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05/03/2018 | BELGIQUE | N°S.16.0062.F

Belgique | Belgique, Cour de cassation, 05 mars 2018, S.16.0062.F


N° S.16.0062.F
OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

A. S.,
défendeur en cassation.


I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 1er juin 2016 par la cour du travail de Mons.
Le 1er février 2018,

l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Del...

N° S.16.0062.F
OFFICE NATIONAL DE L'EMPLOI, établissement public, dont le siège est établi à Bruxelles, boulevard de l'Empereur, 7,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de domicile,

contre

A. S.,
défendeur en cassation.

I. La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 1er juin 2016 par la cour du travail de Mons.
Le 1er février 2018, l'avocat général Jean Marie Genicot a déposé des conclusions au greffe.
Le conseiller Mireille Delange a fait rapport et l'avocat général Jean Marie Genicot a été entendu en ses conclusions.

II. Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :

Dispositions légales violées

- article 149 de la Constitution ;
- articles 580, 1° et 2°, et 1042 du Code judiciaire ;
- article 7, § 11, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs ;
- articles 154, alinéas 1er, 1°, et 3, 2°, et 157bis de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, l'article 154 avant sa modification par les arrêtés royaux des 23 août 2014 et 30 décembre 2014 et l'article 157bis avant sa modification par l'arrêté royal du 30 décembre 2014 ;
- article 13, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la charte de l'assuré social ;
- articles 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ;
- principe général du droit de la séparation des pouvoirs.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt constate les faits et les antécédents suivants :
« Par décision du 3 juillet 2014, l'Office national de l'emploi [demandeur] notifie [au défendeur] qu'il : l'exclut du bénéfice des allocations de chômage les 12, 15, 16, 17 et 18 septembre 2008 ; récupère les allocations de chômage perçues indûment à partir du 1er juillet 2009 ; l'exclut du droit aux allocations à partir du 7 juillet 2014 pendant une période de trente-neuf semaines dont dix-huit semaines avec sursis.
Cette décision comporte la motivation suivante :
‘Il ressort d'une enquête de la police fédérale que, tout en bénéficiant des allocations pour les heures de chômage temporaire [...], vous avez effectué, les 12, 15, 16, 17 et 18 septembre 2008, une activité pour le compte de la société G. W. [...]. Des comparaisons ont été faites entre [les] relevés de prestation (« listes de chantier ») et des calculs de salaires. Il en a résulté que près de 200 personnes ont été mises en chômage temporaire par six sociétés. Une dizaine de personnes ont été reconnues comme étant les organisateurs de cette fraude, certaines d'entre elles reconnaissant clairement avoir mis des travailleurs en chômage temporaire alors qu'ils étaient occupés au travail sur chantier, ce qui a notamment été le cas de l'organisateur principal de cette fraude, M. C. qui s'est occupé de la société G. W. [...] Convoqué par le service contrôle du bureau du chômage de La Louvière pour être entendu à ce sujet en date du 12 juillet 2011, vous avez déclaré ne pas vous souvenir de la société G. W. Vous avez signalé que vous avez signé votre carte de septembre en 2008 et que vous avez noirci vous-même les jours où vous avez travaillé. Entendu en vos moyens de défense en date du 17 juin 2014, vous avez déclaré ne pas avoir travaillé les jours concernés. Un pro justitia a été dressé à votre charge en date du 25 novembre 2011.
Étant donné que les 12, 15, 16, 17 et 18 septembre 2008 vous n'étiez pas privé de travail et de rémunération, vous ne pouvez pas bénéficier des allocations pour les journées de travail concernées. [...] Vous avez agi avec intention frauduleuse. Celle-ci est établie par le fait que vous ne pouviez pas ignorer l'existence du système frauduleux dans lequel vous vous trouviez. [...] Toute somme perçue indûment et frauduleusement doit être remboursée [...]. Normalement, l'Office national de l'emploi dispose d'un délai de trois ans pour ordonner la récupération des allocations auxquelles vous n'avez pas droit. Ce délai est de cinq ans lorsque le paiement est dû à la fraude ou au dol du chômeur.
[...] Dans votre cas, la durée de l'exclusion a été fixée à trente-neuf semaines, étant donné la longueur de la période infractionnelle, du nombre de jours constatés, du caractère frauduleux de l'infraction et que vous n'avez rien fait pour enrayer ou dénoncer ce système mis en place. Pour ces mêmes motifs, je ne me limite pas à donner un avertissement (article 157bis, § 1er, alinéa 1er) et je n'assortis pas la décision d'exclusion d'un sursis complet ou partiel (article 157bis, § 2, alinéa 1er). Cette exclusion est assortie d'un sursis partiel de dix-huit semaines. [...] Le sursis est octroyé étant donné qu'au cours des deux années précédentes, aucune sanction n'a été appliquée sur la base des articles 153, 154 ou 155 et du faible nombre de jours en infraction et du fait que les jours en infraction sont étalés sur un seul mois' »
Le défendeur a formé un recours contre cette décision [du demandeur] du 3 juillet 2014 devant le tribunal du travail [...]. Le jugement [de ce premier juge] « déclare le recours partiellement fondé ; confirme la décision administrative du 3 juillet 2014 en ce qu'elle a exclu [le défendeur] du bénéfice des allocations de chômage les 12, 15, 16, 17 et 18 septembre 2008 et récupère les allocations de chômage perçues indûment à partir du 1er juillet 2009 ; annule la sanction de trente-neuf semaines d'exclusion du droit aux allocations dont dix-huit avec sursis, infligée en application de l'article 154 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 ; dit qu'il n'appartient pas au tribunal de se substituer [au demandeur] pour infliger une nouvelle sanction ».
[Le demandeur] a fait appel de ce jugement, demandant à la cour du travail de « mettre à néant le jugement [du premier juge] en ce qu'il annule la sanction administrative de trente-neuf semaines dont dix-huit avec sursis [et] de rétablir la décision administrative en toutes ses dispositions ».

