dernier la qualité de partie et d'appelant, que ce soit à titre principal ou incident, mais que ce n'est que la conjugaison des deux qui a produit cet effet.
Il en résulte qu'en attribuant au troisième défendeur la qualité de partie en degré d'appel et d'appelant sous prétexte d'une conjugaison d'éléments - la requête d'appel du 30 novembre 2016, d'une part, ses conclusions du 12 décembre 2016, d'autre part -, l'arrêt attaqué viole les articles 1054, 1056 et 1057 du Code judiciaire.
Deuxième rameau
Quel que soit le mode d'introduction de l'appel principal, conformément à l'article 1056 du Code judiciaire, qui est d'ordre public - et à supposer que, comme le laisse entendre l'arrêt attaqué, on puisse acquérir les qualités de partie et d'appelant par une conjugaison d'actes -, encore faut-il que cette conjugaison émane dans son ensemble de la personne qui forme l'appel.
Or, d'aucune considération critiquée ni d'aucune pièce à laquelle la Cour puisse avoir égard, il ne peut se déduire que le troisième défendeur aurait d'une quelconque façon contribué à la requête d'appel du 30 novembre 2016 ni, a fortiori, que cette requête d'appel émanerait de lui.
Il en résulte qu'en attribuant au troisième défendeur la qualité de partie en degré d'appel et d'appelant sous prétexte d'une conjugaison d'éléments, alors qu'il ne relève aucun élément qui indiquerait que le troisième défendeur aurait été d'une manière ou d'une autre un des auteurs de la requête d'appel, l'arrêt attaqué viole les articles 1054, 1056 et 1057 du Code judiciaire.
Troisième rameau
En vertu de l'article 1056, spécialement 4°, du Code judicaire, l'appel - même principal - peut être formé par conclusions à l'égard de toute partie présente ou représentée à la cause.
Encore faut-il que ces conclusions émanent réellement d'une partie à la cause, et non d'un tiers.
Or, il résulte de la décision de l'arrêt attaqué que la requête d'appel n'avait pas valeur d'appel principal du troisième défendeur.
Cette requête d'appel ne valait pas davantage mise à la cause du troisième défendeur comme partie intimée, le premier défendeur et la défenderesse ayant fait savoir à la cour d'appel « qu'il n'y a pas lieu de convoquer [le troisième défendeur], contre qui l'appel n'est pas dirigé », et la cour d'appel constatant que, en effet, seuls le premier défendeur, la défenderesse et la demanderesse ainsi que « leurs conseils [ont] été convoqués pour l'audience d'introduction de la cause ».
N'étant pas partie à la cause au moment de déposer son acte de procédure du 12 décembre 2016, qualifié de conclusions, le troisième défendeur ne pouvait agir dans la procédure que, soit par appel principal sous la forme de requête dans le respect des dispositions prescrites à peine de nullité aux articles 1056 et 1057 du Code judiciaire, soit - si les conditions en étaient réunies, ce que l'arrêt attaqué ne constate pas - sous la forme d'une requête en intervention volontaire selon les prescriptions des articles 812 et 813, alinéa 1er, du Code judiciaire. Et l'arrêt attaqué n'attribue pas aux prétendues conclusions du troisième défendeur la portée d'une requête d'appel au sens des articles 1056, 2°, et 1057 du Code judiciaire, ni celle d'une requête en intervention volontaire au sens des articles 812 et 813, alinéa 1er, de ce code.
Il en résulte qu'en attribuant au troisième défendeur la qualité de partie en degré d'appel et d'appelant sous prétexte d'une conjugaison d'éléments - la requête d'appel du 30 novembre 2016, d'une part, ses conclusions du 12 décembre 2016, d'autre part -, alors qu'au moment de ce dépôt ce défendeur n'avait pas la qualité de partie à la procédure d'appel et d'appelant, de sorte qu'il n'avait pas la possibilité de déposer de telles conclusions, la cour d'appel n'ayant pas considéré que ces conclusions auraient la valeur d'une requête d'appel au sens de l'article 1056, 2°, et 1057 du Code judiciaire, ou celle d'une requête en intervention volontaire au sens des articles 812 et 813, alinéa 1er, de ce code, l'arrêt attaqué viole les articles 741, 812, 813, alinéa 1er, 1042, 1054, 1056, spécialement 2° et 4°, et 1057 du Code judiciaire.
