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07/05/2018 | BELGIQUE | N°C.16.0516.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 07 mai 2018, C.16.0516.F


Nº C.16.0516.F
ENERGYS, société anonyme, dont le siège social est établi à Awans, rue de la Chaudronnerie, 14,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

CENTRE HOSPITALIER CHRÉTIEN, association sans but lucratif, dont le siège est établi à Liège, rue de Hesbaye, 75,
défenderesse en cassation.




I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé

contre l'arrêt rendu le 7 juin 2016 par la cour d'appel de Liège.
Le 10 avril 2018, l'avocat gén...

Nº C.16.0516.F
ENERGYS, société anonyme, dont le siège social est établi à Awans, rue de la Chaudronnerie, 14,
demanderesse en cassation,
représentée par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait élection de domicile,

contre

CENTRE HOSPITALIER CHRÉTIEN, association sans but lucratif, dont le siège est établi à Liège, rue de Hesbaye, 75,
défenderesse en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 7 juin 2016 par la cour d'appel de Liège.
Le 10 avril 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Par ordonnance du 10 avril 2018, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Didier Batselé a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée conforme, la demanderesse présente un moyen.

III. La décision de la Cour

Sur le moyen :

Aux termes de l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services, à la demande de toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par la violation alléguée, l'instance de recours peut annuler les décisions prises par les autorités adjudicatrices, y compris celles portant des spécifications techniques, économiques et financières discriminatoires, au motif que ces décisions constituent un détournement de pouvoir ou violent 1° le droit communautaire en matière de marchés publics applicable au marché concerné, ainsi que la loi et ses arrêtés d'exécution ; 2° les dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires ainsi que les principes généraux du droit applicables au marché concerné ; 3° les documents du marché.
L'article 65/25, alinéa 1er, de cette loi dispose que, à moins que des dispositions de celle-ci y dérogent, les règles de compétence et de procédure devant l'instance de recours sont celles qui sont fixées par les lois et arrêtés relatifs à l'instance de recours.
Il s'ensuit que, lorsque l'instance de recours est, en vertu de l'article 65/24, alinéa 1er, 2°, de la même loi, le juge judiciaire, l'intérêt au recours prévu à l'article 65/14 s'apprécie au regard des dispositions de ce dernier article et des articles 17 et 18 du Code judiciaire.
L'arrêt constate que le recours de la demanderesse tend à l'annulation de la décision de la défenderesse du 17 octobre 2013 d'écarter son offre comme irrégulière et d'attribuer le marché au soumissionnaire régulier le moins disant.
L'arrêt, qui, sans dénier que la demanderesse a été ou risque d'être préjudiciée par une décision d'un pouvoir adjudicateur entachée d'illégalité, considère, pour dire son recours en annulation irrecevable à défaut d'intérêt, que « l'annulation de la décision d'attribution [du marché] ne modifiera en rien la situation de [la demanderesse], qui peut agir en [...] indemnisation indépendamment de cette annulation » et qui « aurait pu assortir sa demande d'annulation d'une demande d'indemnisation, ce qui aurait rendu ipso facto sa demande recevable », viole les articles 65/14 de la loi du 24 décembre 1993, 17 et 18 du Code judiciaire.
Le moyen est fondé.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt cassé ;
Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond ;
Renvoie la cause devant la cour d'appel de Mons.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Didier Batselé, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du sept mai deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body A. Jacquemin M.-Cl. Ernotte
M. Delange D. Batselé Chr. Storck


Requête
1er feuillet

REQUETE EN CASSATION
_______________________

Pour : la S.A. ENERGYS, inscrite à la BCE sous le n° 0866.925.721, dont
le siège social est établi à 4340 Awans, rue de la Chaudronnerie, 14,

demanderesse,

assistée et représentée par Me Jacqueline Oosterbosch, avocate à la Cour
de cassation, dont le cabinet est établi à 4020 Liège, rue de Chaudfontaine,
11, où il est fait élection de domicile,

Contre : l'A.S.B.L. CENTRE HOSPITALIER CHRETIEN, inscrite à la BCE
sous le n° 0416.805.238, dont le siège social est établi à 4000 Liège, rue de
Hesbaye, 75,

défenderesse.

A Messieurs les Premier Président et Présidents, Mesdames et Messieurs les Conseillers composant la Cour de cassation,

2ème feuillet

Messieurs, Mesdames,

La demanderesse a l'honneur de déférer à votre censure l'arrêt prononcé le 7 juin 2016 par la douzième chambre civile de la cour d'appel de Liège (n° 2015/RG/495).

