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07/05/2018 | BELGIQUE | N°C.17.0588.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 mai 2018, C.17.0588.F


N° C.17.0588.F
COMITÉ DES ÉCOLES LIBRES [...],
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre-Bras, 6, où il est fait élection de domicile,

contre

1. T. N.,
2. C. P.,
agissant tous deux en nom personnel et en qualité d'administrateurs légaux de la personne et des biens de leur fils mineur [...],
défendeurs en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 8 juin 20

15 et 1er mars 2016 par la cour d'appel de Mons.
Par ordonnance du 19 mars 2018, le premier présid...

N° C.17.0588.F
COMITÉ DES ÉCOLES LIBRES [...],
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Huguette Geinger, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, rue des Quatre-Bras, 6, où il est fait élection de domicile,

contre

1. T. N.,
2. C. P.,
agissant tous deux en nom personnel et en qualité d'administrateurs légaux de la personne et des biens de leur fils mineur [...],
défendeurs en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre les arrêts rendus les 8 juin 2015 et 1er mars 2016 par la cour d'appel de Mons.
Par ordonnance du 19 mars 2018, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Ariane Jacquemin a fait rapport.
L'avocat général Jean Marie Genicot a conclu.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Quant à la première branche :

En vertu de l'article 39, § 1er, de la loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres, lorsqu'une aide financière a été octroyée par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence, l'État est subrogé de plein droit, jusqu'à concurrence du montant de l'aide accordée, aux droits de la victime contre l'auteur ou le civilement responsable.
Le paiement avec subrogation emporte dans cette mesure le transfert de la créance du subrogeant au subrogé.
L'arrêt attaqué du 8 juin 2015, qui condamne la demanderesse, en sa qualité de civilement responsable de [...] et in solidum avec ce dernier, à indemniser les défendeurs, agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'administrateur légal de la personne et des biens de leur fils mineur, du dommage causé par la faute de son préposé, et qui constate que le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence leur a déjà payé un montant de 25.000 euros « pour le même dommage », n'a pu légalement refuser de déduire ce montant des indemnités qu'il condamne la demanderesse à payer aux défendeurs.

Quant à la seconde branche :

Aux termes de l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, avant son abrogation par la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, et de l'article 95 de cette dernière loi, l'assureur qui a payé l'indemnité est subrogé, jusqu'à concurrence du montant de celle-ci, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers responsables du dommage.
Pour le même motif que celui énoncé en réponse à la première branche du moyen, l'arrêt attaqué du 8 juin 2015, qui constate que l'assureur de la responsabilité civile familiale des défendeurs a versé à ces derniers un montant de 6.250 euros « à propos du même dommage » que celui qu'il condamne la demanderesse à réparer, n'a pu légalement décider qu'il n'y avait pas lieu de déduire ce montant des indemnités dues par cette dernière aux défendeurs.

Le moyen, en chacune de ses branches, est fondé.

Et la cassation de l'arrêt attaqué du 8 juin 2015 entraîne l'annulation de l'arrêt du 1er mars 2016, dans la mesure où il en est la suite.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué du 8 juin 2015 en tant qu'il décide qu'il n'y a pas lieu de déduire des sommes dues par la demanderesse aux défendeurs les sommes que ceux-ci ont perçues du Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence et de leur assureur de la responsabilité civile familiale ;
Annule l'arrêt du 1er mars 2016 dans la même mesure et en tant qu'il statue sur les dépens entre ces parties ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé et de l'arrêt partiellement annulé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Liège.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du sept mai deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Requête
POURVOI EN CASSATION

POUR : L'asbl COMITE DES ECOLES LIBRES [...],

Demanderesse en cassation, assistée et représentée par Me. Huguette Geinger, avocat à la Cour de Cassation, dont le ca¬binet est établi à 1000 Bruxelles, rue Quatre Bras 6, chez qui il est fait élection de domicile,

CONTRE: 1. Monsieur T. N., agissant en son nom personnel et en qualité d'administrateur légal de la personne et des biens de [...],

2. Madame C. P., agissant en son nom personnel et en qualité d'administratrice légale de la personne et des biens de [...],

Défendeurs en cassation.