L'arrêt rappelle que : pour pouvoir bénéficier d'allocations, le chômeur doit être privé de travail et de rémunération (articles 44 et 45 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage) ; « si le chômeur exerce une activité pour un tiers, il doit la mentionner sur sa carte de pointage avec comme conséquence qu'il sera privé d'allocations pour les jours durant lesquels l'activité a été exercée » ; le chômeur doit « compléter à l'encre indélébile sa carte de contrôle [...] et, avant le début d'une activité visée à l'article 45, en faire mention sur sa carte de contrôle » (article 71, alinéa 1er, 3° ou 4°, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991) ; « le chômeur, qui a perçu indûment des allocations parce qu'il ne s'est pas conformé aux articles 71, alinéa 1er, 3° ou 4°, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, peut être exclu du bénéfice des allocations durant une semaine au moins et vingt-six semaines au plus, selon l'article 154, alinéa 1er, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 », mais la durée de l'exclusion est fixée à vingt-sept semaines au minimum et à cinquante-deux semaines au maximum lorsque la suspension du contrat de travail a été communiquée à l'Office national de l'emploi et que le chômeur « ne respecte pas les obligations relatives à la carte de contrôle aux fins de se voir allouer de mauvaise foi des allocations auxquelles il n'a pas droit, selon l'article 154, alinéa 3, 2°, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 » ; le directeur du bureau du chômage peut se limiter à donner un avertissement ou assortir sa décision d'un sursis pour autant que, dans les deux ans qui précèdent, aucun événement n'a donné lieu à une sanction sur la base des articles 153, 154 ou 155 (article 157bis de l'arrêté royal du 25 novembre 1991).
Par ailleurs, l'arrêt admet que « si le pouvoir de notifier une sanction administrative relève incontestablement d'une compétence discrétionnaire, par contre le choix de la sanction et sa hauteur relèvent d'une compétence liée soumise au contrôle de pleine juridiction du juge. Le juge est compétent pour vérifier si la durée de l'exclusion (le quantum de la sanction) est justifiée par les faits. Il est également compétent pour accorder le cas échéant au chômeur la mesure de faveur consistant soit à donner un avertissement soit à assortir d'un sursis, partiel ou complet, la sanction prise par l'Office national de l'emploi ».

L'arrêt dit non fondé l'appel [du demandeur] dirigé contre la décision du premier juge d'annuler la sanction et de refuser de prononcer une autre sanction, et confirme donc le jugement [de ce premier juge] en ce qu'il a annulé la sanction et a considéré qu'il n'appartient pas au juge de se substituer [au demandeur] pour infliger une nouvelle sanction.
L'arrêt fonde cette décision sur les motifs suivants :
« Motivation formelle
Les décisions d'octroi d'un droit, d'un droit complémentaire, de régularisation d'un droit, ou de refus de prestations sociales doivent être motivées, selon l'article 13, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la charte de l'assuré social.
La loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs ajoute que tout acte juridique unilatéral de portée individuelle émanant d'une autorité administrative et qui a pour but de produire des effets juridiques à l'égard d'un administré doit être pourvu d'une motivation consistant en l'indication des considérations de fait et de droit qui servent de fondement à la décision et, de surcroît, soit [lire : doit être] adéquate.
Dans un arrêt [...] du 17 décembre 2001, la Cour de cassation décide que, lorsqu'il annule la décision du directeur du bureau régional du chômage, le juge épuise son pouvoir de juridiction et, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs, il ne peut se substituer à l'administration pour prononcer contre le chômeur une nouvelle sanction remplaçant celle qu'il annule mais doit, pour autant que le chômeur satisfasse à toutes les autres conditions légales pour avoir droit aux allocations, rétablir celui-ci dans les droits dont la sanction annulée avait pour effet de le priver.
En cas d'annulation de la sanction administrative, le cas échéant pour défaut de motivation de son quantum, le juge est sans pouvoir aucun pour substituer sa propre appréciation à celle du directeur régional du chômage, la notion de pleine juridiction n'allant pas jusqu'à impliquer que le juge puisse substituer une nouvelle sanction à celle qu'il annule.