Quatrième rameau
En vertu de l'article 1056, spécialement 4°, du Code judiciaire, l'appel principal peut être formé par conclusions à l'égard de toute partie présente ou représentée à la cause.
À supposer qu'une partie qui était présente, appelée ou représentée en première instance mais qui n'a formé aucun appel et n'a été ni intimée ni appelée à la cause en degré d'appel puisse, par le simple dépôt de conclusions en degré d'appel, devenir partie à la cause en degré d'appel, encore faut-il que ces conclusions ne fassent que se greffer sur l'appel valablement introduit.
Il est en effet exclu qu'un appel principal qui ne constitue pas un simple complément à un appel régulièrement formé par requête ou par acte d'huissier soit formé par voie de conclusions à l'initiative d'un nouvel appelant.
L'arrêt attaqué ne constate en aucune façon que les conclusions du troisième défendeur du 12 décembre 2016 n'auraient constitué qu'un simple complément de l'acte d'appel des deux premiers défendeurs.
Il en résulte qu'en attribuant au troisième défendeur la qualité de partie en degré d'appel et d'appelant sous prétexte d'une conjugaison d'éléments - la requête d'appel du 30 novembre 2016, d'une part, ses conclusions du 12 décembre 2016, d'autre part -, sans constater que les conclusions de ce défendeur n'étaient qu'un complément de la requête d'appel des deux premiers défendeurs, l'arrêt attaqué viole les articles 741, 812, 813, alinéa 1er, 1042, 1054, 1056, spécialement 4°, et 1057 du Code judiciaire.
Seconde branche
En vertu de l'article 711, alinéa 1er, du Code judiciaire, il est tenu au sein de chaque greffe un rôle général sur lequel toute cause est inscrite dans l'ordre de sa présentation. Avant sa modification par l'article 13 de la loi du 14 octobre 2018, l'article 711, alinéa 2, 4°, du même code disposait que chaque inscription reçoit un numéro d'ordre et mentionne le droit perçu au moment de l'inscription.
L'article 15 de l'arrêté royal du 13 décembre 1968 relatif à l'exécution du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe et à la tenue des registres dans les greffes des cours et tribunaux prévoit que chaque inscription au rôle général contient les indications prévues à l'article 711 du Code judiciaire.
En vertu de l'article 1059 de ce code, la cause en appel est inscrite au rôle général comme il est dit à l'article 716 du même code.
Ledit article 716 dispose que les causes sont inscrites au rôle général au plus tard la veille du jour de l'audience pour laquelle la citation a été donnée. La cause ne peut être inscrite au rôle général lorsque ce délai est échu. Néanmoins, lorsqu'il existe de justes motifs, le juge de paix ou le président de la chambre peut autoriser l'inscription le jour de l'audience, pour autant que cette inscription soit demandée avant le début de l'audience. L'inscription est faite à la requête de l'huissier de justice instrumentant, des parties intéressées, de leur avocat ou d'un porteur de pouvoirs.
Selon l'article 1060 du Code judiciaire, avant son remplacement par l'article 44 de la loi du 25 mai 2018, l'acte d'appel est de nul effet si l'appelant n'a pas fait inscrire la cause au rôle avant la date de la comparution indiquée dans l'acte.
En vertu de l'article 268, 1°, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, il est établi, sous le nom de droit de greffe, un impôt sur certaines opérations effectuées dans les cours et tribunaux et notamment sur l'inscription des causes au rôle général, au rôle des requêtes ou au rôle des demandes en référé. En vertu de l'article 2691 du même code, dans sa version visée en tête du moyen, il est perçu pour chaque cause inscrite au rôle général, au rôle des requêtes ou au rôle des demandes en référé, par partie demanderesse visée aux articles 17 et 18 du Code judiciaire, un droit de mise au rôle dont le montant est fixé conformément au tableau contenu dans cet article.