Les faits et antécédents de la cause, tels qu'ils ressortent des pièces auxquelles votre Cour peut avoir égard, peuvent être ainsi brièvement résumés.

Dans le courant du mois de septembre 2012, un avis de marché public de travaux portant sur la construction d'une nouvelle aile de la clinique Sainte-Elisabeth à Heusy est publié. La procédure de passation est celle de l'adjudication publique et la défenderesse est le pouvoir adjudicateur.

Le marché est divisé en lots : les lots 8 et 9 portent respectivement sur les travaux d'installation sanitaire et de protection incendie et sur la partie HVAC et la production d'eau chaude de cette nouvelle aile. Ces deux lots sont indissociables.

Six entreprises, parmi lesquelles la demanderesse, remettent une offre dans le cadre de ce marché.

Le rapport d'examen des offres du 15 janvier 2013 fera état de l'envoi à chaque soumissionnaire d'addenda apportant des précisions sur certains travaux, en soulignant que les soumissionnaires sont dûment prévenus qu'ils doivent confirmer avoir pris ces nouvelles précisions en considération dans le cadre de leur offre.

L'auteur du projet constatera que la demanderesse ne remet aucun document mentionnant que son offre tient compte de l'addendum et propose au pouvoir adjudicateur de déclarer son offre irrégulière et de l'écarter de la suite de la procédure.

3ème feuillet

Le 18 janvier 2013, la défenderesse décide d'approuver cette proposition et attribue le marché au soumissionnaire non écarté qui a remis l'offre la plus basse, soit la s.a. C.

Le 12 mars 2013, la demanderesse cite la défenderesse devant le président du tribunal de première instance de Liège siégeant en référé et sollicite la suspension de cette décision du 18 janvier 2013.

Par une ordonnance du 2 mai 2013, le président du tribunal fait droit à cette demande, suspend l'exécution de la décision du 18 janvier 2013 et interdit à la défenderesse de notifier cette décision au soumissionnaire retenu jusqu'au prononcé d'une décision au fond.

Le 13 mai 2013, la défenderesse annule sa décision d'attribution du 18 janvier 2013, renonce à passer le marché litigieux sur pied de la procédure en cours et décide de procéder par la voie d'une nouvelle procédure d'adjudication.

A l'occasion de l'émission du nouvel avis de marché relatif aux lots 8 et 9 en mai 2013, le cahier spécial des charges énonce certaines exigences relatives à la capacité économique, financière et technique des soumissionnaires, exigences non reprises dans le cahier spécial des charges rédigé lors de la première procédure.

Six entreprises, dont la demandersse, remettent à nouveau une offre.

Par une décision du 17 octobre 2013, la défenderesse écarte l'offre de la demanderesse au motif qu'elle ne satisfait pas aux critères de sélection qualitative et décide à nouveau d'attribuer le marché à la s.a. C.

Le 30 octobre 2013, la demanderesse cite la défenderesse en référé devant le président du tribunal de première instance de Liège, en sollicitant la suspension de la décision du 17 octobre 2013 et l'interdiction de notification de la décision d'attribution au soumissionnaire retenu.

4ème feuillet

Par une ordonnance du 15 janvier 2014, le président du tribunal dit cette demande non fondée.

Le 9 décembre 2013, la demanderesse cite la défenderesse devant le tribunal de première instance de Liège en vue d'obtenir l'annulation de la décision du 17 octobre 2013.

Par un jugement du 19 mars 2015, le tribunal dit cette demande irrecevable.

Le 3 avril 2015, la demanderesse interjette appel de cette décision.

L'arrêt attaqué reçoit l'appel, le dit non fondé, confirme le jugement entrepris et condamne la demanderesse aux dépens d'appel.

La demanderesse a l'honneur de faire valoir le moyen suivant à l'encontre de cette décision.

MOYEN UNIQUE DE CASSATION

Dispositions violées

- les articles 17 et 18 du Code judiciaire,
- l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fourniture et de services, disposition insérée dans cette loi par la loi du 23 décembre 2009 introduisant un nouveau livre relatif à la motivation, à l'information et aux voies de recours dans la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services,
5ème feuillet

- l'article 14 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services,
- les articles 1.1, 2.1 b), 2.6 et 2.7 de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux.