En l'espèce
La sanction de l'exclusion du droit aux allocations jusqu'à concurrence de trente-neuf semaines, dont dix-huit semaines avec sursis, à partir du 7 juillet 2014, est notamment justifiée, dans la décision du 3 juillet 2014, par ‘la longueur de la période infractionnelle, du nombre de jours constatés'.
Or, la période infractionnelle est courte puisqu'elle s'étend du 12 au 18 septembre 2008. De plus, les jours litigieux sont limités puisqu'ils sont au nombre de cinq ; il s'agit des 12, 15, 16, 17 et 18 septembre 2008.
[Le demandeur] fait d'ailleurs état, dans la décision du 3 juillet 2014, pour justifier l'octroi d'un sursis, ‘du faible nombre de jours en infraction et du fait que les jours en infraction sont étalés sur un seul mois'.
Il en découle que la motivation de la décision du 3 juillet 2014 est empreinte d'une contradiction manifeste entre, d'une part, la branche de la motivation relative à la hauteur de l'exclusion, articulée sur la longueur de la période infractionnelle et le nombre de jours litigieux, d'autre part, la branche de la motivation relative à l'octroi du sursis, articulée à l'inverse sur la brièveté de la période infractionnelle et la limitation dans le temps des jours litigieux.
La hauteur de la sanction, telle qu'elle est retenue par [le demandeur], ne fait donc pas l'objet d'une motivation adéquate, au sens de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.
Par voie de conséquence, c'est à bon droit que le tribunal a annulé la décision [du demandeur] du 3 juillet 2014, en ce qu'elle inflige [au défendeur] une sanction d'exclusion du droit aux allocations jusqu'à concurrence de trente-neuf semaines, dont dix-huit semaines avec sursis, à partir du 7 juillet 2014, et ne s'est pas substitué [au demandeur] pour se prononcer quant à une nouvelle sanction, sous peine de commettre un excès de pouvoir ».

Griefs

Première branche

L'arrêt énonce, d'une part, que, « si le pouvoir de notifier une sanction administrative relève incontestablement d'une compétence discrétionnaire, par contre le choix de la sanction et sa hauteur relèvent d'une compétence liée soumise au contrôle de pleine juridiction du juge. Le juge est compétent pour vérifier si la durée de l'exclusion (le quantum de la sanction) est justifiée par les faits. Il est également compétent pour accorder le cas échéant au chômeur la mesure de faveur consistant soit à donner un avertissement soit à assortir d'un sursis, partiel ou complet, la sanction prise par l'Office national de l'emploi » ; d'autre part, que, « en cas d'annulation de la sanction administrative, le cas échéant pour défaut de motivation de son quantum, le juge est sans pouvoir aucun pour substituer sa propre appréciation à celle du directeur régional du chômage, la notion de pleine juridiction n'allant pas jusqu'à impliquer que le juge puisse substituer une nouvelle sanction à celle qu'il annule ».
Ces motifs sont contradictoires. Cette contradiction de motifs équivaut à une absence de motivation, en sorte que l'arrêt n'est pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

Deuxième branche

Aux termes de l'article 7, § 11, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, « les litiges ayant pour objet des droits résultant de la réglementation en matière de chômage sont de la compétence du tribunal du travail ». En vertu de l'article 580 du Code judiciaire, « le tribunal du travail connaît : [...] 2° des contestations relatives aux droits et obligations des travailleurs salariés résultant des lois et règlements prévus au 1° », notamment en matière de chômage.