* * *

A Messieurs les Premier Président et Président, Mesdames et Mes¬sieurs les Conseillers, composant la Cour de Cassation,

Messieurs,
Mesdames,

La demanderesse a l'honneur de déférer à la censure de Vo¬tre Cour les arrêts, rendus les 8 juin 2015 et 1er mars 2016 par la deuxième chambre de la Cour d'appel de Mons (2013/RG/1001-2014/RG/74).

* * *

RETROACTES

1. Le 5 septembre 2001, Monsieur [...] conclut un contrat de travail avec l'asbl Agence Locale pour l'Emploi (ALE) de [...] en vue de lui permettre de prester des activités pouvant bénéficier aux établissements d'enseignement.

En vertu d'un contrat conclu le 5 novembre 2005 entre l'asbl ALE de [...] et la demanderesse, Monsieur [...] fut mis à disposition de la demanderesse pour des activités d'entretien et de garderie de midi.

Le 28 mars 2006, pendant le cours de ses activités auprès de la demanderesse, Monsieur [...] a commis le crime de viol à l'aide de violences à l'encontre de [...], âgé de [...] au moment des faits, pour lequel il a été définitivement condamné par arrêt du 14 février 2007 de la Cour d'appel de Mons.

Sur le plan civil, cet arrêt du 14 février 2007 condamna Monsieur [...] à payer
- à Monsieur T. N. et à Madame C. P., parents de [...], en nom personnel, la somme globale de 7500 EUR à titre de dommage moral et la somme provisionnelle de 31.346 EUR pour les frais de médecins, professionnels et de déplacement,
- à Monsieur N. et Madame P., agissant pour leur enfant mineur, une somme provisionnelle de 12.500 EUR.

2. À la suite de l'arrêt du 14 février 2007, Monsieur [...] paya une somme à faire valoir sur ce dommage, de 4300 EUR et son épouse effectua (après son décès) des paiements mensuels non déterminés.

A propos de ce même dommage, furent payées aux défendeurs :
- la somme de 6250 EUR par leur assureur RC familiale, montant dû en cas d'insolvabilité d'un tiers fautif,
- les sommes de 7500 EUR, 7500 EUR et 10.000 EUR par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence, en vertu de trois décisions du 1er août 2012.

3.1 Par citation du 25 mars 2011, les défendeurs, agissant en leur nom personnel et en leur qualité d'administrateurs légaux de la personne et des biens de leur fils mineur [...], ont assigné l'asbl ALE de [...] et la demanderesse devant le Tribunal de première instance de Charleroi, afin d'obtenir leur condamnation au paiement des mêmes sommes que celles réclamées à Monsieur [...] en invoquant leur responsabilité de commettants de Monsieur [...] sur la base l'article 1384, al. 3 du Code civil.

L'asbl ALE de [...] et la demanderesse formèrent des demandes croisées en garantie l'une contre l'autre.

3.2 Par jugement du 11 septembre 2013, le Tribunal de première instance de Charleroi condamna l'asbl ALE de [...] et la demanderesse in solidum à payer
- 12.500 EUR aux défendeurs en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de [...],
- 7.500 EUR aux défendeurs en nom personnel, à titre de dommage moral,
- 31.346 EUR, sous déduction des montants déjà versés à ce titre par Monsieur [...], aux défendeurs en leur nom personnel.

L'asbl ALE de [...] et la demanderesse furent condamnées à se garantir l'une l'autre à concurrence de la moitié des condamnations prononcées contre elles.

L'asbl ALE de [...] et la demanderesse interjetèrent appel de ce jugement.

3.3 Par arrêt du 8 juin 2015, la Cour d'appel de Mons réforma le jugement entrepris et déclara les demandes contre l'asbl ALE de [...] non fondées.