Décision critiquée

L'arrêt attaqué dit la demande originaire de la demanderesse irrecevable pour tous ses motifs réputés ici intégralement reproduits et, spécialement, que :
"En termes de requête et de dispositif de conclusions, (la demanderesse) énonce sa demande en ces termes : «annuler la décision du conseil d'administration (de la défenderesse) du 17 octobre 2013, déclarant irrégulière l'offre de (la demanderesse) et attribuant à un tiers le marché public de travaux relatif à la clinique Sainte Elisabeth, rue de Naimeux 17 à Heusy - nouvelle aile - phase I a et I b, lot 8 et 9 (travaux d'installation sanitaire et de protection incendie / HVAC - production d'eau chaude sanitaire)».
La demande de (la demanderesse) ne vise donc que la décision d'attribution.
Cette demande repose (sur) l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 qui permet à toute personne ayant, ou ayant eu, un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été, ou risquant d'être, lésée par la violation alléguée de demander l'annulation d'une décision prise par un pouvoir adjudicateur.
L'article 65/25 précise toutefois qu'à moins que des dispositions particulières de la présente loi n'y dérogent, les règles de compétence et de procédure devant l'instance de recours sont celles fixées par les lois et les arrêtés relatifs à l'instance en cours, soit en l'espèce le Code judiciaire.
La loi du 24 décembre 1993 énonce les personnes qui sont autorisées à intenter un recours en annulation mais ne les dispense de disposer d'un intérêt à agir au sens des articles 17 et 18 du Code judiciaire.
6ème feuillet

L'article 17 énonce que le demandeur doit disposer d'un intérêt personnel et direct. L'article 18 précise que l'intérêt doit être né et actuel. En d'autres termes, l'intérêt à agir désigne «tout avantage matériel ou moral, effectif mais non théorique, que le demandeur peut retirer de la demande qu'il intente au moment où il la forme» (...). Ainsi, un intérêt simplement éventuel ne suffit pas. L'argumentation de (la demanderesse) quant à ce point est irrelevante dès lors qu'elle applique des notions afférentes à la procédure devant le Conseil d'Etat.
La demande de (la demanderesse) ne vise que la décision d'attribution; aucune demande relativement au contrat souscrit avec l'adjudicataire ni aucune demande d'indemnisation.
Il ne peut pas être retenu d'intérêt moral au recours en annulation, lequel n'est pas non plus explicité par (la demanderesse) et qui ne pourrait être en tout état de cause qu'incertain et éventuel puisqu'elle lie expressément cet intérêt à une possibilité future d'action en dommages et intérêts.
Par application de la loi du 24 décembre 1993, le marché public par adjudication doit être attribué au soumissionnaire qui a introduit l'offre régulière la plus basse, sous peine d'une indemnité forfaitaire de 10% du montant hors TVA de cette offre. (La demanderesse) ne prétend pas à l'allocation d'une telle indemnité et évoque expressément, si elle obtient l'annulation, la possibilité éventuelle d'une telle demande. Or, une telle demande ne nécessite pas le préalable d'une annulation de la décision d'attribution. En bref, l'annulation de la décision d'attribution ne modifiera en rien la situation de (la demanderesse) qui peut agir en demande d'indemnisation indépendamment de cette annulation, annulation qui en tout état de cause restera sans effet vis-à-vis du contrat conclu avec l'adjudicataire.
Les articles 17 et 18 du Code judiciaire ne sauraient en aucune façon constituer une atteinte au droit d'ester en justice garanti par la Constitution.
Contrairement à ce qui est soutenu par (la demanderesse), le recours prévu à l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 ne relève pas du contentieux objectif lorsqu'il est introduit devant une juridiction judiciaire. En tout état de cause, l'article 65/25 de cette loi renvoie le Conseil d'Etat et les juridictions de l'ordre judiciaire à leurs règles de procédure respectives. Au surplus, un intérêt réel s'impose et non un intérêt théorique.

7ème feuillet

L'argument de (la demanderesse) de «l'effet utile» de l'article 65/14 ne peut être retenu. La situation d'irrecevabilité découle uniquement de la demande telle que formulée par (la demanderesse). Elle aurait pu assortir sa demande d'annulation de la décision d'attribution d'une demande d'indemnisation, ce qui aurait rendu ipso facto sa demande recevable.
Un moyen d'annulation est irrecevable dès lors que l'intérêt à agir fait défaut lorsqu'à supposer qu'il soit fondé, l'annulation de l'acte attaqué sur la base de ce moyen est impuissant à donner satisfaction au demandeur. Tel est le cas d'espèce.
(La demanderesse) est donc en défaut de justifier et de démontrer un intérêt né et actuel à la demande qu'elle formule à l'encontre (de la défenderesse). Partant, la demande est irrecevable".