Lorsque le directeur du bureau du chômage exclut temporairement un chômeur du bénéfice des allocations de chômage à titre de sanction administrative, en application de l'article 154, alinéas 1er ou 3, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, et accorde au chômeur un sursis partiel à cette exclusion, sur la base de l'article 157bis, § 2, du même arrêté royal, et que le chômeur conteste cette sanction devant le tribunal du travail, il en résulte une contestation sur le droit aux allocations de chômage sur laquelle le tribunal du travail doit statuer. À cet égard, le tribunal du travail, et en degré d'appel la cour du travail en vertu de l'article 1042 du Code judiciaire, disposent de la pleine juridiction et, moyennant le respect des droits de la défense et dans les limites de la contestation, tout ce qui relève de la compétence d'appréciation du directeur est soumis au contrôle du juge. Le principe général du droit de la séparation des pouvoirs n'y fait pas obstacle.
Les juridictions du travail contrôlent donc la légalité de la sanction administrative d'exclusion du bénéfice des allocations de chômage et, dans le cas où ces juridictions décident que la sanction est illégale, notamment parce qu'elle n'est pas motivée au vœu des dispositions relatives à la motivation formelle des actes administratifs, elles statuent sur le droit aux allocations au regard des articles précités de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage relatifs aux sanctions administratives en cause.
L'arrêt ne dénie pas que le défendeur n'a pas inscrit sur sa carte de contrôle les journées pour lesquelles il a travaillé pour le compte de la société G. W., à savoir les 12, 15, 16, 17 et 18 septembre 2008, ni qu'il a agi avec une intention de fraude. Par confirmation du jugement du premier juge, l'arrêt confirme d'ailleurs la décision administrative [du demandeur] du 3 juillet 2014 d'exclure le défendeur du bénéfice des allocations de chômage aux dates précitées et de récupérer les allocations de chômage perçues indûment à partir du 1er juillet 2009, le délai de prescription de cinq ans ayant été retenu en raison de la fraude commise, en vertu de l'article 7, § 13, alinéa 2, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs.
Pourtant, l'arrêt annule purement et simplement la sanction d'exclusion temporaire du bénéfice des allocations de chômage prévue par l'article 154, alinéa 3, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, que [le demandeur] a infligée au défendeur, sans la remplacer par une autre sanction que la cour [du travail] aurait pu prononcer en faisant usage, en vertu du pouvoir de pleine juridiction du juge, dont l'arrêt reconnaît l'existence, du choix que donnent les articles 154, alinéas 1er et 3, et 157bis, de l'arrêté royal du 25 novembre 1991, entre une mesure d'exclusion d'une à vingt-six semaines ou de vingt-sept à cinquante-deux semaines, assortie d'un sursis éventuel, ou un avertissement.
À cet égard, l'arrêt se fonde sur les motifs que, en vertu de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la charte de l'assuré social (article 13, alinéa 1er) et de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs (articles 2 et 3), la décision [du demandeur] d'exclure un chômeur du droit aux allocations, doit être pourvue d'une motivation « adéquate » ; que, « en cas d'annulation de la sanction administrative, le cas échéant pour défaut de motivation de son quantum, le juge est sans pouvoir aucun pour substituer sa propre appréciation à celle du directeur régional du chômage » ; que « la motivation de la décision du 3 juillet 2014 est empreinte d'une contradiction manifeste » et n'est donc pas « adéquate » ; que, « par voie de conséquence, c'est à bon droit que le tribunal a annulé la décision [du demandeur] du 3 juillet 2014 en ce qu'elle inflige [au défendeur] une sanction d'exclusion du droit aux allocations [...] et ne s'est pas substitué [au demandeur] pour se prononcer quant à une nouvelle sanction, sous peine de commettre un excès de pouvoir ».
L'arrêt, qui, sur le recours du défendeur contre la sanction administrative d'exclusion temporaire du bénéfice des allocations de chômage prononcée à son encontre, annule cette sanction sans faire usage de la compétence que lui donnent les articles 7, § 11, alinéa 1er, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs et 580, 1° et 2°, du Code judiciaire, viole lesdites dispositions légales et, pour autant que de besoin, les articles 154, alinéas 1er et 3, et 157bis de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 et 1042 du Code judiciaire. L'arrêt fait pour le reste une fausse application du principe général du droit de la séparation des pouvoirs (violation dudit principe général).