Il ressort des dispositions précitées que le payement des droits de greffe conditionne l'inscription d'une cause au rôle général de la cour d'appel (articles 711, 716, 1059 et 1060 du Code judiciaire) et ce, sous peine de voir l'acte d'appel « de nul effet » (article 1060 du Code judiciaire) si l'appelant n'a pas fait inscrire la cause au rôle avant la date de comparution indiquée dans l'acte.
En d'autres termes, l'appelant doit s'acquitter des droits de greffe pour pouvoir porter la cause au rôle général de la cour d'appel.
L'article 711, 4°, du Code judiciaire, tel qu'il est applicable à la cause, prévoit que le droit de mise au rôle est perçu au moment de l'inscription de l'affaire au rôle général, ce qui implique, en pratique, que l'affaire n'est pas inscrite au rôle général tant que l'appelant n'a pas payé le droit requis.
Il ressort de l'arrêt attaqué que le troisième défendeur, qualifié par la cour d'appel d'appelant au principal, non en raison du dépôt de ses conclusions mais en raison de la conjugaison de ces conclusions avec l'acte d'appel des deux premiers défendeurs, n'avait pas acquitté le droit de greffe qui lui incombait de sorte que l'acte d'appel était de nul effet en ce qui le concernait, et ne pouvait - seul ou en conjugaison avec un autre acte - attribuer à ce défendeur la qualité d'appelant au principal, celle d'appelant sur incident étant exclue par le fait que, n'étant pas le destinataire de l'acte d'appel au principal, il ne pouvait procéder à un appel incident sous forme de conclusions par application de l'article 1056, 4°, du Code judiciaire.
L'arrêt attaqué avance certes que, « dans les circonstances très particulières de l'espèce, il ne peut être reproché [au troisième défendeur] de ne pas avoir payé le droit de greffe le concernant, puisque ce droit ne lui avait pas été réclamé ».
Cette circonstance est cependant dénuée de pertinence dès lors qu'il résulte des articles 711 et 1060 du Code judiciaire et 15 de l'arrêté royal du 13 décembre 1968 qu'un appelant doit d'initiative, avant la date de comparution indiquée dans l'acte, faire les démarches nécessaires pour faire inscrire régulièrement la cause au rôle général, ce qui implique le paiement des droits.
Il ressort au demeurant des constatations de l'arrêt attaqué que ce droit de greffe n'a pas été payé, non parce qu'il n'avait pas été réclamé, mais parce qu'au moment du dépôt de la requête d'appel, ni le troisième défendeur, ni personne pour lui ne s'était prévalu de la qualité d'appelant au principal. Au demeurant, si le troisième défendeur avait comparu à l'audience d'introduction pour se prévaloir de sa qualité alléguée d'appelant, la cour d'appel aurait pu autoriser une inscription au rôle le jour de l'introduction de la cause (article 716, alinéa 3, du Code judiciaire). Il résulte toutefois du procès-verbal de l'audience du 20 décembre 2016, auquel la Cour peut avoir égard, que le troisième défendeur n'a pas comparu.
Il en résulte qu'en attribuant au troisième défendeur la qualité de partie en degré d'appel et d'appelant sous prétexte d'une conjugaison d'éléments, alors qu'il constate que la qualité d'appelant tant au principal que sur incident de ce défendeur ne résulte que de la conjugaison, d'une part, de la requête d'appel des deux premiers défendeurs du 30 novembre 2016, d'autre part, des conclusions qu'il a prises le 12 décembre 2016, et qu'au moment où il statue sur la qualité de partie du troisième défendeur, celui-ci n'a toujours pas acquitté le droit de greffe qui lui incombe, l'arrêt attaqué viole les articles 711, 716, 1056, 1059, 1060 du Code judiciaire, 268 et 2691 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, ces dispositions dans leur version visée en tête du moyen.
III. La décision de la Cour
Quant à la première branche :
Quant au troisième rameau :
L'article 1056, 4°, du Code judiciaire dispose que l'appel est formé par conclusions à l'égard de toute partie présente ou représentée à la cause.