La cour d'appel condamna la demanderesse à payer
- la somme provisionnelle de 12.500 EUR, à majorer des intérêts compensatoires, aux défendeurs en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de [...],
- 2500 EUR et 5000 EUR, à augmenter des intérêts, à respectivement le défendeur et la défenderesse en leur nom personnel.

La cour d'appel dit qu'il y a lieu de déduire de ces sommes celles versées par Monsieur [...] et sa femme, et non celles de 6250 EUR et de 25.000 EUR versées respectivement par l'assureur RC familiale des défendeurs et par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence.

Avant de dire droit pour le surplus, et plus particulièrement sur la demande des défendeurs concernant l'indemnisation de leurs frais médicaux, professionnels et de déplacements, la cour d'appel ordonna la réouverture des débats.

3.4 Après la réouverture des débats, la Cour d'appel de Mons condamna, en son arrêt du 1er mars 2016, la demanderesse à payer
- aux défendeurs, en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de [...], outre la somme de 12.500 EUR pour le dommage moral (augmentée des intérêts) déjà provisionnellement accordée par l'arrêt du 8 juin 2015, la somme de 24.000 EUR pour le dommage moral et ménager, augmentée d'intérêts,
- aux défendeurs, ensemble et personnellement, outre les sommes déjà accordées par l'arrêt du 8 juin 2015, la somme de 3907,27 EUR, augmentée des intérêts,
- à la défenderesse, la somme de 9000 EUR, augmentée des intérêts.

3.5 La demanderesse estime pouvoir présenter le moyen de cassation ci-après développé à l'encontre des arrêts des 8 juin 2015 et 1er mars 2016.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions légales violées

- les articles 1382, 1383 et 1384, al. 3 du Code civil,
- les articles 31, 31bis et 39 de la loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres,
- l'article article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, tel qu'en vigueur avant son abrogation par la loi du 4 avril 2014,
- l'article 95 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances.

Décision attaquée

En son arrêt du 8 juin 2015, la Cour d'appel de Mons condamne la demanderesse, en sa qualité de commettante de Monsieur [...], sur base l'article 1384, al. 3 du Code civil, à payer, en indemnisation du dommage résultant du viol de [...] par Monsieur [...] :
- la somme provisionnelle de 12.500 EUR, à majorer des intérêts compensatoires, aux défendeurs en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de [...],
- 2500 EUR et 5000 EUR, à augmenter des intérêts, à respectivement le défendeur et la défenderesse en leur nom personnel.

La cour ordonne la réouverture des débats avant de statuer sur la demande des défendeurs concernant leurs frais médicaux, professionnels et de déplacements.

La cour d'appel dit qu'il y a lieu de déduire de ces sommes celles versées par [...] et sa femme, et non les sommes de 6250 EUR et de 25.000 EUR versées respectivement par l'assureur RC familiale des défendeurs et par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence.

La cour d'appel dit pour droit que ces condamnations ont un caractère in solidum avec celle prononcée contre [...] par arrêt du 14 février 2007 par la 15e chambre de la Cour d'appel de Mons.

La cour d'appel appuie sa décision sur les motifs suivants:

« I. ANTECEDENTS

Le 5 septembre 2001, [...] a conclu un contrat de travail ALE avec l'asbl ALE de [...] en vue de lui permettre de prester des activités pouvant bénéficier, notamment, aux établissements d'enseignement ;

Le 5 novembre 2005, un contrat est conclu entre l'asbl ALE de [...] et (la demanderesse) mettant à disposition de cette dernière plusieurs travailleurs ALE, dont [Monsieur ...], en visant des activités d'entretien et de garderie le midi ;

Le 28 mars 2006, pendant le cours de ses activités auprès de (la demanderesse), [Monsieur...] a commis le crime réputé de viol à l'aide de violences, à l'encontre de [...], âgé de [...] au moment des faits, pour lequel il a été définitivement condamné par un arrêt du 14 février 2007 de la 15ème chambre de la Cour d'appel de Mons ;