Griefs

Aux termes de l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fourniture et de services, disposition insérée dans cette loi par la loi du 23 décembre 2009 introduisant un nouveau livre relatif à la motivation, à l'information et aux voies de recours dans la loi du 24 décembre 1993 relative aux marchés publics et à certains marchés de travaux, de fournitures et de services, "à la demande de toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par la violation alléguée, l'instance de recours peut annuler les décisions prises par les autorités adjudicatrices, y compris celles portant des spécifications techniques, économiques et financières discriminatoires, au motif que ces décisions constituent un détournement de pouvoir ou violent : 1° le droit communautaire en matière de marchés publics applicable au marché concerné, ainsi que la loi et ses arrêtés d'exécution; 2° les dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires ainsi que les principes généraux du droit applicables au marché concerné; 3° les documents du marché".

Cette disposition est reproduite à l'identique dans l'article 14 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services.

8ème feuillet

En vertu de l'article 65/24, alinéa 1, de la loi du 24 décembre 1993, "l'instance de recours pour les procédures de recours visées aux articles 65/14 et 65/15 est :
- 1° la section du contentieux administratif du Conseil d'Etat lorsque l'autorité adjudicatrice est une autorité visée à l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat;
- 2° le juge judiciaire lorsque l'autorité adjudicatrice n'est pas une autorité visée à l'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat".

L'article 65/25, alinéa 1, de cette même loi dispose enfin qu'"à moins que des dispositions de la présente loi n'y dérogent, les règles de compétence et de procédure devant l'instance de recours sont celles fixées par les lois et arrêtés relatifs à l'instance de recours.

Ces dispositions transposent en droit belge la directive européenne 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux.

En vertu de l'article 1.1 de cette directive, "les Etats membres prennent en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d'application des directives 71/305/CEE et 77/62/CEE, les mesures nécessaires pour assurer que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l'objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l'article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit".

Aux termes de l'article 2.1 b) de cette même directive, "les Etats membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l'article 1er prévoient les pouvoirs permettant (...) b ) d'annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l'appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause".

9ème feuillet

L'article 2.6 énonce que "les effets de l'exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 sur le contrat qui suit l'attribution d'un marché sont déterminés par le droit national.
En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l'octroi de dommages-intérêts, un Etat membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l'attribution d'un marché, les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours se limitent à l'octroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation".

L'article 2.7 dispose que "les Etats membres veillent à ce que les décisions prises par les instances responsables des procédures de recours puissent être exécutées de manière efficace".

Enfin, aux termes de l'article 17 du Code judiciaire, "l'action ne peut être admise que si le demandeur a qualité et intérêt pour la former". En vertu de l'article 18, alinéa 1, du même code, "l'intérêt doit être né et actuel".

Le recours ouvert par l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 visée au moyen est un recours en annulation. Ce recours est distinct et indépendant du recours en suspension, institué par l'article 65/15 de cette même loi, et du recours visant à obtenir des dommages et intérêts, visé par l'article 65/16.

Il est ouvert à toute personne qui a été ou risque d'être préjudiciée par une décision entachée d'illégalité prise par un pouvoir adjudicateur.

Le demandeur en annulation, qui démontre l'existence d'un tel préjudice ou le risque d'un tel préjudice, dispose ainsi d'un intérêt à solliciter l'annulation d'un acte et sa disparition de l'ordre juridique interne.
10ème feuillet

Il ne résulte ni de l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 visée au moyen, ni de l'article 14 de la loi du 17 juin 2013 visée au moyen ni des dispositions de la directive 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 également visées au moyen ni enfin des articles 17 et 18 du Code judiciaire que le recours en annulation devrait, sous peine d'irrecevabilité, s'accompagner d'une demande concomitante en dommages et intérêts.