Troisième branche

L'article 13, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la charte de l'assuré social dispose que les décisions d'octroi d'un droit, d'un droit complémentaire, de régularisation d'un droit, ou de refus de prestations sociales, visées aux articles 10 et 11, doivent être motivées.
En vertu de l'article 2 de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs, les actes administratifs des autorités administratives visées à l'article 1er doivent faire l'objet d'une motivation formelle. L'article 3 de cette même loi dispose que la motivation exigée consiste en l'indication, dans l'acte, des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision ; elle doit être adéquate.
Les dispositions précitées n'ont pas pour portée d'interdire aux juridictions du travail, lorsqu'elles sont saisies du recours d'un chômeur contre une sanction administrative prise par [le demandeur] de l'exclure temporairement du bénéfice des allocations de chômage, de remplacer, par une autre sanction, la sanction qui serait considérée comme non motivée ou inadéquatement motivée.
En donnant pourtant cette portée aux articles 13, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1995 et 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991, l'arrêt viole lesdites dispositions (violation des articles 13, alinéa 1er, de la loi du 11 avril 1995 et 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1991).

III. La décision de la Cour

Quant à la deuxième branche :

En vertu de l'article 154 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, peut être exclu du bénéfice des allocations pendant vingt-sept semaines au moins et cinquante-deux semaines au plus, le chômeur qui a perçu ou peut percevoir indûment des allocations du fait qu'il ne s'est pas conformé aux dispositions de l'article 71, alinéa 1er, 3°, 4° ou 5°, en matière de carte de contrôle et qui en outre travaille dans certaines conditions frauduleuses.
Dans les cas visés à cet article 154, l'article 157bis du même arrêté, dans la version applicable au litige, prévoit que le directeur peut, en règle, se limiter à donner un avertissement ou assortir la décision d'exclusion d'un sursis.
Lorsque le directeur du bureau du chômage exclut un chômeur du droit aux allocations et que ce dernier conteste cette sanction administrative, une contestation naît entre l'Office national de l'emploi et le chômeur sur le droit de celui-ci aux allocations au cours de la période durant laquelle il est exclu ; il relève de la compétence du tribunal du travail de statuer sur cette contestation dès lors qu'en vertu de l'article 580, 2°, du Code judiciaire, cette juridiction connaît des contestations relatives aux droits et obligations des travailleurs salariés résultant des lois et règlements en matière de chômage.
Saisi d'une telle contestation, le tribunal du travail exerce, dans le respect des droits de la défense et du cadre de l'instance, tel que les parties l'ont déterminé, un contrôle de pleine juridiction sur la décision prise par le directeur en ce qui concerne l'importance de la sanction, qui comporte le choix entre l'exclusion du bénéfice des allocations sans sursis, l'exclusion assortie d'un sursis ou l'avertissement et, le cas échéant, le choix de la durée et des modalités de cette sanction.
L'arrêt considère que, « en cas d'annulation de la sanction administrative [prononcée sur la base de l'article 154 de l'arrêté royal] pour défaut de motivation de son [importance], le juge est sans pouvoir aucun pour substituer sa propre appréciation à celle du directeur du bureau régional du chômage » et que « la motivation de la décision [du demandeur qui inflige une telle sanction au défendeur] est empreinte d'une contradiction manifeste entre la branche [...] relative à la hauteur de l'exclusion [et celle] relative à l'octroi du sursis ». Il décide par ces motifs d'« [annuler] la décision [du demandeur] en tant qu'elle inflige [au défendeur] une sanction d'exclusion du droit aux allocations de trente-neuf semaines, dont dix-huit semaines avec sursis, à partir du 17 juillet 2014 ».
En s'abstenant à la suite de cette décision de prononcer une exclusion, une exclusion assortie d'un sursis ou un avertissement, l'arrêt viole les articles 580, 2°, du Code judiciaire et 154 et 157bis de l'arrêté royal du 25 novembre 1991.
Le moyen, en cette branche, est fondé.
Et il n'y a pas lieu d'examiner les autres branches du moyen, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la sanction infligée en application de l'article 154 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage ;
Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé ;
Vu l'article 1017, alinéa 2, du Code judiciaire, condamne le demandeur aux dépens ;
Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour du travail de Liège.
Les dépens taxés à la somme de trois cent cinquante-cinq euros septante-sept centimes envers la partie demanderesse.

Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où siégeaient le président de section Christian Storck, les conseillers Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte, Eric de Formanoir et Ariane Jacquemin, et prononcé en audience publique du cinq mars deux mille dix-huit par le président de section Christian Storck, en présence de l'avocat général Jean Marie Genicot, avec l'assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont A. Jacquemin E. de Formanoir
M.-Cl. Ernotte M. Delange Chr. Storck


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : S.16.0062.F
Date de la décision : 05/03/2018

Analyses

CHOMAGE ; DIVERS


Parties
Demandeurs : Office Nationale de l'Emploi
Défendeurs : A.S.

Origine de la décision
Date de l'import : 09/03/2020
Fonds documentaire ?: juridat.be
Identifiant URN:LEX : urn:lex;be;cour.cassation;arret;2018-03-05;s.16.0062.f ?

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