Sur le plan civil, par le même arrêt, [Monsieur...] a été condamné à payer (aux défendeurs), en nom personnel, la somme globale de 7.500 EUR, à titre de dommage moral, et la somme provisionnelle de 31.346 EUR pour les frais de médecin, professionnels et de déplacements, outre les intérêts compensatoires ;

De plus, dans le même arrêt, [Monsieur...] a été condamné à payer (aux défendeurs), agissant pour leur enfant mineur [...], une somme provisionnelle de 12.500 EUR, outre les intérêts compensatoires ;

A la suite de cette décision, [Monsieur...] a payé une somme à faire valoir sur ce dommage, de 4.300 EUR et son épouse a effectué des paiements mensuels non déterminés ;

Par ailleurs, l'assureur RC familial des (défendeurs) a payé, à propos du même dommage, une somme plafonnée de 6.250 EUR due en cas d'insolvabilité du tiers fautif ;

A la suite de trois décisions datées du 1er août 2012, le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence a versé aux (défendeurs), toujours pour le même dommage, les sommes respectivement de 7.500 EUR, de 7.500 EUR et de 10.000 EUR ;

Par citation du 25 mars 2011, les (défendeurs) ont assigné l'asbl ALE de [...] et (la demanderesse), devant le premier juge, en vue d'obtenir leur condamnation l'une à défaut de l'autre, au paiement des mêmes sommes que celles réclamées à [Monsieur...] en invoquant leur responsabilité de commettant de ce dernier sur la base de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil « (arrêt, pp. 4-5),

« II. DISCUSSION

A) Quant à la reponsabilité de (la demanderesse et de l'asbl ALE de [...]) sur la base de l'article 1384, alinéa 3, du Code civil

(...)

(...) il est établi qu'il a bien existé un lien de subordination entre [Monsieur...] et (la demanderesse), cette dernière ayant la qualité de commettante de celui-ci ;

(...)

Il est établi, en l'espèce, que les faits délictueux commis par [Monsieur...] l'ont été à l'occasion des fonctions qu'il a exercée(s) au sein de (la demanderesse) ;

(...)

Dès lors que toutes les autres conditions sont réunies et qu'il est établi que, sans la faute de [...], dont (la demanderesse) doit répondre, le dommage ne se serait pas produit, il appartient à cette dernière (...) de couvrir ledit dommage, lequel sera analysé ci-après ;

Il faut relever que la condamnation de (la demanderesse) doit avoir un caractère in solidum avec celle déjà prononcée, pour le même dommage, à l'encontre de [Monsieur...] » (arrêt, pp. 6-10),

« C) Quant aux dommages

1- Les sommes réclamées

La Cour considère qu'il y a lieu de confirmer le dommage moral réclamé par les parents de [...], en leur nom personnel, et en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de leur enfant mineur ;

II convient donc de condamner (la demanderesse) à payer aux parents de [...], une somme provisionnelle de 12.500 EUR, qualitate qua, et deux autres sommes respectivement de 5.000 EUR pour (la défenderesse) et de 2.500 EUR pour (le demandeur) en leurs nom personnel ;

Par contre, force est de constater que (les défendeurs) ne déposent aucun dossier en ce qui concerne la somme provisionnelle de 31.346 EUR réclamée pour leurs frais médicaux, professionnels et de déplacements ;

Ils se bornent, en effet, à faire état de l'arrêt du 14 février 2007 de la Cour d'appel de Mons ayant condamné [Monsieur...] au paiement de cette somme ce qui ne peut suffire car, non seulement cette appréciation du dommage n'est pas opposable à (la demanderesse), mais de plus, cet arrêt précise que cette somme a été fixée de cette manière uniquement à cause de l'absence de contestation du prévenu ;

II convient, en conséquence, d'ordonner une réouverture des débats afin que (les défendeurs) puissent s'expliquer à ce sujet en déposant, le cas échéant, des pièces justificatives ;