L'arrêt attaqué, qui écarte l'intérêt à agir dans le chef de la demanderesse aux motifs qu'elle n'a pas introduit de demande d'indemnisation conjointement à sa demande d'annulation - alors que le fait d'"assortir sa demande d'annulation de la décision d'attribution d'une demande d'indemnisation (...) aurait rendu ipso facto sa demande recevable" - viole, partant, l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 visée au moyen, les articles 17 et 18 du Code judiciaire, les articles 1.1, 2.1 b), 2.6 et 2.7 de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux et, pour autant que de besoin, l'article 14 de la loi du 17 juin 2013 relative à la motivation, à l'information et aux voies de recours en matière de marchés publics et de certains marchés de travaux, de fournitures et de services.

Développements du moyen unique de cassation

L'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 ouvre un recours en annulation à toute personne ayant été ou susceptible d'être lésée par une décision prise par un pouvoir adjudicateur.

Le recours exercé sur la base de cette disposition devant le juge judiciaire par le soumissionnaire évincé présente les mêmes caractéristiques que le recours en annulation soumis au Conseil d'Etat, c'est-à-dire qu'il s'agit du procès fait à un acte que le demandeur considère comme illicite et qu'il a, par voie de conséquence, intérêt à voir disparaître de l'ordre juridique.
11ème feuillet

L'adoption de la loi du 24 décembre 1993 repose sur la volonté du législateur d'intégrer en droit belge la directive 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 relative à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux. L'objectif avoué de cette directive est d'obtenir que les Etats membres "garantissent que les décisions en matière de passation de marchés publics et de contrats de concession, ainsi que les décisions de procédure préliminaires prises dans ce contexte, bénéficient de moyens de recours efficaces et rapides, dans le cas où elles violent le droit de l'UE en matière de marchés publics, en insistant, d'une part, sur ce que "les pays de l'UE doivent assurer que les procédures de recours sont accessibles au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d'être lésée par une violation alléguée" et, d'autre part, sur ce "qu'il est nécessaire d'assurer que, dans tous les États membres, des procédures adéquates permettent l'annulation des décisions illégales et l'indemnisation des personnes lésées par une violation".

Les articles 1.1, 2.1 b) et 2.7 de cette directive visent à contraindre les Etats membres à mettre en place des recours efficaces et effectifs permettant aux personnes qui sont lésées par la décision illicite d'un pouvoir adjudicateur d'obtenir, notamment, l'annulation de cette décision.

Or, il ne se déduit pas plus de cette directive que du texte même de l'article 65/14 de la loi du 24 décembre 1993 qu'une demande d'indemnisation devrait être introduite conjointement à la demande d'annulation, sous peine d'irrecevabilité de cette dernière demande.

Certes, l'article 2.6 de la directive prévoit-il que, "sauf si une décision doit être annulée préalablement à l'octroi de dommages-intérêts, un Etat membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat qui suit l'attribution d'un marché, les pouvoirs de l'instance responsable des procédures de recours se limitent à l'octroi des dommages-intérêts à toute personne lésée par une violation".

Cette faculté n'a cependant pas été exercée par le législateur belge, qui n'a jamais entendu introduire, à titre de condition de recevabilité du recours en annulation, l'introduction conjointe d'une demande de dommages et intérêts.

12ème et dernier feuillet

Pareille obligation ne peut davantage être déduite des articles 17 et 18 du Code judiciaire, l'intérêt à agir au sens de ces deux dispositions résidant, pour le demandeur en annulation, dans la disparition, au sein de l'ordre juridique, de l'acte illicite qui lui a causé grief.

L'arrêt attaqué, qui écarte l'intérêt à agir dans le chef de la demanderesse aux motifs qu'elle n'a pas introduit de demande d'indemnisation conjointement à sa demande d'annulation - alors que le fait d'"assortir sa demande d'annulation de la décision d'attribution d'une demande d'indemnisation (...) aurait rendu ipso facto sa demande recevable" - viole, partant, toutes les dispositions visées au moyen.

PAR CES CONSIDERATIONS,

l'avocate à la Cour de cassation soussignée, pour la demanderesse, conclut qu'il vous plaise, Messieurs, Mesdames, casser l'arrêt attaqué; ordonner que mention de votre arrêt soit faite en marge de la décision annulée; renvoyer la cause et les parties devant une autre cour d'appel; statuer ce que de droit quant aux dépens.

Jacqueline Oosterbosch

Liège, le 23 novembre 2016


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C.16.0516.F
Date de la décision : 07/05/2018
Type d'affaire : arrêt

Analyses

marchés publics ; travaux ; fournitures ; services


Parties
Demandeurs : ENERGYS
Défendeurs : CENTRE HOSPITALIER CHRÉTIEN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-05-07;c.16.0516.f ?

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