Seules les parties présentes ou représentées à la cause en degré d'appel peuvent bénéficier de cette disposition.
L'arrêt attaqué constate, d'une part, que les deux premiers défendeurs ont déposé le 30 novembre 2016 une requête signée de l'un de leurs conseils par laquelle ils ont interjeté appel contre la demanderesse, qualifiée d'intimée, du jugement rendu par le premier juge le 8 septembre 2016, que cette requête mentionnait « ensuite les mots ‘en présence de' » suivis du nom du troisième défendeur, « qualifié de ‘coappelant' » et ayant un autre conseil, et qu'il a été précisé au greffe de la cour d'appel par l'un de leurs conseils que « l'appel n'[était] pas dirigé contre [ce défendeur] », d'autre part, que le conseil du troisième défendeur « a envoyé par e-Deposit le 12 décembre 2016 [...] des conclusions [...] contenant un appel incident concernant le jugement alors non entrepris du 12 septembre 2014 [et] demandant la mise à néant » de ce jugement et du jugement du 8 septembre 2016.
Après avoir décidé qu'« il apparaît a priori difficile de retenir que la requête d'appel reçue le 30 novembre 201[6] puisse être considérée comme un acte d'appel pour [le troisième défendeur] », l'arrêt attaqué énonce que, « dans les circonstances très particulières de la cause, [ce défendeur] peut aussi être considéré comme appelant dans la mesure où, d'une part, il était repris sur la requête d'appel [des deux premiers défendeurs], même si sa qualité à ce moment n'apparaît pas clairement, d'autre part, il a déposé [...] des conclusions contenant un appel incident sur un jugement non entrepris dans la requête [...] du 30 novembre 201[6], sa qualité affirmée à ce moment d'appelant tant au principal que sur incident apparaissant sans aucun doute possible dans le dispositif desdites conclusions ».
L'arrêt attaqué, qui, sans constater que le troisième défendeur avait avant le dépôt de ses conclusions du 12 décembre 2016 la qualité de partie présente ou représentée à la cause en degré d'appel, dit qu'il pouvait former appel par ces conclusions, viole l'article 1056, 4°, du Code judiciaire.
Le moyen, en ce rameau, est fondé.
La cassation de l'arrêt attaqué entraîne l'annulation de l'arrêt du 11 septembre 2018 dans la mesure où, en tant que celui-ci statue entre la demanderesse et le troisième défendeur, il est la suite de l'arrêt cassé.
Par ces motifs,
La Cour
Casse l'arrêt attaqué ;
Annule l'arrêt du 11 septembre 2018, sauf en tant qu'il statue entre la demanderesse et les deux premiers défendeurs et qu'il déboute le troisième défendeur de sa demande en dommages et intérêts du chef de procédure téméraire et vexatoire ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé et de l'arrêt partiellement annulé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Michel Lemal, Sabine Geubel, Ariane Jacquemin et Maxime Marchandise, et prononcé en audience publique du dix-sept décembre deux mille vingt par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Philippe de Koster, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.


Synthèse
Formation : Chambre 1f - première chambre
Numéro d'arrêt : C.19.0374.F
Date de la décision : 17/12/2020
Type d'affaire : Autres

Analyses

Seules les parties présentes ou représentées à la cause en degré d'appel peuvent bénéficier de l'article 1056, 4°, du Code judiciaire (1). (1) Voir les concl. du MP.

APPEL - MATIERE CIVILE (Y COMPRIS LES MATIERES COMMERCIALE ET SOCIALE) - Appel principal. Forme. Délai. Litige indivisible - Forme - Appel formé par conclusions - Champ d'applications ratione personae [notice1]


Références :

[notice1]

Code Judiciaire - 10-10-1967 - Art. 1056, 4° - 01 / No pub 1967101052


Composition du Tribunal
Président : DELANGE MIREILLE
Greffier : DE WADRIPONT PATRICIA
Ministère public : WERQUIN THIERRY
Assesseurs : GEUBEL SABINE, JACQUEMIN ARIANE, MARCHANDISE MAXIME, LEMAL MICHEL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: juportal.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2020-12-17;c.19.0374.f ?

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