2- Les sommes à déduire

a) Il n'est pas contesté par les parties qu'il convient de déduire des sommes dues aux (défendeurs), les sommes perçues de [Monsieur...] ou de sa femme, lesquelles doivent également être détaillées dans le cadre de la réouverture des débats ;

En revanche, les parties s'opposent sur la question de savoir si (les défendeurs) doivent déduire également les somme de 25.000 EUR, reçues du Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence, et de 6.250 EUR payée par leur assureur RC familial ;

b) S'agissant des indemnités payées par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence, il faut s'en référer aux articles 31 bis, 5° et 39 §2 de la loi du 1er août 1985 prévoyant que
- ‘L'aide financière visée à l'article 31, 1° à 4°, est octroyée aux conditions suivantes ... 5° La réparation du préjudice ne peut pas être assurée de façon effective et suffisante par l'auteur ou le civilement responsable, par le régime de sécurité sociale ou par une assurance privée, ou de tout autre manière'
- ‘L'Etat peut exiger le remboursement total ou partiel de l'aide accordée lorsque, postérieurement au paiement de celle-ci, la victime obtient à un titre quelconque une réparation de son préjudice' ;

Le caractère subsidiaire de l'intervention du Fonds est ainsi clairement rappelé(), de telle sorte que c'est prioritairement le civilement responsable qui doit payer, ce qui serait remis en question si les indemnités payées par ce Fonds étaient déduites des sommes dues par ce dernier ;

Il ne s'agit pas d'une double indemnisation pour le même dommage puisqu'il appartiendra évidemment (aux défendeurs) à faire état au Fonds des sommes reçues de (la demanderesse) afin de permettre à celui-ci, conformément à l'article 39 §2 précité, de leur réclamer le remboursement total ou partiel de l'aide accordée ;

Partant, il n'y a pas lieu à déduction, sur les sommes dues par (la demanderesse), de l'aide accordée par le Fonds ;

b) Le même raisonnement vaut aussi pour l'intervention de 6.250 EUR de l'assureur RC familial des (défendeurs) car la police d'assurance prévoit également une règle de subsidiarité en ce sens que la couverture n'est assurée qu'en cas d'insolvabilité du tiers fautif ;

Ici aussi, il appartient aux (défendeurs) d'informer l'assureur des paiements intervenus dans le cadre de la présente procédure pour permettre, s'il y a lieu, les remboursements des sommes acquittées en cas d'insolvabilité ;

Partant, il n'y a donc pas lieu non plus de déduire cette somme de 6.250 EUR des sommes dues par (la demanderesse) » (arrêt, pp. 11-12).


Après la réouverture des débats, la Cour d'appel de Mons condamne, en son arrêt du 1er mars 2016, la demanderesse à payer
- aux défendeurs, en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de [...], outre la somme de 12.500 EUR pour le dommage moral (augmentée d'intérêts) déjà provisionnellement accordée par l'arrêt du 8 juin 2015, la somme de 24.000 EUR pour le dommage moral et ménager, augmentée d'intérêts,
- aux défendeurs, ensemble et personnellement, outre les sommes déjà accordées par l'arrêt du 8 juin 2015, la somme de 3907,27 EUR, augmentée des intérêts,
- à la défenderesse, la somme de 9000 EUR, augmentée des intérêts.

La cour d'appel dit, en cet arrêt du 1er mars 2016, pour droit que ces condamnations ont, à concurrence de la plus faible des sommes, un caractère in solidum avec celle prononcée contre Monsieur [...] par arrêt du 14 février 2007 par la 15e chambre de la cour d'appel de Mons et précise qu'il y a lieu de déduire de l'ensemble des sommes dues, les sommes payées par Monsieur [...] majorées des intérêts créditeurs aux taux légaux successifs depuis la date des décaissements jusqu'au parfait paiement des condamnations.

Griefs

1. En vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil, tout fait quelconque, négligence ou imprudence de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Aux termes de l'article 1384 du Code civil, on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre. Les maîtres et les commettants sont ainsi, en vertu de l'article 1384, al. 3 du Code civil, responsables du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.

En vertu de ces dispositions légales, la victime d'une faute (d'une infraction) a droit, à charge de l'auteur de cette faute et de la personne civilement responsable de cet auteur, à la réparation intégrale de son dommage en relation causale avec la faute.

La victime ne peut réclamer de l'auteur de la faute ou de la partie civilement responsable réparation du dommage qui a déjà été réparé.

Première branche

2. Si la victime reçoit, à l'occasion d'un événement (une infraction ou une autre faute) causant un dommage, un montant d'un tiers, ce montant devra être imputé sur l'indemnité due par la personne (civilement) responsable lorsqu'elle vise la réparation du même dommage que celui résultant de la faute de la personne responsable c'est-à-dire du dommage visé par les articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil.

3. Il résulte des articles 31 et 31bis de la loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres, que la Commission pour l'aide financière aux victimes d'actes intentionnels de violence et aux sauveteurs occasionnels, peut octroyer une aide financière aux personnes qui subissent un préjudice physique ou psychique important résultant directement d'un acte intentionnel de violence lorsque la réparation du préjudice ne peut être assurée de façon effective et suffisante par l'auteur ou le civilement responsable, par un régime de sécurité sociale ou par une assurance privée, ou de tout autre manière.

En vertu de l'article 39, §1 de la loi du 1er août 1985, l'État est subrogé de plein droit, à concurrence du montant de l'aide accordée, aux droits de la victime contre l'auteur ou le civilement responsable.

L'article 39, §2 de cette loi dispose que l'État peut exiger le remboursement total ou partiel de l'aide accordée lorsque, postérieurement au paiement de celle-ci, la victime obtient à un titre quelconque une réparation de son préjudice. La Commission donne au Ministre des Finances un avis motivé préalablement à l'intention d'une action en remboursement.

4. Il résulte de l'arrêt entrepris du 8 juin 2015 que
- par arrêt du 14 février 2007, la Cour d'appel de Mons a condamné [...] du chef de viol à l'aide de violences de [...],
- par cet arrêt, la Cour d'appel de Mons a, sur le plan civil, condamné Monsieur [...] à payer aux défendeurs
- en leur nom personnel, la somme globale de 7500 EUR à titre de dommage moral et la somme provisionnelle de 31.346 EUR pour les frais de médecins, professionnels et de déplacement,
- agissant pour leur enfant mineur [...], une somme provisionnelle de 12.500 EUR,
- à la suite de trois décisions du 1er août 2012, le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence a versé aux défendeurs, pour le même dommage, les sommes de 7500 EUR, 7500 EUR et 10.000 EUR (arrêt, p. 5),
- la demanderesse est la commettante de Monsieur [...] (arrêt, p. 8) et les faits délictueux ont été commis par Monsieur [...] à l'occasion des fonctions qu'il a exercées au sein de la demanderesse (arrêt, p. 9),
- la demanderesse est condamnée, en application de l'article 1384, al. 3 du Code civil, à indemniser le préjudice subi par les défendeurs, la condamnation ayant un caractère in solidum avec celle prononcée, pour le même dommage, à l'encontre de Monsieur [...] (arrêt, p. 10).

Dans l'arrêt du 1er mars 2016, la Cour d'appel de Mons condamne la demanderesse en outre à payer
- aux défendeurs, en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de [...], la somme de 24.000 EUR pour le dommage moral et ménager, augmentée des intérêts,
- aux défendeurs, ensemble et personnellement, la somme de 3907,27 EUR, augmentée des intérêts,
- à la défenderesse, la somme de 9000 EUR, augmentée des intérêts,
et dit pour droit que ces condamnations ont, à concurrence de la plus faible des sommes, un caractère in solidum avec celle prononcée contre Monsieur [...] par arrêt du 14 février 2007 par la 15e chambre de la Cour d'appel de Mons.

5. Le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence a payé 25.000 EUR aux défendeurs pour le dommage résultant du viol commis par Monsieur [...], c'est-à-dire pour le dommage à la réparation duquel Monsieur [...] avait été condamné par arrêt de la Cour d'appel de Mons du 14 février 2007.

La cour d'appel constate expressément (arrêt du 8 juin 2015, p. 5, al. 6) que les sommes de 7500 EUR, 7500 EUR et 10.000 EUR payées par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence ont été payées en réparation du même dommage que celui à la réparation duquel Monsieur [...] a été condamné par arrêt de la Cour d'appel de Mons du 14 février 2007.

Le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence est partant, en application de l'article 39, §1 de la loi du 1er août 1985, subrogé de plein droit, à concurrence du montant de 25.000 EUR, aux droits des défendeurs contre la demanderesse, civilement responsable de Monsieur [...].

Il s'ensuit que les défendeurs ne peuvent réclamer à la demanderesse, civilement responsable de Monsieur [...], indemnisation intégrale du dommage résultant de l'infraction commise par Monsieur [...]. La demanderesse ne peut être condamnée qu'à indemnisation du dommage subi par les défendeurs que sous déduction (non seulement des sommes qui leur ont été payées par Monsieur [...] et par son épouse, mais également) des sommes qui leur ont été versées par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence en réparation de ce dommage.

La circonstance que l'intervention du Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence a un caractère subsidiaire et que le civilement responsable doit payer prioritairement, n'exclut pas que ce Fonds, lorsqu'il a effectivement octroyé une aide financière aux victimes d'un acte intentionnel de violence, est subrogé dans les droits des victimes contre le civilement responsable.

La circonstance que le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence peut, en application de l'article 39, §2 de la loi du 1er août 1985 réclamer le remboursement total ou partiel de l'aide accordée lorsque, postérieurement au paiement de celle-ci, la victime obtient à un titre quelconque une réparation de son préjudice, n'exclut pas davantage que ce Fonds est subrogé de plein droit, à concurrence du montant de l'aide accordée, aux droits des défendeurs contre la demanderesse, de sorte que les défendeurs ne peuvent pas réclamer réparation de leur dommage du civilement responsable que sous déduction du montant qui leur a été payé par le Fonds.

L'arrêt entrepris du 8 juin 2015 n'est partant pas légalement justifié en ce qu'il dit pour droit que la somme de 25.000 EUR versée aux défendeurs par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence ne doit pas être déduite des sommes au paiement desquelles la demanderesse est condamnée (violation de articles 39, §1 de la loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres et 1382, 1383 et 1384, al. 3 du Code civil, ainsi que des 31, 31bis et 39, §2 de ladite loi du 1er août 1985).

La cassation de cet arrêt du 8 juin 2015 entraîne la cassation de l'arrêt du 1er mars 2016 en ce qu'il condamne la demanderesse à payer des sommes aux défendeurs, dont la somme de 25.000 EUR leur versée par le Fonds spécial d'aide aux victimes d'actes intentionnels de violence ne doit pas être déduite (violation de articles 39, §1 de la loi du 1er août 1985 portant des mesures fiscales et autres et 1382, 1383 et 1384, al. 3 du Code civil, ainsi que des articles 31, 31bis et 39, §2 de ladite loi du 1er août 1985).

Seconde branche

6. Si la victime reçoit, à l'occasion d'un événement (une infraction ou une autre faute) causant un dommage, un montant d'un tiers, ce montant devra être imputé sur l'indemnité due par la personne (civilement) responsable lorsqu'elle vise la réparation du même dommage que celui résultant de la faute de la personne responsable c'est-à-dire du dommage visé par les articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil.

7. En matière d'assurance indemnitaire, l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (tel qu'en vigueur avant son abrogation par la loi du 4 avril 2014) et l'article 95 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, prévoient qu'en matière d'assurance à caractère indemnitaire, l'assureur qui a payé l'indemnité est subrogé, la concurrence du montant de celle-ci, dans les droits et actions de l'assuré ou du bénéficiaire contre les tiers responsables du dommage.

Si l'assureur a payé à l'assuré, victime d'un acte dommageable, une indemnité en réparation de son dommage, le tiers responsable (auteur du dommage ou la partie civilement responsable de celui-ci) ne peut être condamné à indemnisation du dommage subi par la victime que sous déduction des sommes payées par l'assureur.

8. La cour d'appel constate dans l'arrêt entrepris du 8 juin 2015 que
- Monsieur [...] a, par arrêt de la Cour d'appel de Mons du 14 février 2007, été condamné à payer aux défendeurs, en nom personnel, la somme globale de 7500 EUR à titre de dommage moral et la somme de 31.346 EUR pour les frais de médecins, professionnels et de déplacements, et à payer aux défendeurs, agissant pour leur enfant mineur [...], une somme provisionnelle de 12.500 EUR,
- l'assureur RC familiale des défendeurs a payé, à propos du même dommage, une somme de 6250 EUR (arrêt, p. 5).

Dans l'arrêt du 8 juin 2015, la cour d'appel
- condamne la demanderesse à payer la somme provisionnelle de 12.500 EUR aux défendeurs en leur qualité d'administrateur de la personne et des biens de [...] et 2500 et 5000 EUR aux défendeurs en nom personnel,
- réserve à statuer sur la demande des défendeurs pour les frais médicaux, professionnels et de déplacements,
- dit pour droit que ces condamnations ont un caractère in solidum avec celle prononcée contre Monsieur [...], pour le même dommage, par arrêt du 14 février 2007,
- dit que la somme de 6250 EUR payée par l'assureur RC familiale des défendeurs ne doit pas être déduite des sommes au paiement desquelles la demanderesse est condamnée.

Dans l'arrêt du 1er mars 2016, la Cour d'appel de Mons condamne la demanderesse en outre à payer
- aux défendeurs, en leur qualité d'administrateurs de la personne et des biens de [...], la somme de 24.000 EUR pour le dommage moral et ménager, augmentée des intérêts,
- aux défendeurs, ensemble et personnellement, la somme de 3907,27 EUR, augmentée des intérêts,
- à la défenderesse, la somme de 9000 EUR, augmentée des intérêts,
et dit pour droit que ces condamnations ont, à concurrence de la plus faible des sommes, un caractère in solidum avec celle prononcée contre Monsieur [...] par arrêt du 14 février 2007 par la 15e chambre de la Cour d'appel de Mons.

Il résulte non seulement de la subrogation de l'assureur RC familiale dans les droits et actions des défendeurs, prévue par l'article 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (tel qu'en vigueur avant son abrogation par la loi du 4 avril 2014) et l'article 95 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances, mais également de la constatation que la somme de 6250 EUR a été payée par cet assureur aux défendeurs à propos du même dommage que celui à la réparation duquel Monsieur [...] a été condamné par arrêt du 14 février 2007, c'est-à-dire à propos du même dommage à la réparation duquel les arrêts des 8 juin 2015 et 1er mars 2016 condamnent (in solidum avec Monsieur [...]) la demanderesse, que la décision par laquelle la cour d'appel dit que la somme de 6250 EUR versée par l'assureur RC familiale des défendeurs ne doit pas être déduite des sommes au paiement desquelles elle condamne la demanderesse, n'est pas légalement justifiée (violation des articles 1382, 1383 et 1384 du Code civil, 41 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (tel qu'en vigueur avant son abrogation par la loi du 4 avril 2014) et 95 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances).

PAR CES CONSIDERATIONS,

L'avocat à la Cour de Cassation soussignée conclut pour la de¬manderesse à ce qu'il Vous plaise, Mesdames et Messieurs, casser les arrêts en¬trepris, renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel, dépens comme de droit.

Bruxelles, le 19 octobre 2017


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C.17.0588.F
Date de la décision : 07/05/2018
Type d'affaire : arrêt

Analyses

subrogation


Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-05-07;c.17.0588.f ?

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